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Date : 20181221


Dossier : T-690-18

Référence : 2018 CF 1296

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

NATHALIE BOUSQUET-GAGNON

demanderesse

et

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Bousquet-Gagnon travaillait pour le Conseil national de recherches du Canada [le Conseil] à titre d’agente technique. Au cours de l’exercice 2016-2017, elle a changé de superviseur. En juillet 2017, sa nouvelle superviseure, Mme Vercauteren, a évalué son rendement pour 2016-2017, indiquant qu’elle avait [traduction] « satisfait à certaines attentes ». Cette évaluation était moins favorable que l’auto-évaluation de Mme Bousquet-Gagnon et que les évaluations effectuées par son ancien superviseur, le Dr Loisel, au cours d’années précédentes. Elle a présenté un grief à l’égard de son évaluation de rendement, que le vice‑président du Conseil a toutefois rejeté. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. J’accueille sa demande, car en statuant sur le grief, le vice-président a complètement omis de reconnaître le fait que l’ancien superviseur avait fourni de l’information contredisant l’évaluation et d’expliquer pourquoi cette information avait été ignorée.

[2]  Le Dr Loisel a quitté le Conseil en novembre 2016. Pour préparer le grief, le syndicat de Mme Bousquet-Gagnon a communiqué avec le Dr Loisel en vue d’obtenir ses commentaires sur l’évaluation de Mme Bousquet-Gagnon. Dans la colonne de gauche du tableau ci-dessous se trouvent les quatre principaux éléments sur lesquels Mme Vercauteren s’est fondée pour justifier son évaluation, et dans la colonne de droite se trouvent les commentaires du Dr Loisel, envoyés par courriel au syndicat le 6 novembre 2017.

Tel qu’observé par ses superviseurs, Nathalie

‑ n’a pas suivi les DOPs/SOPs pour les expériences pour les clients, malgré plusieurs rappels de l’importance de suivre les DOPs/SOPs. Durant notre rencontre de retour progressif durable du 24 mai, Nathalie a affirmé qu’elle « n’appliquait pas les DOPs/SOPs de façon automatique, avant ».

[traduction]

Au cours de la période où j’étais responsable de la section Purification, je me souviens que Nathalie suivait habituellement les DOPs/SOPs. Nathalie devait parfois s’écarter de la procédure en raison du travail novateur qu’elle accomplissait. Les changements apportés au protocole étaient consignés.

‑ faisait des purifications dont la qualité ne rencontrait pas les normes requises par le client C45. Pour cette raison, Thomas Loisel avait décidé de ne pas laisser Nathalie faire des purifications pour C45, ce qu’il a aussi recommandé à la superviseure actuelle.

Ma décision de retirer Nathalie du projet lié au client C45 était motivée par le fait que Nathalie était très efficace dans le cadre de projets présentant des défis, où la purification était difficile et nécessitait de s’écarter des procédures comme celles utilisées dans les projets liés au client C45. Ce n’était pas en raison de son incapacité à suivre les DOPs. La documentation liée aux projets réalisés par Nathalie était adéquate. Ainsi, on peut supposer que Nathalie préfère réaliser des purifications difficiles plutôt que les purifications routinières.

‑ n’a pas effectué certaines tâches selon l’ordre de priorité à plusieurs reprises, malgré les demandes explicites de la part de sa superviseure et le besoin urgent de prioriser le travail pour les clients externes selon les objectifs du TSH

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‑ n’a pas communiqué avec ses collègues de façon constructive et a montré un manque d’esprit d’équipe à plusieurs occasions, ce qui a mené à créer des tensions au sein de l’équipe ainsi qu’avec d’autres équipes du TSH. Thomas Loisel a signifié à la superviseure actuelle l’importance et l’urgence d’aider Nathalie à améliorer ses interactions interpersonnelles.

Il est vrai que, parfois, Nathalie accomplissait certaines tâches sans prendre assez de temps pour informer ses collègues. C’était toujours dans le but d’aider et d’être efficace pour régler des situations techniques. J’ai dû demander à Nathalie de prendre plus de temps pour communiquer bien que cela puisse retarder l’exécution des travaux, et ce, pour le bien de l’organisation. Nathalie a fait des efforts considérables. Elle a toujours été une personne positive, axée sur le travail d’équipe. Ses actions étaient parfois perçues autrement, ce qui avait créé des tensions, que je croyais être réglées. […]

[3]  De plus, Mme Bousquet-Gagnon a présenté des lettres de recommandation qu’elle avait auparavant reçues du Dr Loisel et de Mme Parat, une agente de recherche avec qui elle avait travaillé étroitement, mais qui était alors en congé de maternité. Les deux lettres vantent ses mérites. Le dossier contient également un courriel de Mme Parat qui confirme plusieurs points soulevés par le Dr Loisel dans son courriel.

[4]  La décision du dernier palier concernant le grief de Mme Bousquet-Gagnon a été rendue le 19 mars 2018 par le Dr Szumski, vice-président, Sciences de la vie, du Conseil. Cette décision fait maintenant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. L’essentiel de la décision du Dr Szumski est contenu dans le paragraphe suivant :

Après un examen complet des faits, je conclus que la note attribuée à votre évaluation de l’EEE 2016-2017 reflète fidèlement votre performance au cours de la période considérée. En outre, les faits recueillis par ma revue concluent que votre superviseur a eu suffisamment de temps et d’informations, y compris les commentaires de votre ancien superviseur, pour évaluer votre performance.

[5]  Pour comprendre le fondement de la décision du Dr Szumski, il est utile de se référer au rapport sur le grief du dernier palier rédigé à son intention par le personnel des relations de travail du Conseil. Le rapport décrit les motifs du grief, notamment le fait que [traduction] « les commentaires du Dr Loisel et de Mme Mary Parat (agente de recherche en congé de maternité) obtenus par l’AECR [le syndicat] contredisent l’évaluation de l’EEE, tout comme leurs lettres de recommandation au sujet de la plaignante ». Le rapport décrit ensuite [traduction] « les principales conclusions », qui toutefois ne font que reformuler l’opinion de Mme Vercauteren, telle qu’elle est résumée dans le tableau ci-dessus. Le rapport contient aussi une affirmation selon laquelle le Dr Loisel avait communiqué à Mme Vercauteren les présumées lacunes de Mme Bousquet-Gagnon.

[6]  Au cours de la préparation de ce rapport, le Dr Szumski, en présence d’un agent des relations du travail, a communiqué avec Mme Vercauteren pour obtenir une confirmation de son point de vue. Par contre, le personnel du Conseil n’a pas communiqué avec le Dr Loisel. La preuve est contradictoire quant à savoir si le Conseil a tenté de communiquer avec ce dernier en novembre 2017, à l’époque où Mme Bousquet-Gagnon préparait son grief. Il est cependant évident qu’en février 2018, au dernier palier de la procédure de grief, le Dr Szumski n’a pas tenté d’obtenir l’avis du Dr Loisel.

[7]  Je suis d’accord avec Mme Bousquet-Gagnon; il était déraisonnable de la part du Dr Szumski de ne pas tenir compte du courriel du Dr Loisel. Évidemment, il est loisible à un décideur d’apprécier la preuve et de résoudre les contradictions en découlant. Ce faisant, le décideur n’est pas tenu de faire état, dans ses motifs, de chaque élément de preuve. En l’espèce, cependant, le courriel du Dr Loisel constituait un élément de preuve important qui contredisait la conclusion du Dr Szumski. Il ne fait pas qu’exprimer un désaccord avec l’opinion ou l’évaluation de Mme Vercauteren. Il indique que ce que Mme Vercauteren attribue au Dr Loisel est faux. Dans sa décision, le Dr Szumski mentionne que l’évaluation de Mme Vercauteren était fondée sur les commentaires du Dr Loisel, mais il ne traite pas de l’argument de Mme Bousquet-Gagnon voulant que Mme Vercauteren ait déformé ces commentaires, argument étayé par le courriel du Dr Loisel. Suivant la preuve dont il disposait, le Dr Szumski ne pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion que l’évaluation de Mme Bousquet-Gagnon était fondée sur « les commentaires de [son] ancien superviseur, » sans expliquer pourquoi le courriel de ce superviseur réfutant l’évaluation n’a pas été pris en considération.

[8]  Le Conseil affirme que tout cela est sans importance, puisque Mme Vercauteren a fondé son évaluation sur sa propre observation du rendement de Mme Bousquet-Gagnon. Cependant, cette affirmation est contredite par le rapport d’évaluation. Les passages déterminants que j’ai cités ci‑dessus renvoient, dans une large mesure, aux opinions ou aux observations du Dr Loisel. Le point de vue attribué au Dr Loisel semble avoir joué un rôle déterminant dans l’évaluation et dans la décision relative au grief.

[9]  Le Conseil soutient également que la divergence de points de vue du Dr Loisel et de Mme Vercauteren ne portait que sur un seul élément : le fait que Mme Bousquet-Gagnon n’a pas respecté les procédures et qu’elle a été retirée du dossier d’un client en particulier. Il y aurait suffisamment d’autres informations dans le dossier pour justifier l’évaluation de Mme Vercauteren selon laquelle Mme Bousquet-Gagnon avait [traduction] « satisfait à certaines attentes ». Toutefois, comme le montre le tableau ci-dessus, la divergence d’opinions semble être plus marquée. Il m’est difficile de conclure que le résultat de l’évaluation aurait été le même. Il n’est pas toujours facile de relier les préoccupations de Mme Vercauteren aux objectifs précis à l’égard desquels Mme Bousquet-Gagnon aurait [traduction] « satisfait à certaines attentes ». Dans ces circonstances et en raison du caractère très bref des motifs du Dr Szumski, je ne suis pas en mesure de formuler un autre raisonnement valable qui mènerait au même résultat.

[10]  Enfin, le Conseil prétend qu’il n’avait aucune obligation de communiquer avec un ancien superviseur, qui ne travaillait plus pour lui, afin d’obtenir son point de vue sur le grief. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si le Conseil avait une telle obligation. Toutefois, dès lors que Mme Bousquet-Gagnon avait mis en preuve le point de vue du Dr Loisel, le Dr Szumski ne pouvait pas simplement l’écarter sans faire un examen plus poussé et sans donner d’explications.

[11]  Les parties ont soulevé plusieurs autres questions, mais j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’y répondre. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée pour nouvel examen. Les parties ont convenu que la partie qui n’aura pas gain de cause assumera les dépens de la présente demande et que ces dépens seront fixés à 3 000 $, ce que je considère comme raisonnable dans les circonstances.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.  L’affaire est renvoyée pour nouvel examen;

3.  Le défendeur est condamné à payer les dépens de la présente demande, qui s’élèvent à 3 000 $, incluant les taxes et les débours.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑690‑18

 

INTITULÉ :

NATHALIE BOUSQUET-GAGNON c CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 décembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham

Claire Boychuk

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sean F. Kelly

Cristina St-Amant-Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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