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Date : 19980821


Dossier : T-2327-97

ENTRE

     ALEC CHINGEE, SHARON SOLONAS,

     TANIA SOLONAS, ELIZABETH SOLONAS et PATRICK PRINCE

     en leur qualité de chef et de conseillers

     de la bande indienne de McLeod Lake,

     demandeurs,

     et

     HARRY CHINGEE, VICTOR CHINGEE,

     GILBERT CHINGEE, LE MINISTRE DES

     AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

     et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il a été demandé à la Cour de statuer, en vertu de la règle 220, sur les deux points de droit qui suivent :

         [TRADUCTION]

         " La bande indienne de McLeod Lake (la bande) a-t-elle le pouvoir de :
    
         a)      décider quelle est la coutume applicable en matière de choix du chef et du conseil de la bande, que ceux-ci soient choisis par voie d"élections, par succession ou par toute autre méthode;
         b)      déterminer les modalités de cette coutume au moyen d"une décision prise à la majorité des voix des membres de la bande présents à une assemblée générale convoquée avec préavis? "

[2]      En premier lieu, je dois aborder la prétention de l"avocat des défendeurs selon laquelle ces questions ne peuvent trouver de réponse en l"absence de preuve sur les pratiques traditionnelles de la bande. La Cour avait déjà examiné cette prétention au moment de décider que les questions constituaient des points de droit sur lesquels elle pouvait statuer en vertu de la règle 220. J"estime qu"on ne peut plus revenir sur cet argument à présent.

[3]      Il est entendu que la bande est une " bande " au sens où l"entend la Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985), ch. I-5, et modifications. Il est entendu que la bande est connue comme une " bande coutumière ". Elle choisit le " conseil de la bande " selon la coutume de la bande plutôt que selon la procédure prévue par l"article 74 de la Loi .

[4]      En vertu de la Loi, le conseil de la bande a le pouvoir d"administrer les affaires de la bande. Par exemple, il a le pouvoir d"adopter des règlements sur des matières comme la circulation dans la réserve, la construction d"immeubles, l"imposition de taxes, l"octroi de permis aux entreprises et le maintien de la loi et l"ordre1. Pour exercer certains de ces pouvoirs, comme l"imposition de taxes, le conseil doit obtenir le consentement du ministre2. Quant à l"exercice d"autres pouvoirs, comme l"adoption de règles pour déterminer l"appartenance à la bande, le conseil doit obtenir le consentement de la majorité des membres3.

[5]      Le paragraphe 2(1) de la Loi définit le " conseil de la bande " comme celui choisi conformément à la procédure prévue par l"article 74 de la Loi ou selon la coutume de la bande :

     " conseil de la bande "         
     a) Dans le cas d"une bande à laquelle s"applique l"article 74, le conseil constitué conformément à cet article;         
     b) dans le cas d"une bande à laquelle l"article 74 n"est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande , ou, en l"absence d"un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci . [Non souligné dans l"original.]         

[6]      Bien que la Loi prévoie le choix du " conseil de la bande " selon la coutume de cette dernière, elle ne donne aucune indication sur la manière de la déterminer.

[7]      Le litige à l"origine de la présente instance découle de l"élection ayant eu lieu du 4 au 8 octobre 1997 pour le choix d"un chef et d"un conseil de bande. Les défendeurs prétendent que cette élection est invalide parce qu"elle n"a pas été tenue conformément à la coutume. L"élection s"est déroulée suivant la procédure adoptée par la bande lors de son assemblée générale du 17 septembre 1997.

[8]      Je suis convaincue que lors de l"adoption des dispositions pertinentes de la Loi sur les Indiens , l"intention du Parlement était de laisser à la bande le soin de déterminer la coutume régissant le choix du " conseil de la bande ". Cela découle de la nature de la coutume, qui consiste en une pratique établie ou adoptée par les personnes à qui elle s"applique et qui ont accepté d"être dirigées par elle.

[9]      L"avocat des demandeurs soutient qu"une conclusion selon laquelle les membres de la bande déterminent la coutume est conforme aux principes fondamentaux et à la jurisprudence existante en cette matière et qu"elle est réalisable et pratique en ce sens qu"elle permet d"éviter le recours aux tribunaux, épargnant ainsi aux bandes les effets néfastes financièrement que des procédures judiciaires relatives à des litiges de cette nature peuvent créer. Je suis d"accord.

[10]      Il faut ajouter que la coutume n"est pas immuable. Elle évolue selon les circonstances. Une bande peut décider de cesser de s"en remettre à sa tradition orale et mettre sa coutume par écrit. Elle peut passer d"un système fondé sur la succession à un système électoral. Elle peut décider d"adopter comme usages des pratiques et une procédure comparables à la procédure électorale utilisée pour élire des gouvernements municipaux ou provinciaux. Je ne peux interpréter l"expression " coutume de la bande ", contenue au paragraphe 2(1), comme empêchant une bande de modifier au besoin sa coutume de gouvernement pour tenir compte de situations nouvelles.

[11]      La décision rendue dans Jock v. Canada (1991), 41 F.T.R. 189, constitue l"exemple d"un cas où la coutume adoptée par la bande est de nature électorale. La bande en question est passée du statut de bande visée à l"article 74 à celui d"une bande coutumière. L"approbation requise de la bande pour procéder au changement, qui requiert un décret, a été obtenue par des membres de la bande tenant un referendum au moyen du porte-à-porte. Les membres " traditionalistes " (c.-à-d., ceux qui voulaient continuer à être régis par l"article 74) n"ont pas participé au referendum. Par la suite, une élection a eu lieu conformément au " règlement coutumier " que la bande avait adopté, soit le [TRADUCTION] " Règlement électoral d"Akwesasne ". La procédure prévue par ce règlement était similaire à celle prévue par l"article 74, à l"exception des modifications que la bande y avait apportées pour la rendre conforme à ses désirs.

[12]      La décision Bigstone c. Big Eagle, [1993] 1 C.N.L.R. 25 (C.F. 1re inst.), portait sur la validité de la procédure utilisée pour déterminer les règles devant régir la composition et le choix du conseil d"une bande non assujettie à l"article 74. À la page 34, le juge Strayer a conclu que " sauf si elle est définie par ailleurs dans le cadre d"une bande donnée, la coutume doit inclure des pratiques touchant le choix d"un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l"objet d"un large consensus "4 (non souligné dans l"original).

[13]      Dans Bone c. Bande indienne de Sioux Valley No 290 (1996), 107 F.T.R. 133, une bande auparavant régie par l"article 74 de la Loi sur les Indiens a décidé de devenir une bande coutumière. Le changement a été approuvé à la suite de deux plébiscites, dans lesquels les électeurs ont majoritairement voté en faveur. La question de savoir s"ils avaient également approuvé le code électoral utilisé ultérieurement pour choisir le chef et le conseil n"était pas entièrement résolue. Concluant que l"élection tenue conformément à ce code était valide, le juge Heald a fait sien l"extrait de l"arrêt Bigstone dans lequel le juge Strayer écrivait que la coutume d"une bande reflète des pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l"objet d"un large consensus. Aux pages 141 et 142, il a poursuivi :

         De l"avis des intimés, le critère juridique objectif que le juge Strayer recherchait se trouve à l"alinéa 2(3)a ) de la Loi sur les Indiens, dont le libellé est le suivant :         
         2(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :         
             a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l"être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande; ...         
         Les intimés ont soutenu que c"est la bande qui a le pouvoir de déterminer en quoi consiste sa constitution ou sa procédure électorale et que ce pouvoir doit être exercé conformément à l"alinéa 2(3)a ) reproduit plus haut. Je conviens que c"est la Bande elle-même, et non son conseil, qui a le pouvoir de déterminer en quoi consiste sa coutume. Toutefois, contrairement à ce que les intimés soutiennent, je refuse de reconnaître qu"il s"agit d"un " pouvoir conféré à une bande " au sens de l"alinéa 2(3)a ) de la Loi sur les Indiens.         

     . . . .

     En ce qui a trait à la définition du mot " coutume " proposée par le juge Stayer, il reste encore à savoir si le Code traduit la coutume de la Bande : c"est-à-dire s"il inclut des pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la Bande et qui font l"objet d"un large consensus. [Non souligné dans l"original.]         

[14]      Le juge Heald a ajouté que l"élection avait été tenue selon le code électoral contesté sans qu"aucune opposition n"ait été déposée avant la défaite. Il a interprété cette absence d"opposition comme une preuve que l"élection avait été tenue en conformité avec la coutume adoptée par la bande.

[15]      L"avocat des défendeurs soutient que ces affaires peuvent être distinguées de la présente car elles portent sur des bandes soit en processus de rétablissement soit en processus de transition de l"état de bande constituée en vertu de l"article 74 à l"état de bande coutumière. J"estime que les mêmes principes s"appliquent lorsqu"une bande souhaite changer ses usages. L"objectif de base est le même " un désir des membres de modifier les règles en vertu desquelles ils choisissent le " conseil de la bande ".

[16]      Au surplus, il est utile de citer la description de la coutume de la bande que fait Woodward dans Native Law (1994), à la page 166 :

         [TRADUCTION]

         Bien que l"on prétende généralement qu"une déclaration faite aux termes de l"art. 74 fait passer un conseil de bande constitué par " succession " à un conseil constitué par " élection ", cette description n"est pas toujours exacte. Certains conseils coutumiers ne sont pas du tout constitués par succession et la coutume de la bande prévoit parfois des élections70 . La coutume de la bande est un ensemble évolutif de règles de droit locales, de sorte que le gouvernement par coutume de la bande est compatible avec les institutions modernes et le processus démocratique.         
     ______________________
             
     70      La bande Squamish, par exemple, a un conseil choisi selon la coutume de la bande. La coutume de la bande Squamish est de tenir des élections qui sont à peu près semblables aux élections prévues par la Loi sur les Indiens. Le conseil compte plus de membres (16 conseillers), a un mandat plus long (4 ans) et répond mieux par ailleurs aux besoins des membres de la bande Squamish que s"il s"agissait d"un conseil élu conformément à l"art. 74.

[17]      L"argument principal des défendeurs est que le fait d"autoriser la modification de la coutume de la bande à la majorité des voix de ses membres revient à imposer un mode de sélection non coutumier. C"est-à-dire que la détermination de la manière dont la coutume de la bande peut être changée ou déterminée constitue elle-même une détermination du mode de sélection. Cela en est peut-être la conséquence inévitable, mais il faut s"en tenir à ce que la jurisprudence a assez bien établi, soit que la coutume de la bande est l"ensemble des pratiques touchant le choix d"un conseil de bande qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l"objet d"un large consensus. Comme je l"ai mentionné auparavant, la coutume de la bande n"est pas immuable.

[18]      La question à laquelle il reste à répondre est de savoir si un " large consensus " est synonyme d"une " décision prise à la majorité des voix des membres de la bande présents à une assemblée générale convoquée avec préavis ". J"estime que cela peut être le cas ou non, selon un certain nombre de facteurs. Si, par exemple, l"assemblée générale était tenue à un endroit ou à un moment faisant en sorte qu"il est difficile pour plusieurs membres d"y assister et qu"il n"y avait aucune possibilité de voter par procuration, elle pourrait ne pas satisfaire au critère du large consensus. Si l"avis de convocation ne fournissait pas suffisamment de détails sur ce qui serait proposé à cette assemblée ou qu"il n"était pas donné suffisamment à l"avance pour permettre aux gens d"avoir réellement la possibilité d"y assister, l"assemblée ne satisferait alors pas à ce critère.

[19]      Il existe également des cas où ceux qui ne votent pas indiquent par là leur volonté de se soumettre au choix de la majorité de ceux qui votent. J"estime que l"approbation de la majorité des membres adultes de la bande constitue probablement un bon indice d"un large consensus (l"âge de la majorité relevant de la bande). La question de savoir si une décision prise à la majorité des voix des membres présents à une assemblée générale démontre l"existence d"un large consensus dépend des circonstances entourant cette assemblée.

[20]      Je réponds aux deux questions posées comme suit :

         question 1 - oui;

         question 2 - ce pouvoir existe mais la réponse à la question de savoir si une telle décision démontre l"existence d"un large consensus dépendra des circonstances entourant l"assemblée.

                                         BARBARA REED

    

                                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 août 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :              T-2327-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALEC CHINGEE ET AUTRES c.

                         HARRY CHINGEE ET AUTRES

LIEU DE L"AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE 31 JUILLET 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :              21 AOÛT 1998

COMPARUTIONS :

MARK ANDREWS                      POUR LES DEMANDEURS

STAN ASHCROFT                      POUR LES DÉFENDEURS HARRY,

                                 VICTOR ET GILBERT CHINGEE

ROSANNE KYLE                      POUR LES DÉFENDEURS SA MAJESTÉ

                                 LA REINE ET LE PGC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RUSSELL & DuMOULIN                  POUR LES DEMANDEURS

VANCOUVER (C.-B.)

GANAPATHI ASHCROFT & CO              POUR LES DÉFENDEURS HARRY,

VANCOUVER (C.-B.)                  VICTOR ET GILBERT CHINGEE

MORRIS ROSENBERG                  POUR SA MAJESTÉ LA REINE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA      ET LE PROCUREUR GÉN. DU CANADA


Date : 19980821


Dossier : T-2327-97

OTTAWA (Ontario), le vendredi 21 août 1998.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE REED

ENTRE


ALEC CHINGEE, SHARON SOLONAS,

TANIA SOLONAS, ELIZABETH SOLONAS et PATRICK PRINCE

en leur qualité de chef et de conseillers

de la bande indienne de McLeod Lake,


demandeurs,


et


HARRY CHINGEE, VICTOR CHINGEE,

GILBERT CHINGEE, LE MINISTRE DES

AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeurs.


ORDONNANCE

VU l"ordonnance rendue le 4 juillet 1998 par le juge Teitelbaum prescrivant qu"il soit statué sur les questions de droit suivantes :

         [TRADUCTION]

         " La bande indienne de McLeod Lake (la bande) a-t-elle le pouvoir de :

             a)      décider quelle est la coutume applicable en matière de choix du chef et du conseil de la bande, que ceux-ci soient choisis par voie d"élections, par succession ou par toute autre méthode;
             b)      déterminer les modalités de cette coutume au moyen d"une décision prise à la majorité des voix des membres de la bande présents à une assemblée générale convoquée avec préavis? "

LA COUR STATUE QUE :

1.      La bande indienne de McLeod Lake a le pouvoir de décider quelle est la coutume          applicable en matière de choix du chef et du conseil de la bande, que ceux-ci soient

     choisis par voie d"élections, par succession ou par toute autre méthode;

2.      La bande indienne de McLeod Lake a le pouvoir de déterminer les modalités de cette          coutume au moyen d"une décision prise à la majorité des voix des membres de la      bande présents à une assemblée générale convoquée avec préavis, pourvu que les

     circonstances de cette assemblée soient telles que le vote reflète un large consensus de

     la part des membres de la bande quant à ces modalités.

BARBARA REED

Juge

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

__________________

1      Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 81, modifié par L.R.C. (1985)              (1 er suppl.), ch. 32, art. 15.

2      id., art. 83, modifié par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 10.

3 Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 10, modifié par L.R.C. (1985)              (1 er suppl.), ch. 32, art. 4.

4      Sauf si elle est définie par ailleurs dans le cas d"une bande donnée, la " coutume " doit inclure, à mon sens, des pratiques touchant le choix d"un conseil qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande, qui font donc l"objet d"un large consensus. S"agissant d"une bande reconstituée dont la situation diffère beaucoup (p. ex. la majorité des membres n"habitant pas dans la réserve) de celle de la bande dissoute il y a quatre-vingt-dix ans, il n"est pas étonnant qu"il faille prendre des mesures innovatrices pour établir une " coutume " contemporaine. Pour ce qui est de la validité de la constitution, la question véritable semble donc se rattacher à sa légitimité politique, et non juridique : la constitution résulte-t-elle de l"accord de la majorité de ceux qui, d"après la preuve produite, paraissent être des membres de la bande? C"est une question que le tribunal ne doit pas chercher à trancher en l"absence de critères juridiques discernables qu"il peut appliquer. Certes, l"exercice de la surveillance judiciaire peut être justifiée par d"autres motifs, s"il y avait une preuve claire de fraude ou d"autres actes imputables aux défendeurs, qui ne sauraient de toute évidence être autorisés par la Loi sur les Indiens , mais aucune preuve ne m"a été présentée quant à de telles activités. [Non souligné dans l"original.]

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