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Date : 19980529


Dossier : IMM-4190-97

ENTRE :


AJIT SHERGILL,


demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d"appel de l"immigration (la SAI) a confirmé la décision d"un agent des visas, qui a refusé d"approuver la demande parrainée visant à obtenir le droit de s"établir au Canada déposée par la fille du demandeur, laquelle a été " adoptée " en Inde. L"agent des visas a refusé d"approuver la demande de droit d"établissement au motif que la fille du demandeur n"a pas été adoptée conformément aux exigences de la Hindu Adoptions and Maintenance Act (la Loi), une loi indienne qui prévoit, entre autres, que le père adoptif doit avoir au moins 21 ans de plus que la fille qu"il adopte. En l"espèce, la différence d"âge entre le père et la fille n"était que d"environ 17 ans. La fille ne pouvait donc pas être considérée comme appartenant à la catégorie de la famille aux fins de l"immigration au Canada.

[2]      À l"époque pertinente, la définition du terme " adopté " qui figurait au paragraphe 2(1) du Règlement sur l"immigration de 1978, DORS/78-172, modifié, prévoyait :

                 "adopté" signifie adopté conformément aux lois de toute province du Canada ou de tout pays autre que le Canada ou de toute subdivision politique de ces pays lorsque l'adoption crée un lien entre père et mère et enfant1.                 

[3]      La seule question en litige est de savoir si la fille du demandeur a été adoptée conformément aux lois indiennes. Le paragraphe 5(1) et les alinéas 6(iv) et 11(iii) de la Loi prévoient :

                 [TRADUCTION]                 
                 5(1). Toute adoption impliquant un Hindou faite après l"entrée en vigueur de la présente loi devra être conforme aux dispositions du présent chapitre, et toute adoption faite en contravention de ces dispositions sera nulle.                 
                 6. Pour être valide, l"adoption doit -                 
                 [...]                 
                      (iv) être faite conformément aux autres conditions prévues dans le présent chapitre.                 
                 11.      Toute adoption doit respecter les conditions suivantes : -                 
                 [...]                 
                 (iii) si la personne adoptante est un homme et la personne adoptée est une femme, le père adoptif doit avoir au moins vingt et un ans de plus que la personne adoptée.                 

[4]      L"argument soulevé en l"espèce est que l"alinéa 11(iii) ne s"applique que dans le cas d"adoptions faites par des parents uniques et non dans celui d"adoptions faites par des couples.

[5]      La SAI disposait de nombreux éléments de preuve provenant de fonctionnaires de tribunaux et d"avocats indiens de même que d"un jugement déclaratoire rendu par un tribunal indien qui établissaient que l"adoption en cause dans la présente affaire était valide. Une preuve d"expert allant dans le sens contraire a été présentée, selon laquelle l"alinéa 11(iii) s"appliquait dans la présente affaire et n"avait pas été respecté.

[6]      La SAI a tiré les conclusions suivantes :

                 [TRADUCTION] La Section d"appel trouve les arguments du défendeur plus convaincantes que celles du demandeur. La formation estime que le jugement déclaratoire du tribunal indien et les avis juridiques des trois avocats de l"Inde ne lui sont d"aucune utilité, car ni l"un ni l"autre de ces documents ne fournit une analyse juridique sur le fond en ce qui concerne l"exigence que le père adoptif ait 21 ans de plus que la fille adoptive; par conséquent, elle estime que ces documents ne sauraient être déterminants à l"égard du présent appel. L"appelant n"a pas renvoyé à d"autres décisions, commentaires de juges, analyses de doctrine, ni à d"autres faits décrivant l"application pratique de la loi ou la façon dont elle devait originalement être appliquée. Il est clair que l"alinéa 11(iii) de la HAMA ne prévoit aucune exception applicable aux couples mariés. En outre, cet alinéa ne mentionne pas expressément qu"il ne s"applique qu"aux célibataires. Aucun arrêt supplémentaire n"ayant été cité, la Section d"appel ne peut que conclure que l"exigence selon laquelle le père adoptif doit avoir au moins 21 ans de plus que la fille adoptive doit être respectée, qu"il soit marié ou non. La formation conclut donc que l"adoption n"est pas valide en vertu de la HAMA .                 
                 En conséquence, l"adoption de la demanderesse n"a pas respecté l"alinéa 11(iii) de la HAMA et la demanderesse n"est pas visée par la définition d"" adopté " prévue au paragraphe 2(1) du Règlement sur l"immigration. Elle ne fait pas partie de la catégorie de famille.                 

[7]      Vu la preuve contradictoire se rapportant au droit indien, la SAI a dû apprécier celle-ci. Même si la preuve en l"espèce se rapportait à l"interprétation du droit indien, l"appréciation d"une telle preuve n"est pas différente de celle qu"un tribunal doit faire de toute autre preuve. En l"espèce, il incombait à la SAI d"apprécier la preuve, et la Cour n"appréciera pas celle-ci de nouveau, sauf en cas d"erreur de droit. Il ne s"agit pas d"une affaire indubitable, et le demandeur a effectivement présenté des éléments de preuve relativement convaincants. Cependant, la SAI avait tout de même le loisir de préférer la preuve déposée par le défendeur.

[8]      Le demandeur se fonde sur l"article 16 de la HAMA , qui prévoit :

                 [TRADUCTION] 16. Sur présentation au tribunal, quel qu"il soit, de tout document, déposé en vertu d"une loi présentement en vigueur, faisant état d"une adoption et signé par la personne faisant adopter l"enfant et par celle adoptant celui-ci, le tribunal présumera que l"adoption a été faite conformément aux dispositions de la présente loi, à moins et jusqu"à ce que le contraire ne soit établi.                 

[9]      Il a été avancé que vu le jugement déclaratoire, on doit présumer que l"adoption a été faite conformément à la Loi . L"article 16 a été analysé dans les décisions Singh c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) et Brar c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), 11 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), dans laquelle le juge Hugessen de la Cour d"appel a dit, à la page 8 :

                 Les présomptions que la loi indienne impose aux tribunaux indiens, qui pourraient être pertinentes s"il s"agissait simplement de savoir que est le statut des enfants parrainés en Inde en vertu du droit international privé, ne sont d"aucune utilité pour établir si l"un d"eux est un " fils adopté " au sens de la Loi sur l"immigration, S.C. 1976-77, ch. 52, et de son règlement d"application. En conclusion, comme la présomption prévue à l"article 16 s"adresse spécifiquement " au tribunal ", on pourrait difficilement prétendre qu"elle n"a pas un caractère purement procédural, car il est peu vraisemblable que le Parlement indien ait eu l"intention de lier un tribunal à l"égard duquel il n"exerçait aucun pouvoir ni aucune compétence juridictionnelle.                 

Je suis lié par la décision Singh, laquelle est déterminante en ce qui concerne l"effet de l"article 16 de la Loi . La SAI n"était pas liée par le jugement déclaratoire.

[10]      Enfin, je fais remarquer que le préambule de l"acte d"adoption prévoit :

                 [TRADUCTION] Attendu que le père adoptif a plus de 21 ans de plus que ladite Sarabjit Kaur.                 

Il a été convenu que cette déclaration était erronée, le père adoptif ayant moins que 21 de plus que la fille adoptive. Cependant, si le demandeur a raison de prétendre que l"exigence de 21 ans n"est ni pertinente, ni obligatoire dans les cas où, comme en l"espèce, l"enfant est adopté par un couple marié, il est difficile de comprendre pourquoi l"acte d"adoption y renvoie. En outre, les avocats ont convenu que le motif qui sous-tend l"exigence de 21 ans consiste à empêcher ou à limiter l"établissement de relations inconvenantes sous le prétexte de l"adoption. S"il s"agit effectivement de l"objectif visé par la disposition, il n"est pas impossible, dans le cas de couples mariés (encore que cela soit peut-être moins probable), que des relations inconvenantes puissent être établies avec des enfants adoptés, au même titre que lorsque l"enfant est adopté par un seul parent. À tout le moins, pour étayer le point de vue selon lequel l"exigence de 21 ans ne s"applique que dans le cas d"adoptions faites par des parents uniques, il aurait été souhaitable qu"une preuve en établissant le bien-fondé ait été présentée.

[11]      L"avocat du demandeur a indiqué que la présente affaire pourrait donner lieu à de graves difficultés. Comme je ne connais pas tous les faits, je ne suis pas en mesure de faire des remarques éclairées sur ce point. Je m"attends, cependant, à ce que les autorités d"immigration canadiennes tiennent compte des raisons d"ordre humanitaire que soulèvera, le cas échéant, toute demande étayée de faits et détails et présentée en bonne et due forme.


[12]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les deux avocats méritent des félicitations pour les arguments convaincants et concis qu"ils ont présentés.


(signé) " Marshall E. Rothstein "

                                         juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 29 mai 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L"AUDIENCE :              le 27 mai 1998

NO DU GREFFE :                  IMM-4190-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Ajit Shergill

                         c.

                         MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

en date du 29 mai 1998

ONT COMPARU :

     M. Mir Huculak              pour le demandeur

     Mme Esta Resnick              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Mir I. Huculak

     Barrister & Solicitor

     Vancouver (C.-B.)              pour le demandeur

     George Thomson

     Sous-procureur général

     du Canada                  pour le défendeur

__________________

1      Il s"agit de la définition qui était en vigueur à l"époque pertinente. Elle a depuis reçu des modifications, mais celles-ci n"ont aucune importance en l"espèce.

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