Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181214


Dossier : IMM‑2412‑18

Référence : 2018 CF 1267

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

HALIMA JALILI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision (la décision), datée du 4 mai 2018, par laquelle un agent des visas (l’agent) de l’ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, a rejeté la demande présentée par la demanderesse dans le but d’obtenir un visa de résident temporaire (VRT) au titre du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et de l’article 179 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

[2]  Comme il est expliqué ci‑dessous, la demande est accueillie, parce que j’ai conclu que la décision de l’agent était déraisonnable dans le cadre de son examen des liens personnels de la demanderesse avec son pays de résidence.

II.  Le contexte

[3]  La demanderesse, Halima Jalili, est citoyenne et résidente d’Afghanistan. Elle est veuve et elle vit à Kaboul avec ses deux filles et ses trois petits‑enfants. Mme Jalili est actuellement gardienne au foyer de ces petits‑enfants. Son fils biologique, Mahboob Salam, habite à Etobicoke, en Ontario, avec sa famille. M. Salam est né en Afghanistan en 1977 et a été subséquemment adopté dans ce pays. Sa famille adoptive et lui se sont installés au Canada en 2000, et il est devenu citoyen canadien en 2016. Ses parents adoptifs sont morts. En 2013, il est retourné en Afghanistan et il a rencontré Mme Jalili, sa mère biologique. Selon M. Salam, sa famille et lui ont depuis développé une relation étroite avec Mme Jalili; ils se parlent fréquemment au téléphone et par messages textes, et M. Salam fait parvenir de l’argent tous les mois à Mme Jalili.

[4]  M. Salam a invité Mme Jalili à venir au Canada pour qu’il puisse passer plus de temps avec elle et pour qu’elle puisse faire connaissance avec ses enfants. C’est la raison pour laquelle elle a présenté une demande de VRT en janvier 2018. Cette demande a été rejetée en février 2018, au motif que la documentation était insuffisante au sujet du revenu et des biens de M. Salam et qu’il n’y avait pas de preuve d’assurance médicale conforme à l’appui de la demande.

[5]  Mme Jalili a ensuite présenté une autre demande de VRT, laquelle était accompagnée d’une lettre d’invitation de M. Salam indiquant que celui‑ci allait subvenir aux besoins de Mme Jalili pendant son séjour au Canada et précisant les raisons de sa visite. La demande contenait également des renseignements de M. Salam sur ses finances et son emploi, des observations qui expliquaient les liens de Mme Jalili avec l’Afghanistan ainsi qu’une lettre de ses filles à l’appui de ces observations. Dans sa décision datée du 4 mai 2018 qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a rejeté la deuxième demande de VRT présentée par Mme Jalili.

III.  La décision de l’agent

[6]  Dans la lettre de rejet de la demande de Mme Jalili, l’agent a déclaré qu’il ou elle n’était pas convaincu que Mme Jalili allait quitter le Canada à la fin de son séjour en tant que résidente temporaire. La lettre mentionne que, pour arriver à cette décision, l’agent a tenu compte de plusieurs facteurs, notamment : a) les liens familiaux de Mme Jalili au Canada et dans son pays de résidence; b) le but de sa visite; c) sa situation d’emploi courante; d) ses biens personnels et sa situation financière. Dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), les notes de l’agent qui énoncent les motifs de la décision et qui sont considérées en faire partie intégrante précisent ce qui suit :

[traduction]

La DP présente une demande pour visiter son fils biologique. Les observations ont été examinées. Apparemment, son hôte a été adopté par une autre famille avec laquelle il a immigré au Canada. La DP n’est donc pas un membre de la famille, étant donné que l’adoption met fin aux liens de cette nature; elle ne pourrait donc pas être parrainée au titre de la CF. Les liens de la DP avec l’Afghanistan sont faibles tant d’un point de vue financier que personnel; l’information est insuffisante pour conclure que la DP a des liens financiers et/ou personnels étroits par rapport à l’Afghanistan. J’ai également pris en considération la situation actuelle en Afghanistan sur les plans de la politique, de l’économie et de la sécurité; ses liens avec son pays d’origine ne seraient pas assez solides, et il existerait des facteurs l’incitant à demeurer au Canada. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse serait une véritable visiteuse et qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Demande rejetée.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[7]  Selon la demanderesse, les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en refusant d’apprécier le but de la visite de la demanderesse?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur en écartant des éléments de preuve?

[8]  Les deux parties conviennent, et je suis de leur avis, que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

V.  Analyse

[9]  Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur l’examen par l’agent des liens personnels de Mme Jalili avec l’Afghanistan.

[10]  Je suis du même avis que le défendeur quand il fait observer que Mme Jalili devait se décharger du fardeau de prouver qu’elle allait quitter le Canada à la fin de la période de séjour qu’elle avait demandée (voir Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, au paragraphe 16). Je suis également d’accord avec le défendeur quand il fait valoir que les motifs de refus de la demande de VRT d’un demandeur peuvent être succincts et que la décision d’un agent des visas doit faire l’objet d’une retenue considérable, compte tenu de la norme de contrôle applicable.

[11]  Toutefois, comme le soutient Mme Jalili, une demande de visa visant à permettre à une personne de visiter des membres de sa famille proche ne doit pas être rejetée de façon sommaire; bien que les motifs de la décision puissent être des plus succincts, ils doivent néanmoins être transparents, intelligibles et, donc, raisonnables (voir Guillermo c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 61, aux paragraphes 8 à 10). Un agent des visas n’est pas tenu de faire mention de chacun des éléments de preuve dans le cadre de sa décision sur une demande de visa, mais le fait d’omettre des éléments qui militent dans le sens contraire de sa conclusion permet d’inférer que l’agent a fait fi de la preuve contradictoire (voir Balepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 268, au paragraphe 17, invoquant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF 1re inst).

[12]  À mon avis, la décision n’est pas à l’abri des difficultés que soulève cette jurisprudence. La décision repose en grande partie sur la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Jalili a des liens financiers et personnels faibles avec l’Afghanistan. Toutefois, en ce qui concerne ses liens personnels, Mme Jalili insiste sur le fait qu’elle a vécu toute sa vie en Afghanistan et qu’elle cohabite actuellement avec ses deux filles et ses trois petits‑enfants, dont elle a la responsabilité à titre de gardienne depuis près d’une décennie et qui sont maintenant âgés de huit, six et deux ans. Le rôle de Mme Jalili en tant que gardienne de ses petits‑enfants est étayé par la lettre de ses filles qui a été présentée avec sa demande de VRT. Vu ce contexte, il est difficile de comprendre pourquoi l’agent a conclu dans sa décision que Mme Jalili avait des liens personnels faibles avec l’Afghanistan. Cela ne signifie pas que la nature de ses liens avec l’Afghanistan rendait obligatoire un résultat en particulier quant à sa demande de VRT. Toutefois, étant donné que cela suggère une conclusion contraire à celle de l’agent, l’absence dans la décision de toute mention ou de toute analyse de la nature des relations familiales et du rôle de gardienne de Mme Jalili en Afghanistan justifie d’inférer que ces détails n’ont pas été pris en considération.

[13]  Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que la décision est déraisonnable, que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que l’affaire doit être renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Il n’est donc pas nécessaire que la Cour examine les autres arguments invoqués par la demanderesse.

[14]  Aucune question à certifier en vue d’un appel n’a été proposée par les parties, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2412‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de décembre 2018

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2412‑18

INTITULÉ :

HALIMA JALILI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Dena Hamat

POUR LA demanderesse

Veronica Cham

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.