Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990218


Dossier : IMM-5559-97

ENTRE :


NING OU,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE McGILLIS

INTRODUCTION

[1]      Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) selon laquelle il s"est désisté de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      Le 8 décembre 1996, le demandeur est arrivé au Canada en provenance de la Chine. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Le 18 juillet 1997, il a communiqué à la Commission l"adresse et le numéro de téléphone qu"il avait à Toronto (Ontario). Cette même journée, il a été avisé que sa revendication serait soumise à la Commission pour qu"elle statue sur celle-ci et qu"il serait appeler à se présenter devant la Commission en septembre 1997.

[3]      Le 18 septembre 1997, la Commission a envoyé au demandeur, à son adresse, un avis de convocation lui enjoignant de se présenter à une conférence le 8 octobre 1997. L"avis mentionnait, entre autres :

                 [TRADUCTION] Si vous omettez de vous présenter au moment et au lieu susmentionnés, la Section du statut de réfugié pourra, après vous avoir donné une occasion raisonnable d"être entendu, déclarer que vous vous êtes désisté de votre revendication.                 

[4]      Le 25 septembre 1997, le demandeur a remis en personne au greffe de la Commission une lettre indiquant qu"il souhaitait que la date de son audition soit reportée afin qu"il puisse retenir les services d"un avocat.

[5]      Le 2 octobre 1997, un employé de la Commission a tenté de téléphoner au demandeur pour l"aviser qu"il ne lui suffisait pas de remettre une lettre demandant qu"un délai lui soit accordé, et qu"il devait assister en personne à la conférence en compagnie des membres de la Commission. Cependant, on a répondu à l"employé que " cette personne " ne pouvait être jointe à ce numéro de téléphone.

[6]      Le 30 octobre 1997, la Commission a fait parvenir au demandeur un avis de convocation pour désistement de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur a immédiatement retenu les services d"un avocat.

[7]      Le 1er décembre 1997, le demandeur a assisté à l"audience sur le désistement en compagnie de son avocat.

[8]      À l"audience sur le désistement, l"avocat a demandé aux membres qui présidaient l"audition de lui fournir le numéro de téléphone que l"employé de la Commission avait composé, et il a confirmé qu"il s"agissait bien du numéro du demandeur. L"avocat a fait remarquer qu"il joignait " toujours " le demandeur à ce numéro et qu"il trouvait toute l"histoire " étrange ". L"avocat n"a pas fait d"autres observations.

[9]      En décidant que le demandeur s"était désisté de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, la Commission a dit :

                 [TRADUCTION] Il ressort du dossier qu"un avis de convocation a été signifié au demandeur; celui-ci ne s"est pas présenté; on a tenté de communiquer avec lui. On a composé le numéro de téléphone que le demandeur avait fourni; on n"a pu joindre le demandeur à ce numéro de téléphone. Il ressort du dossier que le demandeur ne pouvait être joint à ce numéro de téléphone et, dans un tel cas, les règles sont très claires : il incombe aux revendicateurs d"établir le bien-fondé de leur revendication et de se présenter en compagnie d"un avocat ou non.                 
                 La Commission est très compréhensive. Il arrive parfois que les revendicateurs se présentent sans avocat ou sans être représentés. Dans la présente affaire, il me semble que le demandeur a fait un certain effort; par contre, cela ne le déchargeait pas de la responsabilité de se présenter à l"audition, à la date fixée.                 

[10]      Le 31 décembre 1997, le demandeur a déposé une demande d"autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Commission selon laquelle il s"était désisté de sa revendication. Le 26 novembre 1998, la demande d"autorisation a été accueillie.

[11]      Le 22 décembre 1998, le demandeur a déposé un affidavit supplémentaire signé par la fille du propriétaire de l"immeuble où il vivait, Cui Ling Chen, une étudiante qui travaille à temps partiel et qui se trouve souvent à l"extérieur de la maison. Dans son affidavit, Mme Chen a confirmé avoir reçu, le 2 octobre 1997, un appel téléphonique [TRADUCTION] " ... d"une femme qui a dit qu"elle travaillait aux bureaux d"Immigration Canada ". Mme Chen a d"abord cru que l"appel concernait les demandes de citoyenneté déposées par des membres de sa famille. Cependant, elle ne reconnaissait pas le nom de la personne à laquelle le fonctionnaire des services d"immigration voulait parler. Elle a donc cru que le fonctionnaire n"avait pas composé le bon numéro. De plus, à cette époque, elle ne connaissait même pas le nom du demandeur. Ses parents avaient un certain nombre de locataires dans la maison, et chacun de ceux-ci avait sa propre ligne téléphonique, sauf le demandeur. Toutefois, elle ignorait à l"époque que le demandeur n"avait pas sa propre ligne téléphonique et qu"il avait communiqué à la Commission le numéro de téléphone de ses parents. En fait, il ne lui est même pas venu à l"esprit que l"appel s"adressait à un des locataires. Ce n"est que récemment que Mme Chen a appris le nom du demandeur, quand ce dernier lui a parlé de son problème.

[12]      L"avocate du défendeur n"a pas contre-interrogé Mme Chen concernant son affidavit.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[13]      La principale question à trancher est de savoir si l"affidavit de Mme Chen est pertinent et admissible dans le cadre de l"examen de la décision de la Commission.

L"ANALYSE

[14]      Dans le cadre des observations qu"elle a faites à l"audition, l"avocate du défendeur a soutenu que la Commission pouvait raisonnablement prendre la décision discrétionnaire qu"elle a prise en ce qui concerne la question du désistement, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. Elle a en outre soutenu que la Commission avait pris sa décision discrétionnaire de bonne foi, conformément aux principes de la justice naturelle, et sur le fondement de considérations pertinentes. Je souscris à ces observations. Cependant, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le demandeur a produit un nouvel élément de preuve provenant d"un tiers en vue d"établir que l"un des facteurs importants dont la Commission avait tenu compte à l"audience sur le désistement était inexact. La pertinence et l"admissibilité de cet élément de preuve doivent donc être examinées.

[15]      Pour décider si un élément de preuve dont la Commission ne disposait pas à l"époque où elle a pris sa décision sur la question du désistement est pertinent et admissible dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire ultérieure, on peut se fonder sur les remarques incidentes faites par le juge Strayer (alors juge de première instance) dans Gill c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1993] F.C.J. No. 1152 (1re inst.). Dans les motifs succincts qu"il a exposés pour étayer sa décision de rejeter la demande d"autorisation, le juge Strayer a dit :

         Non seulement le tribunal était-il entièrement justifié de considérer qu"il y avait désistement de la revendication en se fondant sur les renseignements dont il disposait le 17 juin 1983, mais de plus le demandeur de statut n"a donné aucun renseignement sur l"explication raisonnable qu"il aurait pu fournir au tribunal à cette date relativement à son absence de l"audience prévue pour le 20 mai. Il ne servirait à rien, même si le contrôle judiciaire était autorisé, de renvoyer l"affaire à un tribunal, car le demandeur de statut n"a présenté aucun élément de preuve qui pourrait être soumis au tribunal original ou à un nouveau tribunal pour justifier son absence de la première audience.         

[16]      Dans son analyse, le juge Strayer a reconnu qu"un demandeur pouvait produire de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire pour tenter de justifier le fait qu"il ne s"est pas présenté à une audition de la Commission. À mon avis, l"approche du juge Strayer est valable, surtout compte tenu du fait qu"une conclusion qu"il y a eu désistement d"une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention empêche l"examen du bien-fondé de celle-ci. J"ai donc conclu, sur le fondement des circonstances inhabituelles de la présente affaire, que l"affidavit de Mme Chen est admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. J"ai également conclu que cet affidavit est très pertinent car, pourrait-on soutenir, il permet d"établir que la Commission s"est fondée sur des renseignements erronés en prenant sa décision en ce qui concerne la question du désistement, soit que le demandeur avait fourni à la Commission un mauvais numéro de téléphone.

[17]      Pour prendre ma décision, j"ai tenu compte de la proposition bien établie dans la jurisprudence selon laquelle tout élément de preuve dont la Commission n"a pas tenu compte lors d"une audition n"est ni pertinent, ni admissible dans le cadre d"une demande de contrôle judiciaire. [Voir par exemple Asafov c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1994] F.C.J. No. 713 (1re inst.); Franz c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79.] Cependant, ces affaires peuvent être distinguées de l"espèce, car elles traitaient de situations dans lesquelles la Commission avait analysé la preuve et tenu une audition afin de déterminer le bien-fondé de la revendication. En l"espèce, la Commission a seulement tenu compte de la question du désistement.

[18]      Vu l"élément de preuve non contesté produit par le demandeur en ce qui concerne les renseignements erronés que Mme Chen a communiqués au fonctionnaire des services d"immigration, j"ai conclu qu"il serait dans l"intérêt de la justice que la Commission tienne compte de cet élément de preuve dans le cadre d"une nouvelle audience sur le désistement afin de déterminer si celui-ci a justifié le fait qu"il ne s"est pas présenté à la conférence.

LA DÉCISION

[19]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié est annulée et l"affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour qu"elle procède à une nouvelle audition et qu"elle statue de nouveau sur la question du désistement. Les avocats ont convenu à l"audition que l"affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale.

                             " D. McGillis "

                                     juge

Toronto (Ontario)

Le 18 février 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                  IMM-5559-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          NING OU

                         - c. -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L"IMMIGRATION

DATE DE L"AUDIENCE :              LE MERCREDI 17 FÉVRIER 1999

LIEU DE L"AUDIENCE ;              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE McGILLIS

EN DATE DU :                  JEUDI 18 FÉVRIER 1999

ONT COMPARU :                  M. Rod Byrnes

                             Pour le demandeur

                         Mme Diane Dagenais

                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Byrnes, Chan & Associates

                         222, avenue Spadina, pi...ce 215

                         Toronto (Ontario)

                         M5T 3B3

                             Pour le demandeur

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada

        

                             Pour le défendeur

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Date : 19990218


Dossier : IMM-5559-97

Entre :

NING OU,


demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE JUGEMENT


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.