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                                                                                                                                   Date: 20010112

                                                                                                                              Dossier: T-2285-00

ENTRE:

                                                  VULCAN NORTHWEST INC. et

                                                      VULCAN VENTURES INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                          - et -

                                                    VULCAN VENTURES CORP.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ

[1]         Les demanderesses sont deux importantes sociétés de l'État de Washington appartenant à l'entrepreneur milliardaire bien connu Paul Allen. Elles sont particulièrement présentes dans les secteurs de la haute technologie, du multimédia et du placement dans toute l'Amérique du Nord. La défenderesse, une société d'exploration minière, dont les actions, à très faible cours, sont négociées à la Canadian Venture Exchange (auparavant Vancouver Stock Exchange). Avant le 5 octobre 1999, elle était inscrite sous le nom de Huntington Resources, mais elle a alors pris la dénomination sociale et le nom commercial Vulcan Ventures Corp.


[2]         Les demanderesses prient la Cour de prononcer une injonction interlocutoire interdisant à la défenderesse d'utiliser le nom VULCAN VENTURES, soutenant que cette utilisation constitue une usurpation de leur nom commercial VULCAN VENTURES.

1. Les arguments des demanderesses

(a) Question sérieuse à trancher

[3]         Même si les demanderesses ne se livrent pas, comme la défenderesse déclare le faire, à l'exploration minière, l'adoption par cette dernière du nom commercial en question risque manifestement de créer de la confusion en raison de la grande variété des activités commerciales des demanderesses et de l'achalandage attaché à leur nom, VULCAN VENTURES, dans les secteurs du placement et de la bourse. La notoriété de ce nom a crû au même rythme que celle des demanderesses et de leur propriétaire, Paul Allen. La défenderesse est une société cotée en bourse, et le nom VULCAN VENTURES est particulièrement connu dans les milieux du placement. Il y a donc clairement imitation frauduleuse.

[4]         Le risque de confusion est manifeste, et démontré concrètement par l'existence d'articles liant la défenderesse aux entreprises des demanderesses. La preuve établit l'existence des éléments constitutifs de l'imitation frauduleuse interdite aux alinéa 7b) et c) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi)[1]; elle démontre en effet qu'il y a un achalandage, que le public est induit en erreur et que les demanderesses subissent ou risquent de subir un préjudice.


[5]         L'absence de concurrence directe entre les parties n'exclut pas la conclusion d'imitation frauduleuse. S'il existe une association établie entre un nom et une entreprise, il est suffisant, pour établir l'imitation frauduleuse, que le défendeur commence, de façon délibérée ou non, à utiliser un nom dont la similitude pourrait être remarquée par les clients de l'entreprise et semer la confusion chez eux[2]. Il n'est pas nécessaire de démontrer de confusion concrète si l'on peut établir que le risque de confusion provenant de la similitude des noms en cause est probable. Toutefois, la preuve d'incidents concrets de confusion est un bon indicateur que le critère applicable en matière de confusion est rempli[3].

(b) Préjudice irréparable

[6]         La nature de la confusion, en l'espèce, fait qu'il est impossible de circonscrire et d'évaluer l'étendue de ses effets. Que des personnes croient à tort que la défenderesse est liée de quelque façon aux demanderesses ou à M. Allen lui-même et leur fassent porter la responsabilité de placements décevants ou que d'autres pensent erronément que les demanderesses ont délaissé les placements de millions de dollars dans des secteurs de pointe pour les actions à très faible cours, cela porte atteinte à l'achalandage des demanderesses. La réputation du nom VULCAN VENTURES est un actif fondamental auquel l'imitation frauduleuse à laquelle se livre la défenderesse fait perdre de la valeur.


(c)         Prépondérance des inconvénients

[7]         En revanche, l'achalandage de la défenderesse est minime, voire inexistant. Son nom original était Huntington Resources, et ce n'est qu'à la fin de 1999 qu'elle a adopté son nouveau nom. L'achalandage des demanderesses est lié au nom Vulcan Ventures, et remonte à une date antérieure à 1999. Le prononcé d'une injonction interlocutoire causerait beaucoup moins d'inconvénients à la défenderesse, et celle-ci pourrait en être indemnisée si elle obtenait gain de cause au procès.

2. Les arguments de la défenderesse

(a) Question sérieuse à trancher

[8]         Selon la défenderesse, l'action est frivole. L'entreprise des demanderesses est l'investissement en capital de risque, et celle-ci ne transige qu'avec des professionnels avertis, des services bancaires d'investissement, des courtiers et des hommes d'affaires et dirigeants d'entreprise chevronnés qui savent que les sociétés des demanderesses ne sont pas inscrites à la Canadian Venture Exchange.


[9]         La défenderesse a retenu ce nom parce qu'il décrit à la fois la nature de son entreprise (Vulcan) et la bourse où ses actions sont négociées (Canadian Ventures Exchange). Elle n'a jamais tenté de faire croire qu'elle était autre chose qu'une société d'exploration minière. Ses activités commerciales diffèrent si radicalement de celles des demanderesses qu'il serait tout simplement impossible pour une personne du secteur de l'investissement ou un professionnel de l'industrie d'être induit en erreur.

(b) Préjudice irréparable

[10]       Les demanderesses n'ont jamais manifesté d'intérêt pour le secteur des ressources naturelles et encore moins pour l'exploration minière, et l'utilisation du nom par la défenderesse ne pourra manifestement pas leur causer préjudice. Les demanderesses investissent dans l'acquisition d'autres entreprises. Elles ne se livrent pas au commerce de gros ou de détail au sens conventionnel de ces termes. Leur clientèle se compose de professionnels bien informés sur lesquels le nom de la défenderesse ne produira aucun effet puisqu'il ne peut y avoir de confusion.

(c) Prépondérance des inconvénients

[11]       La prépondérance des inconvénients favorise la défenderesse car, si l'injonction est accordée, elle devra changer son nom encore une fois. Même si elle a plus tard gain de cause à l'issue du procès, reprendre le nom qu'elle aura dû abandonner lui causera des difficultés supplémentaires, sans compter la confusion que cela engendrera chez ses actionnaires et l'hostilité et les frustrations que cela suscitera dans le milieu financier.

[12]       La défenderesse vient de procéder à une réorganisation qui a donné lieu à un regroupement d'actions dans un rapport de 5 pour 1; si elle devait maintenant changer de nom cela ne pourrait que créer de la confusion et faire penser aux investisseurs qu'une autre réorganisation est en cours et que leur investissement pourra encore être dévalué.


3. Analyse

[13]       À mon avis, la preuve des demanderesses établit clairement les éléments de l'imitation frauduleuse, puisqu'elle démontre qu'il y a un achalandage, que le public est induit en erreur et que les demanderesses subissent ou risquent de subir un préjudice. Voici le texte des alinéas 7b) et c) de la Loi :

7. Nul ne peut :

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

[14]       Les dispositions relatives à l'imitation frauduleuse n'ont pas simplement pour objet de protéger les parties en cause, elles visent principalement à protéger le public. Les demanderesses ont réussi à obtenir passablement de publicité et à créer un achalandage substantiel autour du nom VULCAN VENTURES, ainsi que le démontrent les articles du Globe and Mail, de Forbes Magazine, de Business Week et du Vancouver Sun et les communiqués de presse destinés à la Colombie-Britannique ou circulant dans cette province. L'usage public du nom VULCAN VENTURES associé à la défenderesse consiste en sa déclaration d'inscription en bourse et aux publications de divers organismes de placement et de sites web au sujet de cette déclaration. Le risque de confusion est évident et, pour une grande part, il peut rester ignoré des demanderesses et ainsi empêcher la détermination des dommages et leur réparation.


[15]       La défenderesse a un site de placement en ligne, Stockhouse.com, lequel offre une série de liens censés se rapporter à la société défenderesse. Les liens, toutefois, renvoient à des nouvelles concernant les demanderesses ou les entreprises de M. Allen et non la défenderesse. Il n'est pas nécessaire d'établir l'existence de dommages lorsqu'il est évident que les deux parties se servent des mêmes noms commerciaux, dans un même domaine, d'une façon propre à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre les marchandises, services ou entreprises des parties. Bien sûr, la confusion n'atteindra pas les investisseurs avertis, mais les moins gros investisseurs, qui sont innombrables aujourd'hui sur le marché boursier, peuvent être influencés par la notoriété et la réputation dont jouissent Paul Allen et ses sociétés. La norme qui s'applique en matière d'imitation frauduleuse, est celle de la première impression suscitée chez une personne ordinaire à qui l'on présente un produit ou une entreprise portant un nom analogue à celui d'un autre produit ou d'une autre entreprise. Le juge en chef Estey de la Haute Cour de l'Ontario s'est exprimé très clairement à ce sujet dans la décision Mr. Submarine Ltd. v. Emma Foods Ltd.[4] (aux p. 179 et 180) :

[TRADUCTION]

... Le critère applicable n'est pas celui de la personne connaissant parfaitement le détail des opérations d'un demandeur et, par suite, capable de distinguer immédiatement entre les activités de ce dernier et celles du défendeur. Il s'agit plutôt du critère de la personne ayant un souvenir ou une compréhension vague de l'entreprise ou du produit du demandeur et qui, devant ceux du défendeur, pourrait fort bien être jetée dans la confusion ou induite en erreur quant à la propriété ou à la nature des biens ou quant à l'identité du propriétaire de l'entreprise. Je me reporte à la décision Cavendish House (Cheltenham) Ltd. v. Cavendish-Woodhouse Ltd., [1968] R.P.C. 448.


4. Décision

[16]       En conséquence, la demande est accueillie. Dépens à suivre.

« J.E. Dubé »

Juge

Vancouver (C.-B.)

12 janvier 2001

Traduction certifiée conforme

                                    

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                          T-2285-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         VULCAN NORTHWEST INC. et VULCAN VENTURES INC.

demanderesses

-et-

VULCAN VENTURES CORP.

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (B.-C.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 8 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE DUBÉ EN DATE DU 12 JANVIER 2001

ONT COMPARU :

Daniel W. Burnett                                              pour les demanderesses

David Ennis

Roger MacInnis                                                pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Owen, Bird                                                       pour les demanderesses

Vancouver (C.-B.)

Roger MacInnis                                                 pour la défenderesse

Vulcan Ventures Corp.

Vancouver (C.-B.)



     [1] L.R.C. (1985), ch. T-13.

     [2]           Orkin Exterminating Co. Inc. v. Pestco Co. of Canada Ltd. (1985), 5 C.P.R. (3d) 433 (C.A. Ont.), Sunnyside Shopping Plaza Ltd. c. Sunnyside Transmission Ltd. (1980), 60 C.P.R. (2d) 177 (1re inst.) et Mountain Shadows Resort Ltd. v. Pemsall Enterprises Ltd. (1973), 40 D.L.R. (3d) 241 (C.S. B.-C.).

     [3]           U.S. Playing Card Co. v. Hurst (1919), 58 R.C.S. 603 (C.S.C.).

     [4]           34 C.P.R. (2d) 177.

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