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Dossier : IMM‑1815‑18

Référence : 2019 CF 29

 [TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2019

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

NWANBUNDO NGAJU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  La procédure

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié, dans laquelle la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La présente demande est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Nigéria, née le 12 mai 1970. Elle a déposé une demande d’asile fondée sur ses allégations de violence de la part de son époux, au Nigéria. La SPR a instruit sa demande le 14 mars 2018. Le 27 mars 2018, la SPR a rejeté la demande (la décision). Puisqu’il s’agissait d’une ancienne demande, la demanderesse n’a pas eu accès à la Section d’appel des réfugiés.

1.  LE CONTEXTE

[3]  Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse s’est décrite comme une femme au foyer et une petite commerçante. Elle a suivi une scolarité de niveau primaire. Elle vivait à Asaba et a deux enfants qui sont restés au Nigéria. Ils sont nés en 1999 et en 2003.

[4]  La demanderesse a allégué qu’environ deux ans avant de venir au Canada, son époux avait commencé à avoir un revenu important de contrats gouvernementaux. Elle a ajouté qu’il avait commencé à boire beaucoup. Elle a prétendu que, le 18 novembre 2011, il l’avait battue après avoir bu toute la nuit. La demanderesse a allégué en outre qu’en décembre 2011, elle avait été hospitalisée en raison d’une agression de la part de son époux. Elle dit qu’elle l’a signalé à la police, mais que les policiers n’ont rien fait pour l’aider.

[5]  La demanderesse a également allégué que, le 12 février 2012, son époux l’avait battue et l’avait menacée avec un couteau (les voies de fait). Elle avait couru chez un voisin où elle avait passé la nuit. Le lendemain, elle était allée chez sa mère, mais son époux y avait envoyé ses associés. Elle était ensuite allée chez l’amie de sa mère à Asaba. Elle y est restée pendant environ trois mois.

[6]  La demanderesse a ensuite quitté Asaba pour Benin City, où elle a séjourné avec une amie d’enfance, Beatrice Ezekwere (Beatrice)]. Deux jours plus tard, un des voisins de Beatrice lui a dit que des hommes étaient venus chez lui pour lui demander si Beatrice avait un visiteur. Le lendemain, les mêmes hommes sont revenus avec une courte lettre manuscrite à l’intention de Beatrice, datée du 22 mai 2012. La lettre comprenait une menace lui étant adressée et elle était signée par l’époux de la demanderesse (la lettre menaçante de l’époux).

[7]  La demanderesse a quitté Benin City le 25 mai 2012 et est allée à Abuja, où elle est restée avec d’autres amis. Elle allègue que son époux et trois hommes se sont présentés à la maison de ses amis le 2 juin 2012. Ses amis les ont vus et ont averti la demanderesse. Elle dit que ses amis lui ont trouvé un passeur qui a pris les dispositions nécessaires pour son départ du Nigéria le 8 juillet 2012.

[8]  Dans un addenda à son FRP, la demanderesse a déclaré que ses enfants vivaient à ce moment‑là avec sa mère. Elle a prétendu que son époux avait menacé sa mère et ses amis pour l’avoir aidée à s’enfuir. La demanderesse a également déclaré que son époux continuait de proférer des menaces de mort à son encontre.

2.  LA Preuve documentaire – Incohérences et omissions

[9]  La demanderesse a joint à son FRP un certain nombre de documents, y compris : un rapport de police daté du 20 août 2012 (le rapport de police), la lettre menaçante de l’époux, décrite ci‑dessus, un rapport médical daté du 5 mars 2012 (le rapport médical), un affidavit de son amie Beatrice (l’affidavit de Beatrice) et un affidavit de sa mère, Nkechi Onwuemene (l’affidavit de la mère). Je les examinerai à tour de rôle et j’indiquerai les principaux motifs pour lesquels ils ont mené la SPR à remettre en question la crédibilité de la demanderesse.

  i.  Le rapport de police

[10]  Il est daté du 8 août 2012 et il indique que, le 14 décembre 2011, la demanderesse s’est présentée au poste et s’est plainte que sa vie était en danger à cause de son époux, qui la violentait de manière continuelle. Le rapport de police mentionne ce qui suit : [traduction« Elle a présenté un message texte qu’elle avait reçu d’un Mike (nom inconnu) pour l’informer de leurs plans et pour l’avertir qu’elle sera tuée si elle refusait qu’ils entrent dans la maison. » Le rapport se termine par l’énoncé suivant : [traduction« Il a été conseillé à la plaignante de respecter les directives de l’époux et l’affaire a été renvoyée au civil [...] »

[11]  La SPR n’a accordé aucun poids au rapport de police. Elle a fait remarquer que la demanderesse avait témoigné et avait déclaré dans l’exposé circonstancié de son FRP que la police avait convoqué son époux au poste et qu’il s’y était rendu. Toutefois, le rapport de police ne fait aucune mention de sa présence. En outre et plus important encore, la SPR a souligné que le rapport de police comprenait des renseignements au sujet d’un message texte qui menaçait de mort la demanderesse. Toutefois, l’exposé circonstancié dans son FRP n’en fait aucune mention. Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que l’omission de la menace de mort dans le FRP a eu une incidence défavorable sur sa crédibilité.

  ii.  Le rapport médical

[12]  Le rapport médical est daté du 5 mars 2012. Il mentionne que la demanderesse [traduction« avait été victime de plusieurs épisodes de violence fondée sur le sexe, alors que certaines bagarres avaient entraîné un préjudice corporel et un traumatisme modéré ». Il mentionne en outre que le lendemain des voies de fait et en raison des celles‑ci, [traduction« elle avait subi un avortement spontané (une fausse‑couche) le 13 février 2012, qui découlait du traumatisme et qui avait été traité pendant son séjour de sept jours ». Le FRP de la demanderesse ne fait aucune mention de ces faits importants. À mon avis, il était raisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur ces omissions.

  iii.  L’affidavit de Beatrice

[13]  L’affidavit de Beatrice énonce que la demanderesse a séjourné avec elle à Benin City pendant cinq jours à compter du 20 mai 2012. Beatrice déclare qu’après deux jours, l’époux de la demanderesse s’est présenté à son domicile avec des hommes de main à la recherche de la demanderesse. Elle déclare que la demanderesse a quitté sa maison le 25 mai 2012 pour se rendre à Abuja. Elle déclare que l’époux de la demanderesse [traduction« est tellement riche, [qu’]il a des relations haut placées et [qu’il] agit sans égard à la loi ». Elle déclare en outre que, jusqu’au 15 novembre 2017, l’époux de la demanderesse a continué de se présenter à son domicile avec des associés et qu’il a continué de menacer de tuer la demanderesse.

[14]  La SPR a fait remarquer que les renseignements figurant dans l’affidavit de Beatrice étaient très différents du témoignage et de l’exposé circonstancié du FRP de la demanderesse. L’affidavit de Beatrice dit que l’époux de la demanderesse et ses hommes se sont présentés une fois à son domicile. Beatrice ne fait aucune référence à une deuxième visite ou à une visite chez ses voisins. Toutefois, dans son FRP, la demanderesse décrit deux visites ayant eu lieu à deux jours différents et ayant été faites par les [traduction« mêmes hommes ». Elle ne fait aucune référence à son époux. La première visite était chez un voisin et il n’est pas clair si la deuxième visite, le lendemain, était chez le voisin ou chez Beatrice. La deuxième visite était celle pendant laquelle, selon le FRP, la lettre menaçante de l’époux a été laissée à l’intention de Beatrice. Pourtant, l’affidavit de Beatrice ne fait aucune mention de la lettre menaçante de l’époux. Il s’agit d’une omission très importante, parce que la menace envers Beatrice dans cette lettre serait la raison pour laquelle elle aurait demandé à la demanderesse de quitter immédiatement sa résidence.

[15]  Le témoignage de la demanderesse à cet égard était aussi incompatible avec son FRP. Dans son témoignage, elle a dit que son époux était venu et avait parlé aux voisins de Beatrice, et qu’il avait donné aux voisins la lettre menaçante de l’époux, et ce, en une seule visite. Cela contraste avec son FRP qui décrit deux visites sur deux jours et qui ne fait aucune mention de son époux.

[16]  En résumé, les éléments de preuve concernant les faits survenus au domicile de Beatrice à Benin City étaient incompatibles en ce qui concerne le nombre de visites, le nombre de jours visés par les visites, où les visiteurs sont allés, ainsi que la question de savoir si l’époux de la demanderesse était présent et s’il avait laissé une lettre qui menaçait Beatrice. Dans ces circonstances, j’ai conclu qu’il était raisonnable pour la SPR de n’accorder aucun poids à l’affidavit de Beatrice et de remettre en question la crédibilité de la demanderesse.

  iv.  L’affidavit de la mère

[17]  L’affidavit de la mère, daté du 8 février 2018, mentionne que l’époux de la demanderesse [traduction« se présente encore chez nous et menace de tuer ma fille chaque fois qu’il la voit ». La SPR a conclu que cette déclaration était vague et n’offrait aucun détail quant à ces visites alléguées sur une période de cinq ans. Peu de poids a donc été accordé à l’affidavit. Je suis d’avis qu’il s’agissait d’une conclusion raisonnable, étant donné les préoccupations générales quant à la crédibilité et la nature vague des éléments de preuve contenus dans l’affidavit.

3.  LA CONCLUSION DE LA SPR

[18]  La SPR a conclu qu’il se pouvait que la demanderesse ait été violentée par son époux, mais qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour étayer son allégation selon laquelle son époux la poursuivait après qu’elle a quitté leur maison en février 2012 ou qu’il continuait de la poursuivre après son arrivée au Canada. La SPR a également conclu que, si la demanderesse était poursuivie par son époux, elle avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Lagos.

4.  LAGOS – LA PRI

[19]  En fin de compte, à mon avis, la décision de la SPR portait sur la disponibilité d’une PRI viable. Même si la demanderesse avait été violentée et qu’elle avait été poursuivie et même si son époux souhaitait toujours la tuer, la SPR a conclu qu’elle avait une PRI à Lagos.

[20]  La SPR a fait remarquer que Lagos se situe à environ 450 km d’Asaba et qu’elle a une population d’environ 25 millions de personnes. Le Tribunal s’est fondé sur les documents relatifs aux conditions dans le pays concernant le refuge intérieur au Nigéria pour conclure ce qui suit : [traduction« En général, il n’est pas excessivement difficile pour une femme de se réinstaller à l’intérieur du pays pour échapper à des menaces qu’elle a reçues dans une région donnée de la part de membres de sa famille […] »

[21]  La SPR a fait remarquer que la demanderesse n’avait fourni aucun élément de preuve concernant la richesse et l’influence de son époux. La SPR a conclu qu’il s’agissait d’un sujet important, parce qu’il affectait sa capacité de la trouver à Lagos. La SPR a conclu que, selon la preuve disponible, il n’y avait aucune possibilité sérieuse que son époux puisse la poursuivre à Lagos. À mon avis, cette conclusion était raisonnable, parce que les éléments de preuve concernant l’époux de la demanderesse qui figuraient dans l’affidavit de Beatrice étaient vagues et non crédibles (voir le paragraphe 13 ci‑dessus).

[22]  La SPR a également conclu qu’il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse se réfugie à Lagos. Elle a conclu que, bien que les logements dans le centre de la ville aient pu excéder les moyens de la demanderesse, les logements en périphérie de Lagos étaient beaucoup moins coûteux. La SPR a conclu que la demanderesse avait 13 ans d’expérience en tant que commerçante et elle a conclu que la demanderesse trouverait probablement un emploi dans l’économie parallèle. Elle a également supposé que la demanderesse bénéficierait d’un soutien parental. Cela n’était pas déraisonnable, vu l’aide que sa mère lui avait apportée après les voies de fait et vu le fait qu’elle avait rédigé un affidavit à l’appui.

[23]  La SPR a fait remarquer que la Cour d’appel fédérale, dans Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CA), avait placé la barre très haut pour déterminer ce qui était déraisonnable : « en effet, il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie ou la sécurité de la demandeure d’asile ». La SPR a conclu qu’il n’existait aucune preuve « réelle et concrète » de l’existence de telles conditions.

[24]  La demanderesse fait valoir que la SPR a omis d’effectuer une appréciation complète du caractère raisonnable de son déménagement à Lagos en tant que femme célibataire. La demanderesse se fonde sur la preuve invoquée par la SPR relativement aux conditions dans le pays pour soutenir que la décision de la SPR était déraisonnable, parce qu’elle n’a pas pris en considération les facteurs suivants : les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes qui vivent sans le soutien d’un homme en ce qui concerne l’obtention d’un emploi et d’un logement au Nigéria, le fait que le Nigéria est en pleine récession et que les personnes sont confrontées à la discrimination si elles vivent dans un secteur où leur groupe ethnique n’est pas considéré comme autochtone. Toutefois, à l’audience, à la question de savoir si elle pouvait s’établir à Lagos, la demanderesse a témoigné en disant que sa seule préoccupation concernait l’obtention d’un emploi. Elle n’a soulevé aucune autre préoccupation concernant l’établissement.

[25]  Le défendeur soutient que l’avocat de la demanderesse n’a présenté aucun de ses arguments dans ses observations finales devant la SPR. Un examen de la transcription révèle que le défendeur a raison. Aucun argument au sujet des facteurs qui, selon la demanderesse, auraient dû être examinés n’a été présenté à l’audience devant la SPR. À mon avis, le rôle de la SPR ne consiste pas à entreprendre, de son propre chef, un examen de son dossier concernant les conditions dans le pays pour trancher la question du caractère raisonnable d’une PRI.

II.  Conclusions

[26]   Les observations de la demanderesse n’abordent pas directement les conclusions de la SPR portant sur les incohérences et les omissions décrites ci‑dessus concernant le rapport de police, le rapport médical et l’affidavit de Beatrice. Il s’agissait de conclusions importantes et elles étaient raisonnables.

[27]  Le défendeur reconnaît que la SPR a effectivement commis une erreur de fait. La SPR a déclaré que la demanderesse avait parlé de la lettre menaçante de l’époux dans son témoignage de vive voix, mais que son FRP n’en faisait aucune mention. C’est inexact. Le FRP en faisait mention. Toutefois, Il ne s’agissait pas d’une erreur significative, vu les nombreux problèmes importants posés par la preuve de la demanderesse.

[28]  À mon avis, selon la preuve, la conclusion de la SPR selon laquelle Lagos constitue une PRI sécuritaire et acceptable est raisonnable.

III.  Certification

[29]  Aucun avocat n’a proposé de question aux fins de la certification en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1815‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée et que l’intitulé est modifié de manière à indiquer le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

« Sandra J. Simpson »

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de février 2019

C. Laroche, traducteur


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