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Date : 20190125


Dossier : IMM-2671-18

Référence : 2019 CF 107

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

FUNDU NSUNGANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable rendue le 13 avril 2018 [la décision] par un agent d’immigration principal relativement à une évaluation des risques avant renvoi [ERAR], évaluation qui portait sur les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il était renvoyé en République démocratique du Congo [RDC].

[2]  Comme je l’expliquerai de manière plus détaillée, la demande est rejetée, car j’ai conclu que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale, et la décision, examinée conjointement avec la preuve dont disposait l’agent, atteste une analyse raisonnable des risques allégués par le demandeur et de la preuve y afférente.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur, Fundu Nsungani, est un citoyen de la RDC âgé de 30 ans. Il a quitté son pays en 2002 à l’âge de 14 ans. Après leur arrivée au Canada, ses cinq frères et sœurs et lui ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [SPR] parce qu’ils n’ont pas été jugés crédibles. La Cour fédérale a ensuite rejeté la demande de contrôle judiciaire qu’ils ont présentée à l’égard de cette décision.

[4]  Par la suite, M. Nsungani a commencé à tremper dans des activités criminelles; après avoir été déclaré coupable de vol qualifié à Toronto en novembre 2007, il a été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[5]  En 2012, M. Nsungani a présenté une demande d’ERAR à l’issue de laquelle une décision défavorable a été rendue, car il n’avait pas réfuté les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. En novembre 2017, il a présenté une nouvelle demande d’ERAR. Comme il s’agissait du second ERAR le concernant, il n’a pas bénéficié d’un sursis légal à l’exécution de la mesure renvoi. Aussi, bien que le Canada ait mis en place une suspension temporaire des renvois à l’égard de la RDC, M. Nsungani ne peut en bénéficier en raison de son interdiction de territoire. Son renvoi était prévu le 6 décembre 2017, mais il ne s’est pas présenté en vue de son renvoi et un mandat d’arrestation a été lancé contre lui. Il a ensuite été appréhendé à Toronto le 5 mai 2018 et est détenu par les autorités de l’immigration depuis lors.

[6]  Entre‑temps, la seconde demande d’ERAR de M. Nsungani a été rejetée dans la décision du 13 avril 2018 qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Décision sous contrôle

[7]  Après avoir fait remarquer dans la décision que M. Nsungani était interdit de territoire au Canada au titre du paragraphe 36(1) de la LIPR pour avoir été déclaré coupable de vol qualifié en 2007, l’agent a souligné que l’évaluation relative à l’ERAR se fonderait malgré tout sur les articles 96 et 97 de la LIPR. L’agent a aussi souligné que la suspension temporaire des renvois relative à la RDC ne s’appliquait pas en raison de la déclaration de culpabilité pour grande criminalité.

[8]  L’agent a ensuite examiné les risques avancés par M. Nsungani, qui prétend que son retour en RDC lui fait craindre pour sa vie et l’expose à un risque de préjudice irréparable, de torture et de traitement cruel et inhumain aux mains de l’État. Il redoute d’être perçu comme une menace pour le gouvernement et craint que l’État ne puisse le protéger. L’agent a mentionné que M. Nsungani allègue aussi qu’il se heurte à un risque en tant que demandeur d’asile débouté. L’agent a signalé que, hormis ce dernier risque, les arguments avancés par M. Nsungani étaient largement identiques à ceux qu’il avait fait valoir devant la SPR.

[9]  L’agent a examiné les conclusions de la SPR relatives au manque de crédibilité de la demande d’asile que M. Nsungani a présentée en 2003 et dans laquelle il alléguait que son frère était recherché pour le meurtre du président Laurent‑Désiré Kabila. L’agent a également mentionné la décision défavorable antérieure rendue à l’issue de l’ERAR, tout en faisant remarquer que M. Nsungani ne s’était pas présenté à la date prévue de renvoi. Il a ensuite énuméré les documents soumis à l’appui de la présente demande d’ERAR, notamment ceux sur les conditions du pays concernant la RDC.

[10]  S’agissant des documents sur les conditions dans le pays, l’agent a d’abord évoqué un article du quotidien The Guardian, daté du 15 février 2014, dans lequel l’auteur mentionne que des opposants au gouvernement avaient été traqués et arrêtés. Il n’a cependant accordé que peu de poids à cet article qui ne mentionnait ni M. Nsungani ni son frère par leur nom, et ne parlait pas non plus de la mort du président Laurent‑Désiré Kabila. L’agent a également fait remarquer que l’article ne fournissait pas la copie du document qui avait fait l’objet d’une fuite sur lequel il était censé se fonder. Il a ensuite abordé des renseignements objectifs plus récents concernant cette question, et a cité un document soumis par M. Nsungani, le UK Upper Tribunal document: BM and others (returnees – criminal and non-criminal), [Document du Tribunal supérieur du R.‑U. : BM et autres (rapatriés ‑ criminels et non criminels)], daté du 30 mai 2015 [le document du Tribunal supérieur du R.‑U.], ainsi qu’un document de 2015 intitulé Country Information and Guidance- Democratic Republic of Congo : treatment on return [Lignes directrices et renseignements sur le pays ‑ République démocratique du Congo : traitement subi lors du retour]; celui-ci n’a pas été soumis par M. Nsungani, mais l’agent y renvoie dans une note de bas de page et fournit un hyperlien dans la décision.

[11]  Estimant que le document du Tribunal supérieur du R.‑U. décrivait les risques auxquels s’exposaient ceux qui avaient fui la RDC munis de faux passeports, l’agent a toutefois noté que M. Nsungani n’avait fourni aucune preuve établissant qu’il était parti sans son propre passeport. Il en a conclu que ce dernier ne s’était pas acquitté du fardeau de prouver qu’il s’était servi de documents frauduleux pour fuir la RDC.

[12]  D’après l’agent, les documents sur les conditions dans le pays soumis par M. Nsungani indiquaient que la situation en matière de droits de la personne en RDC était lamentable et que le gouvernement avait recours, de façon arbitraire et illégale, à la torture et à des assassinats. L’agent a toutefois fait observer que, selon le document intitulé 2016 Country Reports on Human Rights Practices for RDC [Rapports nationaux sur les pratiques des droits de l’Homme de 2016 concernant la RDC], également présenté par M. Nsungani, le gouvernement coopérait avec la Commission des droits de l’homme des Nations Unies pour faciliter le retour des réfugiés et des personnes qui avaient été déplacées à l’intérieur du pays étaient revenues dans certaines régions.

[13]  En conclusion, l’agent a conclu que M. Nsungani n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque en retournant en RDC parce que son frère était visé par des accusations, qu’il avait quitté la RDC avec un faux passeport ou qu’il était un demandeur d’asile débouté. L’agent a reconnu que M. Nsungani pourrait se heurter à certaines difficultés à son retour, mais a jugé que ces problèmes étaient sans rapport avec les motifs de persécution prévus dans la Convention et ne constituaient ni un risque d’être soumis à la torture, ni une menace à sa vie, ni un risque de traitement ou peine cruels et inusités.

IV.  Questions à trancher et normes de contrôle

[14]  Le demandeur soumet les trois questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en invoquant une preuve extrinsèque?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse des documents sur les conditions dans le pays?

  3. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’analyser le profil de risque du demandeur en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire au Canada?

[15]  La question relative à l’équité procédurale est régie par la norme de la décision correcte, et les deux autres par celle de la décision raisonnable.

[16]  Le défendeur fait aussi valoir, comme question additionnelle, que la Cour devrait rejeter la présente demande ou refuser d’accorder une mesure spéciale étant donné que le demandeur ne s’est pas présenté pour son renvoi.

V.  Analyse

A.  Défaut de se présenter pour le renvoi

[17]  Le défendeur soutient que le fait que M. Nsungani a enfreint la législation en matière d’immigration en ne se présentant pas pour son renvoi du Canada en décembre 2017 justifie en soi le rejet de sa demande de contrôle judiciaire. Il invoque les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 [Thanabalasingham], aux paragraphes 9 et 10 :

[9]  À mon avis, la jurisprudence invoquée par le ministre n’appuie pas l’affirmation qui se trouve dans le paragraphe 23 de l’exposé des faits et du droit présenté par son avocat, et selon laquelle [traduction] « lorsqu’il semble qu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes, la Cour doit d’abord s’interroger quant à savoir si le demandeur a effectivement les mains nettes et, en cas de conclusion négative, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder ». La jurisprudence donne plutôt à entendre que, si la juridiction de contrôle est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée.

[10]  Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[18]  Comme l’un des facteurs à prendre en compte pour examiner la prétention du défendeur est la solidité apparente du dossier de M. Nsungani, il convient d’analyser, du moins dans une certaine mesure, la présente demande de contrôle judiciaire sur le fond pour que la Cour puisse se prononcer sur l’argument issu de l’arrêt Thanabalasingham. Pour les motifs expliqués ci‑après, je conclus, après avoir examiné l’affaire sur le fond, que la demande de M. Nsungani doit être rejetée. Il n’est donc pas nécessaire que la Cour cherche à savoir si le fait qu’il a enfreint la législation en matière d’immigration justifierait en soi le rejet de la demande.

B.  L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque?

[19]  M. Nsungani prétend avoir été privé de son droit à l’équité procédurale, car l’agent s’est notamment appuyé sur un élément de « preuve extrinsèque » pour rejeter son ERAR, élément que M. Nsungani n’avait pas produit et que l’agent ne lui a pas communiqué pour lui permettre de présenter des observations en réponse (voir par exemple Ahmed c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2018 CF 471 [Ahmed], paragraphes 27‑29). Ce document, mentionné dans la décision et intitulé Country Information and Guidance- Democratic Republic of Congo: treatment on return, est publié par le ministère de l’Intérieur britannique et daté de septembre 2015 [le document du ministère de l’Intérieur britannique].

[20]  Il semble que les parties conviennent que l’agent n’a pas fourni à M. Nsungani d’avis lui indiquant qu’il s’appuierait sur le document du ministère de l’Intérieur britannique pour rendre sa décision. Le défendeur fait toutefois remarquer, et M. Nsungani ne semble pas le contester, que ce document fait partie de la version du 31 juillet 2017 du Cartable national de documentation [CND] sur la RDC, accessible au public sur le site Web de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR].

[21]  D’après le défendeur, la jurisprudence établit que la preuve relative aux conditions du pays qui figure dans le CND de la CISR ne constitue pas une preuve extrinsèque qu’un agent d’ERAR doit divulguer pour pouvoir s’y fonder dans sa décision. Dans Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 838 [Guzman], la Cour a jugé au paragraphe 5 que les documents de recherche élaborés par la CISR et mis à la disposition du public dans ses centres de documentation ne constituent pas une preuve extrinsèque et que l’équité procédurale n’impose pas de divulguer de tels documents aux demandeurs avant qu’une décision relative à l’ERAR ne soit prise.

[22]  M. Nsungani soutient que la décision Guzman n’appuie pas la thèse voulant que les agents d’ERAR puissent se fonder sur l’ensemble du contenu du CND sans divulgation préalable au demandeur. Il affirme que ce précédent peut être écarté, car le document dont il était question dans l’affaire Guzman était un rapport national sur les pratiques des droits de l’homme publié par le Département d’État américain, source de preuve documentaire d’après lui fréquemment invoquée dans les affaires d’immigration. Selon M. Nsungani, les documents publiés par le ministère de l’Intérieur britannique, comme celui sur lequel l’agent s’appuie en l’espèce, ne relèvent pas de la même catégorie. À l’appui de sa position portant que la conclusion tirée dans la décision Guzman ne s’applique pas à tous les documents sur les conditions dans le pays accessibles sur Internet, il cite la décision Ahmed, dans laquelle le juge Brown a écarté un avis de danger délivré aux termes de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR par une déléguée du ministre, car celle-ci n’avait pas révélé qu’elle s’était fondée sur des documents publiés sur le site Web www.refworld.org tenu par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

[23]  Même si je devais admettre l’argument de M. Nsungani selon lequel la conclusion tirée dans la décision Guzman ne s’applique pas à tous les documents qui figurent dans le CND de la CISR, je ne vois aucune raison d’écarter ce précédent en l’espèce. Tout d’abord, je note que les documents dont il était question dans l’affaire Ahmed ne faisaient pas partie du CND. De plus, suivant mon interprétation de l’analyse contenue dans cette décision, la préoccupation relative à l’équité procédurale tenait au fait que les renseignements figurant sur le site Web www.refworld.org étaient postérieurs à la date butoir à laquelle le demandeur devait soumettre ses observations, de sorte qu’il n’était pas censé avoir connaissance desdits renseignements.

[24]  Par contre, en l’espèce, le document du ministère de l’Intérieur britannique figure dans le CND de la CISR, que M. Nsungani a cité dans ses observations sur l’ERAR comme la source de certains éléments de preuve relatifs aux conditions du pays sur lesquels il s’appuyait. Ce document provient également du même pays (le Royaume‑Uni) et remonte à peu près à la même date que ceux du document du Tribunal supérieur du R.‑U. qu’il a invoqués. De plus, comme l’a souligné le défendeur et comme le révèle son titre (Country Information and Guidance- Democratic Republic of Congo: treatment on return), le document du ministère de l’Intérieur britannique abordait précisément le profil de risque que M. Nsungani avançait à l’appui de sa demande d’ERAR. Selon ma compréhension, ce document s’appuie fortement sur les conclusions du document du Tribunal supérieur du R.‑U. que M. Nsungani invoquait.

[25]  Par conséquent, suivant l’analyse décrite au paragraphe 27 de la décision Ahmed quant à la question de savoir si la preuve en question est nouvelle et importante et s’il s’agit aussi d’une information dont le demandeur ne pouvait raisonnablement avoir connaissance, je conclus qu’aucun de ces deux critères n’est rempli et que le document du ministère de l’Intérieur britannique ne constitue donc pas une preuve extrinsèque que l’agent était tenu de divulguer avant de prendre sa décision. Il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce.

C.  L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse des documents sur les conditions dans le pays?

[26]  M. Nsungani fait valoir que la décision est déraisonnable, d’une part parce que les motifs sont inadéquats et ne lui permettent pas de comprendre pourquoi l’agent a rejeté les documents sur les conditions dans le pays qu’il a présentés pour étayer les risques allégués, et d’autre part parce que l’agent a procédé à un examen sélectif des documents sur les conditions dans le pays qui fait abstraction des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions.

[27]  L’agent cite l’article du quotidien The Guardian, mais ne lui accorde que peu de poids, notamment parce qu’une preuve documentaire plus récente aborde les questions dont il traite. Ces éléments auxquels l’agent fait référence sont le document du Tribunal supérieur du R.‑U. et le document du ministère de l’Intérieur britannique. L’agent mentionne expressément que les sections VIII(iv) et 119(iv) du document du Tribunal supérieur du R.‑U., notant qu’elles abordent notamment les risques auxquels sont exposés ceux qui ont quitté la RDC à l’aide de documents frauduleux. L’agent fait remarquer ensuite que M. Nsungani a allégué avoir quitté la RDC muni d’un faux passeport, mais il n’en a jamais fourni la preuve, et conclut donc qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer qu’il s’était avait commis une infraction en lien avec un document frauduleux lorsqu’il a quitté la RDC.

[28]  M. Nsungani soutient que cette analyse n’explique pas pourquoi l’agent a rejeté la preuve qu’il a soumise pour étayer le risque de subir de mauvais traitements auquel sont exposés les demandeurs d’asile déboutés à leur retour en RDC.

[29]  Bien que les motifs de l’agent soient relativement brefs, après les avoir examinés conjointement avec les documents sur les conditions dans le pays sur lesquels celui-ci s’appuie, je conclus qu’ils constituent une analyse intelligible. Les sections VIII et 119 du document du Tribunal supérieur du R.‑U. contiennent les conclusions auxquelles cette cour est parvenue. En bref, d’après ces conclusions, les ressortissants congolais ayant été déclarés coupables d’infractions au Royaume‑Uni ou dont la demande d’asile dans ce pays a été rejetée ne risquent pas d’être persécutés à leur retour en RDC, mais les autorités de ce pays s’intéressent à certains types de délinquants condamnés ou soupçonnés. Les sections VIII(iv) et 119(iv), auxquelles l’agent fait référence, décrivent les catégories de personnes auxquelles s’intéressent les autorités congolaises, soit les individus qui n’ont pas purgé leur peine de prison, qui sont visés par des mandats d’arrestation en RDC, ou qui sont censés avoir commis une infraction, comme d’avoir utilisé des documents frauduleux en quittant la RDC. Ces individus risquent de longues peines d’emprisonnement et des traitements prohibés.

[30]  À mon sens, la décision démontre que l’agent a estimé que les conclusions du document du Tribunal supérieur du R.‑U. établissaient que le profil susceptible d’entraîner un risque pour un citoyen congolais de retour en RDC avait trait à des antécédents d’activités criminelles en RDC, notamment l’utilisation de documents frauduleux au moment de quitter le pays. C’est la raison pour laquelle l’agent n’a pas jugé convaincante l’affirmation de M. Nsungani selon laquelle son simple statut de demandeur d’asile débouté revenant au pays l’exposait à un risque. C’est également la raison pour laquelle l’agent s’est concentré sur la question de savoir si M. Nsungani avait établi qu’il avait quitté la RDC à l’aide de documents frauduleux.

[31]  J’estime non seulement que cette analyse est intelligible, mais aussi qu’elle est raisonnable dans le contexte de la preuve documentaire dont disposait l’agent. M. Nsungani soutient que ce dernier n’a pas abordé la preuve contenue dans le document du Tribunal supérieur du R.‑U. sur les risques auxquels sont exposés les demandeurs d’asile déboutés qui rentrent au pays. Il invoque le principe énoncé dans Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst) selon lequel la Cour peut raisonnablement conclure que le décideur a omis de tenir compte d’éléments de preuve contredisant directement ses conclusions, même si ce dernier est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et qu’il n’est pas tenu d’aborder chaque élément dont il dispose.

[32]  À mon avis, ce principe n’est d’aucun secours pour M. Nsungani au regard des faits de la présente affaire. Le document du Tribunal supérieur du R.‑U. examine des éléments de preuve émanant de sources diverses, dont certaines confirment le risque invoqué par M. Nsungani à titre de demandeur d’asile débouté. Cependant, d’autres éléments de preuve recensés dans ce document appuient la conclusion contraire, et ledit document démontre que le Tribunal supérieur du R.‑U. lui‑même, ayant examiné toute la preuve dont il disposait, a tiré les conclusions reproduites aux sections VIII et 119, à savoir que les demandeurs d’asile déboutés qui reviennent au pays ne se heurtent à aucun risque à moins qu’ils n’aient commis des actes criminels en RDC. Comme je l’ai expliqué précédemment, j’estime que la décision est intelligible parce qu’elle démontre que l’agent s’est appuyé sur les conclusions du document du Tribunal supérieur du R.‑U. Il est donc impossible d’inférer de l’absence de références explicites à des éléments de preuve particuliers cités dans ce document que l’agent n’en a pas tenu compte.

[33]  Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont l’agent a traité la preuve relative aux conditions dans le pays.

D.  L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’analyser le profil de risque du demandeur en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire au Canada?

[34]  M. Nsungani affirme que l’agent n’a pas analysé une composante du profil de risque le concernant, à savoir qu’il retournerait en RDC avec un casier criminel étranger. Il fait à juste titre remarquer que la décision ne traite pas de ce profil comme une composante du risque qu’il fait valoir, et ne l’analyse pas expressément.

[35]  Cet argument doit être examiné en tenant compte de la manière dont M. Nsungani a présenté le profil de risque dans les observations soumises dans le cadre de l’ERAR. Il faisait valoir qu’il était exposé à un risque en tant que demandeur d’asile débouté, et non comme rapatrié ayant des antécédents criminels à l’étranger. Cela étant dit, je reconnais que certains éléments de la preuve documentaire que M. Nsungani a soumis à l’appui de sa demande d’ERAR indiquent que les autorités congolaises emprisonnent des rapatriés ayant un casier criminel étranger, et que des extraits de documents pertinents à cette question étaient cités dans le corps des observations accompagnant sa demande d’ERAR. Il ne fait aucun doute que l’agent était tenu de considérer le risque potentiel découlant de cette criminalité à l’étranger, étant donné que les documents sur les conditions dans le pays en faisaient clairement mention, même si M. Nsungani ne l’a pas expressément soulevé (voir par exemple Jama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 668, paragraphe 19). Cependant, étant donné que M. Nsungani n’a pas expressément présenté son ERAR en faisant valoir le risque découlant de sa criminalité, le fait que l’agent n’ait pas examiné le risque sous cet angle ne laisse pas nécessairement entendre que cet aspect a été négligé.

[36]  Il faut plutôt évaluer l’analyse contenue dans la décision pour déterminer si la preuve concernant le risque lié aux activités criminelles à l’étranger a été prise en compte. Je reviens à mon interprétation du raisonnement de l’agent que j’ai expliquée plus haut. L’agent s’est appuyé sur les conclusions du document du Tribunal supérieur du R.‑U., notamment celle portant que les rapatriés en RDC ne risquent pas réellement d’être persécutés pour cause de criminalité sauf si les actes criminels en question ont été commis en RDC; l’agent s’est également attardé sur l’allégation d’activité criminelle en RDC avancée par M. Nsungani, à savoir qu’il avait utilisé des documents frauduleux pour quitter le pays. À mon avis, cette analyse démontre que le risque découlant de la criminalité a été pris en compte, mais que l’agent a jugé qu’il ne correspondait pas à la situation de M. Nsungani. Encore une fois, je ne vois aucune raison de conclure que la décision est déraisonnable.

[37]  Les motifs de contrôle avancés par M. Nsungani ayant été examinés et aucune erreur susceptible de contrôle de la part de l’agent n’ayant été relevée, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2671-18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de mars 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2671-18

INTITULÉ :

FUNDU NSUNGANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 22 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 25 janvier 2019

COMPARUTIONS :

Keith MacMillan

POUR LE DEMANDEUR

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Keith MacMillan, Refugee Law Office

Avocat

Hamilton (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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