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Date : 20181212


Dossier : IMM‑2185‑18

Référence : 2018 CF 1255

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

RUBAL BEHL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Rubal Behl, dépose la présente demande de contrôle judiciaire, qui vise une décision de la Section d’appel de l’Immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI a maintenu la décision d’un agent des visas selon laquelle Mme Behl n’a pas respecté l’obligation de résidence imposée aux résidents permanents au titre de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et a refusé de prendre des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]  Mme Behl soutient que la SAI a commis une erreur. La demande soulève deux questions que j’ai formulées ainsi :

  • (1) La SAI a‑t‑elle exigé déraisonnablement que Mme Behl démontre qu’elle ne pouvait pas rester aux Émirats arabes unis (ÉAU) à la fin de ses études postsecondaires?

  • (2) La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans l’application des facteurs à prendre en compte dans l’exercice de sa compétence en equity?

[3]  Les observations de Mme Behl reflètent son désaccord avec les conclusions de la SAI, mais n’ont pas réussi à me convaincre que la SAI a commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.  Les faits

[4]  Mme Rubal Behl est une citoyenne de l’Inde âgée de 23 ans qui est née et a été élevée aux ÉAU. Elle n’a jamais résidé en Inde.

[5]  En 2010, Mme Behl est venue au Canada avec sa famille et est devenue une résidente permanente. Elle avait 14 ans à l’époque. Elle déclare que son niveau d’instruction a été évalué à son arrivée au Canada et qu’on a estimé qu’il lui manquait certains crédits de cours. Par conséquent, elle a été placée une année en retard dans le système scolaire canadien. Mme Behl ne voulait pas perdre une année et a décidé de retourner aux ÉAU.

[6]  Elle a terminé ses études secondaires en 2013 et elle a envisagé de s’inscrire à des universités au Canada. Elle a appris qu’il lui manquait un cours obligatoire de mathématiques pour être admise dans le domaine d’études de son choix au Canada et elle a décidé à nouveau de rester aux ÉAU, cette fois pour poursuivre ses études postsecondaires.

[7]  Pendant qu’elle était aux ÉAU, Mme Behl a tenté de renouveler sa carte de résident permanent. L’article 28 de la LIPR impose une obligation de résidence aux résidents permanents. Au titre du sous‑alinéa 28(2)a)(i), un résident permanent se conforme à l’obligation de résidence dès lors qu’il est effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale.

[8]  En septembre 2016, un agent des visas a conclu que Mme Behl n’a pas respecté son obligation de résidence pendant la période quinquennale comprise entre le 20 juin 2011 et le 20 juin 2016. L’agent a également conclu que la situation personnelle de Mme Behl ne comportait pas des motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien du statut de résidence permanente.

[9]  Mme Behl a interjeté appel de la décision de l’agent des visas à la SAI en se fondant sur des motifs d’ordre humanitaire.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  La SAI a précisé que Mme Behl n’avait pas contesté la décision de l’agent des visas selon laquelle elle n’avait pas été présente au Canada au cours de la période quinquennale pertinente pour le minimum requis de 730 jours. Elle a plutôt cherché à établir qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire suffisants justifiant la prise de mesures spéciales.

[11]  La SAI a conclu que Mme Behl était présente pendant 141 jours durant la période pertinente, ce qui représente un non‑respect grave de l’obligation minimale de résidence. Cet élément a joué contre Mme Behl dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire.

[12]  La SAI a indiqué que Mme Behl s’était absentée du Canada pour des motifs de convenance. Sa décision de demeurer aux ÉAU pour ses études postsecondaires n’était attribuable à aucune circonstance impérieuse ou imprévue indépendante de sa volonté. La SAI a conclu que sa décision de poursuivre des études postsecondaires aux ÉAU ne reflétait pas un engagement de retourner au Canada, qu’elle n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour retourner au Canada à la première occasion et que ces facteurs lui étaient défavorables dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[13]  La SAI a reconnu que les parents et le frère de Mme Behl résident au Canada, mais a précisé l’absence d’antécédents de travail, d’études ou de participation aux activités communautaires au Canada, concluant ainsi que l’établissement de Mme Behl était minime.

[14]  La SAI a également examiné les difficultés possibles. Elle a reconnu que le visa d’étudiant de Mme Behl aux ÉAU expirerait à la fin de ses études en 2018; toutefois, la SAI a relevé l’absence de tout élément de preuve suggérant que Mme Behl ne serait pas en mesure d’obtenir un visa dans ce pays. Il a également été indiqué que, bien que Mme Behl n’ait jamais vécu en Inde, certains membres de sa famille qui y habitent pourraient l’aider si elle devait aller vivre dans ce pays. La SAI a conclu qu’il n’y avait aucune preuve établissant l’existence de difficultés en ce qui concerne sa situation aux ÉAU ou ses conditions de vie en Inde.

[15]  Finalement, la SAI a examiné les difficultés psychologiques auxquelles Mme Behl pourrait être exposée en raison de sa séparation de sa famille au Canada. La SAI a soupesé les difficultés psychologiques avec les choix de Mme Behl de rester aux ÉAU et le fait que sa relation avec sa mère, son père et son frère est principalement une relation à distance depuis plusieurs années. Il a été précisé que rien n’empêchait Mme Behl et sa famille de continuer à se rendre visite. La SAI a conclu que Mme Behl serait exposée à un préjudice minime si elle perdait son statut de résidence permanente et qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour surmonter le non‑respect grave de l’obligation de résidence.

IV.  La norme de contrôle

[16]  Les parties sont toutes les deux d’avis que les conclusions de la SAI dans le contexte d’un appel portant sur l’obligation de résidence sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 649, aux paragraphes 11 à 12 [Gill]; Meghjani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 666, au paragraphe 14).

[17]  Je suis d’accord. L’appréciation de la SAI quant à la question de savoir si les motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales pour surmonter un défaut de se conformer aux obligations de résidence prévues par la LIPR est une appréciation de la situation particulière qui commande l’exercice d’un vaste pouvoir discrétionnaire et un degré élevé de retenue (Gill, au paragraphe 11, citant Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 923, au paragraphe 18).

V.  Discussion

A.  La SAI a‑t‑elle exigé déraisonnablement que Mme Behl démontre qu’elle ne pouvait pas rester aux Émirats arabes unis (ÉAU) à la fin de ses études postsecondaires?

[18]  Mme Behl soutient que la SAI, lorsqu’elle a procédé à l’appréciation des difficultés, a exigé qu’elle démontre qu’elle n’était pas en mesure de rester aux ÉAU à la fin de ses études postsecondaires. Elle soutient qu’en agissant ainsi, la SAI a mal interprété le critère relatif aux difficultés et lui a imposé le fardeau impossible de prouver qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir des visas et de se trouver un emploi aux ÉAU. Je ne souscris pas à sa prétention.

[19]  Dans son témoignage devant la SAI, Mme Behl a affirmé, en réponse à son conseil qui lui demandait si elle pouvait rester à Dubaï, que [traduction] « après avoir obtenu mon diplôme, c’est impossible que je puisse rester ici parce qu’ils ne [inaudible] pas mon visa ». C’était en répondant à l’affirmation de Mme Behl selon laquelle elle n’avait aucun droit à résider aux ÉAU que la SAI a formulé des commentaires sur l’absence d’éléments de preuve selon lesquels elle n’était pas admissible à l’obtention d’un autre visa qui lui permettrait de rester aux ÉAU.

[20]  Il est bien établi dans la jurisprudence qu’il incombe à un demandeur qui demande une exemption des obligations de résidence énoncées dans la LIPR de démontrer que les motifs d’ordre humanitaire suffisants sur lesquels il se fonde sont suffisants (El Assadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 58, au paragraphe 52). En l’espèce, il est évident que Mme Behl invoquait que son incapacité à rester aux ÉAU était un facteur à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Étant donné que Mme Behl s’est appuyée sur ce facteur, la SAI n’a pas commis d’erreur en commentant l’absence de preuves pour appuyer ses dires selon lesquels [traduction] « c’est impossible que je puisse rester ».

[21]  Il est également important de reconnaître que la SAI n’a pas limité son analyse à la question de la capacité de Mme Behl à demeurer aux ÉAU. La SAI a également examiné le droit de Mme Behl de résider en Inde. La SAI a mentionné l’absence de preuve démontrant que Mme Behl serait exposée à des barrières linguistiques en Inde ou qu’on l’y empêcherait d’avoir accès au logement, au travail, à l’éducation ou aux services sociaux ou de santé. La SAI a précisé qu’elle bénéficierait du soutien familial. La SAI a une fois de plus conclu que Mme Behl n’avait pas satisfait à son fardeau de la preuve de démontrer l’existence de difficultés si elle devait retourner en Inde, conclusion qu’elle pouvait raisonnablement tirer.

B.  La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans l’application des facteurs à prendre en compte dans l’exercice de sa compétence en equity?

[22]  La demanderesse soutient également que la SAI a commis une erreur de droit en appliquant incorrectement les motifs d’ordre humanitaire qui doivent être pris en considération dans un appel relatif à l’obligation de résidence. Une fois de plus, je ne suis pas d’accord. La SAI a relevé et identifié les motifs d’ordre humanitaire pertinents dans le dossier de Mme Behl.

[23]  Les facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre d’une demande visant la prise de mesures spéciales en equity à l’égard des conditions de résidence imposées par l’article 28 de la LIPR ont été formulés récemment par la juge Jocelyne Gagné dans la décision Gill, au paragraphe 13, où elle déclare ce qui suit :

[13]  La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur dans son application des facteurs à considérer lors de l’exercice de sa compétence en équité dans le contexte d’un appel sur l’obligation de résidence, comme l’a confirmé notre Cour dans l’arrêt Ambat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292 (CanLII). Les facteurs énoncés dans la décision Ambat sont les suivants :

1.  l’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

2.  les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

3.  le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

4.  les liens familiaux avec le Canada;

5.  la question de savoir si la personne a tenté de revenir au Canada à la première occasion;

6.  les bouleversements que vivraient les membres de la famille au Canada si la demanderesse est renvoyée du Canada ou si on lui refuse l’entrée dans ce pays;

7.  les difficultés que vivrait la demanderesse si elle était renvoyée du Canada ou si elle se voyait refuser l’admission au pays; 

8.  l’existence de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

[24]  Les facteurs énoncés dans la décision Gill ne sont pas exhaustifs, ne s’appliquent pas nécessairement à toutes les situations et n’ont pas toujours été formulés exactement de la même façon dans la jurisprudence (voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wright, 2015 CF 3, aux paragraphes 75 à 78, se rapportant aux facteurs établis dans Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL) et approuvés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, aux paragraphes 40 à 41).

[25]  En l’espèce, La SAI a relevé et examiné chacun des facteurs établis dans Gill dans le contexte de la preuve de Mme Belh et des observations formulées pour son compte. La SAI a apprécié les facteurs individuels et a reconnu l’existence de difficultés, plus particulièrement les difficultés afférentes à la séparation de Mme Behl et de sa mère, de son père et de son frère qui en a découlé. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la SAI a conclu que les difficultés étaient minimes et ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales.

[26]  Mme Behl est en désaccord avec la décision de la SAI, mais il n’appartient pas à la Cour lors d’un contrôle judiciaire d’apprécier la preuve à nouveau (Ambat, au paragraphe 32). Les motifs de la SAI sont justifiés, transparents et intelligibles; la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VI.  Conclusion

[27]  La décision de la SAI ne comporte pas d’erreur susceptible de contrôle. La demande est rejetée.

[28]  Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de janvier 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2185‑18

 

INTITULÉ :

RUBAL BEHL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉCEMBRE 2018

 

JUDGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Sweta Tejpal

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Rahaman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Kalina and Tejpal

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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