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     Date : 20000906

     Dossier : T-689-95

En présence de Monsieur le juge John A. O'Keefe



     ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE

Entre

     THE CANADIAN SALT COMPANY LIMITED,

     personne morale établie à Pointe-Claire (Québec, Canada)

     et

     MORTON INTERNATIONAL INC.,

     personne morale établie à Chicago (Illinois, É.-U.A)

     et

     ALLIANZ INSURANCE COMPANY OF CANADA,

     personne morale établie à Toronto (Ontario)

     demanderesses

     - et -


     LE NAVIRE « IRVING CEDAR »

     et

     LES PROPRIÉTAIRES, GÉRANTS, AFFRÉTEURS, EXPLOITANTS, AGENTS

     ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT

     SUR LE NAVIRE « IRVING CEDAR »

     et

     ATLANTIC TOWING INC.,

     personne morale établie à St. John (Nouveau-Brunswick, Canada)

     défendeurs




     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)


Le juge O'KEEFE


[1]      Dans cette action réelle et personnelle, les demanderesses concluent à dommages-intérêts à la suite de l'endommagement du débarcadère et de son matériel de manutention, appartenant à la demanderesse The Canadian Salt Company Limited, par l'abordage du navire « Irving Cedar » au moment où il brisait la glace pour le compte de cette dernière. Les questions litigieuses se posent en ces termes :

     1.      Le contrat Towcon s'applique-t-il en l'espèce?

     2.      S'il s'applique et qu'il y ait eu négligence de la part des défendeurs, ceux-ci sont-ils tenus aux dommages-intérêts envers les demanderesses?

     3.      L'action des demanderesses est-elle irrecevable par l'effet de la clause 18 du contrat Towcon?

     4.      Si l'action des demanderesses n'est pas irrecevable, y a-t-il eu négligence de la part des défendeurs?

     5.      Quel est le quantum des dommages-intérêts si la négligence des défendeurs est établie?

LES FAITS DE LA CAUSE

[2]      Les demanderesses, The Canadian Salt Company Limited et Morton International Inc., avaient souscrit le 1er novembre 1991 un contrat d'assurance auprès de la Compagnie d'Assurance du Home Canadien. En vertu d'un avenant subséquent, cette dernière a été remplacée et ses obligations prises en charge par Allianz Insurance Company of Canada.

[3]      The Canadian Salt Company Limited était la propriétaire-exploitante des Mines Seleine aux Îles-de-la-Madeleine (Québec).

[4]      Le défendeur à l'action réelle est le navire « Irving Cedar » appartenant à Atlantic Towing Ltd.

[5]      Le 2 avril 1993, les demanderesses ont engagé Atlantic Towing Ltd. pour briser la glace dans le chenal, le port et le bassin de la demanderesse The Canadian Salt Mines Limited (Canadian Salt) et pour remorquer le navire à moteur Saunière à l'accostage au débarcadère, aux Îles-de-la-Madeleine (les services).

[6]      La prestation de ces services a été conclue à la suite de conversations téléphoniques et d'échanges de lettres. Le 2 avril 1993, Guy Genois de Canadian Salt a demandé à Atlantic Towing Ltd. de lui en donner le devis, et le même jour, Rio St. Amand lui a écrit pour lui donner le prix des services à assurer par le remorqueur « Irving Cedar » ou un navire équivalent. À sa lettre était jointe une copie du contrat Towcon.

[7]      Le 2 avril 1993, M. Genois a accepté par écrit le prix proposé par M. St. Amand, à cette exception près que les heures supplémentaires au-delà de 48 heures seraient payées au taux horaire de 300 $CAN et non 500 $CAN.

[8]      Selon le témoignage de M. Genois, il a téléphoné à M. St. Amand pour lui dire que sa compagnie trouvait inacceptables certaines clauses du contrat Towcon, le 2 ou le 3 avril 1993, mais il ne se rappelait pas si cette conversation téléphonique avait eu lieu avant ou après l'arrivée du remorqueur à la bouée de mi-chenal aux Îles-de-la-Madeleine.

[9]      M. St. Amand ne se rappelle aucune conversation téléphonique au sujet du contrat Towcon, mais témoigne que si celui-ci ne devait pas s'appliquer, un autre contrat aurait dû être négocié : il lui faut toujours un contrat.

[10]      Le remorqueur « Irving Cedar » est parti de Halifax le 3 avril 1993 et est arrivé le 6 avril 1993 au Cap-aux-Meules (Îles-de-la-Madeleine) où il a fait escale pour la nuit. Après avoir reçu le matériel radio à bord, il a mis le cap sur Grande-Entrée, où les opérations de déglaçage devaient avoir lieu, et y est arrivé le 6 avril 1993 à 17 h 35. Un représentant de la mine, Isaac Hubert, qui était aussi le responsable du port et un technicien radio, était à bord pendant le trajet du Cap-aux-Meules à Grande-Entrée et au cours de toutes les opérations de déglaçage.

[11]      Le quai de Canadian Salt à Grande-Entrée est une installation à deux niveaux, le rez-de-chaussée étant le débarcadère lui-même et le niveau supérieur, la galerie où le sel est acheminé jusqu'au chargeur. Le débarcadère lui-même est soutenu par des ducs-d'albe et des portiques.

[12]      Le débarcadère donne sur un bassin de virage où les navires de gros tonnage peuvent manoeuvrer et qui est relié à l'océan par un chenal.

[13]      Le 7 avril 1993 à 7 heures, le remorqueur a commencé à briser la glace dans le chenal et le bassin de virage pour permettre au navire à moteur Saunière d'entrer dans le port, d'accoster et de prendre à bord un chargement de sel. Le remorqueur, partant du débarcadère, a longé le bord du bassin pour aller briser la glace dans le chenal. Il a répété la même opération dans la journée, c'est-à-dire qu'il est revenu le long du débarcadère puis est ressorti par le bassin de virage pour dégager la voie pour le navire Saunière avant son arrivée.

[14]      Au cours de l'une de ces manoeuvres dans l'après-midi, le capitaine a reçu l'instruction de remonter le chenal puis de revenir sur ses pas le long de la bordure du bassin de virage de façon à dégager la glace qui s'était formée près du quai pour que le Saunière puisse s'en approcher au plus près. Lors de ses manoeuvres précédentes, le remorqueur était venu du chenal, avait longé le quai et puis s'en était éloigné pour revenir dans le chenal en passant par le bassin de virage.

[15]      Comme le remorqueur manoeuvrait pour se diriger vers le débarcadère, M. Hubert a demandé au capitaine de briser un large radeau de glace qui se trouvait à quelque 150 pieds du dock. Le capitaine a dirigé le remorqueur sur le radeau de glace mais lorsque celui-ci le heurta, il ne l'a pas fendu comme prévu. Au contraire, le remorqueur a viré sur le radeau de glace, et le capitaine n'a pu l'empêcher de heurter le débarcadère, qu'il a endommagé. Le capitaine a fait machine arrière lorsque le remorqueur heurta la glace, mais le remorqueur ne s'est pas arrêté à temps pour éviter d'aborder le débarcadère.

[16]      Le remorqueur mesurait à peu près 150 pieds de long.

[17]      LES POINTS LITIGIEUX

     1.      Le contrat Towcon s'applique-t-il en l'espèce?

     2.      S'il s'applique et qu'il y ait eu négligence de la part des défendeurs, ceux-ci sont-ils tenus aux dommages-intérêts envers les demanderesses?

     3.      L'action des demanderesses est-elle irrecevable par l'effet de la clause 24 du contrat Towcon?

     4.      Si l'action des demanderesses n'est pas irrecevable, y a-t-il eu négligence de la part des défendeurs?

     5.      Quel est le quantum des dommages-intérêts si la négligence des défendeurs est établie?

[18]      Le premier point litigieux

     Le contrat Towcon s'applique-t-il?

     Je conclus que le contrat Towcon s'applique effectivement en la circonstance et fait partie intégrante de la convention intervenue entre les parties. J'ai examiné les éléments de preuve produits et note que le devis envoyé le 2 avril 1993 à Canadian Salt pour les services de déglaçage indiquait que ceux-ci étaient couverts par le contrat Towcon. Selon le témoignage de M. Genois, il a fait savoir par téléphone à M. St. Amand d'Atlantic Towing Ltd. que certaines stipulations de la clause 18 du contrat Towcon n'étaient pas acceptables. La date de cette conversation est incertaine puisque selon M. Genois, elle a eu lieu le 2 ou le 3 avril 1993, ou peut-être même le jour de l'arrivée du remorqueur à la bouée de mi-chenal, c'est-à-dire le 6 avril 1993. M. Genois a accepté le 2 avril 1993 le prix demandé par Atlantic Towing Ltd., avec un seul changement en ce qui concernait le taux applicable aux heures supplémentaires. Il n'y a rien dans cette acceptation qui indique que Canadian Salt n'acceptait pas les stipulations du devis, lesquelles comprenaient le contrat Towcon. En fait, voici ce qu'on peut lire dans cette acceptation : « nous acceptons les stipulations de votre proposition du 2 avril 1993, sauf le poste D, qui lira : "heures supplémentaires au-delà de 48 heures au taux horaire de 300 $CAN". » M. St. Amand ne se souvenait d'aucune conversation concernant le contrat Towcon et était certain que si celui-ci ne s'appliquait pas, un autre contrat aurait dû en prendre la place puisqu'il lui faut toujours un contrat pour la prestation des services assurés par le remorqueur.

[19]      Le contrat entre les défendeurs et Canadian Salt a été conclu par l'acceptation faite par celle-ci le 2 avril 1993. J'estime que M. Genois a pu discuter de certains éléments du contrat Towcon, mais après qu'un contrat eut été souscrit par Atlantic Towing Limited et Canadian Salt. Par ces motifs, je conclus que le contrat Towcon s'applique effectivement au louage des services assurés par le remorqueur.

[20]      Le deuxième point litigieux

     Si le contrat Towcon s'applique et qu'il y ait eu négligence de la part des défendeurs, ceux-ci sont-ils tenus aux dommages-intérêts envers les demanderesses?

     Les défendeurs soutiennent que quand bien même leur négligence serait établie en justice, ils ne seraient pas tenus aux dommages-intérêts envers les demanderesses par application de la clause 18(2)(a), laquelle prévoit notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION]

     Le propriétaire du remorqueur n'est tenu en aucun cas des pertes ou dommages, quels qu'ils soient, subis par le client, ou causés au bien en remorque, par suite d'une perte ou d'un dommage subi, de quelque façon que ce soit, par le remorqueur ou par un bien, quel qu'il soit, à bord de ce dernier.

[21]      Les demanderesses soutiennent que ces termes ne s'appliquent pas en la circonstance, puisque le dommage subi par elles ne résultaient pas d'un endommagement du remorqueur, lequel en aurait été la cause. À leur avis, cette clause vise le cas du naufrage du remorqueur entraînant l'endommagement du navire en remorque. La clause ci-dessus est une clause d'exclusion de responsabilité et doit être interprétée contre les personnes qui en ont fait une partie intégrante de leur contrat, savoir en l'espèce les défendeurs. Je conclus que l'argument des demanderesses est fondé, et que cette clause n'exonère pas les défendeurs des dommages-intérêts au cas où il serait jugé qu'il y a eu négligence de leur part. Dans l'abordage du débarcadère, le remorqueur n'a pas été endommagé. Je suis convaincu que la clause ci-dessus vise le cas où, par suite du dommage subi par le remorqueur, les demanderesses subissent elles-mêmes un dommage.

[22]      Subsidiairement, à supposer que je me sois trompé dans ma conclusion, je juge que la formulation de la clause est ambiguë et de ce fait, doit être interprétée contre les défendeurs, ce qui fait que leur responsabilité n'est pas exclue. Celui qui veut se prémunir contre toute responsabilité en matière de dommages-intérêts, doit le stipuler en termes clairs.

[23]      Le troisième point litigieux

     L'action des demanderesses est-elle irrecevable par l'effet de la clause 24 du contrat Towcon?

     Voici ce que porte cette clause 24 :

     [TRADUCTION]

     Prescription
     Sous réserve des disposition d'exclusion de responsabilité de la clause 18 du présent contrat, toute réclamation dans le cadre de ce dernier ou relative à tout service de remorquage ou autre, assuré en exécution des présentes, sera notifiée par télex, télégramme ou par écrit dans les six mois qui suivent la livraison du bien remorqué ou la cessation du service de remorquage ou autre pour quelque raison que ce soit, et toute action en justice sera intentée dans l'année qui suit l'événement qui y donne lieu. Faute d'observer l'une quelconque de ces conditions, la réclamation et tous droits y afférents seront absolument irrecevables et éteints.

[24]      J'estime que l'action des demanderesses est irrecevable par l'effet de la clause 24 du contrat Towcon. Cette clause est très catégorique, et les termes en sont des plus clairs. Tout demandeur doit notifier sa réclamation dans les six mois de la cessation du service, et intenter l'action en justice dans l'année de la survenance du fait litigieux. La demanderesse Canadian Salt a donné avis de sa réclamation par lettre datée du 8 avril 1993. Le fait litigieux s'est produit le 7 avril 1993, et l'action n'a été intentée qu'en avril 1995. Elle l'a donc été bien après l'expiration du délai prévu à cette effet; de ce fait, l'une des conditions prévues à la clause 18 n'a pas été respectée. J'ai examiné la déclaration et il n'y a aucune demande d'indemnisation au titre de la clause 18 du contrat Towcon : la clause 24 s'applique donc pour rendre irrecevable la réclamation des demanderesses. Il en est ainsi puisque dans le cas où les conditions prévues à cette clause ne sont pas respectées, « la réclamation et tous droits y afférents seront absolument irrecevables et éteints » .

[25]      Le quatrième point litigieux

     Si l'action des demanderesses n'est pas irrecevable, y a-t-il eu négligence de la part des défendeurs?

     Les demanderesses soutiennent que quand un remorqueur aborde un objet immobile, en l'occurrence un débarcadère, il y a présomption de négligence de la part du remorqueur et de ses propriétaires. Les défendeurs ne contestent pas le principe, mais disent qu'ils ont réfuté la présomption de négligence en démontrant que le capitaine et l'équipage ont fait tout ce qu'ils auraient pu faire en la circonstance.

[26]      Le capitaine témoigne que pour ce passage, il suivait une direction différente des passages précédents. Lors des passages précédents, il venait du chenal, longeait le débarcadère puis virait à tribord (à droite) et suivait le pourtour du bassin de virage. Cette fois-ci, il venait du chenal, virait à tribord le long de la bordure extérieure du bassin puis se dirigeait vers le débarcadère, pour le longer et revenir dans le chenal. Pendant qu'il tournait vers le débarcadère, il a reçu l'instruction de briser un large radeau de glace qui se trouvait à une longueur de remorqueur (150 pieds) du débarcadère. En heurtant le radeau de glace, le remorqueur Irving Cedar s'est déporté au lieu de le fendre, et le capitaine n'a pas été en mesure de l'arrêter avant qu'il n'aborde le débarcadère.

[27]      Le second capitaine témoigne qu'à la vitesse du remorqueur et du fait qu'il s'est déporté du radeau de glace, une longueur de bateau n'était probablement pas suffisante pour lui permettre de faire machine arrière et de s'arrêter. Il témoigne aussi que l'équipage ne savait pas quelle forme le radeau de glace avait sous la surface de l'eau, que la partie submergée pouvait descendre jusqu'à deux ou trois pieds, et qu'elle pouvait être dentelée sur l'un ou l'autre côté.

[28]      Le Règlement sur les abordages prévoit ce qui suit :


Rule 2

Responsibility

(a)      Nothing in these Rules shall exonerate any vessel, or the owner, master or crew thereof, from the consequences of any neglect to comply with these Rules or of the neglect of any precaution which may be required by the ordinary practice of seamen, or by the special circumstances of the case.

(b)      In construing and complying with these Rules due regard shall be had to all dangers of navigation and collision and to any special circumstances, including the limitations of the vessels involved, which may make a departure from these Rules necessary to avoid immediate danger.

Règle 2

Responsabilité

a)      Aucune disposition des présentes règles ne saurait exonérer soit un navire, soit son propriétaire, son capitaine ou son équipage des conséquences d'une négligence quelconque quant à l'application des présentes règles ou quant à toute précaution que commandent l'expérience ordinaire du marin ou les circonstances particulières dans lesquelles se trouve le navire.

b)      En interprétant et en appliquant les présentes règles, on doit tenir dûment compte de tous les dangers de la navigation et des risques d'abordage, ainsi que de toutes les circonstances particulières, notamment les limites d'utilisation des navires en cause, qui peuvent obliger à s'écarter des présentes règles pour éviter un danger immédiate.

Rule 6

Safe speed -- International

Every vessel shall at all times proceed at a safe speed so that she can take proper and effective action to avoid collision and be stopped within a distance appropriate to the prevailing circumstances and conditions.

In determining a safe speed the following factors shall be among those taken into account:

(a)      By all vessels:

(i)      the state of visibility,

(ii)      the traffic density including concentration of fishing vessels or any other vessels,

(iii)      the manoeuvrability of the vessel with special reference to the stopping distance and turning ability in the prevailing conditions,

Règle 6

Vitesse de sécurité -- International

Tout navire doit maintenir en permanence une vitesse de sécurité telle qu'il puisse prendre des mesures appropriées et efficaces pour éviter un abordage et pour s'arrêter sur une distance adaptée aux circonstances et conditions existantes.

Les facteurs suivants doivent notamment être pris en considération pour déterminer la vitesse de sécurité :

a)      Par tous les navires :

(i)      la visibilité;

(ii)      la densité du trafic et notamment les concentrations de navires de pêche ou de tous autres navires;

(iii)      la capacité de manoeuvre du navire et plus particulièrement sa distance d'arrêt et ses qualités de giration dans les conditions existantes;

Rule 7

Risk of Collision

(a)      Every vessel shall use all available means appropriate to the prevailing circumstances and conditions to determine if risk of collision exists. If there is any doubt such risk shall be deemed to exist.

Règle 7

Risque d'abordage

a)      Tout navire doit utiliser tous les moyens disponibles qui sont adaptés aux circonstances et conditions existantes pour déterminer s'il existe un risque d'abordage. S'il y a doute quant au risque d'abordage, on doit considérer que ce risque existe.

[29]      J'estime qu'il y a eu en l'espèce manquement à ces règles. Il y a eu atteinte à la règle 2 du fait que le remorqueur maintenait une vitesse excessive pendant le déglaçage à proximité immédiate du débarcadère. Il aurait été plus prudent et plus sûr pour lui de longer ce débarcadère puis virer à tribord vers le radeau de glace, ce qui lui éviterait de s'avancer vers le premier. Je pense aussi qu'il y a eu manquement à la règle 6a)(ii) du fait que le remorqueur maintenait une vitesse telle qu'il ne pourrait probablement s'arrêter avant d'aborder le débarcadère. Enfin, je pense qu'il y a eu atteinte à la règle 7 du fait que selon les témoignages produits, l'équipage n'avait pas la moindre idée de la forme du radeau de glace sous la surface de l'eau, mais n'en a pas moins essayé de briser la glace cependant que le remorqueur s'avançait en direction du débarcadère au lieu de s'en éloigner. Voici la déposition du second capitaine à ce sujet :

     [TRADUCTION]

     il se peut que la base fût dentelée. Elle aurait pu saillir de 20 pieds sous la surface de l'eau sans que nous en sachions rien. Bien que nous ayons éperonné la glace de front, on ne sait pas ce qui se passe sous la surface. Le remorqueur a pu être dévié vers la droite. Ce qui l'a déporté sur la droite

[30]      Aux termes de la règle 7a), tout navire doit utiliser tous les moyens disponibles qui sont adaptés aux circonstances et conditions existantes pour déterminer s'il existe un risque d'abordage. S'il y a doute quant au risque d'abordage, on doit considérer que ce risque existe. En l'espèce, l'équipage ne savait rien de la forme de la partie submergée du radeau de glace, et aurait dû présumer qu'elle pourrait faire saillie sous la surface de l'eau et dévier le remorqueur en direction du débarcadère. Si on devait considérer que ce risque existait, le remorqueur aurait pu attaquer le radeau de glace en s'éloignant du débarcadère.

[31]      Je conclus que ces manquements aux règles valent négligence, et que cette négligence a causé l'endommagement du débarcadère de la demanderesse Canadian Salt.

[32]      Dans leur argumentation, les défendeurs citent ce passage du jugement du juge Lushington dans The "Thomas Powell" v. The "Cuba" (1866), 14 L.T. 603 :

     [TRADUCTION]

     On ne peut parler d'accident inévitable que si le fait s'est produit de telle façon qu'il eût été impossible de le prévenir par l'exercice du savoir-faire ordinaire et de la diligence ordinaire. Il n'est pas question de savoir-faire ou de diligence extraordinaire, mais du niveau de savoir-faire et de diligence qu'on trouve normalement chez les gens qui s'acquittent de leurs tâches.

[33]      Je n'accepte pas l'argument des défendeurs qu'il s'agissait en l'espèce d'un accident inévitable puisque, à mon avis, le remorqueur aurait pu éviter d'aborder le débarcadère s'il avait attaqué le radeau de glace en s'éloignant du quai ou à une plus grande distance de ce dernier, de façon qu'il lui eût été possible de faire machine arrière toute et de ne pas continuer à avancer.

[34]      Le cinquième point litigieux

     Quel est le quantum des dommages-intérêts s'il y a eu négligence de la part des défendeurs?

     Je vais déterminer maintenant le quantum des dommages-intérêts à payer par les défendeurs au cas où ils y seraient tenus. Les parties conviennent que les dommages suivants ont été subis par les demanderesses, mais les défendeurs n'acceptent pas que celles-ci puissent réclamer la T.P.S. et la T.V.Q. y afférentes :



Nom

Valeur totale de la facture

Détail de la facture

Services

TPS

TVQ

Monenco

2 506,10

7 529,24

10 035,34

2 252,07

6 766,03

9018,10

157,64

473,62

631,26

96,39

289,59

385,98

Zodiac

100,00

100,00

0

0

Traduction

751,68

751,68

0

0

Sablenex Hose

5 405,69

4 857,74

340,04

207,91

Arseneault

72 332,00

81 066,00

153398,00

65 000,00

72 848,68

137 848,68

4 550,00

5 099,40

9 649,40

2 782,00

3 117,92

5 899,92

TOTAUX

169 690,71

152 576,20

10 620,70

6 493,81

[35]      Un principe fondamental de la législation sur la TPS pose que celle-ci ne peut pas s'ajouter au coût des intrants utilisés par les inscrits dans leurs activités commerciales. Dans Goods and Services Tax, The Complete Guide, 3e édition, Ernst & Young et l'Institut canadien des comptables agréés, 1999, on peut lire ce qui suit en page 135 :

     [TRADUCTION]

     ¶ 3,010 -- Principes généraux
     Règle fondamentale [ § 169(1)] -- Un principe fondamental de la TPS pose que celle-ci ne peut pas être intégrée dans le coût des intrants utilisés par les inscrits dans leurs activités commerciales. Sauf les quelques exceptions prévues au présent encart, les inscrits ont droit à un crédit remboursable, appelé crédit de taxe pour les intrants, pour la taxe payée ou payable sur les achats ayant un rapport avec une activité commerciale. Ces crédits font en sorte que les intrants destinés à l'activité commerciale ne sont pas grevés de la TPS. Dans le calcul du montant net à verser par l'inscrit ou à rembourser à celui-ci, le crédit total de taxe sur les intrants pour une période de déclaration donnée est déduit de la taxe perçue ou à percevoir sur les fournitures taxables, achetées durant cette période.
     L'inscrit qui acquiert ou importe un bien ou service pour consommation, usage ou fourniture dans ses activités commerciales peut revendiquer des crédits de taxe sur intrants afin de recouvrer tout ou partie de la taxe qu'il a payée à l'acquisition ou à l'importation de ce bien ou service. Il a donc droit à un crédit de taxe sur intrants dans les conditions suivantes :
             il a importé un bien ou service au Canada ou l'a acquis à l'intérieur du pays, que ce soit par achat, location, ou licence d'utilisation;
             il était tenu de payer la taxe à l'importation ou à l'acquisition; et
             il a importé ou acquis le bien ou service pour consommation, utilisation ou fourniture dans ses activités commerciales.

[36]      Le paragraphe 240(1) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, est la disposition permettant l'inscription de Canadian Salt sous le régime de cette loi, et son paragraphe 169(1) prévoit le mécanisme de calcul du crédit de taxe sur intrants. Il ressort des témoignages produits ainsi que des conclusions de son avocate que Canadian Salt n'est pas exemptée de l'application des dispositions de cette loi en matière de TPS. Bien qu'il n'y ait aucune preuve qu'elle ait revendiqué le crédit pour la TPS qu'elle réclame en l'espèce, la question n'en reste pas là. À mon avis, elle aurait dû revendiquer le crédit et, si elle ne l'a pas fait, elle a manqué une possibilité de réduire le préjudice subi. En conséquence, je ne lui accorderais pas les 10 620,70 $ réclamés au titre de la TPS.

[37]      Elle réclame aussi 6 493,81 $ au titre de la TVQ. L'avocate des demanderesses a informé la Cour que les mêmes principes s'appliquent à la réclamation touchant la TVQ et à celle touchant la TPS. En conséquence, je ne ferai pas droit à la réclamation relative à la TVQ.

[38]      Les demanderesses ont conclu aux intérêts mais étant donné ma décision ci-dessus, il n'est pas strictement nécessaire que la Cour se prononce à ce sujet; mais eussent-elles eu gain de cause, elles auraient eu droit aux intérêts à calculer conformément aux Règles de la Cour fédérale (1998).

[39]      Les défendeurs invoquaient les dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, en particulier sa partie IX. Ni l'une ni l'autre partie n'a abordé ce chef de conclusion au procès et, à la lumière de la conclusion que j'ai tirée au fond, il n'est pas nécessaire que je me prononce à ce sujet.

[40]      Pour récapituler, voici les conclusions que j'ai tirées en l'espèce :

     1.      Le contrat Towcon s'applique effectivement en l'espèce.
     2.      La clause 18(2)(a) du contrat Towcon n'exonère pas les défendeurs du paiement des dommages-intérêts aux demanderesses en cas de négligence établie de leur part.
     3.      L'action des demanderesses est irrecevable par l'effet de la clause 24 du contrat Towcon.
     4.      Si l'action des demanderesses n'avait pas été irrecevable par l'effet de la clause 24 du contrat Towcon, il y a eu négligence de la part des défendeurs, lesquels seraient tenus aux dommages-intérêts tels qu'ils ressortent des présents motifs.

[41]      Par ces motifs, les demanderesses sont déboutées de leur action; elles paieront aux défendeurs leurs dépens à taxer par un officier taxateur.



     ORDONNANCE

[42]      La Cour déboute les demanderesses de leur action et alloue aux défendeurs leurs dépens, à taxer par un officier taxateur.

     Signé : John A. O'Keefe

     ______________________________

     J.C.F.C.

Toronto (Ontario),

le 6 septembre 2000




Traduction certifiée conforme,




Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-689-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      THE CANADIAN SALT COMPANY LIMITED, personne morale établie à Pointe-Claire (Québec, Canada), MORTON INTERNATIONAL INC., personne morale établie à Chicago (Illinois, É.-U.A), et ALLIANZ INSURANCE COMPANY OF CANADA, personne morale établie à Toronto (Ontario)

                     c.

                     LE NAVIRE « IRVING CEDAR » , LES PROPRIÉTAIRES, GÉRANTS, AFFRÉTEURS, EXPLOITANTS, AGENTS ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « IRVING CEDAR » , et ATLANTIC TOWING INC., personne morale établie à St. John (Nouveau-Brunswick, Canada)

LIEU DE L'AUDIENCE :          Fredericton (Nouveau-Brunswick)


DATE DE L'AUDIENCE :          Lundi 6 mars et Mardi 7 mars 2000

ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF) PRONONCÉE PAR LE JUGE O'KEEFE


LE :                      Mercredi 6 septembre 2000


ONT COMPARU :


Mme Céline Trudeau                  pour les demanderesses

M. Kenneth McCullough              pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Stewart McKelvey Stirling Scales          pour les demanderesses

10e étage, Brunswick House

44 Chipman Hill

Saint John (Nouveau-Brunswick)

E2L 4S6

Robinson Sheppard Shapiro              pour les défendeurs

Bureau 4700

800 Place Victoria

Montréal (Québec)

H4Z 1H6


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA
     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
     Date : 20000906
     Dossier : T-689-95
     ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE
Entre
     THE CANADIAN SALT COMPANY LIMITED,
     personne morale établie à Pointe-Claire (Québec,
     Canada)
     et
     MORTON INTERNATIONAL INC.,
     personne morale établie à Chicago
(Illinois, É.-U.A)
     et
     ALLIANZ INSURANCE COMPANY OF
     CANADA,
     personne morale établie à Toronto (Ontario)
     demanderesses
     - et -

     LE NAVIRE « IRVING CEDAR »
     et
     LES PROPRIÉTAIRES, GÉRANTS,
     AFFRÉTEURS, EXPLOITANTS, AGENTS ET
TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « IRVING CEDAR »
     et
     ATLANTIC TOWING INC.,
     personne morale établie à St. John
(Nouveau-Brunswick, Canada)
défendeurs

ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)

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