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Date : 20040324

Dossiers : IMM-2112-04

IMM-2114-04

Référence : 2004 CF 441

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                           PUSHPARAJAH KANAGASABAPATHY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                Les présents motifs font suite à mon ordonnance du 12 mars 2004, par laquelle je faisais droit à la requête du demandeur en sursis d'exécution de son renvoi du Canada, pour le dossier IMM-2114-04, jusqu'à ce qu'il soit disposé de sa demande fondée sur des considérations humanitaires. J'ai rejeté la requête du demandeur en sursis d'exécution de son renvoi pour le dossier IMM-2112-04.

[2]                Le demandeur est un ressortissant du Sri Lanka. Il a, le 14 janvier 2004, été l'objet d'une évaluation défavorable du risque avant renvoi, évaluation faite en application de l'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Il a été informé du résultat de l'évaluation le 11 février 2004, lors de sa rencontre avec une agente d'exécution. L'agente lui a accordé un délai pour présenter les raisons pour lesquelles son renvoi devrait être reporté. L'agente a décidé qu'une mesure de renvoi devrait être prononcée contre lui et elle a prononcé une telle mesure le 26 février 2004.

[3]                L'épouse et les deux enfants du demandeur ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en avril 1998. Le demandeur est arrivé au Canada après cette date, en avril 2000, et il a présenté sa propre revendication du statut de réfugié, qui fut finalement refusée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en décembre 2001. Le demandeur a d'abord été inclus comme personne à charge dans la demande de résidence permanente de son épouse, mais il a retiré cette demande parce qu'il ne pouvait obtenir les documents nécessaires et que cela avait pour effet de retarder les demandes de résidence permanente présentées par son épouse et ses enfants. L'épouse et les enfants du demandeur sont devenus résidents permanents du Canada en décembre 2002.


[4]                Le demandeur a prié la Cour de l'autoriser à présenter une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision qui lui refusait le statut de réfugié. Cette requête fut finalement rejetée par la Cour fédérale en janvier 2003. Le demandeur a présenté en novembre 2003 sa demande fondée sur des considérations humanitaires. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'exécution de ne pas surseoir à son renvoi, ainsi que le contrôle judiciaire de la décision défavorable de l'agent d'évaluation du risque avant renvoi.

[5]                Appliquant les trois branches cumulatives du critère explicité dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), j'ai rejeté la première requête en sursis d'exécution, pour le dossier IMM-2112-04, parce qu'elle ne révélait aucune question sérieuse à trancher. Le contrôle judiciaire en question concernait la contestation opposée par le demandeur au refus de l'agente d'exécution de reporter son renvoi.

[6]                Ainsi que le disait le juge Pelletier (son titre à l'époque) dans l'affaire Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 295 (1re inst.) (QL), une norme élevée s'applique à une requête en sursis d'exécution qui fait suite à un refus de différer le renvoi d'un revendicateur, et cela parce que le sursis, s'il est accordé, a pour résultat d'accorder le redressement sollicité dans la demande sous-jacente de contrôle judiciaire. Par conséquent, il faut aller au-delà de la seule application du critère de la « question sérieuse » , et examiner dans le détail le fond de la demande sous-jacente.


[7]                Les fonctionnaires qui donnent effet aux mesures de renvoi en application de l'article 48 de la LIPR n'ont qu'un pouvoir très restreint d'en différer l'exécution. L'ordonnance doit être « appliquée dès que les circonstances le permettent » , selon les mots employés dans cette disposition. Il doit y avoir, dans le texte législatif ou dans une autre obligation juridique, une raison licite de ne pas exécuter la mesure de renvoi, une raison qui soit suffisamment importante pour dispenser le ministre de se conformer à l'article 48 : voir l'affaire Wang, précitée.

[8]                L'affidavit de l'agente d'exécution, Tammy Hanlon, me convainc qu'elle n'a pas illégalement restreint son pouvoir discrétionnaire et qu'elle a tenu compte de tous les arguments du demandeur au soutien de sa demande de sursis d'exécution de la mesure de renvoi le concernant. Rien ne donne à penser que le pouvoir discrétionnaire de l'agente selon l'article 48 a été irrégulièrement exercé, et donc la requête en sursis d'exécution se rapportant à cette décision, c'est-à-dire au dossier IMM-2112-04, a été rejetée.


[9]                En ce qui concerne la deuxième requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi, c'est-à-dire le dossier IMM-2114-04, j'ai exprimé l'avis que le demandeur avait prouvé l'existence d'une question sérieuse à trancher, selon ce que prévoit le premier volet du critère de l'arrêt Toth, précité. Cette question sérieuse est la norme de preuve qu'il convient d'appliquer lorsqu'on analyse le risque en application de l'alinéa 97(1)b) de la LIPR. Dans les motifs de sa décision défavorable relative à l'évaluation du risque avant renvoi, l'agent d'évaluation disait qu'il n'était guère probable que le demandeur soit exposé à une menace appréciable pour sa vie, à un risque de torture, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, au sens de l'article 97 » (non souligné dans le texte). On s'aperçoit que l'agent a intégré le seuil des « motifs sérieux » de craindre la torture, selon ce que prévoit l'alinéa 97(1)a), dans le seuil du risque personnalisé dont il est question à l'alinéa 97(1)b).

[10]            Selon l'arrêt récent rendu dans l'affaire Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 1934, la norme de preuve qu'il faut appliquer au paragraphe 97(1) est celle de la prépondérance des probabilités, mais cet arrêt ne fait qu'effleurer la différence qui existe entre le texte de l'alinéa 97(1)a) et celui de l'alinéa 97(1)b). Des questions ont cependant été certifiées à propos de cet aspect, et un appel est aujourd'hui pendant devant la Cour d'appel fédérale.

[11]            Le défendeur s'est aussi référé à l'ordonnance de la juge Snider dans l'affaire Kantheepan Thangasivam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 25 novembre 2003), IMM-8986-03 (ordonnance non publiée), dans laquelle un demandeur affirmait qu'un agent d'évaluation du risque avant renvoi avait commis une erreur en appliquant le critère de la prépondérance des probabilités au paragraphe 97(1) de la LIPR. Cette ordonnance ne parle pas de l'existence possible d'une différence entre la norme de l'alinéa 97(1)a) et celle de l'alinéa 97(1)b), qui s'expliquerait par la différence entre les textes de chaque alinéa. L'ordonnance se focalise plutôt sur la différence entre la norme de l'article 96 et celle de l'article 97. À mon avis, cette ordonnance ne dit pas que le droit sur ce point est aujourd'hui fixé, et il existe donc effectivement une question sérieuse à trancher.

[12]            S'agissant du second volet du critère, celui du préjudice irréparable, je suis d'avis que le préjudice que subirait la famille du demandeur, et en particulier celui que subiraient ses deux enfants, âgés de 10 et 15 ans, serait sérieux et irréparable. Ainsi que l'a jugé la Cour dans l'affaire Richards c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 890 (1re inst.) (QL), l'arrêt Toth, précité, permet d'affirmer que le préjudice irréparable peut englober le préjudice pour autrui, sans se limiter au préjudice pour la personne dont le renvoi est imminent.

[13]            Le demandeur et son épouse ont affirmé, dans des affidavits produits dans la présente instance, que le niveau de vie de la famille laissée au Canada serait considérablement amoindri si le demandeur était renvoyé. L'épouse et les enfants du demandeur auraient du mal à joindre les deux bouts avec le salaire annuel de 22 000 dollars de l'épouse, et le versement initial effectué sur une maison serait perdu. Sur la question du préjudice financier susceptible d'être irréparable pour la famille d'un demandeur, voir les espèces suivantes : Sivananthan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 199 (1re inst.) (QL), et Owusu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 8 décembre 2003), 2003 CAF 470. Outre les conséquences financières, l'intérêt des enfants serait lui aussi compromis parce qu'ils seraient privés du soutien affectif et de la présence de leur père.


[14]            Et finalement, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du demandeur, car l'intérêt du défendeur à garantir la bonne exécution des mesures de renvoi selon la LIPR ne l'emporte pas sur le préjudice que subiraient le demandeur et sa famille. Par ailleurs, on ne distingue dans la présente affaire aucun risque pour le public au Canada résultant de la présence du demandeur au Canada jusqu'à l'issue de sa demande fondée sur des considérations humanitaires.

[15]            Cette requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi a donc été accordée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »          

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                          IMM-2112-04 et IMM-2114-04

INTITULÉ :                                           PUSHPARAJAH KANAGASABAPATHY

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 12 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                          LE 24 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Mandeep Atwal                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MICHEAL CRANE

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DÉFENDEUR


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