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Date : 19971223


Dossier : IMM-4180-96

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 1997

En présence de M. le juge Pinard

Entre :


KARMJIT SINGH NIJJAR, AMANDIP SINGH NIJJAR et

SUKHJINDER KAUR NIJJAR,


requérants,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


intimé.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision de l"agent d"immigration Preeti Ahluwalia Grover, décision qui était consignée dans une lettre du 14 octobre 1996 et par laquelle l"agent refusait de traiter plus avant la demande de résidence permanente des requérants pour le motif que, selon elle, les requérants n"étaient pas des " personnes à charge " au sens du paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration, est accueillie. L"affaire est renvoyée à l"agent d"immigration, qui soumettra à un agent des visas la demande de résidence permanente au Canada présentée dans la catégorie de la famille par Daljit Kaur Nijjar, pour que soit examinée, au titre de considérations humanitaires, la demande y incluse faite par les requérants pour obtenir la résidence permanente au Canada.

     La question suivante est certifiée conformément au paragraphe 18(1) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d"immigration :

     Lorsque des personnes qui sont considérées comme des personnes auxquelles ne s"applique pas la définition de " fils à charge " ou " fille à charge ", dans une demande de la catégorie de la famille, présentent une demande fondée sur des considérations humanitaires, l"agent des visas peut-il considérer cette demande uniquement si chacune de ces personnes a sollicité la prise en compte de raisons d"ordre humanitaire dans une demande de résidence permanente au Canada présentée en son propre nom à titre de requérant principal (soit au moyen d"une demande autonome, soit au moyen d"une demande de la catégorie de la famille où elle apparaît comme "personne appartenant à la catégorie de la famille" et non comme personne à charge accompagnant son parent)?         

Yvon Pinard

___________________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     Date : 19971223

     Dossier : IMM-4180-96

Entre :


KARMJIT SINGH NIJJAR, AMANDIP SINGH NIJJAR et

SUKHJINDER KAUR NIJJAR,


requérants,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


intimé.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1] Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de l"agent d"immigration Preeti Ahluwalia Grover (l"agent), consignée dans une lettre du 14 octobre 1996, par laquelle l"agent a refusé de traiter plus avant la demande de résidence permanente des requérants après être arrivée à la conclusion que les requérants ne faisaient pas partie de la définition de " personne à charge " prévue par le paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration (le Règlement). La lettre du 14 octobre 1996 est rédigée ainsi :


         [TRADUCTION]
                                 Le 14 octobre 1996                 
         Mme Daljit Kaur Nijjar                 
         W/o Amarjit Singh Nijjar                 
         625 Dhalia Street                 
         Lynden, Washington                 
         U.S.A.                 
         Madame,                 
         Je me réfère à votre demande de résidence permanente au Canada, dans laquelle vous avez inclus Sukhjinder Kaur Nijjar en tant que fille à charge, et Karmjit Singh Nijjar et Amandip Singh Nijjar, en tant que fils à charge.                 
         L"expression " fille à charge " est définie ainsi au paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration :                 
             "fille à charge" Fille:                 
             a) soit qui est âgée de moins de 19 ans et n"est pas mariée;                 
             b) soit qui est inscrite à une université, un collège ou un autre établissement d"enseignement et y suit à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle, et qui:                 
                 (i) d"une part, y a été inscrite et y a suivi sans interruption ce genre de cours depuis la date de ses 19 ans ou, si elle était déjà mariée à cette date, depuis la date de son mariage,                 
                 (ii) d"autre part, selon l"agent d"immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu"il a reçus, a été entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents depuis la date de ses 19 ans ou, si elle était déjà mariée à cette date, depuis la date de son mariage;                 
             c) soit qui est entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents et qui:                 
                 (i) d"une part, selon un médecin agréé, souffre d"une incapacité de nature physique ou mentale,                 
                 (ii) d"autre part, selon l"agent d"immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu"il a reçus, y compris les renseignements reçus du médecin agréé visé au sous-alinéa (i), est incapable de subvenir à ses besoins en raison de cette incapacité.                 
     L"expression " fils à charge ", également définie au paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration, a le même sens que l"expression " fille à charge " indiquée ci-dessus, avec les adaptations de genre qui s"imposent.         

     Selon le paragraphe 2(7) du Règlement de 1978 sur l"immigration, " pour l"application du sous-alinéa b) (i) des définitions de " fille à charge " et " fils à charge ", la personne qui a interrompu ses études pour une période totale d"au plus un an n"est pas considérée comme ayant interrompu ses études ".         
     Un examen attentif de votre dossier montre que Sukhjinder Kaur Nijjar n"est pas une " fille à charge " selon la définition donnée par le paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration, et au sens du paragraphe 2(7) de ce même règlement, puisque, depuis l"âge de 19 ans, elle n"a pas été inscrite sans interruption à une université, un collège ou un autre établissement d"enseignement et n"y a pas suivi à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle.         
     Sukhjinder Kaur Nijjar est née le 20 janvier 1975. Elle n"était pas âgée de moins de 19 ans lorsqu"un engagement d"aide présenté en votre nom a été reçu au Centre de traitement des cas, à Mississauga le 14 juin 1994. Selon l"information accompagnant sa demande de résidence permanente, elle a cessé ses études après son examen d"admission à l"université en avril 1991.         
     Un examen attentif de votre dossier montre que Karmjit Singh Nijjar n"est pas un " fils à charge " selon la définition donnée par le paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration, et au sens du paragraphe 2(7) de ce même règlement, puisque, depuis l"âge de 19 ans, il n"a pas été inscrit sans interruption à une université, un collège ou un autre établissement d"enseignement et n"y a pas suivi à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle.         
     Karmjit Singh Nijjar est né le 15 février 1970. Il n"était pas âgé de moins de 19 ans lorsqu"un engagement d"aide présenté en votre nom a été reçu au Centre de traitement des cas, à Mississauga, le 14 juin 1994. Selon l"information accompagnant sa demande de résidence permanente, il a cessé ses études en avril 1984, et il travaille depuis ce temps.         
     Un examen attentif de votre dossier montre que Amandip Singh Nijjar n"est pas un " fils à charge " selon la définition donnée par le paragraphe 2(1) du Règlement de 1978 sur l"immigration, et au sens du paragraphe 2(7) de ce même règlement, puisque, depuis l"âge de 19 ans, il n"a pas été inscrit sans interruption à une université, un collège ou un autre établissement d"enseignement et n"y a pas suivi à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle.         
     Amandip Singh Nijjar est né le 25 avril 1972. Il n"était pas âgé de moins de 19 ans lorsqu"un engagement d"aide présenté en votre nom a été reçu au Centre de traitement des cas, à Mississauga, le 14 juin 1994. Selon l"information fournie à l"appui de sa demande de résidence permanente, il a cessé ses études entre 1990 et 1993. Il affirme s"être présenté en mars 1994 aux examens de la douzième année à titre d"étudiant privé, et il n"a fréquenté aucune école régulière. Les personnes qui poursuivent leurs études à titre d"étudiants privés ou de candidats privés ne sont pas réputés être des étudiants à temps plein.         
     Puisque Sukhjinder Kaur Nijjar n"est pas votre " fille à charge " et que Karmjit Singh Nijjar et Amandip Singh Nijjar ne sont pas vos " fils à charge " selon le Règlement de 1978 sur l"immigration, nous ne pouvons continuer de traiter votre demande dans sa forme actuelle. Puisque Sukhjinder Kaur Nijjar n"est pas votre fille à charge et que Karmjit Singh Nijjar et Amandip Singh Nijjar ne sont pas vos fils à charge, veuillez informer nos bureaux, par écrit et dans un délai de 60 jours, que vous consentez à les enlever de votre demande de résidence permanente au Canada. Nous joignons à la présente des déclarations qui se passent d"explications et que vous voudrez bien remplir et retourner à nos bureaux.         
     Veuillez agréer, Madame, l"expression de mes sentiments distingués.         
     Conseillère (Immigration)         
     c.c.      Parrain (M. Amarjit Singh Nijjar, 8415 - 184e rue, Surrey, C.-B., V3S 5X7)         

[2] Vu les circonstances de la présente affaire, je suis d"avis que la conclusion de l"agent selon laquelle les requérants n"entraient pas dans la définition de " fille à charge " ou de " fils à charge " était juste, sur le plan des faits et sur celui du droit. Il est clair que, lorsque l"engagement de parrainage a été déposé, chacun des requérants avait plus de 19 ans et n"était pas inscrit à un établissement d"enseignement comme étudiant à temps plein. L"agent n"avait aucun pouvoir d"appréciation et ne pouvait considérer la demande qu"à la lumière des critères établis.

[3] La seule question pertinente est donc la suivante : l"agent avait-elle l"obligation formelle de soumettre à un agent des visas la demande de résidence permanente au Canada présentée par les requérants par l"entremise de leur mère, afin que ladite demande puisse être étudiée au titre de considérations humanitaires?

[4] L"article 2.1 du Règlement est rédigé ainsi :

     2.1 Le ministre est autorisé à accorder, pour des raisons d"ordre humanitaire, une dispense d"application d"un règlement pris aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi ou à faciliter l"admission au Canada de toute autre manière."         


[5] En l"espèce, il n"est pas sûr que les requérants ont expressément demandé que leur demande soit étudiée en fonction de considérations humanitaires. Dans l"arrêt Jiminez-Perez c. Canada (M.E.I.) , [1983] 1 C.F. 1631, la Cour d"appel fédérale a examiné si un requérant doit demander expressément que sa demande soit étudiée en fonction de considérations humanitaires. Elle a statué ainsi, page 170 :
     La Loi est muette quant à la procédure à suivre pour demander une dispense de la condition de l"article 9. Rien non plus dans le dossier ne jette de la lumière sur la pratique ministérielle à ce sujet, mais j"estime qu"en pratique, la demande doit être soumise aux agents d"immigration locaux qui normalement devraient la transmettre au Ministre avec leurs recommandations. Une telle demande relève de l"application générale de la Loi et, en l"absence d"une disposition spéciale, l"équité administrative exige qu"elle puisse être faite au niveau ministériel local. Les lettres datées du 24 et du 30 juin 1980 adressées à l"appelant Boisvert, dont j"ai cité des extraits ci-dessus, constituent une demande suffisamment claire de dispense, pour des motifs d"ordre humanitaire ou de compassion, de la condition prévue à l"article 9,         
                                 (non souligné dans l"original)
[6] Je suis d"avis en l"espèce que la correspondance reçue de l"avocat du parrain peut être considérée comme une requête pour que la demande soit étudiée en fonction de considérations humanitaires. La lettre, datée du 8 juin 1994, renferme l"énoncé suivant :
     [TRADUCTION]
     Pour vous faire connaître les antécédents de M. Nijjar et les circonstances spéciales qui motivent notre demande, nous vous communiquons les renseignements suivants.         

Puis plus loin :
     [TRADUCTION]
     ...En raison de la longue période qui s"est écoulée, nous sommes d"avis que M. Nijjar se trouve maintenant dans une position difficile, sans qu"il y ait faute de sa part. C"est pourquoi nous demandons, en accord avec la déclaration du ministre concernant la réunification des familles, que les frères et soeurs de M. Nijjar, qui sont tous célibataires et qui tous dépendent financièrement de lui, soient autorisés à entrer au Canada dans le cadre de son engagement d"aide.         
[7] Cette lettre ne reproduit pas la formulation précise de la correspondance évoquée dans l"arrêt Jiminez-Perez, précité, mais, vu les paragraphes 27 et 28 de l"affidavit de Preeti Ahluwalia Grover, déposé au nom de l"intimé, je crois qu"elle n"en est pas moins une requête pour que la demande soit étudiée en fonction de considérations humanitaires.
[8] Quant à l"obligation de l"agent des visas d"étudier la demande sous l"angle de considérations humanitaires, la Cour d"appel fédérale est arrivée à la conclusion, dans l"arrêt Jiminez-Perez, précité , que " puisque la Loi prévoit que cette admission peut être accordée sur cette base dans des cas particuliers, un requérant éventuel a droit à une décision administrative sur la base sur laquelle il présente une demande... ". Voici, sur ce point, les propos de la Cour suprême :
     En cette Cour, l"avocat des appelants a reconnu que les appelants Jean Boisvert et Susan Lawson ont, en vertu du par. 115(2) de la Loi, l"obligation d"examiner et de trancher la demande des intimés qui vise à obtenir une exemption, pour des considérations humanitaires ou de compassion, de l"application de la condition de l"art.9 de la Loi sur l"immigration de 1976, 1976-77 (Can.), chap. 52. L"avocat des appelants a soutenu qu"on ne pouvait faire respecter cette obligation par voie de mandamus, mais n"a pas vraiment contesté qu"on pouvait le faire par jugement déclaratoire.         
                                 (non souligné dans l"original)

[9] Mon collègue le juge Cullen s"est exprimé ainsi dans l"affaire Nueda c. Canada (M.E.I.), no du greffe 92-T-1401, p. 12 :
         Une décision prise en vertu du paragraphe 114(2) est une décision de caractère administratif. Depuis l"arrêt rendu par la Cour suprême dans l"affaire MEI c. Jiminez-Perez, [1984] 2 RCS 565, il est clair que les agents d"immigration ont le devoir d"examiner toute demande d"exemption, pour des motifs d"ordre humanitaire, des exigences posées à l"article 9 de la Loi sur l"immigration, les agents concernés étant également tenus de rendre une décision au nom du ministre de l"Emploi et de l"Immigration et de porter cette décision à l"attention de la personne en cause...         
[10] Je suis par conséquent d"avis que l"agent avait l"obligation de renvoyer à un agent des visas la demande de résidence permanente au Canada présentée au nom des requérants par leur mère, pour que cette demande soit étudiée en fonction de considérations humanitaires.
[11] Je suis en désaccord avec l"argument de l"intimé selon lequel la demande des requérants ne peut être étudiée en fonction de considérations humanitaires pour la simple raison qu"ils ont présenté leur demande en tant que " personnes à charge " d"un requérant principal dans la catégorie de la famille. Je ne vois pas pourquoi l"article 2.1 du Règlement ne pourrait s"appliquer au cas des requérants. Les parties n"ont pu citer aucun précédent sur ce point. Je suis donc disposé à certifier la question suivante, qui a été proposée par l"avocat de l"intimé, conformément au paragraphe 18(1) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d"immigration :
     Lorsque des personnes qui sont considérées comme des personnes auxquelles ne s"applique pas la définition de " fils à charge " ou " fille à charge ", dans une demande de la catégorie de la famille, présentent une demande fondée sur des considérations humanitaires, l"agent des visas peut-il considérer cette demande uniquement si chacune de ces personnes a sollicité la prise en compte de raisons d"ordre humanitaire dans une demande de résidence permanente au Canada présentée en son propre nom à titre de requérant principal (soit au moyen d"une demande autonome, soit au moyen d"une demande de la catégorie de la famille où elle apparaît comme "personne appartenant à la catégorie de la famille" et non comme personne à charge accompagnant son parent)?         
Aucune autre question ne mérite d"être certifiée en l'espèce.
[12] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, et l"affaire est renvoyée à l"agent d"immigration, qui devra soumettre à un agent des visas la demande de résidence permanente au Canada présentée dans la catégorie de la famille par Daljit Kaur Nijjar (la requérante principale), pour que l"agent des visas examine en fonction de considérations humanitaires la demande de résidence permanente au Canada qui a été faite par les requérants et qui est comprise dans la demande de la requérante principale.
Yvon Pinard
___________________________________
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 23 décembre 1997
Traduction certifiée conforme
C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-4180-96
INTITULÉ :                  Karmjit Singh Nijjar et al c.
                     Le Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :      le 9 décembre 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE M. LE JUGE PINARD

EN DATE DU              23 décembre 1997

ONT COMPARU

M. Gerald G. Goldstein                      POUR LES REQUÉRANTS
Mme Esta Resnick                          POUR L"INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Evans, Goldstein & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)                  POUR LES REQUÉRANTS

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canada                  POUR L"INTIMÉ
__________________

1      Appel accueilli pour d"autres motifs : [1984] 2 R.C.S. 565. La correspondance qui accompagnait la demande dans la présente affaire renfermait des formules telles que " Si vous croyez qu"une exception... " et " Je crois que vous trouverez d"importantes raisons humanitaires pour faire une exception... ", mais il n"était pas demandé expressément que la demande soit étudiée en fonction de considérations humanitaires.

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