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Date : 19991223


Dossier : IMM-22-99



ENTRE :

     KHONDAKER REZAUL ISLAM

     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      _.Khondaker Rezaul Islam (le demandeur), qui présente cette demande de contrôle judiciaire, est un citoyen du Bangladesh résidant aux États-Unis depuis plusieurs années. Le 17 septembre 1977, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie d"immigrant indépendant, donnant sa profession envisagée comme celle de chimiste. Dans une lettre datée du 2 décembre 1998, Sara Wiebe (l"agente des visas) a rejeté sa demande. Elle avait reçu le demandeur en entrevue au consulat canadien à New York le jour même. Elle lui a accordé 0 point d"appréciation au titre de l"expérience et deux points d"appréciation au titre des qualités personnelles, ce qui lui donnait un total de 63 points d"appréciation.

[2]Dans sa demande de résidence permanente, le demandeur déclare avoir travaillé comme chimiste chez Antorik International Corporation (Antorik) au Bangladesh, de novembre 1988 à janvier 1991. Il déclare aussi avoir été chargé de cours à l"Université Howard, de janvier 1994 à décembre 1996, alors qu"il poursuivait ses études pour obtenir sa maîtrise en chimie. Il dit aussi avoir travaillé comme chimiste pour W.R. Grace and Co. (Grace), de mars jusqu"au 11 novembre 1997, un emploi qu"il avait trouvé via l"agence de placement Lab Support. Lors de son entrevue du 2 décembre 1998, le demandeur a fait part à l"agente des visas qu"il avait, par l"entremise de Lab Support, travaillé comme chimiste chez Kirkegaard and Perry Laboratory, du 26 novembre 1997 au 3 avril 1998. Il a aussi présenté une lettre de référence de Pharmacopeia, datée du 24 novembre 1998, indiquant qu"il était à leur emploi comme chimiste depuis mai 1998.

[3]Le dossier du tribunal contient les deux lettres de référence que le demandeur a présentées avec sa demande. La première provient d"Antorik et elle est datée du 30 janvier 1991. On y déclare que le demandeur a travaillé comme [traduction ] " agent de contrôle de la qualité ". La deuxième lettre de référence provient du Dr John S. Hallock et elle est présentée sur du papier en-tête de Grace. On y confirme que le demandeur est un scientifique à leur emploi dans le domaine de la recherche sur les emballages. Dans cette lettre datée du 22 juillet 1997, le Dr Hallock déclare que le demandeur a travaillé au Grace Washington Research Center, à Columbia, au Maryland, et qu"il a [traduction ] " fait une contribution importante à deux projets différents dans le domaine des enduits pouvant recevoir une impression photographique et servant à l"industrie des cartes à circuit ". Il ajoute que [traduction ] " l"objectif principal des projets au Centre de recherche est le développement de nouvelles technologies pour la prochaine génération de produits, et les deux projets sur lesquels il a travaillé comportaient des défis considérables sur le plan technique, ainsi que des innovations permettant d"en démontrer la faisabilité ".

LA QUESTION EN LITIGE ET LA DISCUSSION Y AFFÉRENTE

[4][5]Ce contrôle judiciaire met en cause l"équité procédurale : le demandeur a-t-il, dans les circonstances particulières de cette affaire, reçu une occasion valable de répondre aux inquiétudes que l"agente des visas lui a communiquées à l"entrevue du 2 décembre 1998 au sujet de la lettre de référence en provenance de Grace.

[6][7]Les avocats des deux parties admettent qu"en l"instance, l"équité exigeait que ces inquiétudes soient exprimées et qu"on accorde une occasion valable d"y répondre. L"avocat du demandeur déclare qu"une telle occasion n"a pas été accordée à ce dernier, alors que l"avocat du défendeur soutient que cette occasion a été offerte au demandeur à l"entrevue et qu"il n"a pas réussi à répondre aux inquiétudes de l"agente des visas.

[8]Les principes juridiques applicables en l"instance sont clairs : le contenu de l"équité procédurale est souple et variable et repose sur des facteurs tels que le contexte de la législation, la nature de la décision et son importance, ainsi que sur les droits visés, le tout envisagé dans les circonstances particulières de l"affaire. Ces principes ont été confirmés récemment par la Cour suprême du Canada dans Baker c. M.C.I., [1999] 2 R.C.S. 817.

[9]À mon avis, cette demande de contrôle judiciaire doit être évaluée dans le contexte de la législation, ainsi que des circonstances particulières qui entourent le traitement de la demande de résidence permanente présentée par le demandeur.

[10]Personne ne remet en cause le fait que c"est le demandeur qui a le fardeau de convaincre l"agente des visas qu"il satisfait aux exigences de la Loi sur l"immigration et du Règlement sur l"immigration. Une demande de résidence permanente doit être complète et un demandeur doit la présenter, avec les documents à l"appui, de la meilleure façon possible. Elle ne peut être ni vague ni ambiguë.

[11]Voici comment la demande de résidence permanente du demandeur a été traitée :

     a)      Comme je l"ai noté, sa demande a été déposée le 17 septembre 1997 et elle a été reçue par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Buffalo, New York, le 19 septembre 1997;
     b)      Le demandeur a fait l"objet d"une sélection administrative, et on lui a accordé 65 points d"appréciation (il en faut 70) sans entrevue. La sélection administrative ne porte pas sur les qualités personnelles, facteur qui est évalué lors d"une entrevue et auquel on accorde un maximum de 10 points.
     c)      Le 24 décembre 1997, une recommandation a été présentée à CIC visant à ne pas tenir d"entrevue. Les notes STIDI du dossier du demandeur contiennent cette inscription en date du 5 janvier 1998 :
     [traduction]
     Appel téléphonique de routine à l"auteur de la lettre de référence du demandeur (24 décembre 1997), aucune réponse. Les Ressources humaines ont retourné mon appel aujourd"hui [5 janvier 1998]. Ils confirment que le demandeur n"est pas à l"emploi de WR Grace and Company, mais qu"il a travaillé pendant une courte période comme contractuel dans le domaine du soutien de laboratoire. La directrice des Ressources humaines a déclaré avoir parlé au Dr Hallock, qui confirme avoir remis une lettre de référence, mais pas sur du papier en-tête. Il faut noter ici que la lettre de référence a été présentée sur papier en-tête et qu"elle se lit comme si le demandeur était à l"emploi de WR Grace. Étant donné ces circonstances, je crois prudent de convoquer le demandeur à une entrevue pour traiter de cette question.
     Envoyé pour retrait du dossier et réouverture pour entrevue à New York.

     d)      Onze mois plus tard, soit le 2 décembre 1998, il a été reçu en entrevue par l"agente des visas. Aucun avis ne lui avait été donné à l"avance de la nature des inquiétudes de CIC, savoir que la lettre de Grace qui accompagnait sa demande de résidence permanente était peut-être frauduleuse.
     e)      C"est à l"entrevue que le demandeur a pour la première fois été saisi de cette question par l"agente des visas, savoir que la lettre de référence qu"il avait fournie était sur du papier en-tête de Grace alors que le Dr Hallock avait fait savoir à CIC, dans un appel téléphonique à l"initiative de CIC, que sa lettre de référence n"était pas sur du papier en-tête.
     f)      Les notes STIDI de l"agente des visas porte que : [traduction ] " il n"a pu expliquer l"anomalie portant sur la lettre de référence de Grace ". L"agente des visas a été contre-interrogée sur son affidavit, où elle avait déclaré, aux paragraphes 10, 15 et 16 :
     [traduction]
     10.      Lorsque je lui ai posé des questions à ce sujet à l"entrevue, le demandeur n"a pu m"expliquer pourquoi l"employeur nous aurait dit que la lettre de référence n"avait pas été écrite sur du papier en-tête, alors que la lettre qu"il avait présentée était en fait sur du papier en-tête. De plus, étant donné la description de son travail fournie par l"employeur, il ne s"agissait pas d"un emploi qui nous permettait de l"évaluer comme chimiste.
     15.      À la fin de l"entrevue, j"ai avisé le demandeur que je n"étais pas convaincue qu"il satisfaisait aux exigences de la Loi et du Règlement. Je lui ai notamment dit qu"il n"avait pas établi qu"il avait un minimum de douze mois d"expérience comme chimiste.
     16.      J"ai donné l"occasion au demandeur de répondre à mes inquiétudes au sujet de son expérience. Il a soutenu qu"il avait travaillé pour W.R. Grace pendant neuf mois. Toutefois, comme je le mentionne ci-haut, je n"étais pas convaincue que la lettre signée par le Dr Hallock était valable. Le demandeur n"a pas fait état d"une autre expérience de travail qui m"aurait démontré qu"il avait plus de douze mois d"expérience en qualité de chimiste.
     g)      Lors de son contre-interrogatoire, l"agente des visas a admis qu"elle n"avait pas donné l"occasion au demandeur d"entrer en rapport avec Grace ou avec le Dr Hallock pour régler la question, [traduction] " étant donné que l"explication fournie à l"entrevue ne m"indiquait pas qu"il y avait quelque chose à gagner en lui donnant plus de temps pour ajouter de nouveaux documents à son dossier ". À une question posée par la suite, elle a répondu ainsi :
         [traduction]
         R.      Lorsque vous faites des entrevues, souvent vous pouvez voir de quoi il s"agit en observant la réaction immédiate des gens aux questions posées, ainsi que la façon dont ils répondent. S"ils ne m"inspirent pas confiance, je continue alors d"examiner le dossier.
             Toutefois, M. Islam ne m"a pas donné l"impression qu"il y avait lieu de continuer à examiner son dossier.

    

         On lui a demandé pourquoi pas. Elle a répondu [traduction] " parce que j"étais sous l"impression, au vu de sa réponse et de sa réaction, que la lettre était frauduleuse ".
     h)      Il ressort clairement de son interrogatoire qu"elle n"a donné que deux points d"appréciation au demandeur pour les qualités personnelles parce qu"elle croyait qu"il avait fourni un document frauduleux.

[12][13]L"entrevue a eu lieu le matin. L"agente des visas a préparé sa lettre de refus du 2 décembre 1998 le même jour, à l"heure du déjeuner.

[14][15]À la fin de l"entrevue, elle l"avait informé qu"elle n"était pas convaincue qu"il satisfaisait aux exigences de la Loi et du Règlement. Elle a notamment dit au demandeur qu"il n"avait pas démontré qu"il avait au moins douze mois d"expérience comme chimiste.

[16][17]Le dossier du tribunal indique que tout de suite après l"entrevue le demandeur est entré en rapport avec l"agence de placement Lab Support, avec le Dr Hallock et avec un avocat. Le 3 décembre 1998, Lab Support lui a fourni une lettre adressée " à qui de droit ", qui confirmait que le demandeur avait travaillé sur un projet de Lab Support, entrepris au nom de W.R. Grace et de Kirkegaard and Perry Laboratory, comme chimiste analytique. Le Dr Hallock a écrit une lettre datée du 14 décembre 1998, dans laquelle il confirme que le demandeur a travaillé comme chimiste et explique qu"il s"est trompé lorsqu"il a déclaré aux Ressources humaines de Grace que la lettre de référence qu"il avait remise au demandeur n"était pas sur du papier en-tête de W.R. Grace.

[18][19]La lettre de Lab Support et celle du Dr Hallock a été présentée à CIC à New York par l"avocat canadien du demandeur, qui les a annexées à une demande de réouverture du dossier datée du 17 décembre 1998. Le 22 décembre 1998, le vice-consul du Consulat général canadien à New York a déclaré ceci :

         [traduction]

         Cette demande a été évaluée au mérite. Une décision écrite a été rendue et elle contient les motifs de refus de la demande de résidence permanente, ce qui met fin au dossier.
         Cette décision est finale et rien ne prévoit un appel à ce bureau.

CONCLUSION

[20][21]À mon avis, il y a lieu d"accueillir la demande de contrôle judiciaire. Le refus de l"agente des visas était fondé sur le fait qu"elle croyait que la lettre de Grace était frauduleuse. Ce point de vue a non seulement eu un impact important sur la demande de résidence permanente du demandeur, mais il a aussi fondamentalement mis en cause sa réputation. Dans ces circonstances, les principes de l"équité procédurale ont été enfreints de deux façons. Premièrement, on aurait dû donner un avis précis au demandeur de la question à l"étude avant l"entrevue. À mon avis, il n"était pas approprié que l"agente des visas présente ses inquiétudes à ce sujet au demandeur à l"entrevue sans l"en avoir avisé à l"avance. Il ne savait pas que CIC avait téléphoné à Grace le 24 décembre 1997, non plus que le Dr Hallock avait répondu, par erreur comme on le sait maintenant, qu"il n"avait pas fourni sa lettre de référence sur du papier en-tête de Grace. Tout ce que le demandeur savait, c"est que le Dr Hallock lui avait donné une lettre de référence sur du papier en-tête de Grace. Lorsqu"il a été confronté à cette question, tout ce qu"il a pu dire c"est qu"il ne pouvait expliquer la situation. Qu"aurait-il pu dire d"autre! Deuxièmement, dans les circonstances on aurait dû lui donner l"occasion de clarifier la question. On ne lui en a pas donné l"occasion car sa demande a été rejetée sur-le-champ, soit à la conclusion de l"entrevue. Après l"entrevue il n"a pas perdu de temps; il a obtenu des clarifications dont le bureau du CIC à New York n"a tenu aucun compte. Je mentionne ici que personne n"a demandé à l"agente des visas de réexaminer le dossier. La décision de ne rien faire a été prise par le vice-consul.

[22]Même si la décision du 22 septembre 1998 du vice-consul, portant qu"il n"avait pas compétence pour réexaminer la décision au vu d"une nouvelle preuve, ne m"est pas soumise, je tiens à ajouter qu"il a tort sur ce point. Cette question a été étudiée récemment par ma collègue le juge Reed dans Nouranidoust c. Canada (M.C.I.), IMM-3873-98, le 30 juin 1999. Elle a conclu que les agents d"immigration peuvent réexaminer un dossier lorsqu"ils pensent qu"il y va de l"intérêt de la justice. C"est le principe qu"on aurait dû appliquer ici.

[23]L"avocat du demandeur réclame les dépens entre avocat et client. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que ce soit approprié. J"applique donc Ayala-Barriere c. Canada (M.C.I.) , 31 IMM. L.R. (2d) 99, où le juge Wetston a accordé les dépens entre parties dans une situation analogue.

DISPOSITIF

[24][25]Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens entre parties et la question est renvoyée à un agent des visas différent pour nouvel examen.

     François Lemieux

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 23 DÉCEMBRE 1999


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier




Date : 19991223

Dossier : IMM-22-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 DÉCEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LEMIEUX


EMTRE :


     KHONDAKER REZAUL ISLAM

     demandeur

     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur



     ORDONNANCE


     Pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens entre parties et la question est renvoyée à un agent des visas différent pour nouvel examen.

    

    

     J U G E

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-22-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          KHONDAKER REZAUL ISLAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 15 décembre 1999

MOTIFS DE JUGEMENT DE M. LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :              23 décembre 1999



ONT COMPARU


M. David Morris                          POUR LE DEMANDEUR

M. Greg Moore                          POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. David Morris                          POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

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