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Date : 20000324


Dossier : IMM-1908-99



ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


demandeur


et



JUAN JOSE ELISEO TORRES CORTEZ


défendeur


MOTIFS DE JUGEMENT


(Exposés à l'audition à Toronto (Ontario),

le mercredi 22 mars 2000)


LE JUGE McGILLIS

[1]      Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) a contesté, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, une décision, datée du 26 mars 1999, dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention. La principale question que soulève la demande est de savoir si la Commission a violé les principes de justice naturelle lorsqu'elle a omis de fournir des motifs écrits pour étayer sa décision.

[2]      Le défendeur est un citoyen du El Salvador qui est arrivé au Canada en août 1994 et a revendiqué le statut de réfugié.

[3]      Le 9 novembre 1995, Charles Dombrady, un agent d'audience du bureau d'audiences et d'appels de Toronto du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (le représentant du ministre), a déposé un avis d'intention qui mentionnait que le ministre souhaitait prendre part à l'audition, devant la Commission, de la revendication du statut de réfugié du défendeur, sur le fondement que la revendication soulevait [TRADUCTION] « ... des questions faisant intervenir l'article 1(F)a) de la Convention ... » . En particulier, le représentant soutenait dans l'avis que le défendeur appartenait au bataillon Atlacatl, qui était [TRADUCTION] « .. tristement célèbre pour avoir commis divers crimes internationaux » .

[4]      L'audition de la revendication du défendeur, qui a débuté le 16 février 1996, s'est échelonnée sur cinq séances. Après la première séance, le mandat de l'un des membres de la Commission n'a pas été renouvelé, et le défendeur a accepté que sa revendication soit tranchée seulement pas l'autre commissaire, Judith Ramirez. L'audition a pris fin le 5 mars 1998 et la Commission a pris l'affaire en délibéré.

[5]      Après plus d'un an, la Commission n'avait toujours pas rendu sa décision. Le 30 mars 1999, le représentant du ministre a écrit au greffe de la Commission pour savoir où en était l'affaire. Le 1er avril 1999, il a été avisé que le 26 mars 1999, la Commission avait déterminé que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention. Le 7 avril 1999, le représentant du ministre a demandé à la Commission, dans le délai prévu à l'alinéa 69.1(11)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, de fournir des motifs écrits pour étayer sa décision. Le 12 mai 1999 ou vers cette date, le représentant du ministre a été avisé que le mandat de Mme Ramirez, le seul commissaire qui avait pris la décision, avait expiré. La Commission n'a pas fourni de motifs écrits.

[6]      Pour déterminer si la Commission a violé les principes de justice naturelle lorsqu'elle a omis de fournir des motifs écrits, il importe d'examiner les dispositions législatives applicables et la jurisprudence.

[7]      Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration traite de la façon suivante de l'obligation, qui incombe à la Commission, de fournir des motifs écrits :

69.1. (11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that

(a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision; and

(b) if the Minister or the person making the claim requests written reasons within ten days after the day on which the Minister or the person is notified of the decision, the Division shall forthwith give written reasons.

69.1. (11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants:

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;



b) le ministre ou l'intéressé le demande dans les dix jours suivant la notification, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.

[8]      Dans le cas où un membre de la Commission cesse d'exercer sa charge par suite de démission ou pour tout autre motif, la loi prévoit qu'il peut, dans certaines circonstances bien précises, trancher l'affaire qu'il a préalablement entendue. À cet égard, le paragraphe 63(1) de la Loi sur l'immigration prévoit :

63. (1) Any person who has resigned or otherwise ceased to hold office as a member of the Refugee Division, Adjudication Division or Appeal Division may, at the request of the Chairperson, at any time within eight weeks after that event, make, or take part in, the disposition of any matter previously heard by that person and, for that purpose, the person shall be deemed to be such a member.

63. (1) Le membre de la section du statut, de la section d'appel ou de la section d'arbitrage qui a cessé d'exercer sa charge par suite de démission ou pour tout autre motif peut, à la demande du président et dans un délai de huit semaines après la cessation de ses fonctions, participer aux décisions à rendre sur les affaires qu'il avait préalablement entendues. Il conserve à cette fin sa qualité de membre.

[9]      La Cour a déjà examiné l'effet de l'omission d'un tribunal de fournir des motifs écrits dans des circonstances similaires à l'espèce. Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Pinnock (1996), 122 F.T.R. 68 (1re inst.), le juge Gibson a conclu que l'omission de la Section d'appel de fournir des motifs, dans des circonstances définies par une disposition législative pratiquement identique au paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration, constituait une violation de la justice naturelle sur la base qu'elle faisait subir un préjudice au demandeur relativement à la poursuite de sa demande de contrôle judiciaire. Cette décision a été suivie par celle que le juge Cullen a rendue dans l'affaire Whittingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 125 F.T.R. 279 (1re inst.), dont les faits étaient identiques à ceux de l'affaire Pinnock. Dans Pinnock et Whittingham, les commissaires qui avaient entendues l'affaire étaient incapables de poursuivre leur travail en raison de problèmes de santé.

[10]      L'avocate du défendeur a cherché à établir une distinction entre ces deux affaires et l'espèce sur le fondement que dans ces dernières, les commissaires étaient incapables de poursuivre leurs travail en raison de problèmes de santé. À mon avis, une telle distinction ne peut être faite. En vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l'immigration, le président de la Commission a le pouvoir discrétionnaire de demander au commissaire qui a cessé d'exercer sa charge d'exposer des motifs pour étayer sa décision. Vu la longueur de l'audition et la question grave qui a été soulevée en l'espèce, savoir si le demandeur était exclu de la protection de la Convention, le président aurait dû agir ainsi. L'omission de la Commission de fournir des motifs dans une affaire si grave et aussi vigoureusement débattue ne peut tout simplement pas être justifiée ou acceptée. Dans les circonstances, je suis convaincue que le principe que le juge Gibson a énoncé dans Pinnock s'applique aux faits de la présente affaire. L'omission de la Commission de fournir des motifs pour étayer sa décision a donc fait subir un grave préjudice au défendeur en ce qui concerne sa faculté de contester la décision de la Commission, et elle constitue une violation de la justice naturelle.

[11]      La demande est accueillie. L'affaire est renvoyée à une formation différemment constituée pour qu'elle l'entende à son tour et statue sur celle-ci. Les avocats ont convenu que l'affaire ne soulève pas de question grave de portée générale.


« D. McGillis »

                                             juge

OTTAWA (Ontario)

Le 24 mars 2000



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                  IMM-1908-99


INTITULÉ DE LA CAUSE :              MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION

                         c.

                         JUAN CORTEZ


LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 22 MARS 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE MCGILLIS

EN DATE DU :                  24 MARS 2000


ONT COMPARU :


SHANE M. WATSON                      POUR LE DEMANDEUR

CHERYL D. MITCHELL                      POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


SHANE M. WATSON                      POUR LE DEMANDEUR


M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

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