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Date : 20040813

Dossier : IMM-4964-03

Référence : 2004 CF 1120

ENTRE :

                                                    HILROY CHARLES POWELL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un membre de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le membre) dans laquelle le membre a décidé que Hilroy Charles Powell (le demandeur) était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, conformément à l'alinéa 36(1)a) de la Loi de l'immigration et du statut de réfugié[1] (la LIPR), et a pris une mesure d'expulsion contre lui. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 12 juin 2003.


LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur est né en Jamaïque le 13 août 1962. Il est arrivé pour la première fois au Canada en tant que travailleur agricole en juin 1987 avec un visa temporaire. Il est demeuré au Canada et s'est vu accorder le statut de résident permanent en janvier 1993. Il n'a jamais obtenu la citoyenneté canadienne.

[3]                En octobre 2001, le demandeur a été déclaré coupable de complot en vue de faire le trafic d'un stupéfiant et de deux (2) chefs de trafic de stupéfiants. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement totale de dix ans et demi (10 ½), en plus de la période de dix-huit (18) mois déjà purgée.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE


[4]                Il n'y a eu aucune contestation devant le membre relativement au contexte factuel qui précède. La question en litige dont il était saisi était plutôt de savoir si la prise d'une mesure d'expulsion contre le demandeur contreviendrait à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[2] (la Charte), sans être validée par l'article premier de la Charte, en raison du fait que la prise de la mesure d'expulsion porte atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne sans fournir de garanties conformes aux principes de justice fondamentale. Le membre a décrit les questions en litige dont il était saisi dans les termes suivants :

[traduction]

[...] premièrement, si la Section de l'immigration a la compétence pour examiner et trancher la question constitutionnelle (et, comme question connexe, si cette Section est la tribune « appropriée » pour cette décision particulière); deuxièmement, si l'adoption d'une mesure de renvoi selon les dispositions de l'alinéa 45d) [de la LIPR] contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte); troisièmement, si cette violation constitue une restriction en vertu d'une « règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique » , comme le stipule l'article premier de la Charte. [...]

[5]                Le membre a décidé que la Section de l'immigration avait compétence pour examiner et trancher la question constitutionnelle dont il était saisi et que la Section de l'immigration était la [traduction] « tribune appropriée » pour trancher cette question. Il a ensuite procédé à une analyse de la question de savoir si la prise d'une mesure d'expulsion contre le demandeur contreviendrait aux droits garantis par l'article 7 de la Charte. En se fondant essentiellement sur l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli[3] (l'arrêt Chiarelli), il a décidé qu'il n'y avait pas d'atteinte aux droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte. Il a donc répondu par la négative à la question constitutionnelle dont il était saisi et il n'a pas eu à aborder la question de savoir si une atteinte aux droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte serait validée par l'article premier de la Charte.


LE RÉGIME LÉGISLATIF

[6]                Les dispositions pertinentes de la LIPR et de la Charte sont reproduites dans une annexe aux présents motifs.

[7]                En résumé, un résident permanent comme le demandeur en l'espèce est considéré interdit de territoire au Canada s'il a été déclaré coupable d'une infraction ou d'infractions à une loi fédérale pour lesquelles un emprisonnement de dix (10) ans ou plus peut être imposé ou pour lesquelles un emprisonnement de six (6) mois ou plus est infligé. Lorsqu'un rapport est préparé par les responsables de l'immigration alléguant que des circonstances relatives à l'interdiction de territoire entrent en jeu à l'égard d'un résident permanent au Canada, le rapport est transmis à la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour que celle-ci statue sur le rapport. C'est un rapport de ce genre qui a donné lieu à la décision du membre qui fait l'objet d'un contrôle en l'espèce. Compte tenu de la décision rendue par le membre concernant les faits de la présente affaire, la mesure de renvoi appropriée a été prise, à savoir une mesure d'expulsion. Compte tenu du fait que, en application de l'article 64 de la LIPR, le demandeur ne pouvait interjeter appel de la mesure d'expulsion devant la Section d'appel de l'immigration, la mesure d'expulsion était exécutoire le jour où elle a été prise.


LA QUESTION EN LITIGE

[8]                Dans un exposé des arguments supplémentaire présenté au nom du demandeur, la seule question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est énoncée dans les termes suivants :

[traduction]

La question est de savoir si la prise d'une mesure d'expulsion contre le demandeur en l'espèce, conformément à l'alinéa 45d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, porte atteinte au droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte, d'une manière qui ne respecte pas les exigences de justice fondamentale.

[9]                L'avocate du défendeur reprend la question devant la Cour, essentiellement dans les termes suivants : la Constitution permet-elle d'exclure l'appel devant la Section d'appel de l'immigration d'une mesure d'expulsion prise contre une personne ayant été déclarée coupable de grande criminalité?

ANALYSE


[10]            Je suis convaincu que le membre a eu raison de s'appuyer sur l'arrêt Chiarelli, du moins en tant que point de départ d'une analyse concernant la question dont est saisie la Cour en l'espèce. Cela étant dit, l'arrêt Chiarelli a été rendu dans le contexte d'un régime législatif antérieur qui comprenait un appel de portée générale pour les personnes se trouvant dans la situation du demandeur. Bien que le fondement de l'appel soit repris dans la LIPR, il est éliminé pour les personnes comme le demandeur par l'article 64.

[11]            Dans la décision faisant l'objet du contrôle, le membre met l'accent sur les passages suivants de l'arrêt Chiarelli :

[...] Or, le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer[4]. [...]

[...]


Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. [...] L'une des conditions auxquelles le législateur fédéral a assujetti le droit d'un résident permanent de demeurer au Canada est qu'il ne soit pas déclaré coupable d'une infraction punissable d'au moins cinq ans de prison. Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d'un cas où il n'est pas dans l'intérêt public de permettre à un non-citoyen de rester au pays. L'exigence que l'infraction donne lieu à une peine de cinq ans d'emprisonnement indique l'intention du législateur de limiter cette condition aux infractions relativement graves[5]. [...] Toutes les personnes qui entrent dans la catégorie des résidents permanents mentionnés au sous-al. 27(1)d)(ii) ont [...] un point commun : elles ont manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il leur soit permis de demeurer au Canada. En pareil cas, mettre effectivement fin à leur droit d'y demeurer ne va nullement à l'encontre de la justice fondamentale. Dans le cas du résident permanent, seule l'expulsion permet d'atteindre ce résultat. Une ordonnance impérative n'a rien d'intrinsèquement injuste. La violation délibérée de la condition prescrite par le sous-al. 27(1)d)(ii) suffit pour justifier une ordonnance d'expulsion. Point n'est besoin, pour se conformer aux exigences de la justice fondamentale, de chercher, au-delà de ce seul fait, des circonstances aggravantes ou atténuantes[6].

[...]

[...] À mon avis, l'art. 7 [de la Charte] ne commande pas que soit accordée la possibilité d'un appel, fondé sur des motifs de compassion, contre une décision qui, je l'ai déjà conclu, est conforme aux principes de justice fondamentale[7].

[...]

[...] un droit universel d'interjeter contre une ordonnance d'expulsion un appel fondé sur les « circonstances de l'espèce » n'a jamais existé. Cet appel a toujours été purement discrétionnaire. Quoique ce moyen d'appel soit maintenant prévu par la loi, l'exécutif conserve toujours le pouvoir d'empêcher qu'un appel fondé sur ce moyen soit accueilli dans des cas mettant en cause de graves questions de sécurité.

Si un droit d'interjeter appel de l'ordonnance d'expulsion visée au par. 32(2) s'impose pour que soient respectés les principes de justice fondamentale, alors une telle exigence est manifestement remplie par un appel véritable dans le cadre duquel des moyens de fait et de droit peuvent être invoqués pour contester la décision du premier palier. L'absence d'un appel fondé sur des moyens dont la portée est plus large que celle des motifs sur lesquels reposait la décision initiale ne constitue pas une violation de l'art. 7[8].


[12]            Il importe de signaler encore une fois, relativement au dernier extrait cité, que dans le cadre du régime législatif en cause dans l'arrêt Chiarelli, il y avait un droit d'interjeter contre une ordonnance d'expulsion un appel fondé sur les « circonstances de l'espèce » sous réserve du droit de l'exécutif d'empêcher qu'un appel fondé sur ce moyen soit accueilli dans des cas mettant en cause de graves questions de sécurité. Ce n'est pas le cas avec le régime législatif actuel. Le droit d'appel fondé sur les « circonstances de l'espèce » pour les personnes comme le demandeur a plutôt été éliminé en termes absolus. Le seul « droit d'interjeter appel » fondé sur des « moyens de fait et de droit » qui subsiste est celui de la demande de contrôle judiciaire auprès de la présente Cour.

[13]            L'avocat du demandeur a insisté pour dire qu'une mesure d'expulsion prise contre une personne qui, comme le demandeur, est au Canada depuis plusieurs années a des répercussions sur un large éventail de droits de la personne, y compris, potentiellement, des droits que reflètent les instruments internationaux dont le Canada est signataire. À cet égard, l'avocat réfère précisément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention relative aux droits de l'enfant. Il fait remarquer que l'éventail des droits touchés et la gravité des répercussions varieront selon les circonstances particulières à chaque personne. Il insiste donc pour dire qu'un appel fondé sur les « circonstances de l'espèce » est essentiel pour assurer le respect des principes de justice fondamentale.

[14]            Le membre, dans une longue note en bas de page rattachée à ses motifs[9] a rejeté cette observation en se fondant sur une série d'arrêts de la Cour d'appel fédérale qui a abouti à l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Williams[10] dans lequel le juge Strayer, au nom de la Cour, a écrit ce qui suit aux paragraphes [23] et [24] :


La jurisprudence de cette Cour sur ce point manque de cohérence. Dans une série de décisions, il a été clairement statué qu'une expulsion n'entraîne pas une perte de liberté et, partant, que l'article 7 n'entre pas en jeu. Des opinions contraires ont été exprimées. Lorsque cette Cour a été saisie de l'affaire Chiarelli, les juges sont tous arrivés à la conclusion que l'expulsion d'un résident permanent pouvait entraîner une perte de liberté, mais la Cour suprême, qui a infirmé cette décision pour d'autres motifs, n'a pas jugé nécessaire de traiter cette question. Dans l'arrêt Nguyen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), le juge Marceau a déclaré à un moment donné qu'une déclaration d'irrecevabilité de la revendication d'un requérant ne porte pas en elle-même atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Il a ensuite affirmé que lorsque cette déclaration est combinée à l'exigence voulant que les non-citoyens qui commettent des crimes graves soient expulsés, c'est tout le cadre législatif qui se rapporte à la « perte de liberté » . On ne sait pas très bien dans quelle mesure cette observation tient au fait que l'intéressé était un demandeur du statut de réfugié qui pouvait, par définition, affirmer que sa vie serait en danger s'il retournait dans son pays. De plus, il semble que ces conclusions étaient inutiles puisque la Cour a conclu qu'il n'y a pas eu d'entorse à la justice fondamentale.

Sans prétendre trancher la question à l'égard des réfugiés, j'ai du mal à comprendre comment on peut considérer que le refus d'accorder une dispense discrétionnaire de l'exécution d'une mesure d'expulsion légale prise contre un non-réfugié auquel la loi ne reconnaît pas le droit d'être au Canada entraîne une perte de liberté. À moins de considérer que la « liberté » comprend la liberté d'être partout où l'on veut, sans égard à la loi, comment l'exécution légale d'une mesure d'expulsion peut-elle faire perdre cette liberté?

[Renvois omis.]


[15]            Je tiens à souligner deux (2) éléments tirés de la citation précédente : premièrement, le juge Strayer reconnaît que la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale sur cette question « manque de cohérence » et il fait remarquer que, lorsque la Cour d'appel fédérale a été saisie de l'affaire Chiarelli, les juges sont tous arrivés à la conclusion que l'expulsion d'un résident permanent pouvait entraîner une perte de liberté. Il fait également remarquer que la Cour suprême, qui a infirmé cette décision pour d'autres motifs, n'a tout simplement pas abordé la question de « perte de liberté » ; deuxièmement, ce dont était saisie la Cour dans l'affaire Williams, c'était « le refus d'accorder une dispense discrétionnaire de l'exécution d'une mesure d'expulsion légale » découlant de la délivrance d'un « avis de danger » , ce qui a été fait après que M. Williams a eu la possibilité de formuler des observations concernant toutes les circonstances de sa situation qui commandaient de refuser la délivrance de l'avis de danger.

[16]            La Cour d'appel fédérale a eu plus récemment l'occasion de s'attaquer à la question dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Medovarski[11] mais, tout en reconnaissant qu'il y avait une question en litige, elle a conclu qu'il n'était pas nécessaire de l'aborder directement. Le juge Evans, au nom de la Cour, a écrit au paragraphe [58] de ses motifs :

Comme je suis d'avis que l'article 196 n'enfreint pas les principes de justice fondamentale, je n'ai pas à décider si le renvoi du Canada de Mme Medovarski met en cause l'article 7 de la Charte en la privant de son droit à la liberté ou à la sécurité de la personne. Présumons aux fins de la présente espèce que c'est le cas.

[17]            J'appuie l'observation de l'avocat selon laquelle l'expulsion du Canada a des répercussions sur un éventail de droits de l'intéressé et, cela est concevable, d'autres personnes qui en dépendent. Je suis convaincu que l'éventail de droits s'étend au droit à la liberté de l'intéressé et que, par conséquent, l'article 7 de la Charte entre en jeu.

[18]            Dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Chiarelli[12], le juge Pratte a conclu que l'expulsion porterait atteinte au droit à la liberté de M. Chiarelli.[13]

[19]            Dans la décision Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[14], j'ai écrit au paragraphe [59] :

Je retiens le point de vue du juge Pratte selon lequel, compte tenu des faits en cause, « ...l'expulsion entrave nécessairement la liberté [du demandeur]... » Incidemment, même si cela n'est peut-être pas pertinent pour déterminer si l'article 7 entre en jeu ou non, les conséquences de l'expulsion du demandeur sur son épouse et ses enfants risquent d'être dramatiques.

[Renvoi omis.]

[20]            Je ne suis pas prêt, d'après les faits de l'espèce, à écarter la position que j'ai adoptée dans la décision Al Yamani. Cela étant dit, il n'a pas été beaucoup question des répercussions que l'expulsion du demandeur du Canada pourraient avoir sur ses proches, ici au Canada.

[21]            Il s'agit alors de déterminer si l'on peut dire que la perte imminente de ce droit aurait lieu en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[22]            Le membre a conclu ses motifs sur la question de savoir s'il y avait atteinte aux droits du demandeur garantis par l'article 7 de la Charte dans les termes suivants :


Après un examen soigneux et complet des principes énoncés dans l'arrêt Chiarelli, je ne peux pas être en accord avec le point de vue du conseil [du demandeur] selon lequel il y a une différence significative entre les questions soulevées dans le présent litige et celles de l'arrêt Chiarelli. La tentative courageuse [du demandeur] visant faire la distinction entre cette jurisprudence et le présent dossier ne peut pas réussir parce que, [...], dans l'arrêt Chiarelli la Cour suprême a, à la page 747 [...] répondu à essentiellement la même question que celle posée en l'espèce. Au cours de son analyse, comme il appert des longues citations ci-dessus, la Cour a également traité à fond toutes les questions connexes : la nature du statut de résident permanent; la mesure d'expulsion obligatoire; l'absence d'une exigence constitutionnelle accordant un droit d'appel concernant l'ensemble des circonstances de l'espèce dans le contexte de l'immigration; et de l'autorité légitime de l'exécutif de limiter ou d'éliminer la possibilité d'un tel appel. Dans l'arrêt Chiarelli, la Cour était également conscience des grandes différences entre les circonstances particulières des infractions et des contrevenants, question que soulève [le conseil du demandeur] [...], et elle a tout de même maintenu un cadre statutaire qui n'est différent du cadre actuel sous aucun aspect important. Ainsi, la question n'est pas de savoir si l'arrêt Chiarelli constitue ou non [traduction] « l'autorité suprême en matière de justice fondamentale » - comme le dit [le conseil du demandeur] - parce qu'il demeure l'arrêt qui fait le plus autorité dans le contexte de l'immigration. Sur la foi de l'arrêt Chiarelli, l'article 7 n'entre donc pas en jeu compte tenu des circonstances du cas [du demandeur]. La réponse à la question constitutionnelle est négative[15].

[Renvoi omis.]

[23]            Devant moi, l'avocat du demandeur a insisté pour dire que le membre avait commis une erreur dans le passage précité en ne distinguant pas clairement la question de savoir s'il avait décidé que l'article 7 n'entrait pas en jeu ou que, quoiqu'il soit en jeu, le droit à la liberté du demandeur, bien qu'il y soit porté atteinte, était violé en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[24]            Les deux avocats qui ont comparu devant le membre ont cité l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission)[16] et, en effet, dans ses motifs, le membre a cité un passage de cet arrêt. Au paragraphe [47] de ses motifs dans l'arrêt Blencoe, le juge Bastarache, au nom de la majorité, a écrit :

[...] Ainsi, avant même que l'on puisse se demander si les droits garantis à l'intimé par l'art. 7 ont fait l'objet d'une atteinte non conforme aux principes de justice fondamentale, il faut d'abord prouver que le droit visé par l'allégation de l'intimé relève de l'art. 7. Dans l'arrêt R. c. Beare, [...], le juge La Forest a énoncé ainsi ces deux étapes de l'analyse fondée sur l'art. 7 :


Pour que l'article puisse entrer en jeu, il faut constater d'abord qu'il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d'une] personne » et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale.

Par conséquent, si le droit de l'intimé à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne n'est pas en cause, l'analyse fondée sur l'art. 7 prend fin. [...]

[Référence omise.]

[25]            Le membre a, j'en suis convaincu, fait à juste titre la distinction d'avec l'arrêt Blencoe à la lumière de ses faits. Toutefois, ayant conclu, comme je l'ai fait, que le droit à la liberté du demandeur entre en jeu, je suis obligé d'aborder la question de savoir si, à la lumière des faits de l'espèce, la perte est en conformité avec les principes de justice fondamentale. La présente analyse consiste à soupeser les droits personnels du demandeur qui sont touchés par la perte de son droit à la liberté par rapport aux droits de l'État qui sont inhérents dans le cadre du régime législatif énoncé dans les dispositions de la LIPR en cause en l'espèce.

[26]            À cet égard, il est possible de recueillir des indications importantes à partir des éléments du raisonnement dans l'arrêt Chiarelli dont ont déjà fait état les présents motifs. Premièrement, les personnes comme le demandeur, c'est-à-dire les résidents permanents du Canada, n'ont pas un droit absolu d'entrer ou de demeurer au Canada. Cette réalité ainsi que la distinction entre la liberté de circulation et d'établissement des citoyens canadiens et celle de ceux qui ont le statut de résident permanent du Canada, sont consacrées à l'article 6 de la Charte. Par conséquent, comme il est noté dans une citation tirée de l'arrêt Chiarelli déjà mentionnée dans les présents motifs :


Le Parlement a [...] le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. [...]

[27]            On a décidé que le demandeur avait délibérément contrevenu à une condition essentielle en vertu de laquelle il pouvait demeurer au Canada. Même si l'avocat du demandeur pense le contraire, je suis convaincu que, bien que la protection contre l'atteinte arbitraire à son droit de demeurer au Canada, et même à ses droits additionnels auxquels il pourrait légitimement prétendre et dont les instruments internationaux auxquels le Canada est partie pourraient faire état, est loin d'être absolue, elle continue d'exister malgré le fait que la voie du redressement au moyen de l'appel à la Section d'appel de l'immigration ait été éliminée par la LIPR.

[28]            Comme je l'ai déjà mentionné, il est accordé au demandeur un degré de protection basé sur des moyens de fait et de droit par l'entremise de son droit au contrôle judiciaire émanant de la présente instance. De plus, il continue de bénéficier d'un droit, en vertu de la LIPR, à une évaluation du risque auquel il ferait face s'il était renvoyé du Canada vers la Jamaïque et, au cas où il serait déterminé que ce risque était important au point de l'emporter sur l'intérêt public dans son renvoi du Canada, il aurait alors droit à un redressement.


[29]            Enfin, le demandeur a la possibilité de tenter d'obtenir un redressement contre le renvoi en invoquant les circonstances « d'ordre humanitaire » de son dossier, conformément à l'article 25 de la LIPR. L'avocat du demandeur insiste pour dire que cette dernière forme de redressement est plus illusoire que réelle puisque, jusqu'à ce que la procédure d'examen soit terminée, en l'absence d'un sursis judiciaire à l'exécution du renvoi accordé par la Cour, le demandeur serait toujours sujet au renvoi puisqu'il n'existe aucun sursis d'origine législative à l'exécution du renvoi en attendant qu'il soit statué sur une demande de redressement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Je suis convaincu que, bien que les affaires dont est saisie la Cour tendent, à mon avis, à démontrer que l'examen et la disposition des demandes de redressement fondées sur des motifs d'ordre humanitaire peuvent parfois durer excessivement longtemps, une telle expérience devant la Cour est purement anecdotique. Rien dans le dossier du tribunal n'indique que des éléments de preuve appuyant l'allégation d'un redressement illusoire ont été présentés au membre. De plus, la Cour ne semble pas disposer d'éléments de preuve selon lesquels, depuis la date de la prise de la mesure d'expulsion contre le demandeur, à savoir le 12 juin 2003, une demande de redressement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire a été déposée en son nom à l'encontre de la mesure d'expulsion.

[30]            Dans les circonstances, par rapport aux indications factuelles et analytiques fournies par l'arrêt Chiarelli, en tenant pour acquis que le demandeur subit une perte de son droit à la liberté, j'en conclus néanmoins que cette perte est due à une action du Parlement dans un contexte global qui a préservé la compatibilité avec les principes de justice fondamentale.


[31]            À la lumière de mes conclusions jusqu'à maintenant, je suis convaincu qu'il est inutile d'aborder la question de savoir si l'action législative du Parlement conduisant à une abrogation du droit du demandeur à la liberté est validée par l'article premier de la Charte en ce qu'elle constitue une limite raisonnable aux droits garantis par l'article 7 dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[32]            De plus, encore une fois à la lumière de mes conclusions sur ce point, je ne suis pas d'avis d'aborder la question de savoir ce qui aurait pu être une réparation ou des réparations appropriées en faveur du demandeur, en tenant pour acquis qu'il aurait eu gain de cause sur la présente demande de contrôle judiciaire. On n'a pas traité de la question des réparations lors de l'audition de la présente affaire. Les parties ont plutôt fourni des observations écrites à ce sujet à la suite de l'audience. Je remercie les avocats pour ces observations. Vu l'issue de la présente demande de contrôle judiciaire, je ne les aborderai pas.

CONCLUSION

[33]            La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[34]            Des copies de ces motifs seront distribuées et les avocats auront l'occasion de présenter des observations écrites sur la question de savoir s'il découle de la présente affaire une question grave de portée générale pouvant justifier la certification. L'avocat du demandeur disposera d'un délai de sept (7) jours à compter de la date de la distribution des présents motifs pour signifier et déposer des observations écrites. Par la suite, l'avocate du défendeur disposera d'un délai de sept (7) jours pour signifier et déposer des observations en réponse. Enfin, l'avocat du demandeur disposera d'un délai additionnel de sept (7) jours pour signifier et déposer des observations en réplique. Ce n'est qu'après cela qu'une ordonnance sera rendue rejetant la présente demande de contrôle judiciaire et traitant des observations relatives à la certification.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _             

                                                                                                     Juge                            

Ottawa (Ontario)

Le 13 août 2004

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                              ANNEXE

                                                PARTIE I

                             LaLoi sur l'immigration et la protection des réfugiés


3. (1) En matière d'immigration, la présente loi a pour objet :

[...]

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

...

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

i) de promouvoir, à l'échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l'interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

[...]

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; and

...

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

[...]

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

...

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[...]

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

...


45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l'immigration rend telle des décisions suivantes :

[...]

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

...d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l'étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n'est pas prouvé qu'il n'est pas interdit de territoire, ou contre l'étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire.

[...]

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

...

46. (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

[...]

c) la prise d'effet de la mesure de renvoi;

[...]

46. (1) A person loses permanent resident status

...

(c) when a removal order made against them comes into force; or

...

49. (1) La mesure de renvoi non susceptible d'appel prend effet immédiatement; celle susceptible d'appel prend effet à l'expiration du délai d'appel, s'il n'est pas formé, ou quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure.

49. (1) A removal order comes into force on the latest of the following dates:

(a) the day the removal order is made, if there is no right to appeal;

...

64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

[...]

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

...




                                                ANNEXE

                                                               PARTIE II

                                                                La Charte


1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

...


1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

...


6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit :

a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée, s'ils n'établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l'obtention des services sociaux publics.

[...]


6. (1) Every citizen of Canada has the right to enter, remain in and leave Canada.

(2) Every citizen of Canada and every person who has the status of a permanent resident of Canada has the right

a) to move to and take up residence in any province; and

b) to pursue the gaining of a livelihood in any province.

(3) The rights specified in subsection (2) are subject to

a) any laws or practices of general application in force in a province other than those that discriminate among persons primarily on the basis of province of present or previous residence; and

b) any laws providing for reasonable residency requirements as a qualification for the receipt of publicly provided social services.

...


7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.


7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.



                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-4964-03

INTITULÉ :                                           HILROY CHARLES POWELL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 17 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                         LE 13 AOÛT 2003

COMPARUTIONS :

Donald Poulton                                        POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates

Avocats

74, rue Victoria, bureau 303

Toronto (Ontario)                                    POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Bureau 3400, boîte 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6



[1]         L.C. 2001, ch. 27.

[2]         Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. 1985, appendice II, no 44), annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

[3]         [1992] 1 R.C.S. 711.

[4]       Chiarelli, précité, note 3, à la page 733.

[5]       Chiarelli, précité, note 3, aux pages 733 et 734. Le membre a ajouté à cet extrait la note suivante en bas de page :

La disposition examinée par la Cour concernait une infraction passible d'une peine d'emprisonnement minimale de 5 ans; la grande criminalité, aux termes de la LIPR, se dit d'un crime pour lequel une peine d'emprisonnement de plus de deux ans a été infligée. À mon humble avis, le bien-fondé de l'analyse de la Cour demeure inattaquable peu importe le passage du temps et l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi, particulièrement concernant une personne comme [le demandeur], qui a été condamné à plus de 10 ans d'emprisonnement. [Souligné dans l'original.]

[6]       Chiarelli, précité, note 3, à la page 734.

[7]       Chiarelli, précité, note 3, à la page 739.

[8]       Chiarelli, précité, note 3, aux pages 741 et 742.

[9]         Note 23 en bas de page, dossier de demande du demandeur, page 18.

[10]       [1997] 2 C.F. 646 (C.A.).

[11]       (2004), 238 D.L.R. (4th) 328.

[12]       [1990] 2 C.F. 299.

[13]       Pages 318 et 319.

[14]       [2000] 3 C.F. 433.

[15]      Dossier de demande du demandeur, page 20.

[16]       [2000] 2 R.C.S. 307.


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