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T-1666-97


ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE "LIMANSKIY" ET LA CARGAISON SE TROUVANT RÉCEMMENT À BORD DU NAVIRE "LIMANSKIY"

Entre :


KIKU FISHERIES LTD.,


demanderesse,


- et -


CANADIAN NORTH PACIFIC OCEAN CORPORATION;

INTERNATIONAL TRANSPORTATION & FISHING LTD.;

KASPRYBKHOLODFLOT JOINT STOCK COMPANY;

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR

LE NAVIRE "LIMANSKIY", LA CARGAISON PROVENANT DU NAVIRE "LIMANSKIY", À BORD DUQUEL LA CARGAISON SE TROUVE ACTUELLEMENT OU SE TROUVAIT ENCORE RÉCEMMENT CHARGÉE, ET YAMAZAKI ENTERPRISE LTD.,


défendeurs.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE

PROTONOTAIRE

     Les présents motifs répondent à la requête de Marcom Co. Ltd. (Marcom) en radiation des aspects in rem de la déclaration et en annulation de la saisie du navire "Limanskiy". Marcom a déposé un acte de comparution conditionnelle, se présentant comme affréteur à coque du "Limanskiy", petit navire frigorifique appartenant la Kasprybkholodflot ("KAO"). Le navire a émis et laissé en circulation trois jeux de connaissements différents, ce qui a semé la confusion et la consternation parmi des parties qui revendiquent chacune la propriété d'un lot de hareng rogué congelé.


     Normalement, après avoir, dans une affaire assez complexe comme celle-ci, sursis au prononcé de ma décision, je m'assure un délai raisonnable afin de bien réfléchir aux arguments développés par les avocats avant d'entreprendre la rédaction d'une décision motivée. Mais, on a déjà beaucoup trop tardé dans cette affaire. Le "Limanskiy" fait l'objet d'une saisie, à Vancouver, depuis quelque six semaines déjà. De plus, trois jours ont été consacrés à un examen approfondi de l'affaire. Tout bien considéré, la situation ne serait guère améliorée par un nouveau retard.

     Dans l'action donnant lieu à la présente requête, Kiku Fisheries Ltd. (Kiku) demande, à l'encontre du "Limanskiy" et de KAO, soit la remise de hareng congelé, qui a fait l'objet d'une saisie et se trouve actuellement dans un entrepôt frigorifique suite aux dispositions prises par Yamazaki Enterprise Ltd. (Yamazaki), qui, elle aussi, revendique le hareng rogué, soit le versement de 225 000 $ (É.-U.) en dommages-intérêts.

     Je rappelle qu'il s'agit d'une requête en radiation des parties in rem de la déclaration et en annulation du mandat de saisie visant le navire. La demanderesse fait valoir que la déclaration ne contient aucune cause raisonnable d'action, plaidant subsidiairement que la déclaration est scandaleuse, futile ou vexatoire ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour.

     Aucun des défendeurs n'a encore déposé de défense. Il me faut maintenant faire le récit des événements à partir de la déclaration, d'affidavits souvent contradictoires, de la transcription du contre-interrogatoire de plusieurs auteurs de ces affidavits et du témoignage de M. Oleg Tchoubarov, ancien employé de la Canadian North Pacific Ocean Corporation ("CNPOC").

CIRCONSTANCES DE L'AFFAIRE

     Le "Limanskiy" avait à son bord environ 700 tonnes de hareng russe rogué congelé, expédié à Vancouver par le vendeur, International Transportation & Fishing Ltd. (IT & F), qui semble-t-il, n'a pas été payé. Cette expédition avait été commandée par la CNPOC, société installée en Colombie-Britannique. La CNPOC avait, le 18 mars 1997, conclu un contrat avec Kiku pour la livraison de 1 200 tonnes de hareng rogué congelé et à cette date Kiku a effectué un premier versement sur le prix d'achat convenu, soit 165 000 $. Ce versement était censé, notamment, conférer à Kiku, sur le hareng rogué, un droit équivalant à la somme versée à la CNPOC, selon la clause inscrite au huitième paragraphe de l'article 11 du contrat.

     Kiku et la défenderesse Yamazaki sont des sociétés de transformation des produits de la mer. Elles ont toutes deux versé des sommes considérables à la CNPOC, et les deux ont en leur possession des documents que je dénommerai "connaissement". Les deux font valoir un droit sur le hareng. Se pose également la question de savoir si les documents en question sont effectivement des connaissements.

     Notons ici que l'avocat de la CNPOC met en garde contre toute conclusion de fait qui ne serait pas strictement nécessaire, d'autres procédures étant en cours. En l'occurrence, les principales questions à trancher portent sur des points de droit. On ne relève guère en l'espèce de faits susceptibles d'empiéter de manière directe sur les droits des autres défendeurs et les rares faits n'obéissant pas à cette règle consistent en grande partie des faits sur lesquels s'opposent la demanderesse et Marcom.

     La cargaison chargée à bord du "Limanskiy" était issue d'un accord de troc conclu en Russie et aux termes duquel IT & F en devenait propriétaire. Le 4 juillet 1997, un certain monsieur Sukanov, employé à la fois de Marcom et de IT & F, a donné l'ordre au capitaine du "Limanskiy" d'émettre deux jeux différents de connaissements, sur lesquels le nom de CNPOC apparaîtrait comme consignataire mais, sur l'un, la société à contacter devait être la Yamazaki et, sur l'autre, la Kiku. Posons, en passant, la question de savoir pourquoi, si le nom de la société à contacter n'a aucune signification, ce que prétend l'avocat de Marcom, il était nécessaire d'émettre deux jeux de connaissements.

     Il en résulte que Kiku a en sa possession un connaissement en date du 7 juillet 1997, signé par le capitaine du "Limanskiy" sous sceau du navire et de la KAO, propriétaire de celui-ci. Sur ce connaissement, IT & F apparaît comme expéditeur, la CNPOC comme consignataire, et la Kiku comme société à contacter. Ce connaissement a été remis à Kiku le 18 juillet 1997. Il semble étroitement lié à un nouveau versement effectué par Kiku, cette fois-ci 60 000 $, versement que lui avait demandé la CNPOC et qui devait être appliqué au fret. Cette avance, heureusement peut-être pour la Kiku, a fait l'objet d'une garantie.

     Le capitaine a également émis un autre connaissement en date du 7 juillet 1997, semblable à celui détenu par Kiku, mais donnant cette fois comme société à contacter, la Yamazaki. Le capitaine a émis un troisième connaissement, aux environs du 29 juillet 1997, celui-ci étant préparé à Vancouver et faisant encore une fois apparaître la IT & F comme société expéditrice, mais cette fois-ci le consignataire était Yamazaki. On affirme que c'est par erreur que le capitaine a signé ce troisième connaissement. Malheureusement, le capitaine a signé et émis ces nouveaux connaissements alors que Kiku avait encore en sa possession le connaissement initial en date du 7 juillet 1997. Enfin, la CNPOC, à titre d'affréteur au voyage du "Limanskiy", a émis son propre connaissement, curieux document où n'apparaît aucun expéditeur mais où le nom de Kiku est inscrit en tant que consignataire.

     D'après Kiku, le connaissement détenu par cette société lui a été envoyé par messager et remis par Nikolai Sinitchnikov, dirigeant de la CNPOC. La CNPOC, pour sa part, semble nier avoir remis ce connaissement, ne soutenant cependant pas que c'est à tort que la Kiku aurait eu possession du connaissement. Le 19 juillet 1997, soit le jour après que Kiku a reçu le connaissement en date du 7 juillet 1997 signé par le capitaine, ce connaissement était annulé par IT & F, Marcom et la CNPOC. Kiku n'a pas été informée de cette annulation.

     Une autre péripétie est à relever, en l'occurrence un contrat dénommé "Accord "Nouveau"", conclu, le 21 juillet 1997, entre Kiku et la CNPOC. Il s'agit en partie d'un contrat portant sur le traitement de hareng rogué. Ce contrat est présenté, cependant, comme conférant à Kiku une forme de possession afin que Kiku puisse recouvrer l'acompte de 165 000 $ qu'elle avait versé le 20 mars 1997 dans le cadre du contrat initial. L'avocat de Kiku estime que les deux contrats confèrent à sa cliente, en equity , un droit sur le hareng rogué.

     Bien que son nom figure à titre de société à contacter, Kiku n'a été informée ni de la prochaine arrivée ni de l'arrivée effective du "Limanskiy" à Vancouver. C'est d'elle-même que, le 31 juillet 1997, Kiku a appris qu'on était en train de décharger, à Vancouver, la cargaison de hareng du "Limanskiy".

     Selon la déposition de Kiku, le 1er août 1997, elle a pu faire endosser ses deux connaissements, c'est-à-dire le connaissement du 7 juillet signé par le capitaine et le connaissement ultérieurement émis par la CNPOC. L'endossement est le fait d'un certain Monsieur James Kim, ancien cadre d'une société américaine soeur de la CNPOC, la North Pacific Ocean Corporation (NPOC). Je note ici que James Kim était un des signataires du contrat initial, en date du 18 mars 1997, entre la CNPOC et Kiku, pour la fourniture de hareng rogué congelé. Kiku estime qu'on a présenté M. Kim comme dûment autorisé à endosser les connaissements. La CNPOC affirme que M. Kim était uniquement employé de la société soeur de Seattle, la NPOC, et que, en tout état de cause, il n'était plus employé ni de la CNPOC ni de la NPOC.

     Bien avant que Kiku ait pu faire endosser ses connaissements, il semblerait que la CNPOC ait donné à IT & F l'ordre de décharger le hareng rogué. Il semblerait que cet ordre, en date du 18 juillet 1997, selon lequel le hareng devait être remis à Yamazaki, ait été rédigé par la CNPOC après l'arrivée du "Limanskiy" à Vancouver le 29 juillet 1997, et après que celui-ci eut commencé à décharger la cargaison, le document étant antidaté en le faisant transmettre entre deux télécopieurs de bureau de la CNPOC dans le nord de Vancouver, après qu'on eut réglé en conséquence le mécanisme de datation de l'appareil recevant le message. L'avocat de Marcom a, dans sa plaidoirie, longuement développé des arguments sur la question de savoir si le document avait oui ou non été antidaté et si des représentants de Marcom et de IT & F s'étaient trouvés, à l'époque en question, dans les locaux de la CNPOC. Les témoignages sur tout cela sont parfaitement contradictoires et n'ont d'ailleurs guère de pertinence dans le cadre de la présente requête.

     Lorsque Kiku, apprenant que le "Limanskiy" se trouvait à Vancouver, produit le connaissement qui la liait au bateau, la cargaison avait déjà été déchargée et mise dans un entrepôt frigorifique.

     Ainsi que je l'ai noté, personne n'a déposé de défense, et KAO n'a produit devant la Cour aucune preuve par affidavit. Certains éléments pertinents peuvent donc manquer à la chronologie que je viens d'exposer. En ce qui concerne les preuves par affidavit produites au nom des divers défendeurs, il y en a que je n'accepte pas ou auxquelles je n'accorde que peu de poids, cela étant vrai d'une grande partie des témoignages d'opinion. D'ailleurs, en raison des interruptions dans le déroulement des contre-interrogatoires, une partie des témoignages n'a pas pu être correctement vérifiée. Cette chronologie n'est donc qu'un guide et non pas un répertoire des faits au vu desquels seraient réglées les revendications des parties.

RADIATION

     J'évoquerai, d'abord, la lourde charge pesant sur la partie sollicitant la radiation d'actes de procédure, en l'occurrence une partie de la déclaration. Il faut, en pareil cas, que la pièce en question soit clairement, manifestement et sans aucun doute futile et qu'elle n'ait aucune chance d'aboutir avant que la Cour en ordonne la radiation. Lorsqu'un acte de procédure est attaqué au motif qu'il ne révèle aucune cause raisonnable d'action, je suis tenu d'admettre la déclaration comme si les faits qu'elle invoque avaient déjà été démontrés, à moins que ces faits ne soient manifestement déraisonnables. Sauf lorsque se pose une question de compétence, la Cour n'autorise aucune preuve par affidavit quand il s'agit de dire s'il existe une cause raisonnable d'action. Une requête en récusation de la compétence de la Cour doit normalement être introduite sur le fondement de la Règle 401, mais une requête introduite en vertu de la Règle 419(1)a) ne sera pas automatiquement rejetée.

     Lorsqu'une partie affirme qu'une action est scandaleuse, futile ou vexatoire, ou qu'elle constitue un emploi abusif des procédures de la Cour, invoquant en cela la Règle 419(1)c) et f), le critère est aussi strict, voire même plus strict que celui qui s'applique à la Règle 419(1)a) :

voir Waterside Ocean Navigation Co. Inc. c. Le navire "Laurentian Forest", [1977] 2 C.F. 257, à la p. 259, décision rendue par le juge en chef adjoint Thurlow. C'est dire qu'un tribunal n'écartera aucune action tant que celle-ci a la moindre chance d'aboutir.

     Lorsqu'une demande aurait des chances d'aboutir si l'on modifiait un des actes de procédure, une modification en ce sens devrait être autorisée par la Cour. Pour que la Cour refuse de l'autoriser, il faut qu'il n'y ait pas le moindre commencement d'une cause d'action.

     En un mot, la preuve qui incombe à la partie sollicitant la radiation d'un acte de procédure n'est pas facile à rapporter. Cela est d'autant plus vrai qu'il n'y a pas lieu, dans le cadre d'une requête sommaire en radiation, de trancher d'importantes questions de droit, ou des points de droit litigieux ou incertains, de telles questions étant mieux à même d'être tranchées à l'instance, une fois que sont connus tous les faits : voir, par exemple, Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 8 à la p. 18 (C.F.1re inst.) et Vulcan Equipment Co. Ltd. c. Coats Co. Inc. (1982), 58 C.P.R. (2d) 47 à la p. 48 (C.A.F.), refus d'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada (1982), 63 C.P.R. (2d) 261. La présente affaire soulève plusieurs questions de droit intéressantes qui ne se posent guère fréquemment, voire certains points de droit qui n'ont peut-être jamais été tranchés, du moins avec netteté.

ANALYSE

     La déclaration modifiée, dans la mesure où elle constitue une action in rem visant le

"Limanskiy", commence par invoquer le contrat intervenu le 18 mars 1997, entre Kiku et la CNPOC, celle-ci s'engageant alors à livrer 1 200 tonnes de hareng rogué. Marcom s'oppose à ce qu'on en fasse mention, estimant que cela touche à un litige concernant le traitement des produits de la mer, litige qui, selon elle, ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale. Le litige entre la CNPOC et Kiku, brièvement mentionné dans la déclaration, n'est pas l'objet de la présente requête. Cela dit, le contrat intervenu entre Kiku et la CNPOC est effectivement pertinent, car il tend peut-être à démontrer qu'une part du hareng, en proportion aux acomptes versés par Kiku, avait été réservée ou affectée à celle-ci, ce qui aurait entraîné la création d'un certain droit reconnu en equity , droit qui pourrait, dans certaines circonstances, atteindre la dimension d'un droit plus étoffé. Dans la mesure où cette partie de la déclaration, figurant au paragraphe 7 de celle-ci, apporte des précisions sur les circonstances de l'affaire, elle n'a rien d'inadmissible. Dans la mesure où elle indique que Kiku aurait un droit sur le hareng rogué congelé, elle est tout à fait pertinente.

     La déclaration évoque ensuite le connaissement en date du 7 juillet 1997, dans lequel Kiku figure en tant que "partie à contacter" : l'expression utilisée dans le connaissement est, en fait, "adresse à contacter". Dans la mesure où la différence entre les deux expressions est pertinente, la mention pourra être corrigée par une nouvelle modification. Il est ensuite question du connaissement émis par la CNPOC à Kiku en tant que consignataire, mais ce connaissement est sans pertinence pour ce qui est de l'action in rem intentée contre le navire "Limanskiy".

     La déclaration mentionne à nouveau un accord intervenu entre la CNPOC et Kiku, en l'occurrence l'accord du 21 juillet 1997. On pourrait certes soutenir que cet accord ne constitue pas une affaire maritime relevant de la compétence de la Cour, mais l'accord a pour effet de reconnaître à Kiku une manière de droit sur le hareng rogué afin que Kiku puisse recouvrer son premier versement de 165 000 $, effectué le 20 mars 1997. Cette pièce est donc pertinente.

     Il y a aussi une question accessoire touchant la compétence, sur laquelle les avocats n'ont d'ailleurs pas trop insisté, mais qui mérite qu'on s'y arrête; il s'agit de la correspondance entre les demandes déposées par la demanderesse et la compétence que la loi a conférée à la Cour fédérale. Les actes dont Kiku se plaint se sont produits à diverses époques pendant le voyage et même après que le navire eut accosté à Vancouver et eut été entièrement déchargé. L'avocat de Kiku affirme que la négligence dont témoigne l'émission des connaissements additionnels a permis d'évincer Kiku et le présumé manquement à l'obligation incombant au transporteur, en tant que dépositaire à titre onéreux, à la fois parce qu'il n'a pas livré la cargaison de hareng rogué à Kiku, porteuse du premier connaissement, et parce qu'il a manqué de signaler à Kiku l'arrivée de la cargaison, relève du paragraphe 22(1), disposition générale attributive de compétence, car le droit maritime canadien s'applique aux actions portant sur la manutention des cargaisons, même une fois que celles-ci ont été déchargées au port d'arrivée, ainsi qu'en ont d'ailleurs décidé les arrêts ITO c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, aux pp. 775 et 776 et Monk Corporation c. Island Fertilizers Ltd., [1991] 1. R.C.S. 779, à la p. 795 et aux pp. 799 et 800.

     Pour ce qui est des compétences plus spécifiques, l'avocat renvoie à l'alinéa 22(2)e), aux termes duquel la Cour fédérale a compétence en matière de demandes touchant une cargaison, citant à cet effet l'arrêt Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co., [1979] 2. R.C.S. 157, aux pp. 160 et 161, et la partie essentielle de cet alinéa où sont évoquées les demandes d'indemnisation pour perte d'une cargaison en cour de transbordement. L'alinéa 22(2)i), qui confère compétence à la Cour à l'égard des demandes relatives au transport de marchandises à bord d'un navire, est, en l'occurrence, également pertinent. L'avocat de Marcom s'est à juste titre objecté lorsque l'avocat de Kiku a tenté d'élargir le champ des autres dispositions attributives de compétence du paragraphe 22(2).

     Les réclamations formulées directement par Kiku à l'encontre de Marcom, d'IT & F, de KAO et du capitaine du "Limanskiy" visent, d'abord, l'ordre d'émettre, le 7 juillet 1997, le connaissement délivré au nom de Kiku, instruction suivie par l'ordre, donné par le capitaine, de livrer la cargaison à Yamazaki; ensuite, l'émission d'autres connaissements alors que le capitaine savait pertinemment que le premier connaissement, au nom de Kiku, était encore en circulation; troisièmement, le fait de ne pas avoir exigé que le connaissement au nom de Kiku soit rendu au capitaine avant de reconnaître tout autre connaissement; quatrièmement, le fait de ne pas avoir avisé Kiku de l'arrivée prochaine de la cargaison; et, enfin, le fait de ne pas avoir engagé, à l'égard de la cargaison, une procédure d'interpleader, au lieu de la confier soit à la CNPOC soit à Yamazaki pour être entreposée.

     Les points essentiels dans cette affaire sont la nature même du connaissement; à la question de savoir si celui-ci expose le navire à une action in rem; si Kiku a un droit sur la cargaison; et si le capitaine ou les propriétaires du navire avaient l'obligation d'avertir Kiku puisque celle-ci figurait sur le connaissement en tant que destinataire à contacter. L'avocat représentant Marcom et le navire estime que ces questions ont trait à des parties de la déclaration auxquelles il reproche d'être scandaleuses, futiles ou vexatoires ou de constituer un emploi abusif des procédures de la Cour, ces questions étant donc susceptibles d'être réfutées par des preuves par affidavit. Il est regrettable que le gros des preuves par affidavit soit contradictoire, ou ne constitue qu'un témoignage d'opinion ou, encore, ne rime à rien.

     En ce qui concerne la nature du connaissement émis au nom de Kiku, rien n'indique qu'il s'agisse d'un document négociable mais, à l'inverse, rien n'indique qu'il ne soit pas négociable ou que, juridiquement, il soit de nul effet. Pour la demanderesse, le connaissement qui lui a été remis constitue la preuve que la cargaison était effectivement en route pour Vancouver. Se pose la question de savoir si Kiku croyait effectivement que ce connaissement lui permettrait de prendre possession de la cargaison une fois arrivée à Vancouver. Tout le monde, cependant, savait bien que de nombreuses transactions commerciales, y compris l'obtention d'une lettre de crédit, peuvent s'effectuer au vu d'un connaissement, et que le connaissement en question conférait donc un certain contrôle commercial sur le hareng rogué. De plus, l'avocat de Kiku estime qu'il est fallacieux, de la part d'un transporteur, d'émettre un document appelé connaissement, et d'affirmer par la suite qu'il ne s'agissait pas tout à fait d'un connaissement. Il ajoute, dans le même sens, que si le connaissement délivré à Kiku ne donnait pas en quelque sorte à son porteur le droit de prendre livraison des marchandises, il n'aurait pas été nécessaire de procéder à la présumée annulation du document, ni nécessaire d'émettre deux connaissements qui étaient identiques sauf en ce qui concerne le nom du destinataire à contacter.

     L'avocat de la demanderesse soulève une question importante qui, selon lui, n'a jamais été tranchée, en l'occurrence la question de savoir si la remise d'un connaissement non négociable confère un droit ou transfère la possession. L'avocat cite un bref passage de la douzième édition de l'ouvrage de Payne et Ivamy Carriage of Goods by Sea :

     [traduction] N'a cependant jamais été réglée la question de savoir si l'émission d'un connaissement portant la mention "Non négociable" transfère à l'intéressé la propriété du bien (p. 82).                  

Payne et Ivamy citent l'arrêt Kum c. Wah Tat Bank Ltd., [1971] 1 Lloyd's 439, appel interjeté devant le Conseil privé d'un arrêt de la Cour d'appel de Malaisie. L'extrait de l'ouvrage de Payne et Ivamy reprend mot pour mot une phrase figurant à la page 446 du jugement rendu par lord Devlin. Il est vrai que lord Devlin ajoute qu'il n'y a en cela rien de surprenant, car lorsque l'expéditeur et le destinataire sont en fait le vendeur et l'acheteur de la cargaison en cause, comme c'est généralement le cas, la Sale of Goods Act prévoit que le transport par voie maritime tient normalement lieu de livraison et d'affectation de la marchandise et, cela étant, peu importe si le connaissement confère ou non un droit sur les biens. La question subsiste néanmoins. Il n'y a pas lieu de radier la partie in rem de la déclaration du simple fait d'un principe qui n'est peut-être pas fondé et selon lequel la cession d'un connaissement non négociable serait de nul effet. Cette question, il est clair, reste à trancher après débat.

     L'avocat de Kiku se fonde également sur la décision rendue par le Conseil privé dans l'affaire C.P. Henderson & Co. v. Le Comptoir D'Escompte de Paris (1873), L.R. 5 P.C. 253, à la p. 261 pour affirmer que l'endossement et la remise d'un connaissement, même non négociable, peut donner naissance sur les marchandises en question à un droit reconnu en equity, même lorsque le connaissement ne porte pas la mention "À ordre ou aux ayants droit".

     Se pose en l'espèce la question de savoir comment Kiku a obtenu l'endossement de ses connaissements et si la personne qui les a endossés était autorisée à le faire. L'avocat de Kiku fait valoir que James Kim, de la société soeur, la CNPOC de Seattle, qui, rappelons-le, avait signé l'accord initial intervenu entre Kiku et la CNPOC pour la fourniture de hareng, a été présenté comme étant effectivement autorisé à endosser le connaissements. À l'inverse, l'avocat de Marcom affirme que James Kim n'était, à l'époque, ni employé de la CNPOC, ni présenté par la CNPOC comme ayant la moindre autorité en la matière. L'avocat de Marcom estime, en outre, que la thèse voulant que l'on ait fait passer James Kim pour un représentant autorisé de la compagnie a été mal plaidée. J'estime qu'en l'état actuel de la preuve, il est impossible de dire si on a fait passer James Kim pour la personne autorisée à endosser les connaissements. D'ailleurs, si les arguments avancés à l'appui de cette thèse sont insuffisants, cela pourra être clarifié par une nouvelle modification, étant bien entendu que la demanderesse a toute latitude pour modifier sa déclaration tant que personne n'a déposé de défense.

     Je voudrais maintenant évoquer une autre question susceptible d'être soulevée, en l'occurrence la question de savoir si le droit, reconnaissable en equity, qu'aurait conféré à Kiku le connaissement en date du 7 juillet 1997, pourrait être davantage étoffé en raison des clauses inscrites dans les deux accords de traitement des produits de la mer, intervenus entre la CNPOC et Kiku, accords conférant à Kiku un certain droit sur les harengs, et en raison aussi de la livraison de la cargaison à la CNPOC à Vancouver. Sur ce dernier point, la preuve ne permet guère de dire si la cargaison a été remise à la CNPOC, puis entreposée par Yamazaki, ou si elle a été remise à Yamazaki. Il s'agit là de questions qui devront être tranchées à l'instance, après interrogation des témoins et communication des documents, car je ne suis pas actuellement en mesure de conclure qu'il s'agit, clairement et indubitablement, d'une action futile qui ne saurait aboutir.

     Selon l'avocat de Marcom, même si Kiku possédait, en raison du connaissement, quelque droit qu'on avait refusé de reconnaître ou dont on avait gêné l'exercice, il n'en résulte pas nécessairement que la responsabilité réelle du navire est engagée. L'avocat de Marcom affirme l'existence d'une règle selon laquelle, si le propriétaire du navire n'est pas responsable personnellement, la responsabilité réelle du navire n'est pas engagée. C'est effectivement la situation dans laquelle se retrouve celui qui réclame le remboursement des fournitures nécessaires. Cette règle s'applique également dans les litiges portant sur la cargaison. Dans la seconde édition de Tetley on Marine Cargo Claims, Butterworths, 1978, l'auteur résume ainsi la question :

     [traduction] Le connaissement est signé par le capitaine ou en son nom et, normalement, ce connaissement lie le propriétaire du navire, pour le compte duquel le capitaine agit. La seule exception semble être le cas où le capitaine est directement employé par l'affréteur dans le cadre d'un affrètement à coque. Cela n'empêche pas, cependant, d'engager une action personnelle contre le navire. (p. 83)                 

On trouve un passage analogue dans la quatrième édition de Tetley on Marine Cargo Claims, qui cite, comme source de ce principe, l'arrêt Baumwoll Manufactur Von Carl Scheibler v. Furness, (1893) A.C. 8 (H.L.), dont il y a lieu de reproduire le sommaire :

     [traduction] Le propriétaire d'un navire, inscrit en tant que tel et en tant que propriétaire exploitant aux termes de la Merchant Shipping Act of 1876, qui a remis à un affréteur la possession et le contrôle de ce navire aux termes d'une charte-partie, n'est pas responsable de la perte des marchandises transportées en vertu de connaissements signés par le capitaine qui est alors mandataire de l'affréteur et non pas du propriétaire et qui n'est pas autorisé par le propriétaire à engager le crédit de ce dernier, même si l'expéditeur des marchandises n'a pas été informé de la situation.                 

Cela nous conduit à ce qui me semble être la question essentielle, le point de savoir si le "Limanskiy" a fait l'objet, entre KAO et Marcom, d'un affrètement à coque. La KAO n'a présenté aucun élément sur ce point, mais le directeur exécutif de Marcom a produit un document intitulé [traduction] "Contrat no 2 . . . concernant les Activités conjointes, 10 janvier 1996. Astrakhan", document qui, selon lui, constitue une charte-partie coque nue.

     L'interprétation d'un contrat maritime, tel que le contrat intervenu entre Marcom et la KAO pour l'utilisation d'un navire, est une question de droit. Le contrat, d'une durée de dix ans, prévoit que, en tant que propriétaire du navire, la KAO recevra un pourcentage non spécifié des bénéfices nets. L'avocat de Marcom relève que la KAO a droit à une partie des bénéfices nets mais qu'elle n'est aucunement responsable des pertes éventuelles. Le contrat semble prévoir que les frais de fonctionnement du navire seront imputés aux bénéfices bruts et il semble, qu'à terme, en supposant, sur une période de dix ans, l'exploitation rentable du navire, Marcom ne subira aucune perte. Lorsqu'une partie à un contrat participe non seulement aux bénéfices mais également aux pertes, la présomption est forte qu'on a affaire à des associés : voir, par exemple, Green v. Beesley (1835), 2 Bing N.C. 108, 132 E.R. 43, Brett v. Beckwith (1856), 26 L.J. Ch. 130 et Nokes v. Barlow (1872), 26 L.T. 136, Ex. Ch. Mais, même si une personne, morale ou physique, ne participe qu'aux bénéfices d'une entreprise, ce fait constitue à première vue la preuve que l'intéressé est associé à l'entreprise : voir, par exemple, Rush and Tomkins Construction Ltd. v. Vieweger Construction Co. Ltd. (1964), 45 D.L.R. (2d) 122 (Cour suprême de l'Alberta), infirmé sur un autre point, [1965] R.C.S. 195. Certains éléments du dossier portent à penser que l'accord intervenu entre la KAO et Marcom sur l'utilisation du navire ne constitue pas un affrètement à coque mais, plutôt, une sorte de société ou entreprise commune. En pareille situation, il convient, cependant, de se pencher de façon globale sur les conditions prévues dans l'accord intervenu entre les parties.

     Le contrat d'Activités conjointes renferme un concept intéressant, en l'occurrence la procuration consentie à Marcom par la KAO. Il s'agit là d'une disposition qui serait tout à fait inhabituelle, voire inouïe dans un affrètement à coque, mais d'une disposition qui pourrait paraître logique dans le cadre d'une entreprise commune.

     En ce qui concerne le contrat, dans son ensemble, l'interprétation d'un accord tel que l'accord intervenu entre Marcom et la KAO pour l'utilisation du navire constitue une question de droit. Un tel document doit être interprété en fonction de sa nature même et des stipulations qu'il prévoit, en examinant l'intention claire et expresse des parties, telle qu'elle ressort de l'accord. En l'occurrence, nous trouvons des mots et des membres de phrase dénués d'ambiguïté, y compris [traduction] "Activités économiques conjointes", "Gestion d'une entreprise commune", "Propriété commune des participants", "Dépenses communes des participants au contrat" et "Activités communes". Ces manifestations d'une intention claire et évidente rendent beaucoup plus probable l'idée qu'il s'agit soit d'un contrat relatif à la gestion du navire, soit, plus vraisemblablement, d'un contrat d'entreprise commune plutôt que d'un contrat d'affrètement à coque. Cela étant, le propriétaire du navire serait lié par la signature que le capitaine a apposée au connaissement et on se trouverait alors en présence d'une action in rem contre le "Limanskiy". Mais la question est complexe. C'est une question de droit, car quel que soit le nom donné à l'accord par les parties, c'est à la Cour qu'il appartient de dire à quoi il correspond en fait. Ainsi que je l'ai noté plus haut, on peut soutenir que Kiku a, en vertu du connaissement qui lui a été remis, un droit sur la cargaison. Ce n'est pas dire que Kiku obtiendra gain de cause sur ce point, mais je ne suis pas à même de conclure que cette thèse est désespérée. Tout cela constitue une question de droit. Les questions de droit doivent être tranchées à l'instance, et non pas dans le cadre d'une requête de nature interlocutoire comme l'espèce. L'avocat de Kiku a plaidé subsidiairement que, même si le "Limanskiy" voguait en vertu d'un affrètement à coque, Marcom, à toutes fins pratiques, est propriétaire du navire et, à ce titre, pouvait engager la responsabilité réelle de ce dernier. Nous nous trouvons là devant un argument beaucoup plus fragile. Mais, même si , à cette étape de la procédure, je l'écarte sans plus de façon, cela n'entraîne la radiation d'aucun des faits avancés dans la déclaration. Il s'agissait, simplement, d'un argument subsidiaire.


     Kiku fait également valoir que le capitaine, et donc le propriétaire du navire, ne devrait pas préparer et émettre toute une série de connaissements sans s'assurer, au préalable, que les connaissements émis antérieurement ont été repris. Cela est fort bien dit par Lord Devlin dans l'arrêt Kum c. Wah Tat Bank Ltd. [supra] à la p. 445 :

     [traduction] ...Le fait de considérer le reçu délivré par l'officier du bord comme un document translatif de propriété aurait nécessairement pour résultat de retirer au capitaine une certaine liberté, car il aurait alors tout aussi tort d'émettre un connaissement sans exiger la remise du reçu délivré par son second que s'il avait été émis un deuxième connaissement sans exiger la remise du premier. [non souligné dans l'original]                 

     Le dernier point dont Marcom demande, encore une fois, la radiation est l'argument selon lequel un transporteur est dans l'obligation d'informer de l'arrivée de la cargaison le consignataire à contacter. L'avocat de Kiku mentionne l'arrêt Armstrong v. Canadian Northern Railway Co. (1914), 6 W.W.R. 1578 à la p. 1580, rendu en appel en Saskatchewan. Dans cette affaire, la cour a jugé que l'ordre d'aviser la banque avait exactement ce sens là. Je reconnais qu'il ne s'agissait pas d'une affaire maritime, mais il est pour le moins loisible de soutenir qu'un transporteur maritime, comme un transporteur terrestre, est tenu d'aviser les personnes inscrites dans le titre de transport. Encore une fois, il s'agit là d'un moyen qu'il n'y a pas lieu de radier, car il n'est aucunement fondé sur un argument désespéré.

     En résumé, Marcom ne m'a pas convaincu que les demandes formulées par Kiku sont manifestement, de toute évidence, et indubitablement futiles au point de n'avoir aucune chance d'aboutir. Cela nous amène au dernier point, la question de la mainlevée de la saisie du navire en raison des vices prétendus de l'affidavit portant demande de mandat.

L'AFFIDAVIT PORTANT DEMANDE DE MANDAT

     Marcom conteste l'affidavit portant demande de mandat, document qui, comme beaucoup d'affidavits préparés à la hâte par des avocats qui ont reçu des instructions schématiques leur demandant de faire saisir un navire sur le point de partir, contient certaines inexactitudes qui, sous un éclairage peu clément, paraissent un peu embarrassantes. Cela est inévitable, mais ne va pas nécessairement, ou même habituellement, entraîner l'annulation du document, car ainsi que l'a noté le juge Dubé dans l'affaire Magnolia Ocean Shipping Corporation c. Le "Soledad Maria", [1982] 1 C.F. 205 : "...la saisie d'un navire n'est qu'une affaire de procédure, elle n'assure qu'une voie de recours et ne crée, en faveur de la partie saisissante, aucun droit acquis spécial qui n'existât déjà avant la saisie." (p. 208).

     L'avocat de Marcom soutient qu'un affidavit portant demande de mandat devrait divulguer l'intégralité des documents et des informations, favorables ou défavorables à la saisie. L'avocat cite de manière indirecte l'affaire Waterside Ocean Navigation Co. Ltd. c. Le "Laurentian Forest", [1977] 2 C.F. 257. Le juge Thurlow, juge en chef adjoint à l'époque, ajoute dans une note en bas de page, que la Règle 1003(2), qui précise les éléments devant obligatoirement se trouver dans un affidavit portant demande de mandat, devrait, à l'époque moderne, exiger plus qu'elle n'exige actuellement et devrait donc "... contenir quelque chose pour démontrer qu'il existe des circonstances pertinentes justifiant la saisie d'un navire ou d'un bien." (p. 266).

     L'avocat a tout de même cité l'affaire Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd., [1995] 1. C.F. 3, un arrêt de la Cour d'appel fédérale. Une partie de cet arrêt, sur la question de la saisie injustifiée, a été infirmée par la Cour suprême du Canada. Mais les observations de la Cour d'appel, ou devrait-on dire les opinions de la Cour, constituent un commentaire très intéressant sur la Règle 1003(2) touchant le contenu de l'affidavit portant demande de mandat. La Cour d'appel a reconnu que la Règle énonce les critères nécessaires à l'obtention d'un mandat de saisie. La Cour s'est également penchée sur les critères applicables aux injonctions de type Mareva qui exigent notamment la divulgation franche et intégrale de tous les documents connus ainsi que de tous les détails concernant la demande, y compris un exposé impartial des arguments que le défendeur oppose au demandeur. Cela est parfaitement louable, mais ce n'est pas l'exigence qui ressort du sens évident de la Règle 1003(2) qui exige, en effet, que l'affidavit portant demande de mandat indique :

     a) le nom, l'adresse et la profession ou occupation du requérant du mandat;

     b) la nature de la réclamation;

     c) qu'on n'a pas fait droit à la réclamation;

     d) la nature des biens à saisir...

Commentant cette règle dans l'affaire Lorac Transport Ltd. c. L' "Atra" (1984), 9 D.L.R. (4th) 129, le juge McNair a noté, au sujet de l'"Atra", que la Règle ne comportait aucune obligation de révéler l'identité du titulaire d'un droit de propriété à titre de bénéficiaire et que, dans le cas contraire, cette obligation aurait été précisée dans la Règle (p. 133). J'estime qu'il n'y a pas lieu d'aller au-delà d'une interprétation raisonnable des exigences fixées par les règles en matière de divulgation.

     Dans l'affaire Margem Chartering Inc. c. Le "Bocsa", décision non publiée en date du 5 mars 1997, rendue dans le cadre du dossier T-2418-96, j'ai écrit que le demandeur n'est pas tenu, dans l'affidavit portant demande de mandat, d'exposer les arguments que pourrait invoquer le défendeur. J'avais cependant reproché à l'auteur d'un affidavit portant demande de saisie d'avoir demandé la saisie d'un navire alors qu'il n'existait, entre le demandeur et le propriétaire du navire, aucun lien contractuel, la demande constituant alors un recours abusif. J'ajoutais, cependant, que le critère permettant de conclure à l'existence d'un recours abusif est particulièrement exigeant et qu'un tribunal va donc tenter de repêcher un mandat, de la même manière qu'il accorderait aux demandeurs le bénéfice du doute afin de ne pas les priver de l'occasion d'être entendus en justice.

     On trouve, d'un côté, le "Vasso" [1984] 1 Lloyd,s 235 (C.A.), affaire dans laquelle le demandeur, dans son affidavit portant demande de mandat, n'avait pas révélé que le litige était alors en cours d'arbitrage. La cour a estimé que la seule raison d'effectuer une saisie est de se ménager une garantie alors que, selon la législation anglaise de l'époque, on ne pouvait justement pas ordonner une saisie dans le seul but d'obtenir une garantie au titre de la sentence susceptible d'être rendue en arbitrage. Une telle manière de procéder constituait un manquement à l'obligation de divulguer les faits pertinents, donc une démarche vexatoire et abusive. Ce défaut de divulgation franche et complète a entraîné la mainlevée de l'ordonnance de saisie. Selon la Cour, il y avait lieu de procéder ainsi même si, pleinement divulgués, les faits auraient été de nature à justifier l'ordonnance de saisie.

     Par contre, dans l'affaire Le "Nordglimt", [1987] 2 Lloyd's 470, la cour s'est penchée sur une demande d'annulation ou de radiation d'un mandat alors que l'affidavit portant demande de mandat avançait des faits inexacts et ne constituait pas une divulgation franche et complète. L'affidavit contenait une importante erreur de fait qui, avec un peu d'attention, aurait été relevée, et si cette inexactitude avait été révélée au départ, le mandat aurait justement été refusé (p. 473). Mais, après avoir réprimandé l'avocat, le juge Hubhouse a rappelé que le fait qu'un affidavit portant demande de saisie contienne une inexactitude n'entraînait pas nécessairement l'annulation du mandat car, [traduction] "... le fait qu'on n'ait pas produit devant la Cour un exposé exact des faits n'entraîne pas automatiquement et inévitablement l'annulation de l'ordonnance obtenue dans de telles circonstances." (p. 474). L'important ici est l'observation précisant que l'inexactitude n'était pas délibérée et qu'elle n'avait en rien affecté le fond de l'affaire puisqu'elle n'a tout de même pas permis aux demandeurs d'obtenir de la Cour une mesure qu'ils n'auraient pas pu obtenir si les faits avaient été correctement exposés. En l'occurrence, la Cour a confirmé le mandat. Cela va peut-être dans le sens des commentaires du juge Dubé dans l'affaire Le "Solidad Maria" [supra ] selon lesquels la saisie est purement une question de procédure qui ne donne naissance à aucun droit juridique qui n'existât avant la saisie.

     En l'espèce, selon l'affidavit portant demande de mandat, la réclamation du demandeur est fondée sur le [traduction] "défaut de livraison d'une cargaison de 21 939 boîtes de hareng rogué congelé transportée à bord du navire défendeur le "Limanskiy", de la mer d'Okhotsk à Vancouver (Colombie-Britannique)". Selon Marcom, cependant, ce document devrait invoquer également la négligence et le manquement aux obligations du dépositaire à titre onéreux. J'estime que l'affidavit s'en tient à une description factuelle de la réclamation. Il identifie la réclamation et ne donne à l'armateur défendeur aucun doute quant à l'objet de la réclamation, cela étant particulièrement vrai vu la teneur de la déclaration. L'avocat de Marcom relève que l'affidavit ne fait pas mention d'un contrat de transport, pas plus qu'il ne précise les parties à ce contrat. Mais cet affidavit portant demande de mandat va beaucoup plus loin que ce n'est généralement le cas étant donné que lui sont joints, à titre de pièces, les deux connaissements invoqués par la demanderesse.

     Un autre argument, invoqué à l'encontre de l'affidavit portant demande de mandat se fonde sur le fait que lui est jointe, à titre de pièce, une copie du contrat intervenu entre la CNPOC et Kiku. Selon cet argument, le contrat en question n'est pas un contrat maritime portant sur le transport de marchandises à bord du "Limanskiy" et, deuxièmement, le propriétaire du "Limanskiy" n'est pas partie au contrat. Le fait d'avoir joint ce contrat à titre de pièce manque essentiellement de pertinence mais, étant donné les éléments figurant dans l'affidavit portant demande de dépôt, ce fait n'a rien de trompeur.

     Ensuite, l'affidavit portant demande de mandat fait état des versements que Kiku a effectués à la CNPOC et, semble-t-il à IT & F au titre du fret, des frais de pilotage, des redevances portuaires, etc. Si ces paiements sont une indication de l'intérêt que Kiku a dans cette action, l'argument n'a guère de pertinence. Le fait que cela ne soit pas entièrement conforme à ce qui se trouve dans la déclaration n'a aucune importance particulière étant donné que la procédure de saisie n'a rien ajouté aux droits substantiels de la demanderesse.

     L'avocat reconnaît, dans son mémoire, que :

     [traduction] "...l'affidavit portant demande de mandat est vague à dessein, manque de cohérence interne, est en contradiction avec la déclaration et a pour objet de soumettre à la juridiction maritime de la cour une affaire qui ne relève à vrai dire pas du droit maritime".                 

C'est aller trop loin que de dire cela. Le seul tort de l'auteur de l'affidavit est peut-être d'avoir décidé d'inclure trop d'éléments dans l'affidavit portant demande de mandat.

     L'affidavit portant demande de mandat contient une erreur au paragraphe 7 puisque l'auteur y affirme que l'un des connaissements désigne la CNPOC en tant qu'expéditeur. Ce connaissement était rédigé sur papier à en-tête de la CNPOC. Kiku Fisheries Ltd. y figurait à titre de consignataire. En fait, ce document n'indiquait pas l'expéditeur. Lors du contre-interrogatoire, l'avocat a reconnu avec franchise que le connaissement en question, contrairement à l'usage, ne précisait pas le nom de l'expéditeur. Je tiens cependant à préciser que ce prétendu connaissement émis par la CNPOC, dans lequel Kiku figure en tant que consignataire, est vraisemblablement nul. Il est clair que le paragraphe 7 contient une erreur, ce qui montre bien que l'affidavit a été rédigé dans la hâte, ce qui, je le répète, est souvent le cas. Cela dit, il n'y a d'après moi pas lieu d'accuser l'auteur de l'affidavit, estimé membre du barreau de Vancouver et spécialiste du droit maritime, d'avoir fait un faux affidavit.

     L'avocat de Marcom évoque ensuite la non-divulgation de ce qu'il appelle l'endossement frauduleux du connaissement délivré à Kiku. Or, tout, dans le dossier, porte à penser que l'endossement qui se trouve au verso du document, qu'il ait été obtenu frauduleusement ou non, ce que l'avocat n'a pas clairement démontré par la preuve produite jusqu'ici, ne figurait vraisemblablement pas au verso du connaissement lorsque celui-ci a été transmis à l'avocat pour être joint à son affidavit.

     L'avocat de Marcom se plaint ensuite du fait que plusieurs autres documents ne sont pas cités ou joints à l'affidavit portant demande de mandat. Mais il ne s'agit pas de documents qui seraient normalement joints à un affidavit portant demande de mandat. Il s'agit de documents se rapportant à l'action, de documents qui seraient, en temps utile, produits dans le cadre de la communication préalable des documents. Un affidavit portant demande de mandat et un affidavit portant énumération de documents sont deux choses différentes : en exigeant cela d'un affidavit portant demande de mandat, on irait à l'encontre de l'objet même de ce type de procédure de saisie qui est, lorsque le cas s'y prête, d'obtenir rapidement une garantie en attendant le règlement de l'affaire. La saisie est une procédure particulièrement utile au Canada, puisque notre pays ne dispose pas d'une grande flotte internationale et que nous devons par conséquent recourir aux compagnies de transport maritime d'autres pays, souvent domiciliées dans des lieux où elles échappent à l'action de nos tribunaux. En somme, le reste des prétendus vices dans l'affidavit sont sujet de discussion.

     J'estime que les lacunes de l'affidavit portant demande de mandat ne sont pas, même en les additionnant, de nature à entraîner sa radiation. Elles résultent d'une saisie effectuée dans la hâte. S'il importe que les avocats engageant une procédure de saisie prennent très au sérieux les affidavits portant demande de saisie, chez les membres du barreau de Colombie-Britannique, les erreurs dans ce genre d'affidavits n'ont jamais prêté à conséquence. Rien ne porte en l'espèce à penser que des erreurs ont été sciemment introduites dans l'affidavit ou que, en l'absence de telles erreurs, la procédure de saisie aurait tant soit peu affecté les droits substantiels de la demanderesse. En conséquence, il n'y a pas lieu d'infirmer le mandat.

CONCLUSION

     La procédure suivie dans le cadre de la présente requête, les longs affidavits auxquels ont été jointes de nombreuses pièces, plusieurs longues journées consacrées aux contre-interrogatoires et aux requêtes interlocutoires sollicitant des injonctions provisoires, puis trois jours d'audience, cela est hors de toute proportion avec ce qui n'était en fait qu'une modeste requête interlocutoire. Une telle procédure ne doit pas être vue comme une instance avec interrogatoire préalable, communication des documents et de longues plaidoiries sur des questions dépassant largement les points qui étaient, en l'occurrence, pertinents. Cela entraîne,


pour les parties, de regrettables dépenses. La requête est rejetée. S'ils ne parviennent pas à s'entendre sur les dépens, les avocats pourront, à leur convenance, s'adresser à la Cour.


(Signature) "John A. Hargrave"

Protonotaire

Le 15 septembre 1997

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme :         
                             F. Blais, LL.L.

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ :                      KIKU FISHERIES LTD.

                         - et -

                         CANADIAN NORTH PACIFIC OCEAN CORPORATION; INTERNATIONAL TRANSPORTATION & FISHING LTD.; KASPRYBKHOLODFLOT JOINT STOCK COMPANY; LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE "LIMANSKIY" , LA CARGAISON PROVENANT DU NAVIRE "LIMANSKIY", À BORD DUQUEL LA CARGAISON SE TROUVE ACTUELLEMENT OU SE TROUVAIT ENCORE RÉCEMMENT CHARGÉE, ET YAMAZAKI ENTERPRISE LTD.
NUMÉRO DU GREFFE :              T-1666-97
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          Les 11, 12 et 14 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE

en date du 15 septembre 1997

ONT COMPARU :     

     M. Doug Schmitt              pour la demanderesse
     M. Glenn Morgan              pour la défenderesse Marcom Co.
     M. Jack Buchan              pour la défenderesse Yamazaki
     M. C. Giaschi              pour la défenderesse Canadian North Pacific
     Mme Ellen Bond              pour le témoin Oleg Tchoubarov

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     McEwen, Schmitt & Company      pour la demanderesse

     Davis & Company              pour la défenderesse Marcom Co.

     Cohen Buchan Edwards          pour la défenderesse Yamazaki

     Giaschi & Margolis              pour la défenderesse Canadian

                         North Pacific Group
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