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Date : 20181218


Dossier : IMM-2314-18

IMM-2317-18

Référence : 2018 CF 1276

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2018

En présence de madame la juge Roussel

Dossier : IMM-2314-18

ENTRE :

ROSE CANIE PETIT FRÈRE JOSEPH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2317-18

ENTRE :

JACQUES ROBINSON PETIT FRÈRE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Les demandeurs, Rose Canie Petit Frère Joseph et son époux, Jacques Robinson Petit Frère, sont citoyens d’Haïti. Le 23 août 2017, ils entrent au Canada en provenance des États-Unis et ils présentent une première demande d’asile. Ils sont accompagnés de leur fille âgée de trois (3) ans qui est citoyenne américaine. Leur demande d’asile est jugée irrecevable et une mesure d’exclusion est prise contre eux. Ils retournent aux États-Unis.

[2]  Le 26 août 2017, la demanderesse et sa fille reviennent au Canada sans autorisation de retour. Une mesure d’expulsion est prononcée contre elles le 30 août 2017. Faisant face à cette mesure de renvoi, elles soumettent une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR] le 28 septembre 2017.

[3]  Le 12 octobre 2017, le demandeur vient rejoindre son épouse et sa fille au Canada en traversant la frontière illégalement. Une mesure d’exclusion est prononcée contre lui quelques jours plus tard. Le 6 novembre 2017, il soumet également une demande d’ERAR. Dans leurs demandes d’ERAR, les demandeurs allèguent avoir reçu des menaces de mort et avoir été victimes de violence ciblée en raison des affiliations politiques du demandeur et de son père avec le parti Fanmi Lavalas [FL].

[4]  Le 12 mars 2018, l’agent d’ERAR rejette les deux (2) demandes. Il conclut que les éléments de preuve soumis par les demandeurs sont insuffisants pour démontrer qu’ils sont des personnes à risque au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[5]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire des deux (2) décisions. Leur jeune fille n’est pas partie à la demande. Considérant que les dossiers soulèvent le même risque et que les décisions de l’agent d’ERAR sont pratiquement identiques, une réunion d’instance est ordonnée le 10 octobre 2018. Les motifs qui suivent s’appliquent aux deux (2) dossiers et par souci de commodité, réfèrent aux décisions comme s’il n’y en avait qu’une.

[6]  Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent d’ERAR est déraisonnable. Ils reprochent notamment à l’agent d’ERAR d’avoir erré dans son évaluation de leur risque personnalisé. Ils lui reprochent également d’avoir erré en décidant d’accorder peu de valeur probante à deux (2) éléments de preuve au motif que l’un (1) des deux (2) documents était en partie illisible et que l’autre contenait certaines phrases qui n’avaient pas été traduites. Les demandeurs soutiennent que l’agent d’ERAR aurait dû leur permettre de corriger ces lacunes et qu’un tel défaut constitue un manquement à l’équité procédurale.

II.  Analyse

[7]  Il est bien reconnu que la décision d’un agent d’ERAR, y compris son évaluation des éléments de preuve, comporte des questions mixtes de faits et de droit et est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Gari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 660 au para 8 [Gari]; Shariaty c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 986 au para 25 [Shariaty]; Fares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 797 au para 19; Ormankaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1089 au para 23 [Ormankaya]).

[8]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59 [Khosa]).

[9]  Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Dunsmuir au para 79).

[10]  La Cour estime qu’il n’y a pas matière à intervention en l’instance.

[11]  Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, ce n’est pas parce que l’agent d’ERAR a coché la case « non » vis-à-vis l’item « [l]e risque est personnel, ou [d]’autres individus dans une situation similaire courent le même risque » qui se trouve dans le tableau intitulé « 6. Considérations communes » sous la section « Nature du risque » à la page 4 de la décision, que l’on peut conclure qu’il n’a pas évalué le risque personnalisé des demandeurs.

[12]  Un examen de la décision, lue dans son ensemble, démontre que l’agent d’ERAR a analysé et évalué le risque personnalisé des demandeurs. Il note les allégations de risque présentées par les demandeurs, examine la preuve objective et la preuve soumise par les demandeurs et conclut que les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existe un lien entre l’affiliation politique du demandeur et de son père au parti FL et les évènements que les demandeurs prétendent avoir vécus. Selon le profil présenté par les demandeurs et la preuve au dossier, il était raisonnable pour l’agent d’ERAR de conclure ainsi. Bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec les conclusions de l’agent d’ERAR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable aux demandeurs (Khosa au para 59).

[13]  Quant à l’argument des demandeurs selon lequel l’agent d’ERAR aurait violé les règles d’équité procédurale, la Cour ne peut y souscrire. D’abord, l’agent d’ERAR pouvait raisonnablement accorder à l’ordonnance médicale produite par les demandeurs une valeur probante limitée pour cause d’illisibilité partielle. Même si l’on peut y lire certains mots manuscrits qui font référence à des médicaments et la prise d’un rendez-vous, il demeure que d’autres mots sont illisibles. La Cour n’est pas convaincue que l’agent d’ERAR avait l’obligation, dans les circonstances, de communiquer avec eux pour leur demander d’obtenir une version plus compréhensible du médecin. Quoi qu’il en soit, la Cour estime que les demandeurs n’ont pas démontré que l’ordonnance médicale établit l’existence d’un risque personnalisé.

[14]  Également, la Cour n’est pas persuadée que l’agent d’ERAR avait l’obligation de demander aux demandeurs qu’ils obtiennent la traduction des extraits en créole qui se trouvent au procès-verbal du 11 juillet 2016. Les demandeurs avaient le fardeau de placer devant l’agent d’ERAR tous les éléments de preuve nécessaire pour soutenir leurs allégations. L’agent d’ERAR était uniquement tenu d’examiner les éléments de preuve qu’il avait devant lui et n’était pas tenu de demander aux demandeurs de lui fournir une meilleure preuve ou une preuve additionnelle (Gari au para 10; Shariaty au para 31; Ormankaya aux para 31-32). Ceci comprend l’obligation de produire les extraits qui ne se trouvent pas dans l’une (1) des deux (2) langues officielles. À cet égard, le Guide 5523 – Demander un examen des risques avant renvoi précise :

« Vos observations écrites ainsi que tout document à l’appui doivent être en français ou en anglais. Si vous souhaitez soumettre des documents dans une autre langue, vous devez en fournir également une traduction en français ou en anglais, accompagnée d’une déclaration du traducteur comprenant le nom du traducteur, la langue originale du document traduit et un énoncé signé par le traducteur dans lequel il atteste que la traduction est fidèle. Les documents présentés dans une autre langue que le français ou l’anglais sans traduction ne seront pas pris en compte ».

[Souligné dans la décision de l’agent d’ERAR.]

[15]  À l’audience, les demandeurs ont tenté d’introduire en preuve devant cette Cour une traduction des extraits en créole. Ils soutiennent que les extraits en question démontrent que les menaces reçues par le frère de la demanderesse l’ont été en raison du fait que le demandeur était membre du parti politique FL et qu’ils ont un lien avec le décès du père du demandeur. La Cour ne peut considérer cette preuve pour diverses raisons. D’abord, il est bien établi que l’examen d’une décision en contrôle judiciaire doit se faire sur la base des documents qui se trouvaient devant le décideur. La traduction des extraits n’était pas devant l’agent d’ERAR et les demandeurs n’ont pas démontré que l’une des exceptions au principe général interdisant à cette Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire est applicable en l’espèce (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20). Par ailleurs, même si les demandeurs avaient démontré que le document qu’ils cherchent à introduire tombe dans l’une des exceptions, le document de traduction n’est pas daté, signé, ni accompagné d’un affidavit.

[16]  En conclusion, la Cour est d’avis que la décision de l’agent d’ERAR appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).

[17]  Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT aux dossiers IMM-2314-18 et IMM-2317-18

LA COUR STATUE que :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées;

  2. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est retiré de l’intitulé de cause;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossiers :

IMM-2314-18 ET IMM-2317-18

 

DOSSIER :

IMM-2314-18

INTITULÉ :

ROSE CANIE PETIT FRÈRE JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET DOSSIER :

IMM-2317-18

INTITULÉ :

JACQUES ROBINSON PETIT FRÈRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 décembre 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 18 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Abdou Gaye

Pour LES DEMANDEURS

Simone Truong

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Abdou Gaye

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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