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Date : 19990108

                                                                                                                             Dossier : T-3390-90

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE WETSTON

ENTRE :

JACK CEWE LTD.,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

défenderesse.

ORDONNANCE

            L'appel est rejeté. Il n'y a pas d'adjudication des dépens.

                                                                                                                                Howard I.Wetston     

                                                                                                                                    Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


Date : 19990108

Dossier : T-3390-90

ENTRE :

JACK CEWE LTD.,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE WETSTON

Énoncé conjoint des faits

1�        La demanderesse est une société par actions constituée sous le régime des lois de la Colombie-Britannique. Elle exerce les activités commerciales d'un entrepreneur général et, à toutes les époques pertinentes, en 1985 et 1986, elle était munie d'une licence de fabricant de béton asphaltique [asphalte].   

2�        Dans certains cas, la demanderesse a fourni tous les matériaux et fabriqué l'asphalte dans ses deux usines des basses terres du Fraser, en Colombie-Britannique, puis elle a fourni et installé l'asphalte pour ses clients. Selon le contrat, le client lui a payé un prix global pour la fourniture et l'installation de l'asphalte.    

3�        Dans d'autres cas, le client, c'est-à-dire le gouvernement provincial, a fourni le bitume liquide et la demanderesse a fourni les autres ingrédients, la machinerie et la main-d'oeuvre nécessaires pour fabriquer l'asphalte dans ses usines, puis elle a fourni et installé l'asphalte pour son client. Selon le contrat, le client lui a payé un prix global pour la fourniture et l'installation de l'asphalte.

4�        Le 1er juillet 1985, l'asphalte est devenu assujetti à la taxe de vente fédérale à la suite d'une modification à l'annexe V de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (la Loi). En conséquence, l'asphalte était assujetti à la taxe de vente fédérale au moment de sa vente ou de son utilisation par le fabricant ou le producteur ou de son importation.   

5�        La défenderesse a publié le Communiqué de l'Accise 110/T1 du 23 mai 1985, énumérant les méthodes de détermination de la valeur taxable. En ce qui concerne les contrats de fourniture et d'installation, l'une des méthodes permises était celle de la juste valeur marchande [JVM] déterminée en conformité avec l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207 [ET 207] publié par le ministre.

6�        Dans une lettre datée du 28 août 1985, la défenderesse a écrit à la demanderesse concernant ses droits et obligations en qualité de fabricant ou producteur d'asphalte. La défenderesse affirmait notamment : [Traduction] « Le taux actuel de la taxe applicable à l'asphalte est de 6%. (À compter du 1er janvier 1986, ce taux sera porté à 7%) Sous réserve des exceptions énumérées ci-dessous, la taxe s'applique à votre prix de vente. Elle sera calculée au taux de 6% de votre prix de vente excluant la taxe, ou de 6/106 (5,660%) de votre prix de vente incluant la taxe. En ce qui concerne les ventes d'asphalte livré et/ou placé, dans les cas où vous fournissez tous les éléments, la taxe peut être calculée au taux de 6% d'une valeur de 25 $ la tonne métrique. En ce qui concerne les ventes d'asphalte, lorsque le bitume liquide est fourni par le gouvernement provincial ou la municipalité, la taxe peut être calculée au taux de 6% d'une valeur de 12 $ la tonne métrique. »

7�        Le 29 août 1985, la demanderesse a informé la défenderesse de ce qui suit : [Traduction] « Nous avons calculé la taxe de vente fédérale sur la base de 25 $ la tonne métrique lorsque nous avons acheté le bitume liquide et de 12 $ la tonne lorsque la province de la Colombie-Britannique a fourni le liquide. Nous nous réservons le droit de calculer le prix de vente réel à une date ultérieure si la loi l'approuve. »

8�        Dans une lettre datée du 11 avril 1986, la défenderesse a confirmé ce qu'elle avait compris lors d'une conversation téléphonique récente avec la demanderesse concernant les activités de la demanderesse et ses méthodes comptables. La défenderesse a notamment confirmé : [Traduction] « En ce qui concerne la juste valeur marchande du transfert du mélange d'asphalte pour pavage de vos deux usines d'asphalte à votre division de la construction; il est entendu que vous utilisez actuellement la valeur déterminée de 25 $ ou 12 $ la tonne comme valeur taxable. Nous vous suggérons de continuer à utiliser ces valeurs aux fins de la taxe. »

9�        La demanderesse a utilisé la méthode de la valeur déterminée pour calculer la taxe de vente fédérale entre le mois de novembre 1985 et le mois de décembre 1986, inclusivement.   

10�      En avril 1987, la défenderesse a publié le Communiqué de l'Accise 110-1/T1 dont le texte précisait qu'il avait pour objet de mettre à jour et de clarifier les instructions concernant la valeur taxable des mélanges d'asphalte pour pavage énoncées dans le Communiqué de l'Accise 110/T1.

11�      Dans une lettre du 17 juin 1987, la demanderesse a informé la défenderesse qu'elle calculerait et verserait la taxe de vente fédérale sur sa production d'asphalte selon la méthode de la juste valeur marchande déterminée en conformité avec l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207.

12�      Dans une lettre datée du 6 juillet 1987, la défenderesse a écrit à la demanderesse concernant le calcul et le versement de la taxe de vente fédérale sur l'asphalte. La défenderesse a notamment affirmé : [Traduction] « (une) taxe applicable aux contrats de fourniture et d'installation peut être calculée en conformité avec l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207 » .

13�      Dans une lettre datée du 7 décembre 1987, la demanderesse a écrit à la défenderesse pour lui réclamer un remboursement de 103 994,41 $ pour la taxe payée relativement à la production de mélanges d'asphalte en 1986. Le montant du remboursement réclamé représentait la différence entre les versements de taxe calculés selon la méthode de la valeur déterminée et le montant dû par application de la méthode de la juste valeur marchande visée à l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207.   

14�      Dans l'avis de détermination PAC 34291 daté du 22 janvier 1988, la défenderesse a accordé le remboursement à la demanderesse et majoré sa réclamation de 2 034 $ pour les mois de novembre et décembre 1985. La défenderesse a donc obtenu un remboursement de 106 028,41 $.

15�      Dans l'avis de cotisation PAC 3764 daté du 22 janvier 1988, la défenderesse a informé la demanderesse qu'elle ne devait aucun montant, notamment au titre de la taxe, des pénalités et des intérêts, en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, et qu'aucun montant n'était payable ni aucun crédit imputable à la demanderesse pour la période comprise entre le 1er juillet 1985 et le 30 novembre 1987.

16�      En avril 1988, la défenderesse a publié le communiqué sur la taxe d'accise 110-2/T1 portant notamment que : [Traduction] « Lorsqu'un client fournit une partie des matériaux relativement à un contrat de fourniture et d'installation, le fabricant de mélange d'asphalte pour pavage muni d'une licence ne peut pas utiliser la méthode d'établissement de la valeur prévue par le Mémorandum ET 207.    »

17�      Dans une lettre datée du 26 septembre 1988, la défenderesse a informé la demanderesse qu'aucune disposition ne prévoyait de rajustement rétroactif de la valeur taxable des mélanges d'asphalte pour pavage en vertu de l'alinéa 4c) du Communiqué de l'Accise 110-1/T1 ni d'une valeur taxable autorisée avant la publication du Communiqué. En conséquence, la défenderesse a informé la demanderesse qu'elle ferait l'objet d'un nouvel avis de cotisation relativement au montant de 106 028,41 $ qui lui avait été remboursé par erreur.

18�      La défenderesse a établi les avis de cotisation PAC 6690 et PAC 6976 datés du 30 septembre 1988, au montant de 106 028,41 $ en alléguant que le remboursement du 7 décembre avait été payé par erreur. La cotisation précisait que des pénalités et des intérêts seraient exigés à partir du 1er octobre 1998 sur le montant de la cotisation qui demeurerait impayé le 30 septembre 1988.    

19�      Le 29 novembre 1988, la demanderesse a déposé un avis d'opposition pour contester cette cotisation.   

20�      Dans un avis de cotisation daté du 18 septembre 1990, la défenderesse a accueilli en partie l'opposition de la demanderesse à la cotisation. La défenderesse a permis à la demanderesse d'utiliser rétroactivement la méthode de la juste valeur marchande pour le calcul de la taxe en conformité avec l'alinéa 3c) ou le Mémorandum ET 207, dans les cas où la demanderesse avait fourni tous les matériaux utilisés pour la fabrication du mélange d'asphalte pour pavage relativement à ses contrats de fourniture et d'installation, ce qui a abaissé à 55 874,64 $, plus les intérêts et les pénalités, le montant de la taxe fixé à 106 028,41$ par la cotisation établie par la défenderesse . La défenderesse a confirmé le solde de la cotisation, y compris les intérêts et les pénalités, relativement aux contrats de fourniture et d'installation exécutés par la demanderesse, dans le cadre desquels ses clients avaient fourni des matériaux.   

21�      La demanderesse a interjeté appel devant la Cour, en vertu de l'article 81.2 de la Loi, relativement à la partie de la cotisation concernant les contrats de fourniture et d'installation exécutés par elle et dans le cadre desquels ses clients avaient fourni des matériaux.

Les questions en litige

22�      La demanderesse soutient que la seule question en litige en l'espèce est celle de savoir si la demanderesse pouvait utiliser la méthode de la JVM pour établir la valeur de l'asphalte aux fins de la Loi sur la taxe d'accise relativement à la période comprise entre les mois de novembre et décembre 1985 et la fin de l'année 1986, dans les cas où le gouvernement provincial avait fourni le pétrole.   

Les arguments de la demanderesse

23�      La demanderesse fait valoir de nombreux arguments. Premièrement, elle soutient que, selon les différents communiqués et un bulletin sur la taxe d'accise visant les années 1985, 1986 et 1987, elle pouvait utiliser la méthode de la JVM aux fins d'établir la valeur de l'asphalte dans les cas où le client avait fourni le pétrole, pour la période comprenant les mois de novembre et décembre 1985 et l'année 1986. La demanderesse soutient que ces communiqués et ce mémorandum constituent des énoncés de politique et de procédure publiés par le ministre sous le régime de l'alinéa 28(1)d) de la Loi.

24�      La demanderesse fait valoir que le coût des matériaux utilisé dans le Mémorandum ET 207 renvoie nécessairement aux coûts engagés par le fabricant pour les matériaux. La demanderesse prétend que les coûts mentionnés aux paragraphes 3 et 4 du mémorandum ET 207, la main-d'oeuvre directe et les frais généraux, le transport et l'assurance transport, correspondent aux coûts engagés par le fabricant. La demanderesse affirme que, dans les cas où le pétrole est fourni au fabricant, le coût engagé par le fabricant pour ce pétrole correspond à zéro et que zéro est la valeur qui doit être incluse dans le calcul de la JVM selon le Mémorandum ET 207. La demanderesse allègue qu'il est donc raisonnable d'utiliser la méthode de la JVM si le pétrole est fourni par la province.   

25�      La demanderesse soutient en outre que le coût des matériaux devrait être le coût engagé par le fabricant parce que les matériaux utilisés au cours de la fabrication peuvent passer par plusieurs courtiers, à plusieurs prix différents, avant de lui parvenir. La demanderesse affirme qu'il doit s'agir du coût engagé pour les matériaux par le fabricant parce que c'est lui qui paie la taxe.    

26�      Selon la demanderesse, aucune raison logique n'expliquerait pourquoi, avant le mois d'avril 1988, il serait interdit d'utiliser la méthode de la JVM dans les cas où la province a fourni le pétrole, parce que la taxe est perçue sur le prix de vente et que le prix de vente est inférieur dans les cas où la province a fourni le pétrole.

27�      La demanderesse fait valoir que le Mémorandum ET 207 reflète l'intention que le législateur fédéral a exprimée à l'alinéa 28(1)d) et dans l'article 27, le prix de vente ne devant inclure que les coûts engagés directement par le fabricant, majorés des frais généraux et d'une marge de profit. La demanderesse affirme que, dans les cas où une loi crée un moyen permettant au ministre d'établir une politique ou une procédure, cette politique doit respecter l'esprit de la loi. La demanderesse cite le paragraphe 5 du Mémorandum ET 207 qui reconnaît que : « l'utilisateur ... est considéré aux fins de la taxe de vente comme étant le fabricant des marchandises » et elle soutient qu'il s'agit là d'une reconnaissance du fait que le coût des matériaux doit être le coût engagé par le fabricant.      

28�      La demanderesse répond aux prétentions de la défenderesse concernant la décision Allan G. Cook Limited c. M.R.N., [1989] 2 T.C.T. 1167 (TCCE) , en faisant une distinction avec cette affaire. Elle soutient que l'affaire Allan Cook visait le paragraphe 44(1) de la Loi sur la taxe d'accise et la question de savoir si le contribuable pouvait déposer de nouveaux documents à la suite d'une erreur. La demanderesse note aussi que cette décision portait sur une année d'imposition différente de celle visée en l'espèce et affirme, quoi qu'il en soit, que la conclusion du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) ne lie pas la Cour.    

29�      La demanderesse s'appuie sur le fait qu'elle a appris pour la première fois qu'elle ne pouvait pas utiliser la méthode de la JVM en septembre 1988, au moment où elle a reçu une lettre de la défenderesse l'informant de l'établissement d'une nouvelle cotisation au montant de 106 000 $ pour le remboursement effectué antérieurement.

La rétroactivité

30�      Par ailleurs, la demanderesse affirme qu'il y a eu modification rétroactive de la politique dans le Communiqué 110-2/T1 du mois d'avril 1988 et que cette modification a servi de fondement à la cotisation établie le 30 septembre 1988. La demanderesse prétend que le Communiqué 110-2/T1 du mois d'avril 1988 constitue un changement radical de la politique ministérielle, contredisant celle énoncée à l'origine dans les communiqués 110/T1 et 110-1/T1, et que le ministre tente maintenant d'appliquer cette nouvelle politique datant de 1988 rétroactivement aux années d'imposition 1985 et 1986. La demanderesse soutient que l'application rétroactive de cette nouvelle politique serait injuste envers la demanderesse et permettrait en fait au ministre d'agir de façon arbitraire et abusive. La demanderesse fait valoir que le communiqué 110-2/T1 ne prévoit pas d'effet rétroactif pour les années d'imposition 1985 et 1986. La demanderesse plaide que les lois et les règlements ne doivent pas être interprétés comme s'appliquant rétroactivement : Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. M.R.N., [1977] 1 R.C.S. 271; Ludco Enterprises Ltd. c. Ministre du Revenu National, [1993] 72 F.T.R. 175.

31�      La demanderesse soutient que le pouvoir conféré au ministre par l'alinéa 28(1)d) n'est pas entièrement subjectif et arbitraire et qu'il doit l'exercer « dans les limites de sa compétence » . La demanderesse s'appuie à cet égard sur les décisions Vanguard Coatings and Chemicals c. M.R.N. (1988), 3 F.C. 560 (C.A.F.) et NSC International Inc. c. Canada. Dans l'affaire Vanguard Coatings, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée sur l'article 34 de la Loi sur la taxe d'accise qui, selon la demanderesse, serait semblable à l'alinéa 28(1)d).

        

La préclusion

32�      Enfin, la demanderesse prétend que la règle de la préclusion empêche la défenderesse de modifier rétroactivement la méthode d'évaluation de l'asphalte pour les années d'imposition 1985 et 1986. La demanderesse affirme avoir agi, relativement à ces années, en conformité avec les communiqués 110/T1 et 110-1/T1, ainsi qu'avec les autres affirmations qui lui ont été faites par correspondance et à l'occasion de rencontres avec la défenderesse. La demanderesse prétend que la défenderesse lui a affirmé qu'elle autorisait l'utilisation de la méthode de la juste valeur marchande pour le calcul de la taxe de vente sur l'asphalte dans le cas où la demanderesse a fourni seulement une partie des matériaux. La demanderesse soutient avoir consacré, sur la foi de ces prétentions, énormément de temps, d'efforts et d'argent pour calculer à nouveau la valeur taxable de l'asphalte dans ces cas.   

33�      La demanderesse affirme que les trois facteurs nécessaires pour établir la préclusion, énoncés dans l'arrêt Canadian Superior Oil Co. Ltd. c. Hambly, [1970] R.C.S. 932, sont respectés en l'espèce. Ce sont les facteurs suivants : (1) une affirmation ou une conduite y équivalant, qui a pour but d'inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite; (2) une action ou une omission résultant de l'affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l'affirmation est faite; (3) un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

34�      Selon la demanderesse, la jurisprudence qui laisse entendre que la préclusion ne peut l'emporter sur le droit n'est pas pertinente. Ce n'est pas de l'interprétation de la loi dont il s'agit, mais d'un pouvoir discrétionnaire permettant au ministre d'établir des méthodes et des politiques aux fins de l'évaluation. La demanderesse soutient que les énoncés de politique et de procédure en cause procèdent de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.     

35�      La demanderesse demande à la Cour d'annuler entièrement l'avis de cotisation établi par le ministre le 30 septembre 1988 et de lui accorder un remboursement de 106 000 $.

Les arguments de la défenderesse   

36�      La défenderesse plaide que la demanderesse doit payer la taxe en conformité avec les disposition de la Loi sur la taxe d'accise et qu'aucun paiement de taxe excédentaire n'a été effectué en l'espèce en vertu d'une disposition quelconque de la Loi. La défenderesse prétend que c'est la Loi qui fixe en bout de ligne la taxe à payer et qu'il n'est pas possible de s'y soustraire en ayant recours à des politiques administratives qui n'ont pas force exécutoire.

37�      La défenderesse soutient que les bulletins d'interprétation, les décisions et les documents semblables ne la lient pas et ne donne pas ouverture à la préclusion. Les communiqués et les mémorandums ne sont pas des règlements pris en application d'une loi. Ce sont de simples énoncés de politique et de procédure qui peuvent, dans certains cas, aider à l'interprétation de la loi. La défenderesse fait valoir que ces politiques administratives sont de simples concessions financières faites par le ministre et que la taxe exigible est établie en bout de ligne par l'application de la loi, à laquelle il n'est pas possible de déroger par consentement.

38�      La défenderesse soutient que le paragraphe 26(1) commande que le prix de vente des contrats de fourniture et d'installation corresponde, pour le paiement de la taxe prévue à l'article 27, au prix payé par le client. L'alinéa 26(1)a) vise les contrats de fourniture et d'installation et commande que le prix de vente de ces contrats corresponde au prix payé en bout de ligne par le client et que ce prix inclue la totalité du service fourni, y compris la fourniture, l'installation et le transport. La défenderesse soutient qu'il n'est pas nécessaire d'aller au-delà de la loi pour déterminer la taxe payable relativement à un tel contrat. Il n'y a pas eu de paiement excédentaire puisque la taxe payable par la demanderesse correspondait en bout de ligne au prix de vente. La défenderesse prétend qu'en l'absence de paiement excédentaire à l'origine, la demanderesse ne peut obtenir de remboursement en vertu de l'article 44.   

39�      La défenderesse soutient que l'alinéa 28(1)d) ne s'applique pas en l'espèce et que les communiqués n'ont pas été publiés en vertu de cette disposition. Le ministre prétend que le paragraphe 27(1) s'applique en l'espèce, puisqu'il y a eu vente et que M. Home a reconnu le prix de vente. Elle fait valoir qu'il ne s'agit pas d'un cas où le fabricant affecte des biens à son propre usage et où il n'existe donc pas de prix de vente. La défenderesse affirme que la demanderesse devait choisir une méthode comptable et l'appliquer de façon constante pour se conformer à la loi.

40�      La défenderesse fait valoir que le Mémorandum ET 207 s'appuie sur le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 28(1) de la Loi de guider l'industrie quant au prix de vente que le ministre estimerait juste dans les cas où le bien est à l'usage du fabricant et où il n'y a pas de prix de vente. Sur ce point, la défenderesse plaide que trois méthodes établies par le ministre peuvent être utilisées pour calculer la taxe. La première s'applique dans les cas où il existe un prix de vente et suppose le recours au paragraphe 26(1) pour établir le prix de vente pour l'application de l'article 27. La deuxième permet au contribuable d'utiliser la JVM conformément à l'alinéa 3c) du mémorandum ET 207, mais elle ne peut pas être utilisée dans les cas où le client fournit une partie des matériaux, et elle doit être utilisée de façon constante. La troisième utilise les valeurs déterminées mentionnées dans le Mémorandum ET 207 et elle doit, comme les autres, être utilisée de façon constante.       

41�      La défenderesse soutient que la règle selon laquelle la JVM ne peut être utilisée dans les cas où le client fournit une partie des matériaux découle du paragraphe 4 du Mémorandum ET 207 qui précise que les matières mentionnées dans le paragraphe 3 doivent comprendre toutes les matières qui sont incorporées dans le produit achevé et qui en deviennent partie intégrante ou constituante. La défenderesse affirme que, dans l'affaire Allan Cook, précitée, Le TCCE a conclu que le libellé de l'alinéa 3c), interprété avec le paragraphe 4, commande que la méthode de la JVM ne soit pas utilisée lorsque le client fournit une partie des matériaux. La défenderesse soutient toutefois qu'au moins un aspect de la décision Allan Cook est incorrect en droit parce que le TCCE n'a pas tenu compte des dispositions de la Loi et a entrepris d'interpréter les communiqués et leur application.

La rétroactivité

42�      La défenderesse soutient que la question de la rétroactivité ne se pose pas en vertu des dispositions de la Loi. La défenderesse fait valoir que la rétroactivité n'est en cause que dans le contexte des communiqués 110/T1 et 110-1/T1, qui exigent que le contribuable utilise la méthode qu'il choisit de façon constante, soit pendant une période d'au moins un an. La défenderesse affirme que le présent appel vise une cotisation et non un avis de décision et que, par conséquent, c'est la taxe exigible en vertu de la Loi qui est en litige, et non les motifs à l'origine de la cotisation.

La préclusion

43�      La défenderesse soutient que les communiqués ont été appliqués en toute justice à la demanderesse. La défenderesse prétend que le ministre a toujours été d'avis que le contribuable ne pouvait pas modifier rétroactivement sa méthode de calcul et que, dans les cas où les clients avaient fourni des matériaux, le contribuable ne pouvait pas avoir recours à la méthode de la JVM pour établir le prix de vente aux fins du paiement de la taxe.     

44�      La défenderesse s'appuie sur la décision Sunbeam Corp. (Canada) Ltd. c. Ministre du Revenu national (Douanes et accise) (1993), 71 F.T.R. 199, dans laquelle la Cour a statué que le traitement accordé aux différents contribuables n'est pas pertinent puisque la taxe exigible doit être établie en vertu de la Loi. La Cour a rejeté un argument touchant les attentes légitimes. La demanderesse s'appuie en outre sur l'arrêt Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70 (C.A.); pourvoi rejeté, [1989] 1 R.C.S. 141. Selon la défenderesse, la Cour a statué, dans l'affaire Granger, que la disposition qui impose une taxe l'emporte et que la Couronne n'est pas liée par les affirmations faites aux contribuables par les représentants autorisés du ministère lorsque ces affirmations sont contraires aux dispositions législatives. La défenderesse soutient que l'arrêt Granger porte que le ministre ne peut déroger à la loi.

Analyse

45�      M. George Home, vice-président Finances, a témoigné au nom de la demanderesse. M. Home a d'abord utilisé la méthode de la valeur déterminée. Il était au courant du communiqué 110/T4 ainsi que du Mémorandum ET 207. Il a écrit à Revenu Canada, pour se réserver le droit de calculer le prix de vente réel parce qu'il croyait que les valeurs déterminées ne tiendraient pas. En juin 1987, M. Home a rencontré M. Langley de Revenu Canada avec un consultant, M. Dunn, et M. Home a confirmé par lettre que la demanderesse [Traduction] « calculera et payera la taxe de vente sur sa production d'asphalte en conformité avec l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207. »

46�      Selon toute vraisemblance, M. Lanley a confirmé que la demanderesse pouvait utiliser la méthode de la JVM, mais une vérification était nécessaire et elle a été faite plus tard. Ensuite, M. Home a consacré énormément de temps à la préparation des calculs. M. Home a utilisé le chiffre zéro pour le coût du pétrole dans les cas où ce matériau a été fourni par le gouvernement. C'est ce montant qui devait selon lui être utilisé pour établir l'ensemble du [Traduction] « coût de toutes les matières utilisées » au sens de l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207. Dans une lettre datée du 7 décembre 1987, la demanderesse a demandé un remboursement qui a fait l'objet d'une vérification ultérieure par le vérificateur. Le vérificateur a haussé le montant de ce remboursement. Ce n'est que plus tard que M. Home a été averti qu'il ne pouvait pas utiliser la méthode de la JVM dans les cas où le gouvernement avait fourni le pétrole. Il ne se souvenait pas avec certitude à quel moment il a pris connaissance pour la première fois du communiqué 110-2/T1. Les cotisations ont suivi plus tard.

47�      M. Home croit avoir été avisé qu'il pouvait changer de méthode et obtenir un remboursement. Sa lettre ne révèle pas que c'est bien ce qu'il avait compris et M. Home a expliqué qu'il ne rédige pas souvent des notes. Ma décision en l'espèce ne dépend pas de ma conclusion à cet égard. Quoi qu'il en soit, je ne vois pas pourquoi son témoignage ne devrait pas être retenu. De toute façon, le remboursement, en partie, dépendait du résultat de la vérification ultérieure.

48�      La seule question que je dois trancher est celle de savoir si la demanderesse pouvait utiliser la méthode de la JVM afin d'établir la valeur de l'asphalte pour l'application de la Loi au cours de la période pertinente, dans les cas où le client avait fourni le pétrole. D'abord, la défenderesse affirme que la méthode de calcul ne pouvait pas changer. De plus, la défenderesse soutient que, quoi qu'il en soit, le ministre a toujours été d'avis que le contribuable ne pouvait pas utiliser la méthode de la JVM afin d'établir le prix de vente pour le paiement de la taxe dans les cas où le client avait fourni des matériaux. Le Mémorandum ET 207 décrit la méthode de la JVM et, selon la défenderesse, il précise dans quelles situations le contribuable peut l'utiliser.

49�      Au départ, je suis d'avis que le Mémorandum ET 207 dans le bulletin sur la taxe d'accise a été publié par le ministre en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 28(1)d) de la Loi. Toutefois, les communiqués constituent des politiques administratives; ils n'ont pas été publiés en vertu d'un pouvoir discrétionnaire et doivent être considérés uniquement comme des concessions faites par le ministre pour remédier à des injustices créées par la Loi. Je suis d'accord pour dire que le Mémorandum ET 207 est fondé sur l'alinéa 28(1)d) et qu'il procède de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire de guider l'industrie quant à la méthode de calcul de la taxe dans les cas où il n'y a pas de prix de vente. En l'espèce, il existe un prix de vente et l'article 27 s'applique au calcul de la taxe exigible. Dans les cas où il n'y a pas de vente, le ministre fournit des méthodes de calcul de rechange en vertu de son pouvoir discrétionnaire dans le mémorandum ET 207. Il est clair que la taxe exigible doit être établie selon la Loi. Le ministre a toutefois l'obligation, lorsqu'il établit des politiques en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère une disposition législative, comme le mémorandum ET 207, d'agir dans les « limites de sa compétence » et d'une façon qui ne soit ni arbitraire ni abusive : Vanguard Coatings, précité.

50�      Je retiens l'argument de la défenderesse selon lequel la taxe payable par la demanderesse est fixée en bout de ligne par la Loi et il n'est pas possible d'y déroger. L'article 26 définit le prix de vente du contrat aux fins du paiement de la taxe prévue par l'article 27 comme le dernier prix payé par le client et inclut des déductions prévues par la Loi. Il n'était pas nécessaire que le contribuable aille au-delà de la Loi pour déterminer la façon dont la taxe devait être payée relativement à ce contrat de fourniture et d'installation. Après avoir examiné le Communiqué 110-1/T1, je pense qu'il renvoie aux articles 26 et 27 de la Loi. Des solutions de rechange sont prévues sous forme de concessions, dont l'une vise certains mélanges d'asphalte pour pavage conformément à l'alinéa 3c) du Mémorandum ET 207. Une autre concession faite par le ministre est la méthode de calcul selon la valeur déterminée. Un contribuable peut s'appuyer sur une concession administrative, le cas échéant, mais s'il le fait, il doit absolument appliquer la méthode choisie de façon constante.          

51�      La défenderesse soutient que le Mémorandum ET 207 établit clairement que la méthode de la JVM ne peut pas être utilisée dans les cas où le client a fourni certains matériaux. Le paragraphe 4 prévoit : « Les matières mentionnées dans le paragraphe 3 doivent comprendre toutes les matières qui sont incorporées dans le produit achevé et qui en deviennent une partie intégrante ou constituante    » . Le paragraphe 3 énumère le « coût de toutes les matières utilisées » comme l'un des facteurs qui doivent être inclus dans le calcul de la valeur taxable selon la méthode de la JVM.   

52�      La demanderesse soutient que le « coût de toutes les matières utilisées » mentionné au paragraphe 3 renvoie nécessairement aux coûts des matériaux engagés par le fabricant. Elle prétend que, dans les cas où le pétrole est fourni par le fabricant, le coût de ce pétrole engagé par le fabricant est égal à zéro et que c'est cette valeur qui doit être incluse pour le calcul de la JVM conformément au Mémorandum ET 207. Je ne puis retenir cette prétention. Selon moi, un coût égal à zéro n'est pas un coût au sens de cette disposition. De plus, le bulletin renvoie à l'ensemble du coût de « toutes » les matières utilisées, et non à l'ensemble du coût de « certaines » matières utilisées.

53�      La demanderesse fait valoir que le prix de vente ne se rapporte pas à un contrat de fourniture et d'installation, mais à un contrat de fourniture et d'installation qui inclut de l'asphalte et que c'est l'asphalte qui est assujetti à la taxe. Elle soutient donc que le ministre a publié différents communiqués pour établir un prix de vente parce qu'il ne découle pas clairement et directement du paragraphe 26(3). Je reconnais que cet argument est très intéressant, mais je ne peux souscrire à la prétention portant que l'article 26 ne s'applique pas à un contrat de fourniture et d'installation de la façon dont le prévoient les différents communiqués. Ces documents révèlent clairement qu'il est entendu que le mélange d'asphalte est assujetti à la taxe de vente.

54�      Je partage l'opinion de la défenderesse selon laquelle, dans l'affaire Allan G. Cook, précitée, le TCCE a entrepris inutilement d'interpréter les communiqués du ministre et leur application. Cette démarche a amené le Tribunal à laisser entendre que ces communiqués l'emportaient d'une certaine façon sur les dispositions de la Loi. Cette question a été examinée plus tard par le TCCE dans la décision Brigham Pipes c. M.R.N. (1992), TCCE no 83, fondée sur l'arrêt Granger, précité. Sous d'autres aspects, j'approuve la décision Allan G. Cook, précitée, dans laquelle le tribunal a conclu que la JVM peut être utilisée uniquement si le fabricant fournit tous les matériaux et ne peut pas être utilisée lorsque le client en fournit une partie dans le cadre d'une contrat de fourniture et d'installation.

           

55�      Je rejette les arguments de la demanderesse en ce qui concerne la rétroactivité. Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que la rétroactivité dont se plaint la demanderesse découle de ses propres actes, soit du fait qu'elle a changé de méthode de calcul de la taxe. Les communiqués indiquent clairement qu'un contribuable doit utiliser une méthode de façon constante, soit pour une période d'au moins un an. Si la demanderesse avait respecté cette exigence fixée par le ministre, le problème de la rétroactivité ne se serait pas posé. Par conséquent, je suis d'accord pour dire que les communiqués n'ont pas été appliqués de façon injuste ni arbitraire.

56�      Je conclus de plus que la règle de la préclusion n'empêche pas défenderesse de changer la méthode d'évaluation de l'asphalte pour les années d'imposition 1985 et 1986. J'ai examiné les principes énoncés dans les décisions Sunbeam, précitée, et Granger,précitée. Il est clair que la taxe exigible est établie par la Loi et que le traitement accordé aux autres contribuables dans des situations semblables n'est donc pas pertinent. Le ministre n'est pas lié par les affirmations faites par les fonctionnaires autorisés de son ministère, même si elles sont contraires aux dispositions législatives : Granger, précité, p. 86. La loi l'emporte sur toute affirmation de ce type. En outre, l'appel d'une cotisation n'est rien d'autre. Ce ne sont pas les motifs ni le fondement de la cotisation qui sont visés par l'appel.

57�      En conclusion, il n'y a pas eu selon moi de paiement excédentaire en ce qui concerne les dispositions de la Loi et aucun remboursement n'est dû par application de l'article 44 de la Loi.


58�      L'appel est donc rejeté. Toutefois, la demanderesse s'étant apparemment fiée aux affirmations que lui ont faites les fonctionnaires de Revenu Canada, j'estime qu'il convient de ne pas la condamner aux dépens. Il n'y aura donc pas d'adjudication des dépens.

                                                                                                Howard I. Wetston

Juge

Ottawa (Ontario)

8 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                 T-3390-90

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Jack Cewe Ltd c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                28 octobre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE WETSTON

DATE DES MOTIFS :                          8 janvier 1999

ONT COMPARU :

Me C. Donald MacKinnon                                 POUR LA DEMANDERESSE

Me M. Kathleen McManus                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Broughton Peterson Yang Anderson      POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (C.-B.)

Me Morris Rosenberg                            POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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