Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19981110

     Dossier : T-253-98

Entre

     EMILE MARGUERITA MARCUS MENNES,

     demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL

     représentant le gouverneur en conseil de Sa Majesté

     pour l'application du paragraphe 749(2) du Code criminel

     et de l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême,

     défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le protonotaire HARGRAVE

[1]      Les présents motifs se rapportent à deux requêtes. La première, introduite par le demandeur, tend au réexamen de mon ordonnance (et des motifs y afférents) du 21 juillet 1998, portant radiation de certaines parties de son dossier de la requête, conformément à la directive du 7 mai 1997 du Juge en chef. La seconde est une fin de non-recevoir opposée par le défendeur à l'avis de requête introductive d'instance, maintenant appelé " demande " dans les Règles de la Cour fédérale (1998) (la demande), et ce sans autorisation de modification. J'ai fait droit à la requête du défendeur, et n'aurai donc pas à me prononcer sur celle du demandeur.

LA DEMANDE

[2]      La demande introduite par M. Mennes tend à l'infirmation du refus de la Couronne de lui accorder le pardon et au renvoi de la question du pardon à la Cour suprême du Canada. À cette fin, il semble s'appuyer sur la disposition qui est devenue l'actuel article 748 du Code criminel et sur l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême, aux termes duquel le gouverneur en conseil peut soumettre toute question importante au jugement de la Cour. Peut-être M. Mennes avait-il à l'esprit la cause Renvoi relatif à Milgaard (Can.) (1992), 90 D.L.R (4t) 1, dans laquelle la Cour suprême, ayant examiné si la condamnation de M. Milgaard constituait une erreur judiciaire, a recommandé le pardon. M. Mennes fait valoir qu'il y a refus continu de la part du gouverneur en conseil " au moins depuis le 9 septembre 1997 ". Il n'attribue aucune date précise à ce refus, ce qui est contraire à la règle 1602(2)f) des anciennes Règles de la Cour fédérale , en vigueur au moment où fut engagée la procédure (la disposition correspondante actuellement en vigueur est la règle 301c)(ii)).

LA FIN DE NON-RECEVOIR OPPOSÉE PA LA COURONNE

[3]      La fin de non-recevoir opposée par la Couronne tend au rejet de la demande de M. Mennes, soit pour défaut de déposer et de signifier l'acte introductif d'instance, soit pour défaut de cause d'action raisonnable, soit par ce motif que les actes de procédure ne donnent pas les particularités ou la date de la décision ou de l'ordonnance ou autre mesure visée par le recours en contrôle judiciaire.

[4]      De juger cette requête sous le chef de défaut par M. Mennes de signifier sa demande ne résoudrait pas celle-ci une fois pour toutes puisqu'il pourrait l'introduire de nouveau, car son recours vise ce qui est à son avis un processus continu, savoir le refus constant de lui accorder le pardon. J'examinerai donc au premier chef le défaut d'indiquer la date précise de la décision ou de l'ordonnance qu'il entend contester. Je note également que son recours est un abus des procédures et doit être rejeté à ce titre aussi. Il se peut qu'il soit aussi entaché par le défaut de cause d'action raisonnable, mais je n'ai pas examiné ce chef de radiation.

ANALYSE

[5]      Il n'est pas rare que des actes de procédure soient radiés en tout ou en partie en application de la disposition qui est devenue la règle 221 actuellement en vigueur, mais les Règles de la Cour fédérale ne prévoient pas expressément la radiation des demandes. Cependant, la Cour le fait à l'occasion, dans les cas où, comme le fait observer le juge Strayer de la Cour d'appel dans David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 en page 600 (C.A.F.), l'avis de requête " est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli ".

[6]      Un recours peut être radié pour diverses raisons. Le facteur déterminant en l'espèce est l'absence de toute décision qui se prête au contrôle judiciaire prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[7]      Il y a aussi la question de l'abus des procédures. Comme noté infra, la demande est en grande partie embrouillée, non pertinente ou porte sur des faits disjoints. Les affidavits déposés à l'appui, au lieu de l'éclairer, sont pour le moins, en grande partie, hors de propos, parfois diffamatoires, et ajoutent à la confusion. Ce serait une procédure très difficile à débrouiller. L'effet de pareille confusion des moyens de recours a été noté par la Cour d'appel d'Angleterre dans Davy v. Garrett, [1877] 7 Ch.D. 473, en ces termes :

     [TRADUCTION]

     " si le défendeur est gêné par le mode de conclusions du demandeur, il a le droit d'être délivré de cette difficulté. Or rien n'est plus gênant pour un défendeur que des assertions n'ayant aucun rapport avec la cause et qu'il ne sait par quel bout prendre. Presque chaque conclusion dans cette demande est conçue de façon à semer la confusion dans l'esprit du défendeur, à l'empêcher de voir contre quoi il doit se défendre.         

Voilà qui s'applique parfaitement à la demande de M. Mennes et aux pièces déposées à l'appui.

[8]      En l'espèce, le défendeur, savoir le procureur général du Canada, ne soutient pas que la demande constitue un abus des procédures. Cependant, la Cour est maîtresse de sa propre procédure. Donner suite à cette demande disjointe, avec les pièces non pertinentes, conjecturales et clairement abusives, serait non seulement un abus des procédures de la Cour, mais encore un abus à l'égard des contribuables qui paient pour le maintien du système judiciaire.

[9]      Comme indiqué supra, l'intimé ne reproche pas à ce recours en contrôle judiciaire d'être abusif, mais soutient qu'il faut le rejeter soit pour défaut de cause d'action raisonnable, argument que je n'ai pas examiné, soit parce que le demandeur n'a donné les particularités ni la date de la décision à contrôler. J'en viens maintenant à ce chef de radiation.

[10]      L'avocat du défendeur cite Kruse c. La Reine, jugement non rapporté en date du 25 février 1998 de Mme le juge Tremblay-Lamer dans la cause T-2446-97, où l'avis de requête introductive d'instance a été radié pour défaut d'indiquer la date de la décision ou de l'ordonnance contestée. Ce défaut signifiait qu'il était impossible de savoir si la demande avait été introduite dans les délais.

[11]      Dans Kruse, les requérants entendaient contester un processus continu. C'est pourquoi leur avis de requête introductive d'instance n'indiquait pas la date de la décision ou de l'ordonnance qu'ils entendaient contester, contrairement aux prescriptions de la règle 1602(2)f) en vigueur à l'époque (la règle 301c)(ii) actuelle). Par suite, il était impossible de juger si la procédure avait été intentée dans le délai de trentaine prévu au paragraphe 18.1(2). Les faits de la cause Kruse s'apparentent aux faits de l'affaire en instance en ce que dans sa demande, M. Mennes qualifie la décision en question de déni continu de compétence, déni qui, dit-il, remonte au moins jusqu'au 9 septembre 1997.

[12]      Selon le paragraphe 18.1(2), le contrôle judiciaire porte spécifiquement sur la décision dont la date est indiquée dans la demande conformément aux Règles. En cas de processus continu cependant, la Cour a, à l'occasion, autorisé la poursuite du recours en contrôle judiciaire au-delà du délai imparti, s'il est difficile d'identifier une date spécifique ou une décision spécifique; voir par exemple Puccini c. Canada, [1993] 3 C.F. 557, pages 567 et 568. Dans Independent Contractors and Business Association c. Canada (1998), 225 N.R. 19, la Cour d'appel fédérale, se prononçant sur une décision continue, n'a pas accepté l'idée qu'il n'y ait pas de délai pour le recours en contrôle judiciaire en pareil cas :

     Bien que le directeur régional ait manifestement voulu que la décision s'applique de façon continue, cet élément ne permet pas de conclure que le délai de trente jours imparti au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale n'a pas expiré (p. 23).         

Dans cette dernière cause, le juge Stone de la Cour d'appel a évoqué la cause Drolet c. Surintendant des faillites (1997), 118 F.T.R. 147, où il y avait également recours contre une décision continue. Plus spécifiquement, M. Drolet avait cherché plusieurs fois à s'inscrire comme syndic de faillite, mais avait été rejeté chaque fois. Il soutenait que le dernier refus en date constituait un nouveau motif permettant d'intenter un recours en contrôle judiciaire dans les délais. Le juge Teitelbaum se fondait uniquement sur la décision initiale, savoir le rejet d'une déclaration de faillite dans laquelle M. Drolet était nommé syndic, pour rejeter le recours en contrôle judiciaire par ce motif qu'il n'y avait en l'espèce aucune décision continue qui s'étalait dans le temps, mais juste une décision instantanée. Dans cette cause, bien que les Règles ne prévoient pas expressément la radiation des avis de requête introductive d'instance, le juge Teitelbaum a jugé que la demande n'avait aucune chance d'être accueillie et, faute de demande de prorogation des délais, il a rejeté le recours de M. Drolet.

[13]      La Cour a été récemment appelée à se prononcer au sujet d'une décision modifiée ou continue dans Hunter c. Commissaire du Service correctionnel (1998), 134 F.T.R 81. Dans cette affaire, le commissaire du Service correctionnel avait décidé d'installer un nouveau système de contrôle des communications téléphoniques dans les pénitenciers fédéraux. La Cour s'est prononcée à la fois sur une décision prise avant l'introduction du recours en contrôle judiciaire, et sur une décision continue ou modifiée, prise après l'introduction du recours, peut-être par ce motif que la contestation devait viser la version en vigueur de la décision.

[14]      Comme noté supra, cet argument tiré de la " décision continue " n'a pas été accepté dans Kruse , op. cit., parce que de l'avis de Mme le juge Tremblay-Lamer, le cas de M. Kruse n'était pas exceptionnel comme dans l'affaire Puccini, op. cit., où il était question de pratique continue. Dans le cas de M. Kruse, il y avait une décision initiale dont découlaient les incidents annuels subséquents. Il n'y avait pas chaque année une nouvelle décision qui pourrait faire l'objet d'un recours en contrôle judiciaire. C'est pourquoi le recours Kruse a été radié. Je sais que cette décision est en appel, mais les principes sous-jacents sont logiques.

[15]      En l'espèce, le dossier de la requête de la Couronne renferme peu de pièces. De son côté, M. Mennes, après avoir reçu signification de la requête du défendeur en radiation de la demande sans autorisation de modification, n'a présenté aucune conclusion en réponse. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'il y ait lieu de faire droit automatiquement à cette fin de non-recevoir, car ce n'est que dans le cas où la demande n'a manifestement aucune chance d'être accueillie qu'il faut la radier; voir par exemple David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., op. cit., et Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102, en page 121.

[16]      Afin de bien saisir la nature de la demande de M. Mennes et de voir s'il n'y aurait pas soit une date précise de décision soit une décision continue qui justifierait ce recours en contrôle judiciaire, j'ai examiné la demande et les quatre affidavits déposés à l'appui. J'ai pris en considération le fait que M. Mennes est un plaideur non juriste, occupant pour lui-même et que, si ce fait en soi n'excuse pas l'inobservation des règles de la Cour, il appelle bien une lecture plus indulgente.

[17]      La demande en date du 13 février 1998 tend à l'annulation ou l'infirmation du refus de la Couronne d'instruire la demande de pardon absolu faite par M. Mennes sous le régime de la disposition qui est devenue depuis le paragraphe 748(2) du Code criminel. Il n'y a dans le dossier la trace d'aucune décision en la matière, bien qu'on puisse lire ce qui suit dans la demande :

     [TRADUCTION]

     Depuis au moins le 9 septembre 1997 jusqu'à présent, le défendeur a refusé d'exercer la compétence qu'il tient du paragraphe 749(2) du Code criminel de Sa Majesté, de l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême de Sa Majesté et de l'article 12 des Lettres patentes de constitution de la charge de gouverneur général du Canada, reproduits en l'espèce, pour soumettre la question du pardon absolu au jugement immédiat de la Cour suprême du Canada de Sa Majesté; "         

La demande cite ensuite des textes de loi remontant jusqu'en 1688, diverses versions de la Bible, certaines jurisprudence pénales, des transcriptions et pièces se rapportant à diverses instances judiciaires, durant les années 1981 à 1995 au moins.

[18]      Les affidavits déposés à l'appui de la demande sont numérotés de 1 à 4. Le premier affidavit de M. Mennes fait état d'une réponse en date du 4 septembre 1997 à deux lettres qu'il avait envoyées pour se renseigner sur la forme et la procédure des pétitions au gouverneur en conseil. Cette réponse du Bureau du Conseil privé ne porte pas refus d'instruire la demande de pardon; elle ne fait que donner des indications sur la façon d'aborder le problème. Le reste de l'affidavit est ergoteur et renferme un fouillis de références à la jurisprudence, à la loi écrite et à la Bible.

[19]      Le deuxième affidavit se rapporte à un long réquisitoire en date du 9 février 1991 énumérant plusieurs incidents d'attentat à la pudeur, et conclut à l'injustice de ces poursuites pénales à Calgary (Alberta). Le demandeur y relève aussi l'illégalité de la mise en accusation du 20 février 1985 pour agressions sexuelles devant la Cour de comté à Victoria (Colombie-Britannique) et d'un mandat de dépôt dans cette affaire, dont il dit qu'il a été obtenu par fraude.

[20]      Le troisième affidavit déposé à l'appui du recours en contrôle judiciaire allègue qu'il y avait préjugé de la part du juge de l'Ontario qui présidait le procès criminel de M. Mennes en janvier 1996. On y trouve ensuite des accusations diffamatoires et non pertinentes, touchant à une demande faite en 1997 et aboutissant à une peine de durée indéterminée, imposée à M. Mennes à titre de délinquant dangereux. Cet affidavit consiste en grande partie en une resucée des poursuites pénales passées.

[21]      Le quatrième affidavit consiste en grande partie en divagations incohérentes. Il semble porter sur le traitement prescrit pour M. Mennes, et n'a aucun rapport avec l'instance.

[22]      Ce recours est un abus des procédures et, de ce fait, doit être radié. Il est aussi clairement défectueux en ce qu'il n'identifie pas une décision initiale à soumettre au contrôle judiciaire ni aucune décision continue, graduelle ou modifiée, qui puisse fonder un recours dans les délais. Le recours en contrôle judiciaire est donc radié par ces deux motifs.

[23]      J'ai examiné la question de savoir s'il serait possible pour M. Mennes de modifier la demande pour donner la date précise de la décision qu'il entend contester. La radiation sans autorisation de modification est soumise à une norme rigoureuse. Dans McMillan c. Canada (1996), 108 F.T.R. 32, en page 39, le juge en chef adjoint Jerome, citant Kiely c. Canada (1987), 10 F.T.R. 10, a fait observer que " pour qu'une déclaration soit radiée sans autorisation de la modifier, il ne doit pas exister la moindre trace d'une cause d'action légitime ". Rien dans le dossier n'indique qu'il y ait eu une décision prise par le procureur général du Canada, et encore moins qu'il y ait une date précise pour pareille décision. Je conclus que la demande intentée par M. Mennes ne contient pas la moindre trace d'une décision quelconque qui puisse se prêter au contrôle judiciaire. Son recours est donc radié, sans autorisation de modification.

[24]      Ayant conclu que ce recours doit être radié, je trouve inutile d'examiner la requête parallèle introduite par M. Mennes, en réexamen et en prorogation du délai de demande de réexamen de l'ordonnance du 21 juillet 1998, portant radiation de certains passages et documents du dossier de la requête qu'il comptait déposer.

     Signé : John A. Hargrave

     ________________________________

     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique),

le 10 novembre 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-253-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Emile Marguerita Marcus Mennes

                     c.

                     Le procureur général du Canada

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

LE :                      10 novembre 1998

ONT COMPARU :

Emile Marguerita Marcus Mennes          occupant pour lui-même

Campbellford (Ontario)

M. Curtis Workun                  pour le défendeur

Ministère de la Justice

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emile Marguerita Marcus Mennes          occupant pour lui-même

Campbellford (Ontario)

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.