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Date : 20181207


Dossier : IMM‑5813‑18

Référence : 2018 CF 1231

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR  ]

Toronto (Ontario), le 7 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

EDWIN ROBERTO MEDINA CERRATO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Edwin Roberto Medina Cerrato, présente une requête en sursis à l’exécution de son renvoi du Canada, qui est prévu pour demain, le 8 décembre 2018. Je fais droit à la présente requête, parce que je suis d’avis que le fait de le renvoyer dans son pays d’origine, le Honduras, l’exposerait à un risque sérieux de préjudice irréparable.

I.  Les faits et la décision sous‑jacente

[2]  M. Medina, citoyen du Honduras, est arrivé au Canada en 2016 muni d’un permis de travail temporaire. Comme il travaillait pour un employeur autre que celui à l’égard duquel le permis avait été délivré, l’Agence des services frontaliers du Canada a pris à son encontre une mesure de renvoi le 9 mai 2017.

[3]  En mars 2018, M. Medina a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Il alléguait que, pendant qu’il vivait au Honduras, il avait dénoncé le Parti national qui était au pouvoir, de même que les agissements d’un homme d’affaires et bandit local qui était lié à ce parti. Il affirme qu’en raison de cela, il a été victime d’une tentative d’extorsion et de menaces de mort. Sa demande a été rejetée le 18 septembre 2018. L’agent d’ERAR n’a pas ajouté foi aux éléments de preuve selon lesquels les menaces de mort proférées à l’endroit de M. Medina étaient liées de quelque façon à son affiliation politique ou qu’elles avaient été orchestrées par l’homme d’affaires local. Il a également conclu que les éléments de preuve relatifs à la violence systématique et aux agissements des gangs criminels au Honduras n’établissaient que l’existence d’un risque généralisé, et non d’un risque personnel pour M. Medina.

[4]  M. Medina a également présenté une demande de mesures spéciales pour considérations d’ordre humanitaire en juin 2018. Cette demande a été rejetée le 24 septembre 2018.

[5]  M. Medina a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant la décision de l’agent d’ERAR (numéro de dossier IMM‑5813‑18) ainsi qu’une demande distincte d’autorisation et de contrôle judiciaire concernant la décision sur les considérations d’ordre humanitaire (numéro de dossier IMM‑5814‑18). Dans le contexte de sa demande relative à la décision de l’agent d’ERAR, il a présenté une requête en sursis à l’exécution de son renvoi.

II.  Analyse

[6]  La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], n’exige pas l’autorisation d’un juge pour renvoyer un étranger du Canada. En ce sens, un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est une mesure d’exception, car il fait obstacle au processus administratif ordinaire que prescrit le législateur à l’article 48 de la Loi.

[7]  Le fondement législatif d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi figure à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, qui prévoit que la Cour fédérale peut prendre une mesure provisoire avant de rendre sa décision définitive au sujet d’une demande de contrôle judiciaire. Pour prendre une telle mesure, nous appliquons le même critère que pour les injonctions interlocutoires. La Cour suprême du Canada a récemment reformulé le critère applicable :

[…] À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien‑fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est‑à‑dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

(R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, au paragraphe 12 [SRC], renvois omis.)

[8]  Ce critère à trois volets est bien connu. Il a été énoncé dans des arrêts antérieurs de la Cour suprême (Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110; RJR — MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR]). Il a également été appliqué dans le contexte de l’immigration dans l’arrêt Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF). Il va sans dire que l’application de ce critère est de nature hautement contextuelle et qu’elle dépend en grande partie des faits en cause.

[9]  Avant d’analyser les éléments du critère énoncé dans l’arrêt RJR, il me faut examiner la question de la prorogation de délai.

A.  La prorogation de délai

[10]  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 26 novembre 2018, tandis que la décision de l’agent d’ERAR avait été communiquée à M. Medina le 6 novembre 2018, soit vingt jours plus tôt. Le délai prévu pour le dépôt d’une demande est toutefois de quinze jours après la date à laquelle la décision a été communiquée au demandeur (al. 72(2)b) de la Loi).

[11]  Pour décider s’il convient d’accorder une prorogation de délai, la Cour est guidée par les questions suivantes :

(1) Le requérant a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2) La demande a‑t‑elle un certain fondement?

(3) La Couronne a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard?

(4) Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

(Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, au paragraphe 61)

[12]  En l’espèce, la demande indique que le retard s’explique par le fait qu’Aide juridique Ontario a pris un certain nombre de jours avant d’accepter d’assumer les frais juridiques de M. Medina liés à la présente instance. Le retard de cinq jours ne cause aucun préjudice au ministre, et il est évident que M. Medina a manifesté une intention constante de poursuivre la présente affaire. La prorogation de délai est accordée.

B.  La question sérieuse à juger

[13]  Dans l’arrêt RJR, la Cour suprême indique que le critère de la « question sérieuse à juger » présente des exigences minimales relativement peu élevées (RJR, à la page 337). Dans le contexte du droit administratif, il faut apprécier cet aspect tout en gardant à l’esprit que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable.

[14]  À l’audience, les deux parties ont avancé une vaste panoplie d’arguments à l’encontre ou en faveur de la décision de l’agent d’ERAR. Cependant, dans le contexte d’une requête en sursis, il est inutile de débattre en détail de cette question ou d’entreprendre un examen exhaustif du dossier, car les exigences sont peu élevées. En particulier, je suis en mesure de conclure à l’existence d’une question sérieuse à juger même si certains éléments de la demande d’ERAR ne figuraient pas dans le dossier qui m’a été présenté et que, par conséquent, j’ignore quels documents relatifs à la situation dans le pays ont été soumis à l’agent d’ERAR.

[15]  J’ai passé en revue la décision de l’agent d’ERAR, l’affidavit de M. Medina à l’appui de sa demande d’ERAR ainsi que les documents les plus importants sur la situation dans le pays. Je conclus qu’il est possible de faire valoir que l’agent d’ERAR a négligé des informations importantes, qu’il est arrivé à des conclusions déraisonnables ou qu’il a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité.

[16]  À cet égard, l’avocat du ministre a contesté le fait que l’agent d’ERAR devait appliquer la présomption bien connue de véracité qui est mentionnée dans l’arrêt Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA). Je signale toutefois que, dans le manuel de Citoyenneté et Immigration Canada qui est destiné aux agents d’ERAR, manuel que M. Medina a déposé en preuve, on trouve l’énoncé suivant : « Même si le témoignage et les éléments de preuve déposés par le demandeur sont réputés véridiques, cette présomption peut être réfutée », ce qui est précisément ce que l’on dit dans l’arrêt Maldonado (à la page 305).

[17]  Dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, il est d’usage de s’abstenir de faire des commentaires détaillés sur le bien‑fondé de la demande sous‑jacente, de façon à préserver la liberté du juge qui entendra l’affaire au fond. C’est pourquoi je n’analyserai pas l’affaire plus avant et que je dirai simplement que je suis convaincu que M. Medina a soulevé de sérieuses questions à juger.

C.  Le préjudice irréparable

[18]  Le second volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR a trait au préjudice irréparable.

[19]  Comment un demandeur prouve‑t‑il l’existence d’un préjudice irréparable dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi? Habituellement, les demandeurs disent que le fait de retourner dans leur pays les exposera à un risque de mort, de torture, de détention arbitraire, d’arrestation ou d’autres formes de violence. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le préjudice en question aura lieu dans l’avenir. La survenance de ce préjudice, de par sa nature, est incertaine. Ce que l’on fait, en vérité, c’est évaluer un risque. C’est la raison pour laquelle les demandeurs sont tenus seulement de prouver un préjudice vraisemblable, et non un préjudice certain (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 751, au paragraphe 33; voir aussi Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, 5e éd. (Toronto : Thomson Reuters, 2017), aux paragraphes 2.60, 2.390 et 2.418).

[20]  Il est donc possible d’analyser le préjudice irréparable sous deux angles : le degré de risque et la norme de preuve. Il n’existe aucun seuil ou exigence minimale quant au degré de risque, surtout si le préjudice est très grave, comme la mort. Nous n’exigerions pas que, par exemple, la mort doive être plus probable qu’improbable ou que sa probabilité soit supérieure à 50 p. 100. Nous n’expulserions certainement pas une personne qui fait face à une probabilité de mort de 30 p. 100. Mais un risque minime, ou le risque d’être exposé à un préjudice inhérent au processus de renvoi, ne compterait pas. Quoi qu’il en soit, en l’absence d’une méthode permettant de quantifier de tels risques, il ne sert à rien d’exiger un degré précis de probabilité.

[21]  Il ne faut pas confondre le degré de risque avec la norme de preuve de ce risque. En principe, la norme est la même dans toutes les affaires de nature civile : la preuve selon la prépondérance des probabilités. Pour décider ce qui est suffisant pour établir une telle preuve, la nature et la gravité du risque doivent peser dans la balance. Les requêtes en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi portent souvent sur des allégations de risque pour la vie ou l’intégrité physique qui sont bien éloignées des risques qui étaient en cause dans des affaires telles que RJR ou SRC. Il faut également tenir compte des ressources dont dispose le demandeur. Il ne faudrait pas s’attendre à une preuve aussi étoffée que celle que l’on voit, par exemple, dans les litiges commerciaux. De plus, quand le risque résulte d’activités illicites, la preuve de ce risque sera rarement directe et concluante. Les individus qui se livrent à des activités illicites en fournissent rarement une preuve, et encore moins à l’avance.

[22]  Il est néanmoins nécessaire de produire des éléments de preuve, et ceux‑ci ont été qualifiés de diverses façons : « réels », « clairs », « convaincants » ou « non hypothétiques » (voir, par exemple, les décisions Kreszta c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 106470, au paragraphe 10; Arokkiyanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 103411, au paragraphe 2; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 882). Ces adjectifs rappellent à juste titre qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est une mesure d’exception que l’on ne peut pas accorder à la légère. Il ne faudrait toutefois pas qu’ils soient utilisés comme synonymes d’une exigence de certitude ou d’une probabilité de plus de 50 p. 100. Ces adjectifs, à l’instar de ceux que l’on emploie pour qualifier les difficultés dans le contexte des décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire, ne créent pas d’obstacles distincts qu’un demandeur doit surmonter (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 33, [2015] 3 RCS 909). À cet égard, je trouve particulièrement éclairante l’explication qu’a donnée le juge en chef Richards, de la Cour d’appel de la Saskatchewan :

[traduction]


Compte tenu de cette réalité sous‑jacente,
il semble mal venu d’exiger qu’un demandeur qui sollicite une injonction prouve avec un haut degré de certitude qu’il subira un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée. Il est évident que, dans de nombreuses situations, cette façon de faire contrecarrerait l’exercice de pondération qu’un tribunal devrait entreprendre pour décider si la mesure interlocutoire est justifiée. Par exemple, supposons que le fait de ne pas accorder à un demandeur une injonction n’implique qu’une probabilité moyenne qu’il subira un préjudice irréparable. Mais supposons également que ce préjudice, s’il se produit, sera catastrophique. Si l’analyse prend fin au stade où le demandeur est incapable d’établir la perspective d’un préjudice irréparable avec un degré élevé de certitude, il sera impossible de pondérer adéquatement les risques relatifs aux dommages non indemnisables pertinents. Autrement dit, le véritable risque global d’un préjudice irréparable sera toujours fonction de deux facteurs : la probabilité que ce préjudice survienne, et son ampleur ou son importance s’il survient. Une approche analytique judicieuse devrait en tenir compte.

 

(Mosaic Potash Esterhazy Limited Partnership c Potash Corporation of Saskatchewan Inc, 2011 SKCA 120, au paragraphe 59)

[23]  Dans bien des cas, le préjudice allégué est le même genre de préjudice que vise le système de protection des réfugiés. Les notions du droit des réfugiés, telles que la protection de l’État ou le fait de se réclamer à nouveau de cette protection, peuvent donc être utiles pour apprécier le caractère irréparable d’un préjudice. Dans le même ordre d’idées, les déterminations de risque que font d’autres décideurs au sein du système de protection des réfugiés sont pertinentes aux fins de l’enquête et se voient souvent accorder beaucoup de poids si elles reposent sur les mêmes éléments de preuve et si elles ne sont pas viciées par une lacune manifeste. Autrement dit, une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi n’est habituellement pas le mécanisme qui convient pour plaider à nouveau des préjudices que des décideurs antérieurs ont appréciés convenablement (voir, par exemple, Goshen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1380, au paragraphe 6; Lebrun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 663, au paragraphe 15).

[24]  On prouve habituellement le risque de préjudice irréparable par une combinaison d’éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays (comme les rapports contenus dans les cartables nationaux de documentation que tient la Commission de l’immigration et du statut de réfugié) et d’éléments de preuve établissant que le demandeur s’expose personnellement à un risque. La preuve relative aux conditions qui règnent dans un pays particulier n’est pas utile si on ne peut pas la lier à la situation du demandeur.

[25]  En l’espèce, il ne fait absolument aucun doute que la situation au Honduras est catastrophique. Dans un compte rendu de mission récent, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qualifié ce pays de « l’un des pays les plus violents parmi ceux qui ne sont pas en guerre ». Le taux d’homicides est parmi les plus élevés au monde. De puissants gangs criminels sont omniprésents et imposent leurs lois aux citoyens. Le même rapport signale également ceci : « […] un nombre élevé de rapatriés ont été tués peu de temps après leur retour au Honduras », quoique les causes de ce phénomène ne soient pas claires.

[26]  Dans un rapport daté de juillet 2016, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relève pas moins de 16 profils de personnes courant le risque d’être persécutées et pouvant avoir besoin de la protection internationale offerte aux réfugiés. Parmi ces profils figurent les suivants : [traduction] « [l]es témoins et les victimes de crimes commis par des gangs et d’autres groupes criminels organisés », [traduction] « les personnes présentant certains profils politiques », ce qui inclut les membres du Parti LIBRE et du Parti libéral, ainsi que [traduction] « les défenseurs des droits de l’homme et d’autres activistes sociaux et politiques ».

[27]  Dans une large mesure, la situation de M. Medina correspond à un certain nombre de ces profils. Dans son affidavit, il explique qu’il a toujours critiqué ouvertement le Parti national qui était au pouvoir, qu’il a pris part à des manifestations et qu’il a exprimé ses opinions sur Facebook. Son père était un conseiller régional du Parti libéral. M. Medina a lui‑même été membre de ce parti et il adhère aujourd’hui au Parti LIBRE.

[28]  Avant de quitter le Honduras en 2016, M. Medina a été victime d’extorsion et de menaces de mort. Il a perdu son emploi peu de temps après avoir refusé des demandes d’argent de la part de personnes impliquées dans la politique. Après s’être plaint à la police de l’incident, il a reçu un appel téléphonique anonyme. L’interlocuteur lui a dit de cesser de critiquer le Parti national et il a menacé que sa famille en subirait les [traduction] « conséquences ». Quelques jours plus tard, M. Medina a été intercepté par quatre hommes masqués et armés qui lui ont volé de l’argent et qui ont menacé de le tuer ainsi que les membres de sa famille s’il restait au pays. Ces individus ont mentionné que M. Medina parlait encore contre le Parti national. Il a déposé une autre plainte à la police et il a quitté le pays peu après.

[29]  Le récit de M. Medina concorde donc avec la preuve relative à la situation dans le pays, laquelle montre que des personnes ayant des profils semblables au sien peuvent être prises pour cible.

[30]  À l’audience, l’avocat du ministre a fait valoir que de nombreux aspects du récit de M. Medina manquaient de corroboration ou que ces actes ne concordaient pas avec une véritable crainte de risque. Certaines de ces préoccupations peuvent être valables jusqu’à un certain point, et on aurait peut‑être pu y répondre si les pièces jointes à l’affidavit de M. Medina avaient été versées dans le dossier du tribunal, ce qui aurait été plus utile que certains documents volumineux portant sur la situation dans le pays, qui n’étaient qu’indirectement pertinents. Cependant, dans le contexte d’une requête urgente, il est impossible de dissiper chaque moindre doute. Il me faut rendre une décision sur la base de ce qui se trouve dans dossier, et non de ce qui en est absent.

[31]  En définitive, il est impossible d’affirmer avec une certitude absolue que M. Medina perdra la vie s’il est renvoyé au Honduras. Néanmoins, la preuve dont je dispose montre qu’il y a un risque sérieux qu’il soit la cible d’un crime violent, comme il l’a été dans le passé. Vu la gravité inhérente du préjudice en question et ce que nous savons sur le crime organisé au Honduras, je suis d’avis que le risque est suffisamment sérieux pour qu’il soit justifié de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. Il ne s’agit pas d’une affaire de simple conjecture.

[32]  Par conséquent, je conclus que M. Medina satisfait au critère du préjudice irréparable.

D.  La prépondérance des inconvénients

[33]  À ce dernier stade du critère énoncé dans l’arrêt RJR, le préjudice causé au demandeur doit être mis en balance avec celui causé au défendeur, que l’on empêche d’appliquer la loi. Il est dit parfois que « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420, au paragraphe 48). La prépondérance des inconvénients n’est toutefois pas un critère de pure forme. La conduite du demandeur, par exemple s’il a un lourd casier judiciaire ou s’il s’est déjà soustrait aux autorités de l’immigration, peut affermir l’intérêt qu’a l’État à faire appliquer la mesure de renvoi. Aucun de ces facteurs n’est toutefois présent en l’espèce.

[34]  Je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de M. Medina.

[35]  En conclusion, les trois critères énoncés dans l’arrêt RJR sont respectés, et je rendrai une ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi de M. Medina du Canada.

 


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑5813‑18

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur soit accueillie.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑5813‑18

 

INTITULÉ :

EDWIN ROBERTO MEDINA CERRATO c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DéCEMBre 2018

 

COMPARUTIONS :

Mary Jane Campigotto

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Jane Campigotto

Avocate

Windsor (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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