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Date : 20190305


Dossier : IMM-1912-18

Référence : 2019 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

FEIFEI BAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, citoyenne de la Chine, s’est fait offrir un emploi comme chef dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (le PCIS). Sa demande de visa de résidente permanente a été refusée pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Pour les motifs qui suivent, le contrôle judiciaire est accueilli au motif que la décision de l’agent des visas est déraisonnable.

Contexte

[2]  La demanderesse a été acceptée dans le PCIS grâce à son expérience professionnelle comme chef au restaurant Steaming Fresh (« Steaming Fresh ») à Qingdao, en Chine. En mai 2017, elle a reçu une offre d’emploi du buffet Go for Sushi (« Go for Sushi ») à Saskatoon, en Saskatchewan, et, en juin 2017, elle a demandé un visa de résidente permanente.

[3]  En septembre 2017, la demanderesse a fourni d’autres renseignements à l’appui de sa demande de visa, y compris une offre d’emploi mise à jour de Go for Sushi ainsi que des lettres d’employeurs en lien avec des emplois précédents qu’elle avait déclarés dans son formulaire de demande.

[4]  À ce moment‑là, la demanderesse avait commencé à travailler au restaurant Qingdao Wuxin (« Wuxin »), concernant lequel elle avait également fourni des renseignements mis à jour.

[5]  Le 10 janvier 2018, la demanderesse a été avisée que l’agent des visas avait effectué une visite au Wuxin, et on lui a demandé d’expliquer pourquoi elle n’était pas au travail le jour de cette visite. On lui a également demandé de fournir des détails au sujet de son emploi au Wuxin, y compris son lieu de travail, son salaire, son horaire de travail, une description de son poste ainsi que le nom des membres du personnel. Par téléphone, la demanderesse a informé l’agent qu’elle était absente du travail ce jour‑là parce que son enfant était malade. Elle a également expliqué que son rôle au Wuxin consistait notamment à l’élaboration des plats.

[6]  La demanderesse est arrivée au Canada à la mi-janvier 2018 munie d’un permis de travail et a commencé à travailler au buffet Go for Sushi.

[7]  Le 5 février 2018, la demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale (LEP) dans laquelle il était indiqué qu’elle avait fait une présentation erronée de son emploi au Wuxin.

[8]  Dans sa réponse à la LEP, la demanderesse a joint un dossier médical provenant de l’hôpital pour enfants, une lettre provenant du gérant du restaurant confirmant son emploi, ainsi que des talons de paie pour la période d’octobre 2017 à janvier 2018.

[9]  Le 10 avril 2018, elle a été avisée par une lettre que sa demande de résidente permanente était refusée et qu’elle était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations.

La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  Dans la décision du 10 avril 2018, l’agent des visas a déterminé que la demanderesse avait fait des présentations erronées sur un fait important ou avait fait preuve de réticence sur ce fait, à savoir son emploi au Wuxin. L’agent des visas est parvenu à cette conclusion à la suite de sa visite au Wuxin le 10 janvier 2018. Les préoccupations étaient énoncées dans la LEP à la demanderesse, mais les réponses fournies par celle‑ci n’ont pas réussi à dissiper les préoccupations de l’agent des visas.

[11]  Selon la prépondérance des probabilités, l’agent des visas a déterminé que la demanderesse était interdite de territoire, et sa demande de résidente permanente a été refusée.

Les questions en litige

[12]  La question déterminante en l’espèce repose sur le caractère raisonnable de la façon dont l’agent des visas a traité la réponse de la demanderesse à la LEP. Bien que la demanderesse soulève également des arguments d’équité procédurale, dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de les examiner.

La norme de contrôle

[13]  La norme de contrôle applicable à la conclusion d’un agent des visas concernant l’existence de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Singh c Canada, 2015 CF 377, au paragraphe 12).

[14]  Pour être raisonnable, la décision doit présenter toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable, notamment la « justification, la transparence et l’intelligibilité », et doit appartenir aux issues possibles acceptables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

Analyse

L’analyse de l’agent des visas est‑elle raisonnable?

[15]  La demanderesse affirme que l’agent n’a pas tenu compte de son expérience pertinente au Steaming Fresh lorsqu’il a effectué la vérification sur place et dans son évaluation de l’importance des fausses représentations au sujet de son travail au Wuxin.

[16]  La demanderesse a présenté sa demande pour faire partie du PCIS en mai 2017 et sa nomination a été confirmée le même mois. À ce moment‑là, sa demande indiquait qu’elle comptait environ deux ans et demi d’expérience de travail au Steaming Fresh à Qingdao et, grâce à cela, elle a obtenu une offre d’emploi du Go for Sushi en Saskatchewan. C’est cette expérience de travail qui a permis à la demanderesse d’être acceptée au PCIS. Elle affirme que l’agent a inutilement centré son analyse sur son emploi au Wuxin à Qingdao, qui n’est pas celui qui lui a permis d’être acceptée au PCIS ni celui qui a eu une incidence sur son admissibilité au programme.

[17]  Dans la décision Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815 [Lamsen], la Cour a affirmé ce qui suit au paragraphe 24 :

Une demande de visa doit être analysée dans son ensemble (Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931 (CanLII), au paragraphe 29). L’analyse ne peut pas être compartimentée, particulièrement lorsqu’une conclusion de fausse déclaration comporte des conséquences aussi graves (Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784 (CanLII), au paragraphe 16). [Non souligné dans l’original.]

[18]  En l’espèce, l’agent a centré son analyse sur les incohérences qui ont découlé de la visite sur place et ne les a pas conciliées avec la réponse de la demanderesse à la LEP. De plus, il n’a fait part d’aucune préoccupation à la demanderesse concernant son offre d’emploi au Go for Sushi ou son expérience de travail au Steaming Fresh, qui étaient les faits importants à sa demande de visa. L’agent a effectivement compartimenté son analyse, contrairement à la mise en garde énoncée dans la décision Lamsen.

[19]  L’espèce est similaire à l’affaire Chhetry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 513, où les incohérences ou les omissions relatives aux antécédents professionnels ne constituaient pas des fausses représentations sur des faits importants au point où elles auraient pu nuire au processus d’obtention du visa (au paragraphe 31).

[20]  De même, les incohérences relevées par l’agent des visas concernant l’emploi de la demanderesse au Wuxin ne constituaient pas des fausses représentations sur des faits importants de sorte qu’elles auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[21]  Même si l’expérience de travail au Wuxin est considérée comme importante dans le cadre du PCIS, si l’agent des visas était préoccupé par la crédibilité des renseignements fournis par la demanderesse dans sa réponse à la LEP, il aurait dû soulever ces préoccupations directement auprès de la demanderesse. Toutefois, l’agent semble avoir douté de son emploi au Wuxin parce que son mari est un ami proche du gérant de cette succursale du Wuxin.

[22]  Bien que l’obligation à laquelle les agents des visas sont tenus se situe à l’extrémité inférieure du spectre, l’espèce est semblable à l’affaire Ge c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 594, où la Cour a affirmé ce qui suit au paragraphe 30 :

Certes, l’agente n’était aucunement tenue d’informer les demandeurs de la nécessité de répondre de manière véridique aux lettres relatives à l’équité procédurale. En revanche, après qu’elle a commencé à soupçonner que les réponses des demandeurs n’étaient pas véridiques, elle avait l’obligation de leur en faire part et de leur donner la possibilité de s’expliquer avant de rejeter leurs demandes et de les déclarer interdits de territoire pour ce motif.

[23]  En l’espèce, l’agent n’a pas non plus fait part à la demanderesse de ses préoccupations quant à la crédibilité de sa réponse à la LEP.

[24]  Dans l’ensemble, la décision de l’agent des visas est déraisonnable parce que, d’une part, il n’a pas tenu compte des réponses à la LEP fournies par la demanderesse et, d’autre part, il n’a pas permis à la demanderesse de répondre aux préoccupations qu’il a soulevées concernant sa crédibilité.

[25]  Par conséquent, le présent contrôle judiciaire est accueilli.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1912-18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’avril 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1912-18

INTITULÉ :

FEIFEI BAO c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JANVIER 2019

JUGeMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Tamara Thomas

Michelle Adormaa Owsu

POUR La demanderesse

Jody Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group PC

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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