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     Date : 19972212

     Dossier : IMM-4601-96

ENTRE :

     JOHN RUSSELL POSTE,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

    

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 18 juillet 1996 par laquelle l'agent des visas du bureau de l'Australie, M. George Sutherland [ci-après appelé l'" agent des visas "], a refusé la demande de résidence permanente au Canada du requérant. Le motif du refus est que la famille du requérant risque d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada parce que le fils du requérant tombe censément dans la catégorie de personnes non admissibles décrite au sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi sur l'immigration.

[2]      Le requérant demande que la décision de l'agent des visas soit annulée et que soit délivré un bref de mandamus enjoignant à celui-ci de rendre une décision favorable dans le dossier du requérant. Ce dernier sollicite aussi une ordonnance déclaratoire portant qu'aucune autre preuve, et plus particulièrement une preuve médicale, ne soit exigée du requérant et de sa famille, ainsi qu'une ordonnance déclaratoire supplémentaire portant que le traitement des demandes de résidence permanente du requérant et de sa famille soit terminé dans les 60 jours suivant cette ordonnance.

FAITS

[3]      À sa naissance, le requérant était citoyen canadien. Il a acquis la citoyenneté australienne en juin 1973. En raison des lois régissant la citoyenneté à cette époque, le requérant a automatiquement perdu sa citoyenneté canadienne en devenant citoyen australien.

[4]      Le requérant est marié à une citoyenne australienne. Quatre enfants sont issus de ce mariage. L'aîné, Matthew, est né le 18 juillet 1978. Il est atteint de déficience mentale.

[5]      Matthew est admissible à une pension d'invalidité du gouvernement australien, même s'il réside à l'extérieur de l'Australie. Tout revenu que Matthew peut recevoir est déduit de cette pension. Le montant des aliments versés aux personnes de 18 à 20 ans qui vivent à la maison est de 247,10 $A aux deux semaines. Pour une personne de 21 ans ou plus, ce montant est de 348,00 $A. Ces montants comprennent une allocation pour médicaments de 5,40 $A aux deux semaines qui ne serait pas incluse dans la prestation si Matthew vivait en permanence à l'extérieur de l'Australie.

[6]      En 1994, le requérant et sa femme ont décidé d'émigrer au Canada afin de s'occuper de la mère du requérant âgée de 75 ans, qui est atteinte d'une invalidité permanente causée par de l'arthrite aiguë aux hanches. En septembre 1994, l'employeur du requérant, AMF Worldwide Bowling Centre Operations, a offert à celui-ci un poste permanent de directeur général à sa succursale de London (Ontario). Le requérant recevrait un salaire de base annuel de 59 000 $ ainsi qu'un montant possible de 17 850 $ en primes de rendement. Immigration Canada a reçu la confirmation de l'offre d'emploi du Centre d'emploi du Canada de London (Ontario) le 1er septembre 1995.

[7]      L'épouse du requérant est infirmière diplômée, et elle a l'intention de trouver un emploi rémunérateur au Canada. Grâce à ses connaissances médicales, elle est en mesure de s'occuper des besoins particuliers de Matthew.

[8]      En octobre 1994, le requérant a présenté une demande de résidence permanente pour lui-même et sa famille. Le requérant et sa famille ont ensuite soumis les résultats des examens médicaux requis au médecin agréé désigné en Australie, le Dr Swan.

[9]      Immigration Canada a par la suite informé le requérant que des renseignements médicaux supplémentaires étaient nécessaires pour aider à compléter le dossier médical de son fils. Le 23 novembre 1995, le Dr Jennifer Rickard, psychologue et consultante en éducation et en développement, a effectué une [TRADUCTION] " évaluation des aptitudes générales " de Matthew. Le Dr Rickard a soumis en tout deux rapports sur cette évaluation. Le requérant a aussi fourni des renseignements et des documents justificatifs concernant les antécédents d'hospitalisation de Matthew, ainsi que des renseignements sur les médicaments qu'il prenait, son instruction, ses réalisations, sa capacité de fonctionner de manière autonome, sa pension d'invalidité ainsi que d'autres sujets pertinents.

[10]      Le requérant a ensuite pris des dispositions pour obtenir le rapport d'un orthophoniste et le rapport d'un neurophysiothérapeute, qui avait été expressément demandés par Immigration Canada pour compléter l'évaluation de Matthew.

[11]      Essentiellement, ces rapports supplémentaires demandés par Immigration Canada indiquent que les capacités d'expression de Matthew [TRADUCTION] " sont raisonnablement bien développées et correspondent à celles d'un enfant âgé de 8 à 12 ans " (à comparer avec le rapport du Dr Rickard, qui indique que les capacités de Matthew correspondent à celles d'un enfant âgé de 5 à 7 ans et demi et sur lequel les médecins se sont fondés) et que [TRADUCTION] " il semble posséder un certain nombre de compétences liées aux activités quotidiennes " et [TRADUCTION] " serait vraisemblablement en mesure de vivre en hébergement supervisé au sein de la communauté ". Ces rapports ont été obtenus et soumis à Immigration Canada les 11 et 26 janvier 1996.

[12]      Par avis daté du 10 janvier 1996 -- avant qu'Immigration Canada reçoive ces deux derniers rapports -- les fonctionnaires d'Immigration Canada ont informé l'agent des visas que le dossier médical de Matthew serait complété sur la foi du rapport de la psychologue, et que le rapport de l'orthophoniste et celui du neurophysiothérapeute ne seraient plus nécessaires.

[13]      Dans une lettre datée du 7 mars 1996, l'agent des visas a informé le requérant qu'étant donné que l'admission au Canada de Matthew entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux, sa demande de résidence permanente serait vraisemblablement refusée. Cette conclusion était fondée sur un avis médical dans lequel le médecin agréé du bureau d'Immigration Canada à Singapour, le Dr Grondin, indiquait que Matthew était atteint de déficience mentale légère, qu'il aurait le droit de recevoir de nombreux services sociaux coûteux et limités et qu'il en aurait vraisemblablement besoin et qu'en conséquence, il ne satisfaisait pas aux exigences médicales d'admission au Canada. Le 12 février 1996, le Dr Giovinazzo, médecin agréé, a souscrit à cet avis.

[14]      Un délai a été accordé au requérant pour soumettre des renseignements supplémentaires concernant Matthew avant que l'agent des visas rende sa décision finale.

[15]      Le requérant a ensuite obtenu et soumis à Immigration Canada de nombreux rapports scolaires et d'expert qui contredisaient les conclusions concernant les aptitudes à la vie quotidienne autonome de Matthew qui figuraient dans le rapport initial de la psychologue sur lequel Immigration Canada s'était fondé.

[16]      Le 18 juillet 1996, l'agent des visas a étudié la déclaration médicale du Dr Grondin et conclu que Matthew n'était pas admissible au Canada aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, et il a donc été décidé que la famille entière n'était pas admissible au Canada.

[17]      Dans une lettre datée du 18 juillet 1996, l'agent des visas a informé le requérant que sa demande de résidence permanente était refusée.

[18]      Abstraction faite de la non-admissibilité pour raisons d'ordre médical de Matthew, la demande de résidence permanente du requérant satisfait aux critères de sélection d'Immigration Canada.

QUESTIONS

[19]      À la lumière de la jurisprudence actuelle sur la non-admissibilité pour raisons d'ordre médical, les deux questions qui se posent en l'espèce sont les suivantes : 1) dans les circonstances de l'espèce, l'avis du médecin agréé était-il raisonnable?; 2) l'agent des visas était-il tenu d'évaluer le caractère raisonnable de l'avis médical et, dans l'affirmative, la preuve qui lui a été soumise justifiait-t-elle son évaluation?


DISCUSSION

Dispositions applicables

[20]      Le fils du requérant a été jugé non admissible pour des raisons d'ordre médical aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, qui dispose :

     19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :         
         a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :                 

     ...

         (ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;                 

     ...

La disposition qui précède semble exiger que seuls les médecins agréés rendent une décision au sujet de l'état de santé de l'auteur d'une demande d'immigration et de la question de savoir si cet état de santé entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

[21]      Dans Ahir c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1984] 1 C.F. 1098; 2 D.L.R. (4th) 163; 49 N.R. 185 (C.A.F.) [ci-après, " Ahir "], la Cour d'appel a statué que lorsqu'il procède à une enquête pour déterminer si une personne appartient à une catégorie non admissible, l'arbitre est tenu de considérer le caractère raisonnable de l'opinion du médecin agréé selon laquelle la personne entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

[22]      Dans Ismaili c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1995) 29 Imm. L.R. (2d) 1, aux pages 16 et 17 (C.F.1re inst.) [ci-après " Ismaili "], le soussigné a dit :

         Bien que dans l'arrêt Ahir, précité, on renvoie uniquement à un arbitre ou à la Section d'appel, il n'est que logique que le même pouvoir soit étendu à un agent des visas...         
         La Cour d'appel a précisé son pouvoir d'enquête et indiqué qu'un agent des visas doit également décider s'il existe un lien entre la preuve de l'état de santé et la question de savoir si le requérant risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. L'état de santé seul ne prouve pas nécessairement l'existence d'un risque de fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.         

     ...

         L'agent des visas - tout à fait indépendamment de la décision des médecins agréés - doit considérer si l'état de santé du requérant entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. L'agent des visas, sans mettre en doute l'opinion médicale et le diagnostic, doit considérer tous les éléments de preuve disponibles.         

[23]      Les décisions Ahir et Ismaili appuient toutes deux le principe selon lequel un arbitre ou un agent des visas est tenu d'examiner le caractère raisonnable de l'évaluation des médecins. Mais, dans chacune de ces affaires, il existait des circonstances qui auraient dû amener l'agent d'immigration à mettre en doute le caractère raisonnable de l'avis des médecins, non pas pour des raisons d'ordre médical, mais à cause d'une irrégularité apparente au dossier. Dans Ahir, la Cour d'appel a annulé une décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration avait infirmé la décision d'un arbitre qui avait permis à un étranger de demeurer au Canada en tant que visiteur. La Cour d'appel a statué que la décision de la Commission d'appel de l'immigration était raisonnable. Cette affaire n'a pas beaucoup de rapport avec la présente espèce. Dans Ismaili, le soussigné a annulé la décision défavorable de l'agent des visas qui était censément fondée sur des raisons d'ordre médical, alors que le rapport médical ne mentionnait pas les services sociaux ou de santé. Dans cette cause, le soussigné a renvoyé l'affaire à l'agent des visas pour qu'il évalue l'incidence de l'état de santé de l'enfant sur les services sociaux et de santé.

[24]      Dans Gao c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993) 18 Imm. L.R. (2d) 306, à la page 318, le juge Dubé a résumé comme suit la jurisprudence concernant le contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration qui est fondée sur des raisons d'ordre médical (les notes infrapaginales sont omises) :

         Le principe le plus important qui se dégage de cette jurisprudence est que les tribunaux de révision ou d'appel n'ont pas compétence pour tirer des conclusions de fait liées au diagnostic médical, mais qu'ils sont compétents pour examiner la preuve afin de savoir si l'avis des médecins agréés est raisonnable compte tenu des circonstances de l'affaire. Le caractère raisonnable d'un avis médical doit être apprécié non seulement à l'époque où il a été émis mais également à l'époque à laquelle l'agent d'immigration s'en est servi pour rendre sa décision, puisque c'est cette décision qui fait l'objet du contrôle ou de l'appel. Les motifs pour lesquels une décision peut être jugée déraisonnable comprennent l'incohérence ou les contradictions, l'absence de preuve à l'appui de la décision, le défaut d'avoir tenu compte d'une preuve convaincante, ou le défaut d'avoir tenu compte de facteurs énoncés à l'article 22 du Règlement.         

     [non souligné dans l'original]

[25]      Dans Jaferi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (nE du greffe IMM-4039-93, 24 octobre 1995) (C.F. 1re inst.), le juge Simpson a fait sienne la démarche suivie dans Ismaili au sujet de la norme de contrôle régissant la décision d'un agent des visas à l'égard de la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical :

     ... il existe cependant une obligation [de la part de l'agent des visas] d'agir équitablement et d'assurer que la conclusion du médecin agréé est raisonnable.         

[26]      Plus récemment, dans Ajanee c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et S.E.A.E., (1996) 110 F.T.R. 172, 33 Imm. L.R. (2d) 165, le juge MacKay a conclu :

     Le caractère raisonnable de l'avis des médecins agréés peut être mis en doute par l'agent des visas. Si, d'après la preuve devant lui, le caractère raisonnable de l'avis est mis en cause, l'agent des visas peut choisir d'obtenir un autre avis médical. Si aucune question grave n'est soulevée, d'après le dossier qui lui est soumis, l'agent des visas peut se fonder sur l'avis devant lui pour prendre une décision.         

[27]      Dans Ludwig c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1996) 111 F.T.R. 271, 33 Imm. L.R. (2d) 213, une décision encore plus récente, le juge Nadon a statué ce qui suit :

     Il ressort clairement de la jurisprudence précitée que le caractère raisonnable de l'avis médical peut faire l'objet d'un examen par l'agent des visas lorsque, d'après la preuve, l'avis est ou semble déraisonnable.         

D'après le dossier qui lui était soumis, le juge Nadon a conclu qu'il n'y avait aucune raison pour que l'agent des visas mette en doute le caractère raisonnable de l'avis et, par conséquent, que la décision de cet agent était raisonnable. Il s'agissait donc de savoir si, parmi les éléments de preuve soumis à l'agent des visas, il y en avait un qui ferait en sorte que celui-ci mette en doute le caractère raisonnable de l'avis médical en fonction du dossier qui lui était soumis.

[28]      D'après le dossier qui lui était soumis, l'agent médical avait-il des motifs de mettre en doute le caractère raisonnable de l'avis médical concernant Matthew?

Preuve

[29]      L'avis médical du Dr Grondin était fondé surtout sur des rapports médicaux du Dr Swan et du Dr Betheras, le rapport susmentionné de la psychologue, le Dr Rickard, et certaines lettres du requérant et de sa femme. Le rapport du Dr Swan indique que Matthew était atteint ou avait été diagnostiqué comme étant atteint de troubles mentaux, de troubles des articulations, de la maladie de Scheurmann qui se traite par physiothérapie, de troubles de la vue et d'épilepsie, et qu'il avait subi plusieurs interventions chirurgicales. Dans la section intitulée " Pronostic ", le Dr Swam a noté ce qui suit :

     [TRADUCTION]         

Jeune personne atteinte d'incapacité mentale. Il a de la difficulté à s'exprimer, mais semble avoir une bonne compréhension des situations et a une famille qui le soutient beaucoup.

[30]      Le Dr Betheras, un pédiatre, a relaté les antécédents médicaux de Matthew depuis sa naissance. En ce qui concerne l'état actuel de Matthew, ce médecin a indiqué que celui-ci pratique divers sports, qu'il est capable de prendre lui-même le train pour aller à l'école, que ses signes neurologiques n'ont pas changé au fil des ans et qu'il présente peu de symptômes de maladies graves. Le pronostic est que Matthew continuera à avoir besoin d'anticonvulsivants et que ses niveaux de carbamazépine devraient être revus périodiquement pour s'assurer qu'ils se situent dans la marge thérapeutique. Matthew continuerait à avoir besoin de techniques éducatives spéciales pour améliorer son degré de rendement, et plus particulièrement ses aptitudes de vie élémentaires.

[31]      Le Dr Giovinazzo, le médecin qui a finalement souscrit au rapport du Dr Grondin, a examiné les rapports mentionnés par le Dr Grondin, dont le rapport psychologique initial du Dr Rickard. Ce rapport d'une page indiquait que Matthew fonctionnait bien en deçà du niveau des enfants de son âge. Toutefois, le Dr Rickard a aussi conclu que :

     [TRADUCTION]         
     ...Matthew est capable d'apprendre à un niveau littéral, et par le recours à la répétition, à de l'entraînement et à de l'encadrement il peut être instruit davantage. Aussi, Matthew a développé des habiletés et des stratégies qui l'aident à répondre à une partie de ses besoins d'autonomie.         

[32]      En se fondant sur le rapport précité, le Dr Giovinazzo a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de renseignements pour faire une évaluation, et a demandé des informations additionnelles le 28 décembre 1995. Plus précisément, le Dr Giovinazzo a souligné ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     ... Comme vous, je soupçonne que le diagnostic exact est celui d'arriération mentale.         
     ... Il est extrêmement important d'obtenir une évaluation À JOUR d'un psychologue (ou d'un spécialiste compétent) POUR INCLURE UNE ÉVALUATION FORMELLE DU QI. Comme vous l'indiquez dans votre lettre du 6 novembre 1995, je crois que vous avez la même impression que nous, c'est-à-dire que ce requérant est probablement atteint d'arriération mentale grave... Je pense que vous devez demander carrément au spécialiste si ce client est mentalement arriéré/handicapé et quels sont les résultats de son test de QI (c'est-à-dire s'il est atteint d'arriération mentale légère, modérée, grave ou profonde). Une fois que vous aurez obtenu ces renseignements, vous serez en mesure de rédiger cette évaluation sans problème.         

     [non souligné dans l'original]

[33]      Le Dr Grondin a reçu le deuxième rapport psychologique du Dr Rickard le 23 janvier 1996. Toutefois, ce rapport concernait l'évaluation de Matthew qui avait été faite le 23 novembre 1995. Il ne s'agissait pas de la nouvelle évaluation que le Dr Giovinazzo avait demandée. À la section intitulée [TRADUCTION] " Commentaires et sommaire de l'évaluation ", le Dr Rickard dit :

     [TRADUCTION]

     Le résultat global du test W.A.I.S.-R de Matthew indique à ce moment que ses habiletés générales et cognitives correspondent à celles d'une personne atteinte d'un handicap intellectuel léger.         
     Cela donnerait à penser que le rythme d'apprentissage de Matthew sera extrêmement lent et que sa compréhension de lui-même et de son environnement sera à un niveau très littéral et élémentaire. Toutefois, Matthew peut apprendre et continuera à le faire, surtout s'il est encadré, soutenu et encouragé et s'il a la possibilité d'avoir recours à de l'entraînement et de la répétition dans un milieu éducatif ou de travail pour devenir capable d'exécuter des tâches.         

     [non souligné dans l'original]

[34]      Les résultats détaillés du rapport du psychologue sur lequel Immigration Canada s'est fondé indiquent que les habiletés de communication et les habiletés de vie quotidienne de Matthew correspondent à celles d'un enfant de 5 à 7 ans et demi.

[35]      Toutefois, le rapport de l'orthophoniste demandé et soumis à Immigration Canada, mais dont ce dernier n'a pas tenu compte, indique que, pour ce qui est de l'âge, les résultats de Matthew étaient beaucoup plus élevés, soit environ ceux d'un enfant de 8 à 12 ans. De l'avis de l'orthophoniste, ce résultat suffit pour de nombreuses activités de vie autonome.

[36]      Le pronostic du rapport du neurophysiothérapeute, lui aussi demandé mais dont Immigration Canada n'a apparemment pas tenu compte, est le suivant :

     [TRADUCTION]         
     Il n'y a pas lieu de croire que Matthew perdra son niveau actuel de motricité globale dans un avenir prévisible. Il n'a pas besoin d'une intervention spécialisée, comme de la physiothérapie, pour maintenir son autonomie et son niveau d'aptitude.         
     Je recommande que Matthew continue de participer, au même degré qu'à l'heure actuelle, à des activités sportives et récréatives dans le cadre de programmes communautaires.         

[37]      Le 8 janvier 1996, avant de recevoir les rapports de l'orthophoniste et du neurologue et le deuxième rapport psychologique du Dr Rickard, le Dr Grondin a classé Matthew dans la catégorie M7, ce qui signifie que Matthew souffre d'un handicap mental dont la nature, la gravité et la durée permanente sont telles qu'elles mènent à la conclusion que son admission au Canada entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé. Une cote M7 correspond au plus haut degré de non-admissibilité pour raisons d'ordre médical. Par conséquent, Matthew n'était pas admissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[38]      Le Dr Grondin a indiqué qu'elle avait examiné tous les nouveaux documents reçus et conclu qu'ils ne renfermaient aucun élément suffisant pour modifier l'évaluation médicale initiale selon laquelle Matthew se classait dans la catégorie M7.

[39]      Le Dr Grondin a envoyé son évaluation au Dr Giovinazzo pour que celui-ci l'étudie, comme l'exige la loi.

[40]      Dans des notes datées du 6 février 1996, le Dr Giovinazzo a souscrit à la conclusion du Dr Grondin au sujet du classement dans la catégorie M7. Toutefois, le Dr Giovinazzo a aussi recommandé certains changements à l'évaluation faite par le Dr Grondin de trois des cinq critères concernant la non-admissibilité pour des raisons d'ordre médical parce que [TRADUCTION] " cela permettra de mieux justifier le classement dans la catégorie M7 ".

Preuve soumise à l'agent des visas

[41]      L'avis médical soumis par l'agent des visas renferme une très brève description des antécédents médicaux, et la conclusion portant que :

     [TRADUCTION]         
     Si Matthew devient un résident permanent, il aura le droit de recevoir des services et des avantages sociaux, éducatifs et professionnels dont plusieurs sont coûteux et limités et il en aura vraisemblablement besoin. Son admission entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux... Par conséquent, il n'est pas admissible...         

En plus de cet avis médical et des documents habituels de demande de résidence permanente concernant Matthew, l'agent des visas disposait aussi de plusieurs lettres du requérant décrivant la situation de Matthew (y compris, par exemple, sa pension australienne payable à vie même si Matthew ne réside pas en Australie, les diverses aptitudes de Matthew qui prouvent son autonomie, sa bonne santé et le soutien considérable qu'il reçoit de sa famille).

[42]      Selon l'affidavit de l'agent des visas, ce dernier disposait des documents suivants concernant Matthew Poste : la demande de résidence permanente du requérant, ses propres notes concernant son entrevue avec le requérant et son épouse le 27 septembre 1995 et indiquant que la demande de résidence permanente satisfaisait aux normes d'évaluation; l'évaluation des aptitudes générales initiales (une page), de nombreuses lettres du requérant concernant Matthew, une note de service du Dr Grondin datée du 30 novembre 1995 et indiquant simplement que Matthew était un " cas non admissible ", et que le dossier médical avait été transmis à Ottawa pour obtenir des conseils, une demande du Dr Grondin en vue d'obtenir un rapport de psychologue à jour, ainsi que tout rapport d'orthophoniste et de neurologue disponible, et des lettres confirmant l'inscription de Matthew dans un " programme d'habiletés de vie autonome " en 1996. L'agent des visas avait aussi en main le deuxième rapport psychologique du Dr Rickard, le rapport du neurophysiothérapeute et le rapport de l'orthophoniste qui avaient été transmis au Dr Grondin par le Dr Swan.

[43]      L'agent des visas disposait aussi de la lettre du Dr Grondin apparemment datée du 2 février 1996, indiquant que Matthew était censément un cas à classer dans la catégorie M7 et que les renseignements additionnels reçus du requérant ne changeaient pas cette évaluation. Il y avait aussi une lettre du cabinet du Dr Grondin, datée du 6 février 1997, indiquant qu'Ottawa avait confirmé le classement de Matthew dans la catégorie M7 avec quelques changements minimes dans le profil et la description, une lettre de l'orthophoniste contestant vivement les conclusions du rapport du psychologue au sujet des habiletés de communication et de vie quotidienne, d'autres lettres du Dr Grondin soulignant que les nouveaux renseignements médicaux ne changeaient pas le profil ni l'admissibilité du cas, une lettre du requérant, datée du 7 juin 1996, indiquant que des nouveaux renseignements avaient été envoyés au Dr Grondin par l'intermédiaire du Dr Swan. Au nombre de ces nouveaux renseignements figuraient une lettre de l'agent des pensions de l'Australie concernant la pension d'invalidité de Matthew, un rapport intérimaire de l'école de Matthew sur son degré d'autonomie et le rapport d'un ergothérapeute qui concluait que c'était un travail dans un milieu encadré qui conviendrait le mieux à Matthew. Bien que ces documents soient inclus dans l'affidavit de l'agent des visas, on ne sait pas s'ils lui ont été effectivement soumis.

[44]      Le requérant a aussi soumis à l'agent des visas le rapport d'un expert canadien, le Dr Finegan, concernant les services sociaux dont Matthew pourrait avoir besoin au Canada. Pour préparer son analyse, le Dr Finegan, qui est psychologue, a eu l'avantage de consulter les neuf rapports d'expert précédents concernant Matthew et de connaître la disponibilité des services sociaux à London (Ontario).

[45]      Dans son rapport daté du 22 mai 1996, le Dr Finegan a fait des commentaires sur le fardeau vraisemblable que Matthew entraînerait pour les services sociaux, spécifiquement à London (Ontario) où il résiderait avec sa famille. Le Dr Finegan avait communiqué avec M. Murray Hamilton, directeur général d'un programme de vie communautaire à London, pour obtenir les renseignements pertinents. Essentiellement, cette partie du rapport indique que, même si les listes d'attente pour les services sont habituellement longues, il est difficile de déterminer quelles listes d'attente s'appliquent dans un cas particulier. De plus, à l'heure actuelle, les personnes comme Matthew ont tendance à rester chez leurs parents plutôt que d'emménager en milieu résidentiel. Il est demandé aux familles d'en faire davantage. M. Hamilton a indiqué qu'à son arrivée à London, Matthew pourrait être vu et évalué immédiatement dans le cadre du programme d'emploi de soutien pour déterminer sa disponibilité au travail et ses activités récréatives, ainsi que les programmes qui lui conviendraient le mieux. M. Hamilton a aussi souligné que le fait que Matthew provienne d'un pays anglophone ayant une culture similaire favoriserait son intégration à London.

[46]      Le Dr Finegan a conclu que :

     [TRADUCTION]         
     ...il [Matthew] possède des atouts relatifs sur le plan de la conscience sociale et du jugement. Les habiletés sociales, et non le QI, constituent l'indicateur le plus fiable de l'adaptation sociale des personnes atteintes d'un handicap intellectuel. On peut donc prédire que Matthew entraînera un fardeau moins lourd pour le système de prestation de services que des personnes ayant le même QI mais dont les habiletés sociales sont relativement moins développées. Matthew ne reçoit plus de soins d'un physiothérapeute, d'un ergothérapeute ou d'un orthophoniste et, à cette étape de sa vie, il est peu probable qu'il ait encore besoin de ces services.         
     ...Matthew entraînera le même fardeau sur les services éducatifs, professionnels et de loisirs qu'une personne bien adaptée atteinte d'un handicap intellectuel léger, et il n'aura pas besoin de services extraordinaires. Étant donné que Matthew recevra une pension du gouvernement australien, il entraînera         

     un fardeau moins lourd, si fardeau il y a, sur le système de prestations familiales que les Canadiens qui se trouvent dans sa situation.         

     [non souligné dans l'original]

[47]      Le dernier document soumis à l'agent des visas est une lettre du Dr Grondin datée du 15 juillet 1996, indiquant qu'après avoir étudié l'ensemble des documents et tous les nouveaux renseignements, elle avait conclu que le cas n'était toujours pas admissible.

[48]      Trois jours plus tard, l'agent des visas a fait parvenir au requérant une lettre dans laquelle il indique ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     ...Notre médecin agréé a examiné les renseignements médicaux supplémentaires que vous nous avez fournis et j'ai le regret de vous informer que ceux-ci n'ont pas changé notre décision concernant l'état de santé de votre fils Matthew. Je dois donc refuser votre demande...         

La lettre réitérait aussi le diagnostic établi dans l'avis médical reçu du Dr Grondin et auquel le Dr Giovinazzo souscrivait. Ce diagnostic, énoncé à l'appui la conclusion de non-admissibilité, est le suivant :

     [TRADUCTION]         
     " LÉGÈRE ARRIÉRATION MENTALE "         
     Ce requérant de 17 ans est atteint d'arriération mentale associée à des antécédents d'événements post-natals néfastes, de retards dans le développement et de microcéphalie. Ses habiletés de communication et de vie quotidienne correspondent à celles d'un enfant de 5 à 7 ans; il peut prendre soin de lui-même et de ses besoins personnels comme un enfant de 7 à 8 ans. Il a reçu des services dans le cadre d'un programme de développement de la petite enfance et des services d'éducation spéciaux. Même si son potentiel a vraisemblablement été maximisé par des programmes d'intervention précoces, il est peu probable qu'il acquerra suffisamment d'habiletés professionnelles pour devenir autonome et indépendant financièrement. Même s'il est capable d'effectuer des tâches simples dans un milieu contrôlé, il demeure dépendant de l'appui et de la supervision de son entourage. S'il devient résident permanent, il aura droit à divers services sociaux, éducatifs et professionnels, dont plusieurs sont coûteux et limités, et il est vraisemblable qu'il en aura besoin. Son admission entraînera un fardeau excessif pour les services sociaux. Il n'est donc pas admissible aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. Il est aussi atteint d'un trouble épileptique.         

[49]      Dans la lettre de refus qu'il a adressée au requérant, l'agent des visas conclut ce qui suit au sujet de l'avis médical susmentionné :

     [TRADUCTION]         
         Ces renseignements m'amènent à conclure que votre famille entraînera vraisemblablement un fardeau pour les services sociaux au Canada. Pour cette raison, je suis dans l'obligation de refuser votre demande de résidence permanente.         

ANALYSE

[50]      Il ressort clairement de la conclusion de l'agent des visas que ce dernier s'est fondé sur l'avis des médecins agréés. L'agent des visas s'est-il fondé sur l'avis des médecins agréés dans des circonstances où il n'existe aucun doute sur le caractère raisonnable de cet avis? L'opinion du médecin agréé était-elle raisonnable dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de tous les éléments de preuve disponibles?

L'avis médical

[51]      La description que renferme l'avis médical traite du besoin probable de Matthew en divers services et avantages sociaux, éducatifs et professionnels, lesquels sont coûteux et limités, et constituent donc un fardeau excessif pour les services sociaux.

[52]      Je souligne que le médecin agréé, le Dr Grondin, disposait de renseignements du ministère des Services communautaires et sociaux du gouvernement de l'Ontario sur les coûts provinciaux des services aux adultes handicapés. Ces coûts variaient de 42 $ par jour pour une personne dont les besoins sont peu importants dans le cas d'un programme de jour d'habiletés de vie à 99 $ par jour pour un adulte ayant des besoins plus importants, à 69 $ à 345 $ par jour (en fonction des besoins) pour un foyer de groupe résidentiel, et jusqu'à 7 636 $ par année pour un programme de soutien au travail. La liste d'attente provinciale compte environ 1 800 personnes pour ces types de programmes, et celle des programmes de formation à l'emploi et de soutien à l'emploi en compte 262. Le Dr Grondin avait aussi été informée que des cours d'éducation spécialisée pourraient être donnés à Matthew au sein du système scolaire régulier jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 21 ans. Ces rapports ne renferment aucun renseignement se rapportant spécifiquement à London.

[53]      Diverses opinions ont été soumises aux médecins agréés au sujet des besoins de Matthew, allant de l'avis du Dr Finegan selon lequel Matthew n'aurait besoin d'aucun service extraordinaire et qu'étant donné la pension australienne que ce dernier toucherait, il entraînerait un fardeau beaucoup moins lourd, si fardeau il y avait, sur le système de prestations familiales que des Canadiens dans la même situation; à l'opinion du Dr Rickard selon laquelle Matthew continuerait à apprendre s'il était encadré, appuyé et encouragé, et si le milieu éducatif ou de travail lui offrait la possibilité d'avoir recours à de l'entraînement et à de la répétition pour apprendre à exécuter des tâches.

[54]      Les médecins agréés se sont-ils informés des types de services sociaux qui seraient réellement nécessaires dans le cas de Matthew, ainsi que des coûts liés à ces services? Rien dans la preuve qui m'a été soumise n'indique que les médecins agréés ont fait de telles demandes de renseignements concernant précisément la situation de Matthew. Je ne vois pas comment les médecins agréés ont pu conclure à un " fardeau excessif pour les services sociaux " vu la preuve qui leur avait été soumise sur la possibilité de recours aux services sociaux, les services sociaux particuliers susceptibles d'être requis, le cas échéant, les dépenses liées à ces services étant donné la compensation de la pension d'invalidité australienne de Matthew, et la qualité du soutien familial dont Matthew jouit. Aucun élément de preuve n'appuie la conclusion du fardeau excessif. Aucune preuve n'établit que les médecins agréés se sont interrogés sur la question du fardeau excessif en ce qui a trait spécifiquement à Matthew. Au contraire, la preuve semble indiquer que les médecins agréés n'ont envisagé que le fardeau imposé aux services sociaux par les handicapés mentaux en général.

[55]      Les médecins agréés sont tenus d'évaluer la situation de chaque personne qui se présente devant eux en fonction de son caractère unique. Les médecins agréés sont maintenant tenus de par la loi de donner une opinion sur le fardeau susceptible d'être imposé aux services sociaux. Il ne suffit pas qu'un médecin agréé donne une opinion sur ce fardeau en général; l'opinion doit être ancrée fermement sur la situation personnelle de la personne en cause et l'ensemble des circonstances de l'espèce. Celles-ci incluraient le degré de soutien de la famille et son engagement envers la personne, ainsi que les ressources particulières de la collectivité. Lorsqu'une personne risque d'entraîner un fardeau excessif dans un cas, dans un cadre différent, il se peut que la même personne n'entraîne qu'un léger fardeau, voire aucun. Les médecins agréés doivent examiner la situation particulière de la personne en cause. Autrement, il est fait abstraction d'une preuve convaincante, et les opinions concernant le fardeau imposé aux services sociaux ne sont plus fondées et ne peuvent être confirmées par la présente Cour.

[56]      Ainsi que l'a statué le juge McKeown dans Sabater c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 31 Imm. L.R. (2d) 59, à la page 64 :

     Bien entendu, il ne s'agit pas d'insinuer qu'il n'est jamais possible de conclure qu'une personne qui souffre d'une légère déficience mentale ne puisse imposer un fardeau excessif aux services sociaux, puisque cette décision doit faire intervenir de nombreux facteurs. Toutefois, à mon avis, il serait raisonnable d'imposer un fardeau de preuve plus rigoureux aux médecins afin qu'ils démontrent ce que serait ce fardeau excessif dans un cas de déficience légère. C'est-à-dire que, si un médecin conclut qu'une personne souffre d'une légère déficience mentale, il doit énoncer clairement pourquoi son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux.         

     [non souligné dans l'original]

[57]      Il n'appartient pas à la présente Cour de substituer son opinion à celle d'experts médicaux. Toutefois, elle doit s'assurer que les exigences prévues par la loi sont satisfaites. La loi prévoit la tenue d'une évaluation individuelle. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que cette exigence n'a pas été satisfaite pour ce qui est de l'évaluation du fardeau excessif qu'entraînerait la personne en cause. On ne peut dire que l'opinion des médecins agréés est valide aux termes du sous-alinéa 19(1)a)(ii). Il s'agit là d'une erreur de droit qui justifie une intervention judiciaire.

Décision de l'agent des visas

[58]      La Cour a compétence pour contrôler le caractère raisonnable de la décision d'un agent des visas à l'égard des avis médicaux. Selon moi, l'agent des visas disposait d'assez d'éléments de preuve pour mettre en doute le caractère raisonnable de l'avis des médecins agréés sur la qualité et la quantité des services sociaux requis, relativement à la question du fardeau " excessif ". De plus, comme j'ai conclu que les médecins agréés ont fait abstraction d'une preuve concluante et tiré une conclusion non fondée dans leur avis, l'agent des visas a commis une erreur en appliquant cet avis invalide.

[59]      La décision de l'agent des visas mentionne en outre ce qui suit : [TRADUCTION] " il est peu probable qu'il [Matthew] acquerra des habiletés professionnelles suffisantes pour devenir autonome et indépendant financièrement ". Toutefois, Matthew a présenté une demande dans la catégorie des personnes à charge dans le cadre de la demande de résidence permanente du requérant. La Loi sur l'immigration n'exige pas qu'une personne à charge prouve qu'elle est autonome.

CONCLUSION

[60]      Il a été demandé au requérant de fournir à Immigration Canada trois rapports d'experts sur Matthew. Il semble que la décision concernant la non-admissibilité de Matthew pour des raisons d'ordre médical de Matthew a été rendue uniquement sur la foi des rapports soumis, qui sont les moins favorables. Il semble qu'il y a une possibilité que les fonctionnaires d'Immigration Canada ont refusé de tenir compte des deux autres rapports demandés au requérant -- lesquels rapports sont plus favorables à Matthew.

[61]      Lorsqu'un organisme gouvernemental tel qu'Immigration Canada demande des renseignements à une personne, il est tenu de les examiner lorsqu'il les reçoit. Cela est particulièrement vrai dans le cas où les renseignements demandés consistent en une opinion d'expert, qui demande beaucoup de temps et qui coûte cher. Si une décision contraire aux renseignements demandés est rendue, son auteur doit au moins mentionner les renseignements contraires et motiver son rejet. Plus précisément, si Immigration Canada demande certains rapports médicaux, reçoit deux rapports médicaux favorables et un rapport défavorable et qu'une évaluation médicale est apparemment faite uniquement sur la foi du rapport médical négatif, il faut expliquer pourquoi les rapports favorables ne sont pas mentionnés dans l'analyse. Même si les décideurs avaient examiné les renseignements demandés et les avaient situés dans le contexte des circonstances de l'espèce, au vu du dossier communiqué au requérant, rien n'indique qu'un examen sérieux des documents favorables a été fait. Il n'y a pas apparence de justice. En l'espèce, pour ce qui est du requérant, les décideurs ont manqué à leurs devoirs élémentaires d'équité procédurale et de justice naturelle.

[62]      Dans un cas diagnostiqué d'arriération mentale légère, les médecins agréés supportent le fardeau additionnel d'expliquer pourquoi l'enfant à charge est susceptible d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. La conclusion selon laquelle une personne appartient à la catégorie de non-admissibilité pour raisons d'ordre médical M7 -- la catégorie la plus élevée de non-admissibilité pour raisons d'ordre médical -- est très grave et la preuve doit l'étayer. À tout le moins, les médecins agréés devraient mentionner la preuve contraire avant de l'écarter.

[63]      Selon moi, si le requérant et sa famille étaient autorisés à immigrer au Canada, il en découlerait trois avantages. Le premier serait que le Canada s'enrichirait de deux nouveaux professionnels débrouillards : le requérant et son épouse. Le deuxième serait que, même si le fils du requérant, Matthew, est atteint d'un handicap mental léger, il accompagnerait sa famille, au dire de tous, en tant que personne bien ajustée compte tenu de sa situation, et jouissant d'un soutien extraordinaire de sa famille, qui est manifestement capable de l'aider à répondre à ses besoins particuliers. En tant qu'aliments extra-familiaux, sa pension d'invalidité australienne le suivrait. La preuve de fardeau excessif pour les services sociaux que cette personne est susceptible d'entraîner ne ressort tout simplement pas du dossier. Le troisième avantage s'inscrirait dans le cadre de la politique canadienne de réunion des familles. Le requérant, un ancien citoyen canadien, a une mère âgée au Canada qui a besoin de son aide.

[64]      L'agent des visas ne doit pas simplement accepter une décision de non-admissibilité pour raisons d'ordre médical de la part d'un médecin agréé comme justification du rejet d'une demande de résidence permanente d'un requérant. Une telle pratique donne en fait aux médecins agréés carte blanche pour décider qui peut immigrer au Canada. La décision finale revient à l'agent des visas, qui a le devoir d'évaluer l'ensemble des circonstances de l'espèce.

[65]      Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, la décision des médecins agréés et celle de l'agent des visas contiennent des erreurs de droit. Celles-ci sont assez graves pour justifier l'annulation de la décision de l'agent des visas et la délivrance d'une ordonnance portant que l'affaire doit être renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il rende une nouvelle décision en accord avec les présents motifs. La nouvelle décision devrait être fondée sur l'ensemble des circonstances de l'espèce, et prendre précisément en compte : a) la question de savoir si le critère de la possibilité d'un fardeau excessif pour les services sociaux coûteux et limités est satisfait, et b) la compétence en matière d'équité qui permet à l'agent des visas d'octroyer une mesure de redressement pour des raisons d'ordre humanitaire compte tenu de la politique de réunion des familles prévue à l'alinéa 3c) de la Loi sur l'immigration. Aucune autre preuve médicale n'est requise du requérant et de sa famille car ils se sont déjà donné assez de mal comme cela et ont dépensé assez d'argent jusqu'à maintenant. La nouvelle décision devra être fondée sur le dossier qui a été soumis au premier agent des visas.

[66]      J'espère que la nouvelle décision sera rendue aussi rapidement que possible vu le temps déjà consacré jusqu'ici à cette affaire.

[67]      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (ONTARIO)      B. Cullen

22 décembre 1997                                      J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-4601-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      JOHN RUSSELL POSTE c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          7 OCTOBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉE PAR MONSIEUR LE JUGE CULLEN

EN DATE DU :              22 DÉCEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Me Warren L. Creates                      POUR LE REQUÉRANT
Me Josephine A. L. Palumbo                  POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Perley-Robertson, Panet, Hill                  POUR LE REQUÉRANT

& McDougall

Ottawa (Ontario)

Me George Thomson                          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

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