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     Date : 19990902

     T-1238-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 SEPTEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

E n t r e :

     DANIEL D. GEMBY,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, pour le compte de

     DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

     et de la COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA,

     défenderesse.


     ORDONNANCE



     LA COUR, STATUANT SUR la demande présentée par le demandeur sous forme de requête introductive d'instance en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation d'une décision en date du 9 février 1998 par laquelle un conseil arbitral constitué en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi a décidé d'approuver une nouvelle audition de l'appel du demandeur, et en vue d'obtenir un bref de mandamus assorti de directives particulières à l'intention du conseil arbitral :

     APRÈS AUDITION des avocats des parties à Regina (Saskatchewan) le 25 août 1999, date à laquelle le prononcé de la décision a été reporté à plus tard, et APRÈS EXAMEN des observations qui ont alors été formulées :

     1.      ACCUEILLE la demande en partie et ANNULE la décision contestée du conseil arbitral ;
     2.      DÉCLARE, avec le consentement des parties, que la défenderesse sera désignée conformément à l'intitulé de cause qui figure au début de la présente ordonnance ;
     3.      CONDAMNE la défenderesse aux dépens, qui seront calculés au tarif habituel des dépens entre parties au montant convenu par les parties ou, à défaut d'entente, en conformité avec la colonne 3 du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

                                         W. Andrew MacKay

    

                                             JUGE


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.




     Date : 19990902

     T-1238-98

E n t r e :

     DANIEL D. GEMBY,

     demandeur,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, pour le compte de

     DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

     et de la COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA,

     défenderesse.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE MacKay


[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire et l'annulation d'une décision en date du 9 février 1998 par laquelle un conseil arbitral constitué en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi1 a décidé d'approuver la nouvelle audition de l'appel interjeté par le demandeur au sujet de la demande de prestations qu'il avait présentée en vertu de la Loi. Le demandeur sollicite également un bref de certiorari annulant la décision, ainsi qu'une ordonnance enjoignant au conseil arbitral d'ordonner à la Commission d'assurance-emploi (la Commission) de lui verser les prestations auxquelles la Commission a reconnu qu'il avait droit aux termes d'une première décision en date du 18 décembre 1997.

[2]      La Commission a reçu la demande de prestations d'assurance-emploi de M. Gemby le 8 octobre 1997. Le 5 novembre 1997, la Commission a fait parvenir un avis d'exclusion au demandeur en concluant qu'il n'avait pas quitté l'emploi qu'il exerçait à la Woodlawn Regional Park Authority (Woodlawn) pour un motif valable. M. Gemby a interjeté appel de cette décision, et une audience a eu lieu devant le conseil arbitral le 18 décembre 1997. Le conseil arbitral a conclu que le demandeur avait été congédié de son emploi d'été et que la Woodlawn avait fait une erreur dans son relevé d'emploi. Le conseil arbitral a accueilli l'appel, reconnaissant l'admissibilité du demandeur à des prestations.

[3]      Le 8 janvier 1998, un représentant de la Woodlawn a communiqué avec la Commission et s'est plaint du fait que la compagnie n'avait pas été avisée de l'audition de l'appel de M. Gemby. La Commission a conclu qu'il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle étant donné que la Woodlawn n'avait pas reçu l'avis d'audition auquel elle avait droit en vertu de la Loi et qu'elle n'avait pas eu l'occasion de faire valoir son point de vue. La Commission s'est fondée sur son guide de procédure pour conclure qu'une nouvelle audition constituait une mesure appropriée pour résoudre la question et c'est la recommandation qu'elle a faite à une autre formation collégiale du conseil arbitral. Le chapitre 18.9.5 du manuel de la Commission prévoit notamment ce qui suit :

     18.9.5
     CAS DEVANT ÊTRE ENTENDUS " DE NOVO " À LA SUITE D'UN MANQUEMENT À LA RÈGLE AUDI ALTERAM PARTEM
     NOTA :      Les remarques qui suivent ne s'appliquent qu'aux cas dans lesquels il y a eu déni de justice naturelle causé par le fait qu'une des parties n'a pas reçu un avis suffisant de la date d'audience. Elles ne s'appliquent pas à tout autre type de déni de justice naturelle qui pourrait être invoqué contre le conseil arbitral lui-même dans le cadre d'une audience. Toute allégation de déni de justice fondé sur l'alinéa 80a) de la Loi doit être tranchée par le juge-arbitre, ainsi que la loi le précise bien.
     (1)      Il arrive parfois que l'intéressé n'ait pas été entendu par le conseil arbitral parce que la Commission ne l'a pas dûment avisé de la tenue de l'audience ou que l'intéressé n'a pas reçu l'avis mis à la poste ou que celui-ci n'est pas arrivé à temps. Si l'intéressé se plaint de ce genre de situation, l'agent prendra les mesures nécessaires, dans la mesure du possible, pour faire réentendre l'affaire par un autre conseil arbitral. C'est toutefois le nouveau conseil arbitral qui décidera s'il y a lieu ou non d'ordonner une nouvelle audition. Il y a également lieu de noter qu'une " nouvelle audition "ne constitue pas une nouvelle audience [...]

[4]      Le demandeur s'est opposé à la décision d'ordonner une nouvelle audition et a transmis ses observations au conseil arbitral avant que la nouvelle audition n'ait lieu. Le 9 février 1988, une nouvelle formation collégiale du conseil arbitral a entendu des arguments au sujet de la recommandation de nouvelle audition de la Commission et a décidé de réentendre l'appel. Voici le texte de sa décision :

     [TRADUCTION]
     Lors de l'audience téléphonique tenue avec l'avocat de M. Gemby en présence de ce dernier, Me Komamicki a fait valoir que le conseil arbitral n'avait pas compétence pour décider si une affaire devrait fait l'objet d'une nouvelle audition, étant donné que le conseil arbitral a déjà reçu l'ordre de la Commission de procéder à une telle audition.
     Après l'audition, on a trouvé les dispositions applicables de la Loi et du Règlement qui, selon l'interprétation que le conseil arbitral en donne, lui confèrent le droit de rendre la décision en question. Ainsi, le paragraphe 83(1) de la Loi dispose : " Un conseil arbitral donne à chacune des parties en cause dans un appel la possibilité de présenter ses arguments au sujet de toute affaire dont il est saisi. " De plus, le paragraphe 111(1) prévoit ce qui suit : " Sont créés des conseils arbitraux, composés d'un président ainsi que d'un ou plusieurs membres choisis parmi les employeurs ou leurs représentants et d'autant de membres choisis parmi les assurés ou leurs représentants. "
     Le paragraphe 111(5) prévoit par ailleurs qu'" avec l'agrément du gouverneur en conseil, la Commission peut prendre des règlements : [...] a.1) concernant la pratique et la procédure des instances devant un conseil arbitral, notamment pour autoriser le président de celui-ci à en fixer la pratique et la procédure [...]
     En vertu de cette autorisation, le conseil arbitral constitué le 9 février 1998 a approuvé la nouvelle audition. Les dates d'audition devront être approuvées par tous les intéressés.

Question en litige

[5]      Le conseil arbitral a-t-il excédé sa compétence en approuvant la nouvelle audition et en refusant de verser ses prestations au demandeur conformément à la première décision ? Le demandeur affirme que la Commission et le conseil arbitral n'ont pas suivi la procédure prescrite par la Loi en ce qui concerne les allégations de manquement aux principes de justice naturelle et la question de la nouvelle audition.

Analyse

[6]      La défenderesse soutient que le pouvoir du conseil arbitral d'ordonner une nouvelle audition découle de l'article 120 de la Loi. Voici le texte de cette disposition :

     La Commission, un conseil arbitral ou le juge-arbitre peut annuler ou modifier toute décision relative à une demande particulière de prestations si on lui présente des faits nouveaux ou si, selon sa conviction, la décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel ou a été fondée sur une erreur relative à un tel fait.

La défenderesse soutient que le défaut d'aviser l'employeur de l'audition de l'appel du demandeur, défaut qui l'a empêchée de faire valoir son point de vue devant le conseil arbitral, constituait un fait nouveau qui démontre qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle.

[7]      À mon avis, l'article 120 ne confère pas au conseil arbitral le pouvoir d'approuver une nouvelle audition dans ces circonstances. Interpréter cette disposition de manière à approuver une nouvelle audition pour cause d'erreur procédurale pouvant constituer un manquement aux principes de justice naturelle déborde le cadre des pouvoirs conférés au conseil arbitral de déterminer que des nouveaux faits ont été présentés ou que la décision repose sur une erreur relative à un fait essentiel. À mon avis, les faits nouveaux ou l'erreur doivent se rapporter à des faits qui sont essentiels à la demande dont le conseil arbitral est saisi, et non à des vices de procédure.

[8]      D'ailleurs, le conseil arbitral n'a pas invoqué l'article 120 pour justifier son pouvoir d'approuver la nouvelle audition. Il s'est plutôt fondé sur le paragraphe 83(1) de " la Loi ", sans toutefois préciser ce qu'il entendait par " la Loi ". La disposition que le conseil arbitral cite dans sa décision se trouve, non pas dans la Loi , mais dans le Règlement sur l'assurance-emploi2. mon avis, cette disposition du Règlement ne confère pas au conseil arbitral le pouvoir de décider qu'une décision déjà rendue devrait être annulée et qu'un appel devrait être entendu de nouveau en raison d'une erreur procédurale ou d'un manquement aux principes de justice naturelle.

[9]      Dans sa décision, le conseil arbitre cite également le paragraphe 111(1) du Règlement, mais il vise en fait l'article 111 de la Loi, qui précise seulement la composition du conseil arbitral, et non les pouvoirs de ce dernier. Le paragraphe (5) dont parle le conseil arbitral est le paragraphe 11(5) de la Loi, qui autorise effectivement la Commission, comme le souligne le conseil arbitral, à prendre, avec l'agrément du gouverneur en conseil, des règlements " concernant la pratique et la procédure des instances devant un conseil arbitral [...] ", mais il n'existe aucun règlement qui aurait été pris ou qui serait invoqué en l'espèce pour justifier la procédure qu'a suivie le conseil arbitral dans le cas qui nous occupe. Le guide de procédure de la Commission n'a pas la valeur d'un règlement, aussi utile que soit la procédure qui y est décrite.

[10]      À mon avis, ayant tranché l'appel du demandeur le 18 décembre 1998, le conseil arbitral était functus officio. Il ne pouvait réexaminer l'affaire, sauf en respectant les paramètres définis à l'article 120 de la Loi, si on lui présentait des faits nouveaux ou si la décision était fondée sur une erreur relative à un fait essentiel.

[11]      La Loi prévoit le recours qui est ouvert lorsqu'il appert qu'un intéressé n'a pas été avisé de la tenue d'une audience à l'issue de laquelle est tranchée la question en litige. Le recours prévu par l'article 115 de la Loi est un appel qui est interjeté de plein droit par la Commission, le prestataire ou son employeur devant un juge-arbitre à l'encontre de la décision du conseil arbitral. Or, en l'espèce, aucun appel de ce genre n'a été interjeté.

[12]      L'avocat de la défenderesses soutient qu'eu égard aux faits de l'espèce, lorsque le défaut de l'employeur d'être informé à l'avance de la tenue d'une audience devant le conseil arbitral permet de conclure à un manquement aux principes de justice naturelle, tout appel qui serait interjeté devant un juge-arbitre se solderait tout simplement par son renvoi à un autre conseil arbitral pour réexamen. La procédure qui a été suivie en l'espèce en conformité avec le guide de procédure de la Commission a conduit à l'adoption d'une méthode appropriée et expéditive. Cette façon de procéder serait, à mon avis, acceptable, si la procédure suivie était conforme à la loi. Or, j'estime qu'elle ne l'est pas.

[13]      Il est curieux de constater que l'avocat de la défenderesse soutient que la Cour ne devrait pas intervenir, mais qu'elle devrait laisser au juge-arbitre saisi de l'appel le soin de se prononcer sur la validité de la décision rendue par le conseil arbitral au sujet de la nouvelle audition. C'est, évidemment, la thèse que défend le demandeur en ce qui concerne toute question portant sur le bien-fondé de la première décision du conseil arbitral, celle qui a été rendue en décembre 1998.

[14]      Il est inhabituel pour la Cour d'intervenir dans le cadre d'une instance en contrôle judiciaire lorsque la loi prévoit une procédure d'appel pour trancher les questions soulevées. Pourtant, en l'espèce, le demandeur sollicite l'aide de la Cour parce que la procédure d'appel prévue par la loi n'a pas été suivie. Les circonstances justifient selon moi l'intervention de la Cour sous forme d'ordonnance annulant la décision en date de février 1999 par laquelle le conseil arbitral a ordonné de procéder à une nouvelle audition.

[15]      L'avocat de la défenderesse a fait savoir, à l'audience, que depuis l'introduction de la présente demande, la Commission a élaboré une nouvelle procédure au sujet de ce genre d'affaire en prévoyant son renvoi à un juge-arbitre pour qu'il tranche rapidement les cas dans lesquels un vice de procédure se traduit par un manquement à des principes de justice naturelle qui pourrait justifier une nouvelle audition de l'affaire. Cette façon de procéder est susceptible de résoudre les difficultés que soulève la procédure qui a été suivie en l'espèce.

[16]      Je passe à la demande d'ordonnance de bref de mandamus présentée par le demandeur en vue d'obtenir le versement des prestations auxquelles le conseil arbitral l'a reconnu admissible dans sa décision de décembre 1998. J'estime que le demandeur n'a pas réussi à démontrer qu'il y avait ouverture en l'espèce à un bref de mandamus, qui constitue après tout une réparation en equity. De toute évidence, on ne saurait prétendre que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur à cette étape-ci. Si l'employeur du demandeur souhaite toujours être entendu au sujet de l'appel du demandeur, des dispositions peuvent encore être prises à cet égard, et si un juge-arbitre décide qu'il y a eu en l'espèce un manquement aux principes de justice naturelle qui justifie une nouvelle audition, la première décision rendue en décembre 1998 par le conseil arbitral sera nulle. Si le paiement était ordonné ou effectué dès maintenant, le prestataire ferait alors l'objet d'une demande de remboursement des prestations auxquelles il n'avait pas droit. Son admissibilité dépendrait alors de la décision du nouveau conseil arbitral.

[17]      Évidemment, si l'employeur du demandeur ne désire plus être entendu au sujet de l'appel du prestataire, il n'est pas nécessaire d'interjeter appel devant un juge-arbitre, étant donné, selon moi, que le moyen tiré du manquement aux principes de justice naturelle est à toutes fins utiles caduc. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire que la Cour condamne la Commission à verser les prestations auxquelles le demandeur a droit, selon la décision rendue en décembre 1998 par le conseil arbitral. L'obligation à laquelle la loi soumet la Commission en pareil cas consiste de toute évidence à verser les prestations.

Dispositif

[18]      Par ces motifs, la Cour accueille la demande en partie et annule la décision rendue le 9 février 1999 par le conseil arbitral.

[19]      Le demandeur a réclamé les dépens de la présente instance. La défenderesse est par conséquent condamnée aux dépens, lesquels seront calculés au tarif habituel des dépens entre parties au montant convenu par les parties ou, à défaut d'entente, en conformité avec la colonne 3 du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

[20]      À l'ouverture de l'audience, l'avocat de la défenderesse a demandé à la Cour, avec le consentement du défendeur, que la défenderesse soit désignée conformément à l'intitulé de cause qui figure au début de la présente ordonnance. La Cour ordonne donc que l'intitulé de la cause soit modifié pour être conforme à celui qui figure dans les présents motifs et dans l'ordonnance.

                                         W. Andrew MacKay

    

                                             JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 2 septembre 1999.

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-1238-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      DANIEL D. GEMBY c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, pour le compte de DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA et de COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA,
LIEU DE L'AUDIENCE :          Régina (Saskatchewan)
DATE DE L'AUDIENCE :      Le 25 août 1999

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE McKAY

     EN DATE DU 2 SEPTEMBRE 1999

ONT COMPARU :

Me James Trobert                      pour le demandeur

Me Marvin Luther                      pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Komarnicki                      pour le demandeur

Estevan (Saskatchewan)

Me Morris Rosenverg                  pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

__________________

1      L.C. 1996, ch. 26, modifiée.

2      DORS/96-332, mars 1999.

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