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Date : 20190313


Dossier : IMM 3021 18

Référence : 2019 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NANA ABECHKHRISHVILI

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle avait la nationalité, la Géorgie, aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Le contexte

[2]  En décembre 2009, la demanderesse s’est vu accorder le statut de réfugiée au Canada après avoir présenté une demande d’asile contre la Géorgie, le pays dont elle avait la nationalité. Puis en juin 2010, elle a demandé et obtenu un passeport géorgien. Par la suite, elle s’est rendue en Géorgie depuis le Canada à deux reprises : une première fois en juin 2012, pour une période de 67 jours, et une deuxième fois en juillet 2013, pour une période de 43 jours.

[3]  En février 2015, le ministre a présenté une demande de constat de perte du statut de réfugiée accordé à la demanderesse, au motif que celle ci s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle avait la nationalité, aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La demanderesse, qui était représentée par un avocat, a témoigné devant la SPR et a fourni des documents concernant la santé de ses parents et sa propre santé mentale, ainsi que des renseignements sur l’endroit où elle logeait pendant qu’elle se trouvait en Géorgie.

[5]  La SPR a étudié les dispositions pertinentes de la LIPR ainsi que le document intitulé Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« le Guide du HCR »), au moment de se pencher sur les explications fournies par la demanderesse relativement à l’obtention d’un nouveau passeport géorgien environ trois mois après s’être vu accorder le statut de réfugiée au sens de la Convention. La SPR a admis le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’avait pas obtenu le passeport dans le but de voyager, mais plutôt parce qu’elle croyait qu’il lui serait nécessaire pour présenter une demande de résidence permanente.

[6]  Dans son témoignage, la demanderesse a déclaré qu’elle était allée en Géorgie une première fois en juin 2012, parce qu’elle croyait que sa mère était malade. À cette occasion, son fils et elle se sont rendus en Géorgie, où ils sont restés durant plus de deux mois dans le chalet de son parrain, à environ une heure de la capitale, Tbilissi. La demanderesse a précisé que sa mère était en bonne santé durant cette période.

[7]  La demanderesse s’est rendue une deuxième fois en Géorgie au cours de l’été 2013, préoccupée par l’état de santé de son père. Elle a souligné que son père était en bonne santé durant son séjour en Géorgie au cours des mois de juillet et août, mais qu’il avait dû subir une chirurgie cardiaque quelques mois plus tard, en novembre 2013. Elle a précisé qu’elle n’était pas retournée en Géorgie au moment de cette intervention.

[8]  La demanderesse a également déclaré, dans son témoignage, qu’elle n’avait eu aucun problème durant ses deux séjours en Géorgie et qu’elle s’y était rendue par avion, atterrissant à Tbilissi chaque fois. Interrogée à ce sujet, la demanderesse a précisé qu’elle s’était sentie en sécurité au chalet, mais pas à Tbilissi. Elle a expliqué que l’agent de persécution habite toujours près des membres de sa famille à Tbilissi, mais qu’outre des regards furieux lancés dans la rue, il ne leur avait causé aucun problème.

[9]  La demanderesse a déclaré qu’elle n’avait été ni contrainte ni forcée à retourner en Géorgie à aucune des deux occasions. Elle a cependant précisé qu’elle éprouvait certains problèmes de santé mentale qui l’amenaient parfois à penser ou à réagir de façon illogique. Elle a prétendu que les voyages en Géorgie, qu’elle avait effectués malgré le fait que les membres de sa famille lui avaient assuré que ses parents étaient en bonne santé, sont des exemples de tels comportements.

[10]  Pour la SPR, la question déterminante était de savoir si, par ses actes, la demanderesse s’était effectivement réclamée de nouveau, de façon intentionnelle et volontaire, de la protection des autorités en Géorgie. La SPR a jugé que les voyages de la demanderesse avaient été volontaires et intentionnels, aux termes du paragraphe 119 du Guide du HCR. Bien que la SPR ait admis que la demanderesse avait initialement obtenu un passeport géorgien parce qu’elle croyait qu’il lui serait nécessaire pour demander sa carte de résidente permanente, la SPR a souligné que la demanderesse n’avait, en fait, obtenu sa carte qu’en 2012 et qu’elle s’était, peu après, rendue dans son pays d’origine à deux occasions.

[11]  La SPR a conclu que la preuve était insuffisante pour réfuter la présomption selon laquelle la demanderesse s’était réclamée de nouveau, de façon intentionnelle et volontaire, de la protection des autorités de son pays d’origine en demandant et en obtenant un nouveau passeport du pays. De plus, la SPR a souligné qu’en utilisant son passeport pour se rendre en Géorgie, la demanderesse avait effectivement obtenu la protection des autorités géorgiennes et qu’elle répondait ainsi à la troisième condition énoncée au paragraphe 119 du Guide du HCR.

[12]  La demande du ministre visant le constat de perte du statut de réfugiée au sens de la Convention accordé à la demanderesse, présentée au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR, a été accueillie par la SPR.

III.  La norme de contrôle applicable

[13]  Une conclusion quant au constat de perte d’asile est une question mixte de droit et de fait qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 134, au paragraphe 11).

IV.  La question en litige

[14]  La demanderesse ne laisse pas entendre que la SPR a appliqué la mauvaise règle de droit ou le mauvais critère à sa situation. Par conséquent, il s’agit seulement de déterminer si la décision de la SPR est raisonnable.

V.  Analyse

[15]  L’alinéa 108(1)a) de la LIPR est ainsi libellé :

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[16]  En appliquant le critère permettant de conclure qu’un réfugié s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine, la SPR a correctement cerné les trois exigences suivantes, énoncées au paragraphe 13 de la décision Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 FC 531 :

  • a) la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement;

  • b) l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

  • c) le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

[17]  En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le juge O’Reilly explique le fardeau applicable dans la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459, au paragraphe 42 :

Il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne s’est réclamée à nouveau de la protection de son pays d’origine. Pour ce faire, il est loisible au ministre de se fonder sur cette présomption en établissant que le réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport de son pays d’origine. Une fois que cela a été établi, il incombe au réfugié de montrer qu’il ne cherchait pas réellement à se réclamer de la protection de son pays d’origine. Comme il ressort du Guide du HCR, s’il existe une preuve qu’un réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport « il sera présumé, en l’absence d’éléments de preuve contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité » (paragraphe 121).

[18]  La demanderesse soutient qu’en raison de son état mental, elle n’agissait pas de façon rationnelle et qu’elle n’avait pas eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Géorgie. Elle a présenté à la SPR des rapports médicaux confirmant qu’elle souffrait d’un trouble anxieux. La demanderesse affirme qu’à cause de son anxiété, elle s’était sentie obligée de retourner en Géorgie malgré le fait que les membres de sa famille lui avaient assuré que tout allait bien.

[19]  Toutefois, je souscris à l’avis de la SPR à savoir que le comportement de la demanderesse n’était pas irrationnel ou illogique au point que son trouble anxieux puisse, à lui seul, réfuter la présomption selon laquelle elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine. Elle a été en mesure de planifier et d’entreprendre le voyage avec son fils, ce qui indique que ses actions étaient réfléchies, et non spontanées ou irrationnelles. En outre, les deux fois où elle s’est rendue en Géorgie, elle y est demeurée durant de longues périodes, même après avoir constaté que ses parents étaient en bonne santé. Ces actions n’appuient pas son affirmation selon laquelle elle se comportait de façon irrationnelle. Elles donnent plutôt à penser que ses voyages étaient intentionnels et planifiés.

[20]  Dans la décision Ortiz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1346, au paragraphe 8, le juge Barnes a déclaré ce qui suit : « Une nouvelle réclamation de la protection de l’État tend habituellement à indiquer une absence de risque ou une absence de crainte subjective de persécution. En l’absence de motifs impérieux, les gens n’abandonnent pas des refuges pour retourner dans des endroits où leur sécurité personnelle est menacée. »

[21]  En l’espèce, le trouble anxieux dont souffre la demanderesse ne constitue pas un motif impérieux. Par conséquent, la conclusion selon laquelle son retour en Géorgie était volontaire est raisonnable.

[22]  En ce qui concerne l’intention, la demanderesse affirme que la SPR a admis son témoignage selon lequel elle avait obtenu un passeport géorgien parce qu’elle croyait, à tort, qu’il lui serait nécessaire pour obtenir le statut de résidente permanente au Canada. Elle soutient que, comme la SPR a accepté cette explication, il n’était pas raisonnable, pour la SPR, de conclure ensuite qu’elle avait obtenu le passeport dans l’intention de se réclamer de nouveau de la protection des autorités géorgiennes.

[23]  Le problème que pose ce raisonnement est que la demanderesse a omis de faire la distinction entre le fait d’obtenir son passeport et le fait de l’utiliser pour retourner en Géorgie. Même si, à l’origine, son intention était d’obtenir son passeport en vue de présenter une demande de résidence permanente, la preuve démontre qu’elle a utilisé ce passeport pour se rendre en Géorgie à deux reprises. Le fait, pour un réfugié, d’utiliser son passeport pour retourner dans le pays dont il a la nationalité renforce la présomption selon laquelle il a voulu se réclamer de nouveau de la protection de ce pays (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154, au paragraphe 25).

[24]  Par conséquent, c’est à tort que la demanderesse s’appuie sur la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bashir, 2015 CF 51 (Bashir). Dans la décision Bashir, bien que le demandeur eût renouvelé son passeport pakistanais à trois reprises, il n’avait jamais eu l’intention de se rendre au Pakistan avec ces passeports. En l’espèce, non seulement la demanderesse a obtenu son passeport géorgien, mais elle l’a également utilisé pour retourner en Géorgie à deux reprises.

[25]  La demanderesse invoque aussi la décision Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074. Dans cette affaire, la cour a conclu que le tribunal n’avait pas tenu compte de la raison avancée par le demandeur pour expliquer pourquoi il était retourné dans le pays dont il a la nationalité. Il en va tout autrement en l’espèce : la SPR a bel et bien tenu compte des explications fournies par la demanderesse relativement à son retour en Géorgie, mais elle n’était pas convaincue que ces explications suffisaient à réfuter la présomption selon laquelle la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité.

[26]  Enfin, en ce qui concerne le succès de l’action, la demanderesse soutient qu’en fait, elle se cachait pendant qu’elle se trouvait en Géorgie, et elle invoque la décision Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 923 (Yuan), pour appuyer cet argument. Toutefois, dans la décision Yuan, le demandeur s’efforçait activement d’éviter les autorités qui le persécutaient. Ce n’est pas le cas en l’espèce. La demanderesse ne peut alléguer qu’elle se cachait, alors qu’elle habitait dans le chalet d’un membre de sa famille, où elle pouvait être repérée facilement.

[27]  Dans l’ensemble, la conclusion de la SPR, à savoir que la demanderesse s’était intentionnellement réclamée de nouveau de la protection de la Géorgie, est raisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier no IMM 3021 18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de mai 2019.

Geneviève Bernier, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM 3021 18

INTITULÉ :

NANA ABECHKHRISHVILI c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

le 13 mars 2019

COMPARUTIONS :

David Yerzy

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David P. Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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