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Date : 20181121


Dossier : IMM-5112-17

Référence : 2018 CF 1174

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 novembre 2018

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

THANUSHA THARMARASA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 19 novembre 2018)

I.  L’instance

[1]  Les présents motifs concernent la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 novembre 2017 par la Section d’appel de l’immigration [SAI]. Dans cette décision, la SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre du rejet de sa demande de parrainage de sa mère et de ses trois frères et sœurs à charge à titre de résidents permanents [la décision]. Cette demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka âgée de trente‑deux ans. Elle est devenue résidente permanente du Canada le 16 février 2007. En 2009, elle a présenté une demande en vue de parrainer sa mère veuve et ses trois frères et sœurs plus jeunes afin qu’ils obtiennent la résidence permanente [la demande de parrainage].

[3]  En 2011, la demanderesse s’est mariée et son époux est devenu cosignataire de la demande de parrainage. Ils ont une fille qui est née le 8 janvier 2014.

[4]  Lorsque la demande de parrainage a été déposée en 2009, le sous‑alinéa 133(1)j)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [l’ancien Règlement] exigeait que les parrains aient un revenu vital minimum [RVM] au moins égal au seuil de faible revenu [SFR] pendant l’année précédant la date de dépôt de la demande de parrainage. Le SFR était calculé en fonction de la taille de la famille du demandeur, y compris les personnes devant être parrainées.

[5]  Un règlement contenant des exigences plus rigoureuses est toutefois entré en vigueur le 1er janvier 2014 [le nouveau Règlement]. Ces exigences figurent à la subdivision 133(1)j)(i)(B)(I). Elles prévoient que la demanderesse et son époux doivent avoir un RVM égal au SFR, majoré de 30 pour cent, et que la période pertinente est la période de trois ans précédant la date de dépôt de la demande de parrainage.

[6]  Dans une lettre datée du 12 août 2015, la demande de parrainage a été rejetée par un agent d’immigration parce que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences relatives au RVM contenues dans l’ancien Règlement [le rejet].

[7]  L’appel interjeté devant la SAI était fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. La validité juridique du rejet n’a pas été contestée.

II.  La décision

[8]  La SAI a souligné que les appels interjetés devant elle donnaient lieu à des audiences de novo et que la demanderesse ne possédait pas de droits acquis sous le régime de l’ancien Règlement. La SAI s’est fondée sur le jugement de la Cour fédérale dans l’affaire Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1522 pour conclure que « les demandeurs de la résidence permanente n’ont aucun droit acquis ni n’acquièrent aucun droit tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue au sujet de leur demande. La décision définitive sur une demande est celle que rend la SAI ». Sur ce fondement, la SAI a conclu que le nouveau Règlement s’appliquait à la demande de parrainage.

[9]  Appliquant le nouveau Règlement, la SAI a conclu que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences liées au RVM. La SAI a également tenu compte de l’importance du manque à gagner entre le revenu de la demanderesse et le RVM. Elle a indiqué qu’« [a]lors que [la demanderesse] a satisfait aux exigences liées au RVM en 2016, il lui a manqué 8 965 $ en 2015 et 20 352 $ en 2014 pour satisfaire aux exigences associées au RVM ». Il convient de souligner que la demanderesse affirme que, si elle avait appliqué l’ancien Règlement, la SAI aurait conclu qu’elle satisfaisait aux exigences relatives au RVM au moment de l’audience devant la SAI.

[10]  Concernant l’analyse des motifs d’ordre humanitaire, la SAI a affirmé, au paragraphe 17 de la décision, qu’il « faut à [la demanderesse] un très grand nombre de facteurs d’ordre humanitaire pour l’emporter sur l’important manque à gagner ».

[11]  La SAI a en outre conclu que, parce que l’obstacle à l’admissibilité ayant entraîné le rejet n’avait pas été surmonté, il convenait d’appliquer le critère plus exigeant établi dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1970) 4 AIA 338 (CAI) dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[12]  La SAI a examiné les observations d’ordre humanitaire selon un critère exigeant sous les trois rubriques suivantes : 1) les difficultés pour la mère de la demanderesse au Sri Lanka, 2) les difficultés pour la demanderesse et sa famille au Canada, et 3) l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle n’a relevé qu’un seul facteur favorable et a conclu que la prise de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

III.  Les questions en litige

[13]  Les questions en litige sont les suivantes :

  • (i) La question de savoir quel règlement aurait dû être appliqué et celle de l’importance du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [REIR] qui accompagnait le nouveau Règlement doivent‑elles être considérées comme de nouvelles questions soulevées dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

  • (ii) Était‑il raisonnable de la part de la SAI d’appliquer le nouveau Règlement?

  • (iii) Était‑il raisonnable de la part de la SAI d’appliquer un critère exigeant dans le cadre de son analyse des motifs d’ordre humanitaire?

1.  La question en litige (i)

[14]  Devant la SAI, le conseil de la demanderesse a souscrit à l’application du nouveau Règlement par la SAI et n’a pas attiré l’attention de celle‑ci sur le REIR. L’importance du REIR et la question de savoir si la SAI aurait dû appliquer le nouveau Règlement constituent donc de nouvelles questions soulevées dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et je dois décider si, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, elles peuvent être examinées.

[15]  Je ne doute pas que l’intérêt de la justice exige que nous nous penchions sur le REIR et sur l’applicabilité du nouveau Règlement dans le cadre de la présente demande. J’estime en outre que le défendeur ne subit aucun préjudice parce qu’il a eu amplement le temps de se préparer à faire des observations sur ces questions. Elles seront donc examinées.

2.  La question en litige (ii)

[16]  À mon avis, la question déterminante est de savoir si la SAI a agi raisonnablement en appliquant le nouveau Règlement. L’application de ce règlement signifie que le motif du rejet n’a pas été surmonté et que le manque à gagner était important. Ces conclusions étaient déterminantes parce qu’elles autorisaient la SAI à appliquer un critère exigeant dans le cadre de son analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[17]  Comme je l’ai mentionné précédemment, la SAI s’est fondée sur la décision Gill de la Cour fédérale pour étayer sa conclusion selon laquelle le nouveau Règlement s’appliquait. À mon avis, elle n’aurait pas dû le faire. L’affaire Gill n’était pas une affaire où la Cour s’était demandé quand le nouveau Règlement devait être appliqué et il n’y était donc pas question du REIR qui accompagnait le nouveau Règlement. Le REIR est ainsi rédigé :

Ces modifications réglementaires devraient entrer en vigueur le 1er janvier 2014. Les demandes de parrainage présentées dans le cadre du programme des PGP et reçues avant l’imposition du moratoire — le 5 novembre 2011 — seraient évaluées d’après les dispositions réglementaires en vigueur à ce moment‑là. Les demandes de parrainage visant des PGP reçues à partir du 2 janvier 2014 seraient évaluées à la lumières des dispositions réglementaires proposées.

[18]  Dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c Canada, 2005 CSC 533, au paragraphe 157, le juge Bastarache, dissident, mais pas sur cette question, a décrit ainsi le rôle que joue le REIR :

157  Notre Cour et d’autres tribunaux ont fréquemment utilisé le REIR pour déterminer l’objet d’un règlement et son application envisagée et ce, dans divers contextes : voir, p. ex., RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 352‑353; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, par. 63‑64; Merck 1999, par. 51; AstraZeneca, par. 23; Bayer Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 826 (QL) (C.A.), par. 10.

[19]  À mon avis, vu que la demande de parrainage a été déposée en 2009, le REIR indique clairement que le législateur a voulu que la demande de parrainage de la demanderesse soit « évaluée » d’après l’ancien Règlement.

[20]  La SAI était donc tenue, dans le cadre de son évaluation, d’appliquer l’ancien Règlement, et son omission de le faire rend la décision déraisonnable.

[21]  Je dois souligner que, pour arriver à cette conclusion, j’ai examiné les décisions Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1221 et Begum c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 409, où la Cour a conclu que le nouveau Règlement s’appliquait aux appels interjetés devant la SAI à l’encontre des décisions défavorables concernant les demandes de parrainage déposées en 2008. Toutefois, aucune de ces décisions ne faisait état du REIR, ce qui, à mon avis, indique clairement une intention législative selon laquelle le nouveau Règlement ne doit pas s’appliquer aux demandes de parrainage présentées avant le 5 novembre 2011.

3.  La question en litige (iii)

[22]  Comme je l’ai mentionné précédemment, l’analyse des motifs d’ordre humanitaire a été effectuée selon un critère plus exigeant que ce qui aurait été justifié si l’ancien Règlement avait été appliqué. Cette approche, à mon avis, a également rendu la décision déraisonnable.

IV.  Certification

[23]  Aucune question n’a été formulée en vue de sa certification aux fins d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5112-17

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’appel doit être réexaminé par un tribunal différemment constitué de la SAI suivant l’ancien Règlement.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10jour de décembre 2018

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DoSSIER :

IMM-5112-17

 

INTITULÉ :

THANUSHA THARMARASA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 NOVEMBRE 2018

jUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman

Avocate

Barbara Jackman Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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