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Date : 20190121

Dossier : IMM-2764-18

Référence : 2019 CF 86

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2019

En présence du juge en chef

ENTRE :

NIMA MAHAMOUD DJAMA

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Mme Djama, ressortissante de Djibouti, a présenté une demande d’asile au Canada. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande au motif qu’il y avait une absence de minimum de fondement de celle-ci.  

[2]  Mme Djama soutient que trois erreurs sous-tendent la décision de la SPR (la décision) et que celle‑ci devrait par conséquent être annulée. En particulier, elle affirme que la décision a été rendue sans égard à un élément de preuve important, nommément une lettre censée corroborer les éléments clés de sa demande. Mme Djama soutient également que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) lorsqu’elle a renvoyé aux « documents personnels » que Mme Djama a présentés à l’appui de sa demande. Finalement, Mme Djama soutient que la SPR n’a pas correctement appliqué le critère de l’« absence de minimum de fondement » établi au paragraphe 107(2) et à l’alinéa 110(2)c) de la Loi.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de la décision est rejetée.

[4]  Les questions soulevées par Mme Djama  doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 (Dunsmuir).

[5]  Pour soutenir sa conclusion qu’il y avait une absence de minimum de fondement de la demande de Mme Djama, la SPR a tiré cinq conclusions de fait particulièrement importantes. Premièrement, elle a conclu, concernant les événements sur lesquels la demanderesse a fondé sa demande, qu’il est « impossible que les événements se soient déroulés comme ils ont été rapportés » puisque, selon les timbres non contestés figurant dans son passeport, elle était à l’étranger lorsque les événements se sont produits. Deuxièmement, la SPR a rejeté ses allégations selon lesquelles les autorités de Djibouti ont estampillé de manière irrégulière son passeport et qu’elle se trouvait à Djibouti au moment des événements en question. Troisièmement, la SPR a rejeté ses allégations selon lesquelles la personne qui l’a aidée à remplir son formulaire de demande de visa avait commis une erreur lorsqu’elle a indiqué que son clan ou sa tribu était « Issak », au lieu d’indiquer qu’il s’agissait du clan Essa de Yonis Mousa. À cet égard, la SPR a conclu qu’elle « n’a pas mentionné sa véritable affiliation tribale dans sa demande d’asile ». Quatrièmement, la SPR a conclu que son manque de connaissance des faits fondamentaux relatifs au parti d’opposition Union Pour le Salut National (l’USN), dont elle prétendait être une partisane, « mine grandement sa crédibilité ». Finalement, la SPR a conclu que certaines des réponses de Mme Djama à ses questions « s’écartaient du sujet » et que la demanderesse avait omis de mentionner dans son témoignage au moins deux incidents et situations de harcèlement précis qui ont été décrits dans son récit circonstancié.

[6]  Dans le cadre de la présente demande, Mme Djama ne conteste pas les conclusions susmentionnées ni la conclusion de la SPR selon laquelle elle n’était pas un témoin digne de foi et il ne fallait accorder aucun poids à ses déclarations non vérifiées.

[7]  J’ouvre une parenthèse pour souligner qu’une affirmation non étayée selon laquelle les autorités frontalières n’estampillaient pas de façon régulière les passeports ne doit pas être présumée vraie. Je reconnais que, dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302, à la page 305 (CAF), la Cour d’appel a établi une présomption de vérité pour les déclarations sous serment faites par un demandeur d’asile, mais elle a ajouté la réserve suivante : « à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter ». Selon moi, le système de passeport est le roc sur lequel reposent les voyages internationaux. Par conséquent, en l’absence de certains éléments de preuve objectifs de l’existence de fraudes ou d’irrégularités dans l’estampillage de passeports dans une administration donnée, il existe une raison valable de présumer que les passeports ont été correctement estampillés.

[8]  Après avoir tiré sa conclusion quant au manque de crédibilité des déclarations non vérifiées de Mme Djama, la SPR a conclu que « la preuve de la demandeure d’asile n’a fourni aucun fondement permettant de rendre une décision favorable au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la Loi ». Mme Djama prétend que la SPR a commis une erreur en tirant cette conclusion, puisqu’elle a omis de mentionner une lettre rédigée par une de ses amies (la lettre de Mme Nima Ahmed Said (la lettre de Said)), qui devait corroborer plusieurs aspects importants du fondement de sa demande.

[9]  Je ne suis pas d’accord. La lettre de Said n’était pas un élément de preuve crédible à l’appui de la demande de Mme Djama, puisqu’elle visait à confirmer l’existence d’un ou plusieurs faits que la SPR a explicitement rejetés. Plus précisément, la lettre indiquait que Mme Djama est membre de la tribu « Yoonis Muuse » [sic]. Ce renseignement était contraire à ce que Mme Djama avait elle‑même écrit dans sa demande de visa. La SPR a explicitement rejeté son explication de cette incohérence en ce qui concerne sa demande d’asile et la SPR a également fait remarquer que Mme Djama avait répondu « non » à une question du formulaire de visa qui demandait si une personne l’avait aidée à préparer la demande. De plus, la SPR a conclu que la demanderesse avait fait une fausse déclaration concernant son affiliation tribale dans sa demande d’asile, où elle prétendait qu’elle était membre du clan Issa de Yonis Mousa. Puisque la lettre de Said visait à confirmer l’existence de ce fait qui a été jugé faux, sa crédibilité générale était sérieusement compromise. Selon moi, il n’était pas déraisonnable que la SPR omette de faire référence à un tel document.

[10]  Je reconnais que, dans l’affaire Wu c Canada, 2016 CF 516, au paragraphe 14 (Wu), le juge Diner a déclaré que lorsqu’elle fait « une constatation d’absence [de minimum] de fondement […], la SPR a l’obligation d’évaluer tous les éléments de preuve et d’énoncer expressément les motifs de sa conclusion ». Le juge Diner a ensuite conclu qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure, dans cette affaire particulière, que la demande de la demanderesse avait une absence de minimum de fondement, sans rejeter une lettre qui corroborait un aspect important de la demande d’asile de la demanderesse ou sans en avoir tenu compte explicitement par ailleurs.

[11]  Selon moi, l’affaire Wu est différente de celle qui nous occupe puisque la lettre en cause dans cette affaire était plus objective que la lettre de Said et son but n’était pas de confirmer un ou plusieurs des faits ayant été jugés faux par la SPR. Elle visait plutôt à confirmer une allégation qui, selon la SPR, n’était pas [traduction] « suffisamment » établie, soit la pratique du Falun Gong par la demanderesse. Par conséquent, la crédibilité de la lettre n’avait pas été entachée. En effet, il s’agissait d’un élément de preuve à première vue crédible et plus objectif que la lettre invoquée par Mme Djama, puisque la lettre dans l’affaire Wu aurait été écrite par un ancien employeur qui a indiqué que la demanderesse avait été congédiée en raison de sa qualité d’adepte du Falun Gong. Je suis d’accord avec le juge Diner qui affirme qu’il est déraisonnable de la part de la SPR de ne pas tenir compte explicitement d’une telle preuve dans ces circonstances.

[12]  Toutefois, il n’est pas déraisonnable de la part de la SPR de ne pas explicitement tenir compte d’une lettre rédigée par une amie qui a pour but de confirmer un ou plusieurs  faits importants qui ont été jugés faux. Cette conclusion vaut, peu importe que cette lettre puisse également viser à confirmer d’autres faits qui n’ont pas été jugés faux. Lorsqu’il a été conclu qu’une personne n’est pas digne de foi, la crédibilité du reste de ce que cette personne a à dire est sérieusement compromise, de sorte que la SPR n’a aucune obligation de le mentionner explicitement dans sa décision. Autrement dit, même si une lettre rédigée par une telle personne allègue des faits qui ne sont pas conformes avec les conclusions tirées par la SPR, celle-ci n’est pas tenue de traiter explicitement de cette lettre dans sa décision. Selon moi, la SPR pouvait raisonnablement conclure, implicitement, qu’une telle lettre n’est pas un élément de preuve crédible sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable.

[13]  Mme Djama soutient également que la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’article 96 de la Loi pour évaluer les « documents personnels » qu’elle a présentés à l’appui de sa demande. Le passage pertinent de la décision est le suivant :

[26] Je conclus que la demandeure d’asile n’est pas un témoin digne de foi, et je n’accorde aucun poids à ses déclarations non vérifiées. Par conséquent, la preuve de la demandeure d’asile n’a fourni aucun fondement permettant de rendre une décision favorable au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la Loi.

[27] Je conclus en outre qu’il n’y a aucun document personnel crédible et digne de foi qui prouve que la demandeure d’asile a qualité de personne à protéger au sens de la Loi.

[14]  Mme Djama affirme que l’expression « à protéger au sens de la Loi » [“ in need of protection under the Act ] est une formulation qui se trouve uniquement au paragraphe 97(1). Elle soutient que l’omission de la SPR de mentionner au paragraphe 27 qu’elle a envisagé l’article 96 en lien avec ses documents personnels démontre qu’elle ne l’a pas fait.

[15]  Je ne suis pas d’accord. Il est établi bien en droit que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit examiner une décision « comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54. À mon avis, il ressort clairement de la dernière phrase du paragraphe 26 de la décision, ainsi que de plusieurs autres paragraphes de cette décision, y compris des premiers mots et des conclusions des paragraphes 9 et 29 de la décision, que la SPR a tenu compte de la demande de Mme Djama fondée sur l’article 96 de la Loi tout au long de son évaluation. De plus, compte tenu de ce qui précède, les mots « à protéger au sens de la Loi » peuvent être interprétés comme signifiant à protéger au sens de l’article 96 ou de l’article 97 de la Loi.

[16]  Cette conclusion est également pertinente pour la troisième question soulevée par Mme Djama, à savoir que la SPR n’a pas appliqué correctement le critère de l’« absence de minimum de fondement » énoncé au paragraphe 107(2) et à l’alinéa 110(2)c) de la Loi (reproduits à l’annexe ci-jointe). En résumé, Mme Djama affirme que la SPR a commis une erreur en formulant sa conclusion au paragraphe 27, reproduit au paragraphe 13 des présents motifs. À cet égard, Mme Djama soutient que le critère de l’« absence de minimum de fondement » ne nécessite pas que sa preuve documentaire établisse qu’elle est une personne « à protéger au sens de la Loi », conformément à l’article 97 et de la manière indiquée par la SPR. Elle prétend également que les documents peuvent être insuffisants en soi pour établir le bien-fondé d’une demande, mais néanmoins fournir une certaine base sur laquelle une décision favorable pourrait être fondée.

[17]  Je ne conteste pas la dernière proposition. La Cour l’a confirmé à de multiples occasions, y compris dans la décision Wu, précitée, au paragraphe 12. Toutefois, comme cela a été noté ci-dessus, la lecture de la décision dans son ensemble indique clairement que la SPR a tenu compte de la demande de Mme Djama fondée sur l’article 96 de la Loi tout au long de son évaluation. Selon moi, le fait que la SPR a utilisé la formulation de l’article 97 de la Loi pour décrire l’absence de documents personnels crédibles et dignes de foi ne démontre pas qu’elle a omis d’appliquer correctement le critère de l’« absence de minimum de fondement ». Au contraire, les derniers mots de la décision indiquent clairement que la SPR a conclu à « l’absence de minimum de fondement de la demande de [Mme Djama] ».

I.  Conclusion

[18]  Compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivé en ce qui concerne les trois questions soulevées par Mme Djama, la demande sera rejetée.

[19]  À la fin de l’audience, les avocats de Mme Djama et du défendeur ont tous deux indiqué que la demande ne soulève pas de question grave de portée générale comme l’envisage l’alinéa 74d) de la Loi. Je suis d’accord. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée au titre de cette disposition.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2764-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la Loi.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de février 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


ANNEXE 1 : Dispositions législatives pertinentes

Décision sur la demande d’asile

[…]

Decision on Claim for Refugee Protection

[…]

 

Preuve

107 (2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

No credible basis

107 (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[…]

[…]

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

[…]

Appeal to Refugee Appeal Division

[…]

Restriction

110 (2) Ne sont pas susceptibles d’appel :

[…]

Restriction on appeals

110 (2) No appeal may be made in respect of any of the following:

[…]

c) la décision de la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d’asile en faisant état de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile ou du fait que celle-ci est manifestement infondée;

(c) a decision of the Refugee Protection Division rejecting a claim for refugee protection that states that the claim has no credible basis or is manifestly unfounded;


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-2764-18

INTITULÉ :

NIMA MAHAMOUD DJAMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JANVIER 2019

COMPARUTIONS :

David Matas

POUR LA DEMANDERESSE

Brendan Friesen

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Région des Prairies

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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