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Date : 20181107


Dossier : T‑153‑18

Référence : 2018 CF 1120

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

HASSAN DAYFALLAH

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire et résumé

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, du compte rendu de décision 2017‑082‑IB (la décision) de la Commission de la fonction publique du Canada (la Commission) produit le 19 décembre 2017. La décision a entériné le rapport d’enquête révisé 2016‑MOT‑00141.25284, qui concluait que le demandeur avait commis une fraude au cours d’un examen sur le Web qui a eu lieu à domicile, en violation de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la LEFP). Cette fraude a eu lieu pendant le processus de nomination 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651, qui a donné lieu à la nomination du demandeur au poste d’analyste principal des politiques (EC‑5) au sein de la Division de la sécurité ferroviaire de Transports Canada, un poste qui fait partie de la fonction publique du Canada.

[2]  La fraude constatée ci‑après découlait des faits suivants.

[3]  Au cours de l’examen sur le Web, le demandeur a non seulement  envoyé l’examen et les instructions pertinentes par courriel à un ami et ancien collègue (l’ancien collègue), mais il a également fait parvenir par courriel à son ancien collègue sa réponse préliminaire en plus d’une demande d’aide; le courriel dans lequel il a envoyé sa réponse préliminaire était intitulé [traduction« premières impressions? ». Il est impossible de contester sérieusement que le fait de demander de l’aide d’une personne de l’extérieur au sujet d’un projet de réponse et de porter à sa connaissance des renseignements sur l’examen au cours d’un examen à faire à la maison sur le Web contrevenait aux conditions en vertu desquelles l’examen se tenait, et c’est ce que j’ai conclu.

[4]  En plus de cet exemple que la plupart qualifierait de simple cas de tricherie, le dossier dans cette affaire fait mention du fait que le demandeur a consulté le même ancien collègue et lui a révélé des renseignements sur les épreuves au cours de trois autres examens sur le Web en vue d’autres nominations dans la fonction publique du Canada. Ces autres incidents se sont produits au même moment ou à la même époque que l’examen dont il est question en l’espèce.

[5]  Après que le personnel de la Commission a réalisé une enquête au sujet des activités du demandeur pendant ces nombreux examens sur le Web à faire à domicile, il a fait parvenir au demandeur un rapport factuel pour que celui‑ci le commente. Après avoir passé en revue les commentaires du demandeur, le personnel de la Commission a préparé et envoyé au demandeur un rapport d’enquête et une lettre contenant des mesures correctives proposées pour qu’il les commente. Une fois que les commentaires du demandeur au sujet des deux documents ont été passés en revue, un rapport d’enquête révisé a été préparé et a été transmis à la Commission afin qu’elle rende une décision. Dans les mesures correctives proposées, la Commission était invitée à ordonner la révocation de la nomination du demandeur à la Division de la sécurité ferroviaire en raison d’une fraude et à obliger le demandeur à donner avis à la Commission de tout autre demande d’emploi ou emploi au sein de la fonction publique pendant trois ans.

[6]  La Commission a accepté le rapport d’enquête révisé et a conclu que le demandeur avait commis une fraude dans le cadre du processus de nomination qui a donné lieu à sa nomination à titre d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5. En conséquence, la Commission a ordonné que la nomination soit révoquée par Transports Canada. Comme on le lui avait également recommandé, la Commission a ordonné qu’il soit interdit au demandeur d’accepter tout poste ou travail dans la fonction publique du Canada pendant une période de trois ans sans l’approbation de la Commission. Conformément aux recommandations, la Commission a en outre ordonné que si le demandeur devait obtenir du travail dans le cadre d’un emploi occasionnel dans la fonction publique du Canada au cours des trois années subséquentes sans en avoir donné avis à la Commission, celle‑ci aviserait l’administrateur général concerné de sa fraude et transmettrait à l’administrateur général concerné des copies de la décision et du rapport d’enquête révisé sous‑jacent.

[7]  La Commission a décidé de ne pas exercer le pouvoir que lui confère l’article 73 de la LEFP de nommer le demandeur à un autre poste dans la fonction publique du Canada. Le demandeur n’a pas demandé de bénéficier d’une nomination en vertu de l’article 73 lorsqu’il a présenté des observations sur les mesures correctives proposées et il n’a pas non plus fourni de raisons pour lesquelles le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 73 aurait dû être exercé en sa faveur. Quoi qu’il en soit, le demandeur conteste la décision de la Commission de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire en application de l’article 73 et il allègue qu’il aurait dû avoir la possibilité de formuler des commentaires à cet égard en premier lieu. Il affirme également que la restriction de trois ans qui lui a été imposée est excessive.

[8]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Contexte factuel supplémentaire

[9]  Le demandeur est entré au service de la fonction publique du Canada en 2007 et il a occupé divers postes par la suite.

[10]  En 2015, il a présenté sa candidature afin d’être nommé au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire chez Transports Canada. À cette époque, il travaillait dans la fonction publique du Canada au sein du ministère des Pêches / de la Garde côtière canadienne.

[11]  À peu près à la même époque, le demandeur a présenté sa candidature à au moins trois autres postes dans la fonction publique du Canada, ce qui l’a amené à être soumis à des examens sur le Web.

A.  Activités du demandeur lors d’examens qui ont donné lieu à des enquêtes du personnel de la Commission

[12]  Le personnel de la Commission a commencé à craindre que le demandeur ait consulté un tiers au sujet de ses réponses préliminaires et ait transmis des documents d’examen par courriel à son ancien collègue, en violation des lignes directrices applicables aux examens. La Direction générale des enquêtes de la Commission a donc passé en revue les courriels échangés entre le demandeur et son ancien collègue relativement à cinq processus de nomination dans le cadre desquels le demandeur avait postulé un emploi. L’enquêteur a cerné trois processus de nomination, y compris la nomination au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5, qui justifiaient une enquête plus approfondie. Un quatrième processus de nomination a plus tard donné lieu à une enquête.

[13]  À ce moment‑là, la Direction générale des enquêtes de la Commission a fait parvenir des lettres datées du 18 août 2016 au demandeur et à Transports Canada pour les informer que la Commission allait tenir une enquête en application de l’article 69 de la LEFP afin de déterminer si le demandeur avait commis une fraude dans le cadre du processus de nomination au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5.

[14]  Par la suite, le personnel de la Commission a reçu en entrevue le demandeur et son ancien collègue. Le demandeur était accompagné par son représentant de l’Association canadienne des employés professionnels (l’ACEP), un agent des relations de travail. L’ACEP est le syndicat du demandeur. Le demandeur a été représenté par l’ACEP à toutes les étapes.

B.  Un rapport factuel est préparé et il est commenté par le demandeur

[15]  Par suite de son enquête et de ses entrevues, la Direction générale des enquêtes a préparé un rapport factuel. Le rapport factuel faisait mention des quatre incidents lors desquels le demandeur avait consulté son ancien collègue et lui avait transmis des documents d’examen. Le personnel de la Commission a envoyé le rapport factuel au demandeur et à son ancien collègue pour qu’ils le commentent. Le demandeur a transmis ses commentaires le 26 juin 2017. Son ancien collègue n’a pas présenté de réponse détaillée et semble s’être contenté d’accuser réception du rapport factuel. Le rapport factuel a été présenté à la Commission et fait partie du dossier certifié du tribunal.

C.  Rapport d’enquête

[16]  Après avoir étudié la réponse du demandeur, l’enquêteur a préparé un document intitulé Rapport d’enquête 2016‑MOT‑00141.25284, dans lequel il concluait que le demandeur avait commis une fraude dans le processus de nomination au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5 en consultant sciemment son ancien collègue et en lui transmettant des documents d’examen pendant l’examen sur le Web à faire à la maison, en violation des lignes directrices applicables aux examens. Le rapport d’enquête concluait que le demandeur avait agi de la sorte [traduction« pour accroître ses chances d’obtenir une nomination ».

[17]  Le personnel de la Commission a fait parvenir le rapport d’enquête au demandeur et à Transports Canada pour qu’ils le commentent. Le personnel de la Commission a également envoyé aux deux parties et à l’ACEP les mesures correctives proposées contenant les sanctions pour fraude que le personnel de la Commission se proposait de recommander à la Commission. Le personnel de la Commission les a invités à formuler des commentaires au sujet des deux documents.

[18]  Voici le résumé des faits recueillis au cours de l’enquête qui figuraient dans le rapport d’enquête :

[traduction]

Résumé des faits recueillis au cours de l’enquête

Relation entre M. Hassan Dayfallah et [l’ancien collègue]

11.  M. Dayfallah a indiqué qu’il travaille dans la fonction publique depuis 2007. En 2008, il a travaillé avec [l’ancien collègue] au ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO); ils ont également travaillé ensemble au sein de la Garde côtière canadienne. M. Dayfallah considérait [l’ancien collègue] comme un ami, un collègue et un mentor, même s’ils ne se fréquentaient pas à l’extérieur de leur lieu de travail. [L’ancien collègue] a fourni à M. Dayfallah de l’accompagnement professionnel, des conseils sur sa carrière et de l’aide quand il avait une question. M. Dayfallah a fréquemment demandé à [l’ancien collègue] de corriger son travail, parce qu’il considérait que [l’ancien collègue] avait des compétences exceptionnelles en rédaction.

12.  [L’ancien collègue] occupe un poste de groupe et niveau [  ] au MPO. [L’ancien collègue] a rencontré M. Dayfallah en 2008 lorsqu’ils travaillaient ensemble en tant que collègues. Il a toujours été serviable envers M. Dayfallah. [L’ancien collègue] a corrigé les notes d’information de M. Dayfallah dans le contexte du travail et il a passé en revue l’énoncé des critères de mérite en vue du processus de nomination, à la demande de M. Dayfallah. [L’ancien collègue] considérait M. Dayfallah comme un « ami de bureau »; ils ne se fréquentaient pas à l’extérieur de leur lieu de travail.

Examen à faire à la maison

13.  M. Dayfallah a expliqué qu’il n’avait pas lu les instructions relatives à l’examen. En raison d’un trouble médical, M. Dayfallah était victime de crises d’anxiété et de nausées. Quand il a reçu l’examen, il s’est contenté de l’ouvrir et de commencer à y travailler. M. Dayfallah a expliqué qu’il ne peut pas former des idées claires, en particulier lorsqu’il effectue des exercices chronométrés ou des exercices qui lui imposent de la pression. En raison de son état de santé, M. Dayfallah se concentre sur la tâche à accomplir; son jugement ou son manque d’attention aux détails qui a fait en sorte qu’il n’a pas lu les instructions était aussi imputable à son trouble médical. En ce qui concerne le courriel d’invitation, M. Dayfallah se souvenait seulement d’avoir lu la date et l’heure de l’examen ainsi que les qualités qui allaient être évaluées.

14.  M. Dayfallah a expliqué qu’il a décidé de passer l’examen parce qu’il s’y était préparé, même s’il ne se sentait pas bien ce jour‑là. Selon M. Dayfallah, il a été en mesure de dresser une liste de risques et de problèmes en matière de sécurité ferroviaire ainsi que de vulnérabilités plus générales associées au transport et à l’infrastructure critique, grâce à son travail dans le cadre de son programme de maîtrise et au fait qu’il avait lu le site Web de TC. Il a également consulté le site Web suivant pour échafauder son analyse sur divers enjeux, tendances et défis opérationnels : [note de la Cour fédérale : adresse URL omise].

15.  M. Dayfallah a indiqué qu’il ne lit pas les instructions relatives aux examens à faire à la maison. Il prend seulement note des heures de début et de fin ainsi que des qualités qui sont évaluées. Ce qu’il a généralement compris des instructions relatives aux épreuves, c’est qu’il ne devait pas plagier, c’est‑à‑dire s’emparer du travail d’autrui et le déguiser pour le présenter comme le sien. Dans le cas d’examens à « livres fermés », les candidats ne pouvaient obtenir aucune forme d’aide. Pour passer les examens à faire à la maison dans le cadre des études supérieures, les étudiants recevaient la directive de ne pas plagier, mais il leur était permis de demander de l’aide, d’en discuter avec des tiers et de faire corriger leur copie par quelqu’un d’autre.

16.  Le 7 décembre 2015, à 8 h 49, M. Dayfallah a envoyé les deux courriels (le courriel d’invitation du 1er décembre et le courriel de l’examen du 7 décembre) à [l’ancien collègue]. Il a également transmis les pièces jointes aux deux courriels.

17.  À 10 h 10, M. Dayfallah a fait parvenir à [l’ancien collègue] un courriel intitulé [traduction] « premières impressions? ». Il avait indiqué à la ligne de l’objet [traduction] « EC‑05 – examen FR EN final.docx ». La note d’information préparée par M. Dayfallah était jointe au courriel.

18.  M. Dayfallah a expliqué qu’il n’avait pas cherché à obtenir de l’aide de [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen. La mention [traduction] « premières impressions? » était la façon que M. Dayfallah avait employée pour indiquer qu’il désirait discuter de l’examen avec [l’ancien collègue] plus tard le même jour ou à un moment qui convenait à [l’ancien collègue.] M. Dayfallah a indiqué que la note d’information qu’il a envoyée à [l’ancien collègue] contenait les principaux arguments qu’il souhaitait établir; il avait une bonne compréhension des enjeux, parce qu’ils étaient liés à son champ d’études.

19.  M. Dayfallah a indiqué qu’il éprouve des difficultés quand il passe des examens à cause de son trouble médical qui influence sa capacité de lire et d’écrire le matin. C’est pour cette raison qu’il désirait discuter de l’examen avec une personne en qui il pouvait avoir confiance. M. Dayfallah n’a parlé à personne de son trouble médical, parce qu’il croyait que celui‑ci pouvait nuire à sa carrière.

20.  [L’ancien collègue] a indiqué qu’il n’avait pas lu les courriels de M. Dayfallah, qu’il n’avait pas répondu à ceux‑ci et qu’il ne lui avait pas fourni d’aide; il se peut que [l’ancien collègue] ait été absent de son bureau ou n’ait pas été libre au moment où les courriels ont été envoyés.

21.  M. Dayfallah a explicité les arguments contenus dans sa note d’information et il a apporté certains changements avant de transmettre son examen terminé. Il a présenté son examen achevé peu de temps avant la fin du délai imparti, parce qu’il a relu sa réponse à de nombreuses reprises pour s’assurer qu’elle ne contenait pas d’erreurs de grammaire. M. Dayfallah assure qu’il n’a pas reçu d’aide pour passer l’examen et que celui‑ci était le fruit de son propre travail. Il a été relevé que M. Dayfallah a transmis son examen terminé à TC le 7 décembre 2015 à 10 h 33.

22.  Le 7 décembre 2015 à 10 h 35, M. Dayfallah a fait parvenir un courriel à [l’ancien collègue], dans lequel il lui demandait [traduction] « penses‑tu que j’ai réussi? ». L’examen terminé de M. Dayfallah était joint au courriel.

23.  Même si M. Dayfallah désirait discuter de l’examen avec [l’ancien collègue] après le délai imparti, il ne lui a pas été possible de le faire en raison de leurs horaires de travail chargés.

Certificats médicaux

24.  Pendant l’entrevue de M. Dayfallah pour la présente enquête, celui‑ci a produit un certificat médical daté du 16 octobre 2016. Ce certificat indiquait que M. Dayfallah devait s’abstenir de prendre part à un processus de nomination par écrit le matin, entre 8 h et midi.

25.  Le 4 février 2017, M. Dayfallah a transmis par courriel deux autres certificats médicaux; le premier (qui portait sur la période débutant en 2013) était daté du 17 janvier 2017 et indiquait que M. Dayfallah avait continué de travailler le matin grâce à des adaptations au travail modifiées; le deuxième était daté du 24 janvier 2017 et décrivait le trouble médical de M. Dayfallah ainsi que les symptômes qui y étaient associés. M. Dayfallah a indiqué qu’il avait fourni ces certificats médicaux à son employeur actuel.

26.  Le 26 juin 2017 (après la production du rapport factuel), M. Dayfallah a produit une copie du [traduction] « questionnaire sur les adaptations pour le candidat, les troubles temporaires et les autres troubles » de la Commission de la fonction publique (la Commission), lequel avait été rempli par son médecin et était daté du 27 octobre 2016. Il a été constaté que les renseignements contenus dans le questionnaire correspondaient aux renseignements fournis dans les certificats médicaux.

[19]  Le rapport d’enquête faisait mention de trois autres processus de nomination dans le cadre desquels le demandeur a pu commettre de la fraude :

[traduction]

4.  Les renseignements recueillis dans le contexte des dossiers d’enquête 2016‑PSP‑00011.24217 et 2016‑PSP‑000243783 donnent à entendre que M. Dayfallah a pu commettre de la fraude dans le cadre de trois autres processus de nomination, y compris le processus de nomination 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651, tenu par Transports Canada (TC) pour doter le poste d’analyste du groupe et niveau EC‑4. Les entrevues avec M. Dayfallah relativement aux trois processus de nomination ont été réalisées simultanément le 25 octobre 2016.

[...]

41.  Une personne raisonnable qui examinerait l’ensemble des circonstances de ce dossier considérerait comme un geste malhonnête le fait que M. Dayfallah a transmis par courriel l’examen et sa réponse à [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen et qu’il lui a demandé ses impressions. Étant donné que M. Dayfallah a demandé l’aide de [l’ancien collègue] durant l’examen dans le cadre de trois autres processus de nomination, selon toute vraisemblance, il savait que ses actes n’étaient pas permis. En cherchant à obtenir l’aide de [l’ancien collègue], M. Dayfallah a voulu prouver au comité d’évaluation qu’il possédait les qualifications essentielles pour le travail à accomplir et améliorer ses possibilités de nomination. M. Dayfallah a agi de façon malhonnête; en tant que tel, le premier critère essentiel de la fraude a été rempli.

D.  Mesures correctives proposées

[20]  En conséquence de la fraude du demandeur dans le cadre du processus de nomination, la Direction générale des enquêtes a énoncé des mesures correctives proposées qu’elle entendait recommander à la Commission. Comme nous l’avons vu, celles‑ci ont été transmises au demandeur pour qu’il les commente. Les trois mesures correctives proposées étaient les suivantes : 1) que la nomination que le demandeur a obtenue frauduleusement au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC-5 à Transports Canada soit révoquée; 2) que la Commission ordonne qu’il soit interdit au demandeur d’accepter tout poste ou travail dans la fonction publique du Canada pendant une période de trois ans sans l’approbation de la Commission; 3) que la Commission ordonne que si le demandeur devait obtenir du travail dans le cadre d’un emploi occasionnel dans la fonction publique du Canada au cours de ces trois années subséquentes sans en avoir donné avis à la Commission, celle‑ci aviserait l’administrateur général concerné de sa fraude et transmettrait à l’administrateur général concerné des copies de la décision et du rapport d’enquête sous‑jacent.

E.  Les commentaires du demandeur au sujet du rapport d’enquête et des mesures correctives proposées

[21]  Le demandeur et Transports Canada ont été invités à commenter le rapport d’enquête et les mesures correctives proposées. Transports Canada s’est déclaré satisfait des conclusions du rapport d’enquête et des mesures correctives proposées.

[22]  Le 6 octobre 2017, le demandeur a fait part de ses commentaires au sujet du rapport d’enquête et des mesures correctives proposées. Il a affirmé qu’il n’avait pas commis de fraude pour les motifs suivants : 1) il a allégué qu’il n’avait pas intentionnellement triché ni dérogé aux règles du processus de nomination; 2) il n’avait pas commis de fraude dans le cadre de l’examen étant donné que ni la malhonnêteté, ni la privation ou le risque de privation n’avaient été établis. En ce qui concerne le deuxième point, le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas reçu d’aide pour passer cet examen de la part de son ancien collègue et qu’il était lui‑même l’auteur de la totalité des réponses à l’examen; par conséquent, il n’a pas été avantagé pendant le processus. De plus, il a soutenu que les mesures correctives proposées étaient excessives et incompatibles avec des décisions disciplinaires précédentes, s’appuyant sur deux précédents en matière d’arbitrage, l’un de la Commission des relations de travail dans la fonction publique du Canada et l’autre de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

[23]  Je constate que le demandeur ne nie plus avoir dérogé au deuxième volet du critère de la fraude; en effet, il admet que ses actes pendant l’examen entraînaient une privation ou un risque de privation. Toutefois, le demandeur continue de soutenir qu’il n’a pas intentionnellement triché ni violé les règles et qu’il n’a donc pas commis de fraude.

[24]  Le demandeur s’est également exprimé au sujet des mesures correctives proposées. Il a affirmé que même si une conclusion de fraude devait être établie, les sanctions proposées sont trop sévères. Toutefois, il n’a pas demandé à la Commission de le nommer à un autre poste en vertu de l’article 73 si elle concluait à une fraude de sa part.

F.  Rapport d’enquête révisé et décision de la Commission

[25]  Après avoir examiné les observations du demandeur, la Direction générale des enquêtes a présenté à la Commission un rapport d’enquête révisé daté du 21 novembre 2017 pour que celle‑ci statue. La Direction générale des enquêtes a également présenté ses mesures correctives proposées à la Commission afin qu’elle se prononce à ce sujet. Il n’existe aucune différence importante entre l’original du rapport d’enquête et des mesures correctives proposées et la version révisée du rapport d’enquête et des mesures correctives proposées.

[26]  Le défendeur a produit un affidavit d’un haut fonctionnaire de la Commission dans lequel celui‑ci donnait des renseignements sur le processus, aux paragraphes 8 et 9 :

[traduction]

8. Le 19 décembre 2017, la Commission s’est réunie et a étudié tous les commentaires reçus dans le cadre des quatre enquêtes, y compris le dossier d’enquête no 2016‑MOT‑00141.25285. Pendant cette réunion, la Commission s’est interrogée sur la possibilité d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 73 de la LEFP dans le but de nommer le demandeur à un autre poste et elle a décidé de ne pas autoriser le recours à ce pouvoir.

9. Le 19 décembre 2017, la Commission a rendu sa décision définitive dans laquelle elle a accepté les quatre rapports d’enquête et elle a ordonné les mesures correctives énoncées dans les quatre comptes rendus de décision. Les quatre rapports d’enquête et les quatre comptes rendus de décision ont été transmis au demandeur avec une lettre d’accompagnement datée du 20 décembre 2017 [note de bas de page omise].

[27]  Le rapport d’enquête révisé sur lequel la Commission s’est fondée et qui fait partie de sa décision contenait l’analyse suivante :

[traduction]

Malhonnêteté

[...]

38. La preuve montre sans équivoque que le 7 décembre 2015, M. Dayfallah a envoyé des courriels à [l’ancien collègue] à 8 h 49 et à 10 h 10, moments qui s’inscrivent dans la période pendant laquelle il passait l’examen, soit de 8 h 30 à 10 h 30.

39. Dans le premier courriel, M. Dayfallah a fait parvenir le courriel d’invitation et le courriel de l’examen, qui contenaient respectivement les instructions et l’examen lui‑même. Dans le deuxième courriel, M. Dayfallah a joint la réponse qu’il avait préparée et a indiqué [traduction] « premières impressions? ». L’explication de M. Dayfallah selon laquelle il avait l’intention de discuter de l’examen avec [l’ancien collègue] plus tard ce jour‑là ou à un moment qui convenait à [l’ancien collègue] n’est pas crédible.

40. Étant donné que M. Dayfallah a envoyé deux courriels à [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen et qu’il a demandé à [l’ancien collègue] ses « impressions » au sujet de sa réponse, selon toute vraisemblance, M. Dayfallah demandait l’aide de [l’ancien collègue] pour répondre à la question de l’examen.

41. Une personne raisonnable qui examinerait l’ensemble des circonstances de ce dossier considérerait comme un geste malhonnête le fait que M. Dayfallah a transmis par courriel l’examen et sa réponse à [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen et qu’il lui a demandé ses impressions. Étant donné que M. Dayfallah a demandé l’aide de [l’ancien collègue] durant l’examen dans le cadre de trois autres processus de nomination, selon toute vraisemblance, il savait que ses actes n’étaient pas permis. En cherchant à obtenir l’aide de [l’ancien collègue], M. Dayfallah a voulu prouver au comité d’évaluation qu’il possédait les qualifications essentielles pour le travail à accomplir et améliorer ses possibilités de nomination. M. Dayfallah a agi de façon malhonnête; en tant que tel, le premier critère essentiel de la fraude a été rempli.

[...]

CONCLUSION

45. La preuve montre, selon la prépondérance des probabilités, que M. Dayfallah a commis une fraude dans le processus de nomination 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651 tenu par Transports Canada en consultant sciemment une autre personne, [l’ancien collègue], pendant l’examen écrit à faire à la maison et en transmettant de l’information à cette personne, contrairement aux instructions, et qu’il a agi de la sorte pour accroître ses possibilités de bénéficier d’une nomination.

[Non souligné dans l’original.]

[28]  Dans sa décision, la Commission a accepté le rapport d’enquête révisé et a conclu que le demandeur avait commis une fraude en vue d’obtenir le poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5. Elle a révoqué la nomination. La Commission a également imposé les sanctions énoncées dans les mesures correctives proposées. Voici ce que prévoit sa décision :

[traduction]

COMPTE RENDU DE DÉCISION  2017‑082‑IB

Mesures correctives en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LC 2003, c 22, art 12 et 13) (LEFP) par suite d’une enquête effectuée en application de l’article 69 de la même loi.

La Commission accepte le rapport d’enquête 2016‑MOT‑00141.25284.

L’enquête a permis de conclure que M. Hassan Dayfallah a commis une fraude dans le cadre du processus de nomination interne 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651, qui a été annoncé et qui a été tenu pour doter un poste d’analyste du groupe et niveau EC‑5 au ministère des Transports, en consultant une autre personne pendant l’examen écrit à faire à la maison et en transmettant des renseignements sur l’examen à cette personne, ce qui était contraire aux instructions.

La Commission a tenu compte de tous les commentaires qu’elle a reçus. Les commentaires ne contiennent aucun nouveau renseignement qui justifierait de modifier le rapport d’enquête ou les mesures correctives formulées à titre consultatif.

Conformément au pouvoir qu’elle a de prendre des mesures correctives en vertu de l’article 69 de la LEFP, la Commission ordonne par les présentes :

  que la nomination de M. Dayfallah au poste d’analyste, du groupe et niveau EC‑5, qui a été faite par suite du processus de nomination interne annoncé 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651, soit révoquée. Le ministère des Transports doit remplir les documents nécessaires pour donner suite à la révocation et confirmer au Secteur de la surveillance et des enquêtes de la Commission de la fonction publique qu’il l’a fait dans les 60 jours qui suivront la signature du présent compte rendu de décision. À la suite de la révocation de sa nomination, M. Dayfallah cessera d’être un employé de la fonction publique fédérale;

  pendant la période de trois ans qui suit la signature du présent compte rendu de décision, M. Dayfallah devra obtenir l’autorisation écrite de la Commission avant d’accepter tout poste ou tout travail au sein de la fonction publique fédérale. Si M. Dayfallah accepte un poste doté pour une période déterminée, un poste intérimaire ou un poste doté pour une période indéterminée au sein de la fonction publique sans avoir d’abord obtenu ladite autorisation, sa nomination sera révoquée;

  pendant la période de trois ans qui suit la signature du présent compte rendu de décision, si M. Dayfallah est embauché à titre occasionnel dans la fonction publique fédérale sans en avoir avisé au préalable la Commission, une lettre sera envoyée par le Secteur de la surveillance et des enquêtes de la Commission de la fonction publique à l’administrateur général pour l’informer de la fraude commise par M. Dayfallah, avec copie du rapport d’enquête 2016‑MOT‑00141.25284 et le présent compte rendu de décision.

[29]  La Commission a avisé le demandeur et Transports Canada de sa décision dans des lettres distinctes datées du 20 décembre 2017.

[30]  La lettre adressée au sous‑ministre de Transports Canada contenait le paragraphe ci‑dessous, qui ne se trouvait pas dans la lettre de la Commission au demandeur :

[traduction]

La Commission a également décidé de ne pas exercer dans le présent cas le pouvoir de nomination que lui confère l’article 73 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour nommer M. Dayfallah à un autre poste.

G.  Lettre du sous‑ministre de Transports Canada au demandeur

[31]  Conformément à la décision de la Commission, le sous‑ministre de Transports Canada a fait parvenir au demandeur une lettre datée du 15 janvier 2018 dans laquelle il révoquait sa nomination à titre d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5.

[32]  Le 24 janvier 2018, le demandeur a déposé un grief sous le régime de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 (la LRTSPF) afin de contester [traduction« la décision de son employeur de mettre fin » à son emploi chez Transports Canada. Ce grief est en instance.

III.  Questions en litige

[33]  Le demandeur formule les questions suivantes :

[TRADUCTION]

  • a) La Commission a‑t‑elle manqué à son devoir en matière d’équité procédurale en omettant de prévenir le demandeur de la possibilité qu’elle puisse exercer le pouvoir que lui confère l’article 73 de la LEFP et en omettant de donner au demandeur l’occasion de formuler des commentaires au sujet de cette possibilité?

  • b) La décision de la Commission a‑t‑elle été entachée par une crainte raisonnable de partialité?

  • c) La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a commis une fraude dans le processus de nomination ou sa décision de révoquer la nomination du demandeur sont‑elles raisonnables?

  • d) La Commission a‑t‑elle passé outre à sa compétence légale lorsqu’elle a ordonné que le demandeur, par suite de la révocation de sa nomination, cesserait d’être un employé de la fonction publique fédérale?

IV.  Norme de contrôle

[34]  Aux paragraphes 57 et 62 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à l’analyse de la norme de contrôle lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La norme de contrôle de l’interprétation et de l’application de l’article 69 de la LEFP par la Commission est celle de la décision raisonnable : Lemelin c Canada (Procureur général), 2018 CF 286, au paragraphe 41 [Lemelin], sous la plume de la juge Gagné. La Cour d’appel fédérale a confirmé que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions d’un tribunal qui portent sur l’interprétation de sa loi constitutive : Adamson c Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153, au paragraphe 30.

[35]  Il convient de faire preuve d’une retenue importante à l’égard des décisions de la Commission, compte tenu du régime « distinct et particulier » de la fonction publique et de la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission dans le cadre de celui‑ci : MacAdam c Canada (Procureur général), 2014 CF 443 [MacAdam], sous la plume du juge Mosley, aux paragraphes 50 et 77 :

[50]  Je suis d’accord avec les parties que la question a été tranchée de façon satisfaisante par la jurisprudence antérieure et n’exige pas une analyse de la norme de contrôle. L’interprétation et l’application des articles 66 et 68 de la LEFP sont, entre autres dispositions, au cœur du mandat et de l’expertise de la Commission : Seck c Canada (Procureur général), 2011 CF 1355 [Seck], aux paragraphes 10 et 11. Comme cela est indiqué dans Hughes c Canada (Procureur général), 2009 CF 573, au paragraphe 26, la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission, auquel vient s’ajouter un régime de la fonction publique « distinct et particulier » dans le cadre duquel la Commission possède une expertise, permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer aux décisions de la Commission. En conséquence, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[77]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il faut faire preuve d’une grande retenue envers l’interprétation de la Commission de sa loi constitutive : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 30 et 39. La LEFP a pour objet d’offrir un système plus souple axé sur les valeurs, ce qui comprend l’application de l’article 66 et l’interprétation de l’expression « conduite irrégulière ». On peut raisonnablement conclure qu’il existe une conduite irrégulière lorsqu’un comportement inapproprié lié au processus de nomination mine à une ou à plusieurs des valeurs directrices de la LEFP. Contrairement aux observations des demandeurs, la définition appliquée par la Commission n’est pas trop subjective et, selon le sens ordinaire du texte des dispositions législatives, une intention de mauvaise foi ne constitue pas nécessairement une exigence, nonobstant son intégration dans des décisions antérieures de la CFP.

[36]  Ces conclusions sont en accord avec le récent arrêt de la Cour suprême du Canada selon lequel on doit présumer que la décision raisonnable est la norme de contrôle des décisions des tribunaux administratifs : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [CCDP], au paragraphe 27 :

[27]  Depuis plusieurs années, notre Cour tente de simplifier l’analyse relative à la norme de contrôle applicable, afin de « faire en sorte que les parties cessent de débattre des critères applicables et fassent plutôt valoir leurs prétentions sur le fond » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 36, citant Dunsmuir, par. 145, le juge Binnie). Dans cette optique, il existe une présomption bien établie selon laquelle la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 54; Alberta Teachers, par. 39; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 15; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, par. 22; Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3, par. 33‑34; Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, par. 8).

[37]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui est attendu d’un tribunal qui contrôle une décision selon la norme de contrôle de la décision raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[38]  Quand elle se penche sur la raisonnabilité, la présente cour devrait seulement intervenir si les conclusions du tribunal administratif n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il s’ensuit donc qu’il peut exister de nombreuses issues possibles qui satisfont à la norme de l’arrêt Dunsmuir en matière de raisonnabilité. De plus, il est bien établi qu’en matière de contrôle judiciaire, les tribunaux doivent éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 64. Dans l’arrêt CCDP, la Cour suprême du Canada a résumé la jurisprudence afin d’expliquer ce qui est exigé d’un tribunal qui examine une décision selon la norme de contrôle de la décision raisonnable :

[55]  Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[39]  Les questions d’équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Cela étant dit, je constate qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 [Bergeron], la Cour d’appel fédérale a statué qu’un contrôle selon la norme de la décision correcte doit se faire « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Prendre cependant connaissance de l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69. Cela étant dit, comme je le mentionne ci‑dessous, dans la présente instance, l’issue est la même, peu importe la méthode employée.

[40]  Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui est exigé de la part d’une cour qui contrôle une décision selon la norme de contrôle de la décision correcte :

[50]  […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[41]  La Cour suprême du Canada prescrit également que le contrôle judiciaire ne consiste pas à faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; il faut considérer la décision comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papiers Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision est raisonnable dans son ensemble, compte tenu du contexte du dossier : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].

V.  Analyse

A.  La Commission a‑t‑elle manqué à son devoir en matière d’équité procédurale en omettant de prévenir le demandeur de la possibilité qu’elle puisse exercer le pouvoir que lui confère l’article 73 de la LEFP et en omettant de donner au demandeur l’occasion de formuler des commentaires au sujet de cette possibilité?

[42]  L’article 73 de la LEFP confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de nommer une personne à un autre poste après que la Commission a révoqué une nomination en vertu de l’article 69 (comme c’est le cas en l’espèce) :

Nomination à un autre poste

Re‑appointment following revocation

73 En cas de révocation de la nomination en vertu de l’un des articles 66 à 69, la Commission peut nommer la personne visée à un poste pour lequel, selon elle, celle‑ci possède les qualifications essentielles visées à l’alinéa 30(2)a).

73 Where the appointment of a person is revoked under any of sections 66 to 69, the Commission may appoint that person to another position if the Commission is satisfied that the person meets the essential qualifications referred to in paragraph 30(2)(a).

[Nos soulignés.]

[Emphasis added.]

[43]  Pour se remettre en contexte, l’article 11 de la LEFP autorise la Commission de la fonction publique du Canada à faire des nominations dans la fonction publique du Canada :

Mission

Mandate

11 La Commission a pour mission :

11 The mandate of the Commission is

a) de nommer ou faire nommer à la fonction publique, conformément à la présente loi, des personnes appartenant ou non à celle‑ci;

(a) to appoint, or provide for the appointment of, persons to or from within the public service in accordance with this Act;

b) d’effectuer des enquêtes et des vérifications conformément à la présente loi;

(b) to conduct investigations and audits in accordance with this Act; and

c) d’appliquer les dispositions de la présente loi concernant les activités politiques des fonctionnaires et des administrateurs généraux.

(c) to administer the provisions of this Act relating to political activities of employees and deputy heads.

[44]  Il incombe à la Commission de préserver l’intégrité du processus de dotation et le principe du mérite dans la fonction publique fédérale, comme l’énoncent le préambule et le paragraphe 30(1) de la LEFP. L’un des moyens par lesquels la Commission s’acquitte de son devoir de surveillance est la possibilité qu’elle a d’enquêter au sujet des processus de nomination, comme le lui permettent l’alinéa 11b) et l’article 69 de la LEFP. L’article 69 confère à la Commission le pouvoir de révoquer une nomination en présence d’une fraude dans un processus de nomination :

Fraude

Fraud

69 La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut :

69 If it has reason to believe that fraud may have occurred in an appointment process, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that fraud has occurred, the Commission may

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

[45]  Je conviens avec le demandeur que cette affaire soulève une question d’équité procédurale. Par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision correcte et il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue dans ces circonstances. Je conviens également que le processus décisionnel visant à démettre un employé de ses fonctions, ou à révoquer sa nomination au poste qu’il occupe, requiert un degré élevé d’équité procédurale : Lemelin au paragraphe 43. Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont confirmé que l’équité procédurale exige : (1) que la Commission informe la personne qui fait l’objet de l’enquête de la teneur de la preuve recueillie par l’enquêteur et produite devant la Commission; (2) que la personne ait la possibilité de répondre à cette preuve et de formuler toutes les observations pertinentes relativement à celle‑ci.

[46]  Cela étant dit, je ne suis pas convaincu que les observations du demandeur sont bien fondées. À mon humble avis, la Commission a satisfait cette norme dans la présente affaire. Par l’entremise de son personnel, la Commission a remis le rapport factuel au demandeur et à son syndicat pour qu’ils le commentent et le demandeur s’est prévalu de cette possibilité. La Commission a ensuite remis son rapport d’enquête au demandeur et à l’ACEP pour qu’ils le commentent et le demandeur a fait des commentaires.

[47]  En outre, geste d’une importance capitale, le personnel de la Commission a transmis au demandeur et à l’ACEP les mesures correctives proposées qu’il envisageait de recommander à la Commission. Le personnel de la Commission les a invités à formuler des commentaires sur les mesures correctives proposées et le demandeur a une fois de plus donné son opinion et formulé des observations sur les mesures correctives.

[48]  Je conviens avec le défendeur que le demandeur a pris connaissance du [traduction« fond de l’affaire » et de [TRADUCTION] « la nature de la preuve recueillie par l’enquêteur ». Suggérer qu’il en faut davantage n’est pas conforme à la jurisprudence.

[49]  Le défendeur affirme également– et je suis d’accord avec lui – que rien dans le contenu ni dans le contexte de l’article 73 ne rend la divulgation de son existence nécessaire afin de permettre au demandeur d’apprécier le [TRADUCTION]  « fond de l’affaire » ni la [TRADUCTION]  « nature de la preuve recueillie par l’enquêteur », selon ce qui est exigé. Je n’ai aucun motif de remettre en doute le fait que ses conseillers professionnels étaient au courant de la possibilité de nomination à un autre poste en vertu de l’article 73 si la nomination du demandeur était révoquée pour fraude en vertu de l’article 69.

[50]  Cette lettre du 20 septembre 2017, qui avisait le demandeur des mesures correctives proposées, le prévenait également que la nomination à son poste pouvait être révoquée et qu’il pouvait être tenu de donner avis à la Commission pendant trois ans avant d’accepter un autre poste dans la fonction publique. À mon humble avis, l’envoi des mesures correctives proposées au demandeur avait pour but de lui donner avis des mesures que le personnel de la Commission allait recommander à la Commission si celle‑ci concluait que le demandeur avait commis une fraude. Cet avis donnait au demandeur la possibilité de faire des commentaires sur les conséquences proposées et de présenter d’autres réponses, dans l’hypothèse où la Commission concluait à la fraude. Le fait de lui envoyer les mesures correctives proposées n’avait pas le même but que celui de lui faire parvenir le rapport d’enquête pour qu’il le commente; en réponse au rapport d’enquête, il pouvait faire valoir qu’il n’avait pas commis de fraude, ce qu’il a fait. Mais en réponse aux mesures correctives proposées, il a été invité à faire des commentaires sur ce qu’il lui arriverait si la Commission venait à la conclusion qu’il avait réellement fraudé. Autrement dit, la lettre énonçant les mesures correctives proposées reposait sur une conclusion de fraude et le demandeur devait donc y répondre en tenant pour acquis ladite conclusion de fraude. Il avait à sa disposition de nombreuses réponses possibles, y compris de soutenir, comme il l’a fait, que si une fraude était établie, les sanctions proposées étaient excessives. Il pouvait aussi affirmer qu’aucune sanction ne devait lui être imposée ou que des sanctions différentes devaient être ordonnées si la Commission concluait à une fraude. Dans la même veine, il pouvait soutenir qu’en cas de verdict de fraude, il aurait pu être nommé à un autre poste dans la fonction publique en vertu de l’article 73; l’article 73 est expressément libellé de manière à entrer en application à la suite de la révocation d’une nomination en vertu de l’article 69. Il avait à sa disposition toutes ces réponses différentes reposant sur une conclusion de fraude.

[51]  Par conséquent, et à mon humble avis, il incombait au demandeur, dans sa réponse à la lettre sur les mesures correctives proposées, de formuler des observations différentes relativement à sa nomination à un autre poste en vertu de l’article 73 si c’est ce qu’il désirait, tout comme il a présenté des observations différentes, en réponse à la conclusion de fraude, en alléguant que les sanctions étaient trop sévères. Le moment où il a répondu aux mesures correctives proposées était aussi celui où il aurait dû invoquer le recours prévu à l’article 73; ce moment était en effet logique et opportun pour formuler des observations sur la nomination à un autre poste en application de l’article 73, parce qu’il s’agissait simplement d’une réponse différente à une conclusion de fraude. De plus, le fait de formuler des observations sur l’article 73 au même moment que des observations sur d’autres conséquences d’une conclusion de fraude aurait évité une multiplicité indésirable de débats, contrairement à ce que provoque la position du demandeur.

[52]  Je constate également que le pouvoir de nomination prévu à l’article 73 est discrétionnaire. Le demandeur n’avait pas le droit d’être nommé à un autre poste en vertu de l’article 73. De plus, la nomination en application de l’article 73 est assortie de conditions, notamment celle de convaincre la Commission que la personne possède les qualifications essentielles visées à l’alinéa 30(2)a) de la LEFP. Rien ne prouve que le demandeur a satisfait à ces conditions. Ce facteur renforce l’allégation selon laquelle il revient au demandeur de demander une nomination en vertu de l’article 73 lorsqu’une révocation en application de l’article 69 est envisagée, parce que le demandeur est le mieux placé pour aviser la Commission que les conditions de l’article 73 sont remplies et pour l’informer du poste auquel il pourrait être nommé dans l’hypothèse où sa nomination existante serait révoquée pour fraude.

[53]  Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale sur la question de l’article 73. Je tiens à souligner que si la norme de contrôle est celle qui a été énoncée dans l’arrêt Bergeron, c’est‑à‑dire qu’on devrait procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” », le résultat serait identique, même s’il aurait pu être obtenu plus aisément en raison de la nature discrétionnaire du pouvoir conféré à l’article 73 et de la retenue additionnelle énoncée dans l’arrêt Bergeron.

B.  La décision de la Commission a‑t‑elle été entachée par une crainte raisonnable de partialité?

[54]  La crainte raisonnable de partialité est également une question d’équité procédurale. Cette question est donc soumise à la norme de la décision correcte. La décision n’appelle aucune retenue. De plus, je conviens avec le demandeur que l’un des principes les plus fondamentaux de l’équité procédurale est le droit à une décision impartiale à l’abri de toute crainte raisonnable de partialité.

[55]  Le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans ses motifs dissidents dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [la Commission], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? ».

[56]  Les événements décrits ci‑dessous se sont produits avant que le personnel de la Commission ait envoyé ses recommandations à la Commission en vue de sa décision en novembre 2017.

[57]  En 2015, le demandeur avait présenté sa candidature à Services partagés Canada (Services partagés) en vue d’obtenir un poste EC‑6. Il a été reçu en entrevue en août 2017. Services partagés a affiché une notification de candidature retenue relativement à la nomination du demandeur le 4 octobre 2017. Cette notification de candidature retenue mentionnait que Services partagés s’apprêtait à présenter au demandeur une offre relativement à ce poste le 12 octobre 2017, dans la mesure où celle‑ci ne faisait l’objet d’aucune plainte.

[58]  Le 10 octobre 2017, à 13 h 22, le demandeur a fait parvenir par courriel à la Commission la notification de candidature retenue et lui a demandé son autorisation écrite pour lui permettre de signer l’offre d’emploi. Le gestionnaire du soutien aux enquêtes de la Commission lui a répondu le même jour à 14 h 58 et lui a indiqué que la demande de permission du demandeur n’était pas nécessaire, étant donné que la Commission n’avait pas encore ordonné les mesures correctives.

[59]  Peu après, le demandeur a reçu un appel téléphonique de Services partagés l’informant que l’offre ne lui serait pas présentée en raison du fait que Services partagés avait appris qu’une enquête était en cours à la Commission.

[60]  Le lendemain, Services partagés a avisé le demandeur que son dossier de dotation avait été mis en attente jusqu’à nouvel ordre. Le jour suivant, le demandeur a fait parvenir une lettre au personnel de la Commission pour lui faire part de ses préoccupations au sujet d’une atteinte à sa vie privée en raison de la divulgation par la Commission de renseignements personnels le concernant. La Commission lui a répondu le 15 novembre 2017 par l’entremise de son vice‑président, Secteur de la surveillance et des enquêtes. Dans sa lettre, celui‑ci signalait que Transports Canada avait avisé la Direction des enquêtes le 5 octobre 2017 qu’une notification de candidature retenue avait été affichée relativement à la nomination prochaine d’une personne nommée Hassan Dayfallah à un poste EC‑6 chez Services partagés. Dans cette lettre, il ajoutait que plus tard le même jour, la Direction des enquêtes avait pris contact avec Services partagés et avait avisé l’organisme qu’une personne du même nom, qui était alors employée de Transports Canada, faisait l’objet de quatre enquêtes pour fraude relativement à des processus de nomination et que les décisions étaient en instance; il a également été suggéré à Services partagés de vérifier si son candidat du même nom était en fait la personne qui faisait l’objet de ces enquêtes.

[61]  La Commission a admis qu’il s’agissait d’une erreur et elle a présenté des excuses pour l’atteinte aux droits à la vie privée du demandeur :

[traduction]

La Commission de la fonction publique vous présente ses excuses sincères pour la divulgation de vos renseignements personnels.

[62]  Le demandeur affirme que cette conduite démontre que la Commission avait un esprit fermé lorsqu’elle a délibérément nui au processus de nomination distinct de Services partagées qui allait très probablement donner lieu à sa nomination à son poste EC‑06. Le demandeur fait remarquer qu’il était sur le point d’être nommé à ce nouveau poste et que, même si elle avait donné avis au demandeur qu’il n’avait pas besoin d’une permission pour accepter une lettre d’offre, la Commission a néanmoins décidé de communiquer avec Services partagés Canada pour l’informer de ses enquêtes en cours.

[63]  Il m’est impossible de souscrire à la position du demandeur.

[64]  Aux paragraphes 53 et 54 de la décision Detorakis c Canada (Procureur général), 2009 CF 144, le juge Mosley a fait observer à juste titre que les allégations de partialité sont des questions très sérieuses. De plus, la partie qui allègue la partialité doit réfuter la présomption selon laquelle tout office ou commission est impartial :

[53]  Les allégations de partialité sont des questions très sérieuses. Elles remettent en cause l’intégrité du décideur. C’est à celui qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que l’intéressé doit être récusé. De plus, il s’agit d’une analyse qui dépend en grande partie des faits propres à chaque affaire et il n’existe aucun « raccourci » en ce qui concerne le raisonnement à la base de l’allégation (Wewaykum, précité, aux paragraphes 59 et 77).

[54]  Tout office ou commission est présumé impartial. Les motifs invoqués pour combattre cette présomption doivent être solides. Il faut démontrer qu’il existe une probabilité réelle de partialité. De simples soupçons ne suffisent pas. C’est la perception de la personne éclairée qui compte, et non des spéculations peu informées. Le fait que l’intéressé a tardé à soulever la crainte raisonnable de partialité peut indiquer que les raisons invoquées ne sont pas fondées.

[65]  Selon le critère applicable, il s’agit de déterminer ce qu’aurait conclu une personne raisonnable et sensée ayant étudié attentivement la question et ayant obtenu les renseignements nécessaires. Est‑ce que cette personne, après avoir étudié la question en profondeur, conclurait que, selon toute vraisemblance, la Commission, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste, c.‑à‑d. qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.

[66]  En l’espèce, le demandeur semble ne pas tenir compte des faits de l’affaire et ne leur accorder qu’un mérite inadéquat ou aucun mérite.

[67]  En ce qui concerne les faits sous‑jacents, une personne raisonnable et sensée aurait conclu que le processus d’enquête était équitable et très méticuleux. Avant de formuler ses recommandations et ses conclusions, le personnel de la Commission a interviewé le demandeur et son ancien collègue. Le demandeur et son représentant syndical ont reçu une lettre faisant état de trois enquêtes; par la suite, ils ont eu la possibilité de commenter le rapport factuel qui portait sur quatre enquêtes et ils s’en sont prévalus. Dans la même veine, la Commission a remis au demandeur et à l’ACEP le rapport d’enquête et les mesures correctives proposées pour qu’ils formulent des commentaires à leur sujet. Le demandeur a en fait formulé des commentaires sur le rapport d’enquête et sur la lettre faisant état des mesures correctives proposées. Le demandeur a eu de nombreuses occasions de présenter des observations à propos des conclusions et des recommandations du personnel de la Commission. La personne sensée et parfaitement informée serait également consciente que la Commission a admis son atteinte à la vie privée du demandeur le 15 novembre 2017 et qu’elle lui a présenté ses excuses avant de rendre sa décision définitive. Rien ne donne à penser que ces excuses et cette admission n’étaient pas sincères ou ont été faites de mauvaise foi. À mon humble avis, une personne raisonnable et sensée au courant des faits sous‑jacents ainsi que de l’admission et des excuses ne jugerait pas vraisemblable que la Commission ait décidé de manière inéquitable.

[68]  En résumé, compte tenu de tout le contexte de l’affaire, je ne suis pas convaincu que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui revenait de faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, d’une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission. Je suis d’avis qu’en l’espèce, une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique ne croirait pas que, selon toute vraisemblance, la Commission, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste. Je dois donc rejeter l’argument concernant la crainte de partialité.

[69]  J’ajouterais que si la norme de contrôle est celle de l’arrêt Bergeron, c’est‑à‑dire qu’un contrôle selon la norme de la décision correcte peut être nécessaire « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” », le résultat serait identique, même s’il aurait pu être obtenu plus aisément en raison de la nature discrétionnaire du pouvoir conféré par l’article 73 et de la retenue exigée par l’arrêt Bergeron.

C.  La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a commis une fraude dans le processus de nomination ou sa décision de révoquer la nomination du demandeur sont‑elles raisonnables?

[70]  Cette question doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable. Comme nous l’avons vu ci‑dessus, la cour de révision s’attache principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »: Dunsmuir, au paragraphe 47; Newfoundland Nurses, au paragraphe 14. Quand il porte sur un exercice d’interprétation de la loi, le contrôle du caractère raisonnable doit tenir pour acquis que le décideur désigné est mieux placé pour comprendre les considérations de politique et le contexte nécessaire pour résoudre toute ambiguïté d’une loi : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, sous la plume du juge Moldaver, au paragraphe 33. Les cours de révision doivent éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur : Khosa, précité, au paragraphe 64.

[71]  Le mémoire du demandeur résume son argument :

[traduction]

48. Comme nous l’expliquons ci‑dessous, le demandeur affirme que la conclusion de fraude en l’espèce était déraisonnable. Plus particulièrement, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur avait l’intention subjective requise de tromper était déraisonnable, tout comme l’était sa conclusion selon laquelle les actes du demandeur constituaient une fraude, un acte quasi criminel près du sommet de l’échelle de la gravité.

49. Subsidiairement, si la conclusion de fraude était raisonnable, la décision de révoquer la nomination du demandeur ne l’était pas vu les circonstances factuelles particulières de la présente affaire.

[72]  Je vais traiter séparément de chacun de ces aspects.

(1)  Caractère raisonnable de la conclusion d’intention subjective

[73]  La Commission a accepté les conclusions ci‑dessous qui étaient énoncées dans le rapport d’enquête révisé :

[traduction]

Malhonnêteté

30. Les instructions de l’examen à faire à la maison indiquaient clairement : « Tous les renseignements concernant le présent examen, y compris l’examen lui‑même, sont confidentiels et ne peuvent être portés à la connaissance d’autrui avant ni après l’examen ». « Il est interdit aux candidats de communiquer entre eux pendant ou après le présent examen afin d’assurer l’intégrité de la présente épreuve ».

31. La preuve montre que les candidats ont été mis au courant de ces instructions à deux reprises. Le courriel d’invitation du 1er décembre 2015 contenait les instructions ainsi que les mots « IMPORTANT – voir les lignes directrices ci‑dessous », écrits en caractères gras et surlignés en jaune. Dans le courriel de l’examen du 7 décembre 2015, les candidats ont reçu la directive de s’en remettre aux lignes directrices qui leur avaient été transmises précédemment dans le courriel d’invitation.

32. M. Dayfallah a déclaré qu’il n’avait pas lu les instructions; il ne lit pas les instructions applicables aux examens à faire à la maison. Selon ce que M. Dayfallah comprenait des instructions relatives à l’examen, il était interdit de plagier; lorsqu’ils passaient des examens à faire à la maison dans le cadre des études supérieures, les étudiants étaient autorisés à demander de l’aide, à discuter avec des tiers et à faire corriger leur copie par quelqu’un d’autre.

33. M. Dayfallah a également déclaré qu’il s’est contenté d’ouvrir l’examen quand il l’a reçu et de commencer à y travailler. De plus, en raison de son trouble médical, il éprouvait des difficultés de jugement et un manque d’attention aux détails qui ont fait en sorte qu’il n’a pas lu les instructions le jour de l’épreuve.

34. Bien que M. Dayfallah ait indiqué que son trouble médical avait nui à sa capacité de lire les instructions le jour de l’examen, la possibilité d’en prendre connaissance avant la date de l’épreuve lui avait été offerte. M. Dayfallah a décidé de passer l’examen le 7 décembre 2015, après avoir eu six jours pour lire les instructions qui lui avaient été transmises dans le courriel d’invitation du 1er décembre.

35. Les instructions relatives à l’examen font non seulement  partie intégrante du processus de l’épreuve, mais elles sont aussi directement liées au taux de réussite des candidats. Par conséquent, il est imprudent de la part d’un candidat de ne pas prendre le temps de lire attentivement les instructions relatives à l’examen, puisqu’il s’agit de la seule façon de bien comprendre ce qu’on attend de lui pendant l’examen.

36. De plus, les épreuves sont une façon de mesurer les connaissances, les capacités, les aptitudes ou les compétences d’une personne (entre autres) afin de déterminer si elle possède les qualités requises pour le travail à effectuer. Par conséquent, il n’est pas raisonnable qu’un candidat présume qu’il a le droit de demander de l’aide à une autre personne, en particulier lorsqu’il passe un examen destiné à apprécier son propre rendement.

37. Bien qu’il soit possible que le trouble médical de M. Dayfallah ait nui à sa capacité de lire les instructions relatives à l’examen, M. Dayfallah aurait pu demander des mesures d’adaptation à l’avance pour mieux maîtriser ses symptômes associés à l’épreuve. M. Dayfallah a déclaré que même s’il ne se sentait pas bien, il a décidé de passer l’examen parce qu’il s’y était préparé. Même si les lignes directrices à l’intention des candidats offraient la possibilité de reporter l’épreuve ou de prendre des mesures d’adaptation, M. Dayfallah a décidé de ne pas se prévaloir de la possibilité de demander quelque adaptation que ce soit dans le cadre de l’épreuve. Il a été constaté que M. Dayfallah avait obtenu des certificats médicaux, mais seulement après les avoir demandés une fois que son entrevue avait été fixée relativement à trois enquêtes et bien après son entrevue du 28 avril 2016 dans le cadre de la première de quatre enquêtes. Il a également été constaté que le questionnaire de M. Dayfallah sur les mesures d’adaptation pour les candidats de la CFP a été rempli le 27 octobre 2016, soit le lendemain de sa deuxième entrevue.

38. La preuve montre sans équivoque que le 7 décembre 2015, M. Dayfallah a envoyé des courriels à [l’ancien collègue] à 8 h 49 et à 10 h 10, moments qui s’inscrivent dans la période pendant laquelle il passait l’examen, soit de 8 h 30 à 10 h 30.

39. Dans le premier courriel, M. Dayfallah a fait parvenir le courriel d’invitation et le courriel de l’examen, qui contenaient respectivement les instructions et l’examen lui‑même. Dans le deuxième courriel, M. Dayfallah a joint la réponse qu’il avait préparée et a indiqué [traduction] « premières impressions? ». L’explication de M. Dayfallah selon laquelle il avait l’intention de discuter de l’examen avec [l’ancien collègue] plus tard ce jour‑là ou à un moment qui convenait à [l’ancien collègue] n’est pas crédible.

40. Étant donné que M. Dayfallah a envoyé deux courriels à [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen et qu’il a demandé à [l’ancien collègue] ses « impressions » au sujet de sa réponse, selon toute vraisemblance, M. Dayfallah demandait l’aide de [l’ancien collègue] pour répondre à la question de l’examen.

41. Une personne raisonnable qui examinerait l’ensemble des circonstances de ce dossier considérerait comme un geste malhonnête le fait que M. Dayfallah a transmis par courriel l’examen et sa réponse à [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen et qu’il lui a demandé ses impressions. Étant donné que M. Dayfallah a demandé l’aide de [l’ancien collègue] durant l’examen dans le cadre de trois autres processus de nomination, selon toute vraisemblance, il savait que ses actes n’étaient pas permis. En cherchant à obtenir l’aide de [l’ancien collègue], M. Dayfallah a voulu prouver au comité d’évaluation qu’il possédait les qualifications essentielles pour le travail à accomplir et améliorer ses possibilités de nomination. M. Dayfallah a agi de façon malhonnête; en tant que tel, le premier critère essentiel de la fraude a été rempli.

[...]

CONCLUSION

45. La preuve montre, selon la prépondérance des probabilités, que M. Dayfallah a commis une fraude dans le processus de nomination 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651 tenu par Transports Canada en consultant sciemment une autre personne, [l’ancien collègue], pendant l’examen écrit à faire à la maison et en transmettant de l’information à cette personne, contrairement aux instructions, et qu’il a agi de la sorte pour accroître ses possibilités de bénéficier d’une nomination.

[Non souligné dans l’original.]

[74]  À mon humble avis, ces conclusions appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Le demandeur prétend le contraire sur ces deux points.

[75]  En droit, la conclusion essentielle sur le caractère raisonnable met en cause la définition de fraude. Je conviens avec le demandeur qu’une conclusion de fraude doit respecter la définition de la fraude énoncée au paragraphe 116 de l’arrêt R c Cuerrier, [1998] 2 RCS 371, sous la plume de la juge L’Heureux‑Dubé :

[116]  […] les éléments essentiels de la fraude sont la malhonnêteté, qui peut comprendre la non-divulgation de faits importants, et la privation ou le risque de privation.

[76]  Fait important, cette définition a été entérinée pour les besoins de l’article 69 de la LEFP par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Seck, aux paragraphes 39 à 41 :

[39]  […] la fraude comporte deux éléments essentiels : (1) la malhonnêteté, qui peut comprendre la non‑divulgation de faits importants; (2) la privation ou le risque de privation.

[40]  La malhonnêteté est établie lorsqu’on a sciemment employé la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif dans le cadre d’une procédure de nomination, ce qui peut également comprendre la non‑divulgation ou la dissimulation de faits importants dans des circonstances où elle serait considérée comme malhonnête par une personne raisonnable.

[77]  Le demandeur a également raison de soutenir que la norme de preuve applicable à une conclusion de fraude sous le régime de l’article 69 est la norme civile de la prépondérance des probabilités : Seck, paragraphe 38. Comme je l’ai mentionné auparavant, le demandeur ne conteste pas que ses actes consistant à faire parvenir les renseignements sur l’examen et sa réponse préliminaire à une personne de l’extérieur [l’ancien collègue] pour obtenir son aide suffisent à satisfaire à l’élément de la « privation ou du risque de privation » énoncé au point (2) du paragraphe 39 de l’arrêt Seck, précité.

[78]  Par conséquent, la question fondamentale à résoudre dans le cadre de l’étude sur la fraude est celle de la « malhonnêteté » selon le point (1) de l’arrêt Seck, précité, au paragraphe 39. Comme l’affirme le défendeur, la Cour a confirmé au paragraphe 53 de la décision Lemelin que le critère lié à la fraude exige la preuve de l’actus reus et de la mens rea. En ce qui concerne la « malhonnêteté », cela signifie que la Commission peut uniquement arriver à une conclusion de fraude si elle est convaincue selon la prépondérance des probabilités : 1) que la personne a commis un acte qui serait considéré comme malhonnête aux yeux d’une personne raisonnable (actus reus) et 2) qu’elle savait subjectivement que cet acte était malhonnête (mens rea). En ce qui concerne cette dernière exigence, la question n’est pas de déterminer ce que le demandeur aurait dû savoir ou ce qui était raisonnable, mais ce qu’il savait réellement. Cela requiert un examen de l’ensemble du contexte factuel.

[79]  À mon avis, l’analyse par la Commission du critère juridique peut se justifier au regard du droit et elle est conforme à l’arrêt Seck. Au paragraphe 28 de sa décision, la Commission a cité la directive de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Seck (paragraphe 40) : « La malhonnêteté est établie lorsqu’on a sciemment employé la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif dans le cadre d’une procédure de nomination ».

[80]  La prochaine question à trancher est celle du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur savait que ses actes étaient malhonnêtes. La décision appartient‑elle aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit? À mon avis, la réponse est affirmative.

[81]  J’ai déjà énoncé les principales conclusions de la Commission tirées des paragraphes 30 à 41 du rapport d’enquête révisé : voir le paragraphe 73 ci‑dessus. Après avoir étudié le dossier, je constate que chaque conclusion est étayée par le dossier et peut donc se justifier au regard des faits de la présente cause, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

[82]  En particulier, le demandeur a été amplement avisé qu’il ne devait pas porter à la connaissance de personnes de l’extérieur ses projets de réponse ni les renseignements concernant l’examen. À ce sujet, le 1er décembre 2015, Transports Canada a fait parvenir au demandeur un courriel qui contenait l’avis ci‑dessous précisant qu’il était [traduction] « essentiel » [caractères gras dans l’original] que le demandeur lise les [traduction] « Lignes directrices à l’intention des candidats » :

[traduction]

IMPORTANT – Voir les lignes directrices ci‑dessous

[…]

Afin d’assurer votre participation continue au processus, il est essentiel que vous lisiez attentivement les lignes directrices.

[...]

[Souligné et caractères gras dans l’original.]

[83]  Les [traduction« Lignes directrices à l’intention des candidats » précisaient notamment que [traduction« tous les renseignements » concernant l’examen, qui comprennent à mon sens ses réponses préliminaires, étaient confidentiels. De plus, il était expressément interdit d’en faire part aux autres candidats :

[traduction]

SÉCURITÉ/CONFIDENTIALITÉ/SOUTIEN :

1.  Tous les renseignements concernant le présent examen, y compris l’examen lui-même, sont confidentiels et ne peuvent être portés à la connaissance de tiers avant ni après l’examen.

2.  Il est interdit aux candidats de communiquer entre eux pendant ou après le présent examen afin d’assurer l’intégrité de la présente épreuve.

[Caractères gras dans l’original.]

[84]  Il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait contrevenu à la disposition sur la confidentialité en transmettant l’examen à son ami et en faisant part de sa réponse préliminaire à son ancien collègue pour l’inviter à lui venir en aide.

[85]  Même si, comme le prétend son avocat, le demandeur n’a pas contrevenu aux instructions en demandant de l’aide à son ami, étant donné que celui‑ci n’était pas un [traduction« candidat », il n’en demeure pas moins que le fait de transmettre l’examen à son ami a enfreint les dispositions sur la confidentialité. En fait, le demandeur admet qu’il a contrevenu à la première instruction. Le demandeur critique le rapport d’enquête parce qu’il aurait [traduction« exagéré la violation des instructions par le demandeur ». À mon avis, cette observation est peu justifiée; dans sa description de la deuxième instruction, le rapport d’enquête ne contient aucune conclusion particulière à cet égard.

[86]  Pour rappeler les faits, dans la mesure où il n’était pas permis de divulguer les renseignements concernant l’examen, le dossier contient trois courriels que le demandeur a envoyés à son ancien collègue le jour de l’examen, le 7 décembre 2015. Le premier courriel a été expédié à 8 h 49, soit pendant l’examen; dans celui‑ci, le demandeur a envoyé à son ancien collègue deux courriels qu’il avait reçus de Transports Canada : 1) le courriel reçu à 8 h 5 le 7 décembre 2015 de Transports Canada qui lui faisait parvenir l’examen à faire à la maison lui‑même et 2) le courriel d’invitation à l’examen du 1er décembre 2017 qui contenait les lignes directrices à l’intention des candidats. À 10 h 10, toujours pendant la période de l’examen, le demandeur a envoyé à son ancien collègue un deuxième courriel contenant sa réponse préliminaire et ayant en objet la mention [traduction« premières impressions? ». Le demandeur a fait parvenir son examen terminé à Transports Canada à 10 h 33. Peu après, le demandeur a envoyé un troisième courriel à son ancien collègue à 10 h 35 pour lui demander [traduction« penses‑tu que j’ai réussi? ».

[87]  La directive de s’abstenir de transmettre [traduction« tous » les renseignements concernant l’examen à des personnes de l’extérieur a été envoyée non pas une seule fois, mais bien deux fois. Comme je l’ai mentionné, le premier envoi a été effectué une semaine avant l’examen, soit le 1er décembre 2015. Les mêmes instructions ont été transmises le 7 décembre 2015, soit le jour de l’examen. Les deux directives mettaient l’accent sur les mêmes impératifs dans des termes identiques.

[88]  À mon avis, essentiellement les mêmes instructions ont été transmises au demandeur en ce qui concerne la sécurité et la confidentialité dans le cadre des trois autres examens que le demandeur a passés et qui ont donné lieu à une enquête de la Commission. Comme on peut le lire aux paragraphes 12, 31 et 71 ainsi que dans les annexes A, C et E du rapport factuel qui a été produit devant la Commission (et au sujet duquel le demandeur a formulé des commentaires) :

[traduction]

1)  dans le concours 15‑DND‑IA‑OTTWA‑396107, l’examen a eu lieu le 20 octobre 2015. Les instructions de la page 1 précisaient ce qui suit : « Prière de vous abstenir de divulguer à quiconque la matière de cet examen et de discuter de son contenu avec des tiers. Vous devez passer l’examen par vous‑même sans l’aide de quelqu’un d’autre ».

2)  dans le concours 2016‑PSP‑IA‑PSP‑105497, l’invitation à l’examen a été envoyée le 17 décembre 2015 et l’examen lui‑même a été transmis le 8 janvier 2016. Voici certaines des instructions qui l’accompagnaient : « Vous ne pouvez pas consulter d’autres personnes ni demander leur aide »; « Prière de vous abstenir de divulguer les questions de l’examen et d’en discuter avec d’autres ». L’une des cinq qualifications essentielles évaluées était la « capacité de communiquer efficacement par écrit ».

3)  dans le concours 15‑DFO‑NCR‑CCG‑144559, l’invitation à l’examen a été envoyée le 1er février 2016 et l’examen a eu lieu le 5 février 2016. La phrase qui suit était mise en évidence : [traduction] « Les instructions pour l’examen sont jointes en annexe; veuillez les lire attentivement ». Voici certaines des instructions pertinentes :

[traduction]

10. Au cours de l’examen, vous n’êtes pas autorisé à recevoir de l’aide extérieure, excepté l’accès à Internet; le candidat doit s’assurer qu’il est seul durant l’examen.

11. Cet examen est confidentiel. Vous ne devez pas discuter de cet examen avant que les résultats du concours aient été rendus publics. […] Veuillez prendre connaissance de l’entente de confidentialité complète à la fin du présent document.

[Souligné et caractères gras dans l’original.]

[89]  Le demandeur a donc reçu de nombreuses mises en garde au sujet de la nécessité d’assurer la confidentialité et d’éviter de porter à la connaissance de tiers les renseignements concernant l’examen. Le demandeur affirme que la multiplicité des mises en garde est soit a) compatible avec sa non‑culpabilité pour fraude, soit b) neutre sur cette question. Je ne suis pas d’accord. Ces mises en garde sont également compatibles avec la connaissance d’une conduite malhonnête, à savoir la fraude. La question de soupeser et d’apprécier la preuve de mises en garde multiples relève de la Commission; et la Cour rejette respectueusement la demande que lui a faite le demandeur de soupeser la preuve à nouveau à cet égard.

[90]  Il est également important de noter que la Commission a accepté la conclusion particulière selon laquelle le demandeur [traduction« n’était pas crédible ». Ce constat découle du fait que le demandeur a affirmé qu’il avait seulement l’intention de discuter de sa réponse à l’examen plus tard ce jour‑là lorsqu’il a demandé l’aide de son ami au sujet de sa réponse préliminaire [TRADUCTION] (« premières impressions? »). Le rapport d’enquête révisé a conclu ce qui suit au paragraphe 39 : [TRADUCTION] « L’explication de M. Dayfallah selon laquelle il avait l’intention de discuter de l’examen avec M. [  ] plus tard ce jour‑là ou à un moment qui convenait à M. [  ] n’est pas crédible ». Il était loisible à la Commission d’arriver à cette conclusion, compte tenu de la retenue considérable dont il faut faire preuve envers la Commission et de la réticence qui doit animer la Cour face à des demandes de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve.

[91]  Le demandeur affirme qu’il n’a pas lu les lignes directrices et il a déclaré qu’il croyait que la seule restriction à laquelle il était assujetti consistait à ne pas plagier ses réponses. Le demandeur affirme qu’il n’avait pas l’intention d’enfreindre les règles. Il a déclaré avoir manqué de jugement. À mon humble avis, il était loisible à la Commission de rejeter ces explications; la Commission était saisie de ses observations ainsi que d’un rapport de son personnel qui avait interviewé le demandeur et qui avait pris connaissance de ses commentaires à deux reprises, la première fois au sujet du rapport factuel, et la deuxième, à propos du rapport d’enquête.

[92]  Comme la juge McLachlin (tel était alors son titre) l’a statué dans l’arrêt R c Théroux, [1993] 2 RCS 5, au paragraphe 19 : « Le fait que l’accusé ait pu espérer qu’il n’y aurait aucune privation ou qu’il ait pu croire qu’il ne faisait rien de mal ne constitue pas un moyen de défense ». Je suis d’accord; on ne m’a pas persuadé de modifier les conclusions de la Commission à ce sujet. Les conclusions de fait de la Commission commandent une retenue considérable dont je n’hésite pas à faire preuve.

[93]  L’affirmation du demandeur selon laquelle il n’a pas commis de fraude parce qu’il cherchait simplement de [traduction« l’aide pour la correction » n’a aucun fondement. J’arrive à cette conclusion en raison du fait que les documents d’examen prévenaient expressément le demandeur qu’une [TRADUCTION] « qualification essentielle » qui devait être évaluée était la [TRADUCTION] « capacité de communiquer par écrit de manière efficace et concise ».

[94]  Dans la même veine, l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’a pas commis de fraude en raison du fait que son ami travaillait au ministère des Pêches et des Océans et qu’il n’avait aucune connaissance spécialisée relativement aux éléments de fond de l’examen est également dénuée de fondement. Et il n’est pas utile au demandeur que son ancien collègue n’ait pas répondu à sa demande de passer en revue sa réponse préliminaire.

[95]  La Commission a reconnu et a conclu que ce que M. Dayfallah a fait était malhonnête. Personne ne peut sérieusement contester cette conclusion. La Commission a expressément conclu selon la prépondérance des probabilités que M. Dayfallah [traduction« savait que ses actes n’étaient pas permis ». Cette conclusion est raisonnable et a été tirée en appliquant la bonne norme de preuve. À mon humble avis, à la lumière des faits, il était loisible à la Commission d’arriver à ces conclusions, qui figurent au paragraphe 41 du rapport d’enquête révisé, et celles‑ci sont conformes aux critères juridiques applicables dans le cadre de l’article 69 de la LEFP :

[traduction]

41.  Une personne raisonnable qui examinerait l’ensemble des circonstances de ce dossier considérerait comme un geste malhonnête le fait que M. Dayfallah a transmis par courriel l’examen et sa réponse à [l’ancien collègue] pendant la période de l’examen et qu’il lui a demandé ses impressions. Étant donné que M. Dayfallah a demandé l’aide de [l’ancien collègue] durant l’examen dans le cadre de trois autres processus de nomination, selon toute vraisemblance, il savait que ses actes n’étaient pas permis. En cherchant à obtenir l’aide de [l’ancien collègue], M. Dayfallah a voulu prouver au comité d’évaluation qu’il possédait les qualifications essentielles pour le travail à accomplir et améliorer ses possibilités de nomination. M. Dayfallah a agi de façon malhonnête; en tant que tel, le premier critère essentiel de la fraude a été rempli.

[Non souligné dans l’original.]

[96]  Dans son mémoire, le demandeur affirme également ce qui suit : [traduction« En l’absence d’une conclusion claire selon laquelle le demandeur savait subjectivement que ce qu’il a fait était mal, il ne nous reste que l’allégation précitée de l’enquêteur voulant qu’il a agi “ avec insouciance ” lorsqu’il a omis de lire les instructions de l’examen ». Cet argument est mal fondé, parce que, comme je l’ai déjà mentionné, la Commission a reconnu que le demandeur [traduction« savait que ses actes n’étaient pas permis ». La Commission ne s’est pas contentée de l’argument de l’insouciance, elle a précisément conclu à la connaissance personnelle ([traduction« il savait que ses actes n’étaient pas permis »).

[97]  Cela étant dit, l’insouciance suffirait à établir l’intention requise si l’article 69 était analogue à un crime d’intention générale. Je ne formule aucune conclusion à cet égard, mais je m’en remets à l’arrêt R c Bernard, [1988] 2 RCS 833, au paragraphe 61, ainsi qu’à l’ouvrage de Morris Manning, c.r., et Peter Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff: Criminal Law, 5e éd., Markham, LexisNexis, 2015, aux paragraphes 4.67 et 4.68 :

[traduction]

[4.67]  Bien que la commission de la plupart des infractions ne nécessite rien de plus que la perpétration intentionnelle ou insouciante de l’actus reus, possiblement avec une certaine prévision des conséquences, certains actes ne deviennent criminels que s’ils sont faits dans un but ou avec une intention déterminé. […] les infractions de ce type sont réputées avoir été commises avec une intention ou un but « caché », au motif que cette intention additionnelle n’est pas prouvée uniquement par la perpétration délibérée de l’actus reus.

[Non souligné dans l’original.]

[98]  Sur ce point, je constate que le demandeur affirme que la fraude prévue à l’article 69 est quasi criminelle à certains égards.

[99]  De plus, une personne ne se soustrait pas nécessairement à sa responsabilité en se contentant de dire « qu’elle n’avait pas l’intention requise »; autrement, on en viendrait rarement à une conclusion d’intention. Un juge des faits peut plutôt conclure à une intention en déduisant qu’une personne désire les conséquences naturelles et probables de ses actes. Il s’agit d’une règle de preuve et d’une question de bon sens; le juge Cory, de la Cour suprême du Canada, s’est exprimé comme suit dans l’arrêt R c Seymour, [1996] 2 RCS 252, au paragraphe 19 :

Établissement d’un lien avec la déduction conforme au bon sens

[19]  Lorsque l’on donne au jury des directives sur une infraction exigeant la preuve de l’existence d’une intention spécifique, il sera toujours nécessaire d’expliquer que, pour déterminer l’état d’esprit de l’accusé au moment de l’infraction, les jurés peuvent déduire que les personnes saines et sobres veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes. Le bon sens veut que les personnes soient habituellement capables de prévoir les conséquences de leurs actes. Par conséquent, si une personne agit d’une façon qui est susceptible de produire un certain résultat, il sera généralement raisonnable de déduire que celle‑ci a prévu les conséquences probables de son acte. En d’autres termes, si une personne a agi de manière à produire certaines conséquences, on peut en déduire que cette personne a voulu ces conséquences.

[Non souligné dans l’original.]

[100]  À mon humble avis, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a commis une fraude dans le processus de nomination qui a donné lieu à sa nomination au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5 appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir.

(2)  Les mesures correctives imposées étaient déraisonnables

[101]  Subsidiairement, le demandeur affirme que si la conclusion de fraude est raisonnable, compte tenu des circonstances factuelles en l’espèce, la décision de révoquer sa nomination ne l’est pas. Le défendeur n’est pas d’accord. Le demandeur déclare que les mesures correctives imposées en l’espèce sont déraisonnables, parce qu’elles sont disproportionnellement sévères. Je conviens que les mesures correctives doivent être « raisonnables à la lumière des circonstances en cause » : Seck, au paragraphe 53. Le demandeur affirme que d’autres mesures correctives moins sévères auraient été suffisantes pour agir à l’égard de son comportement et du risque particulier qu’il présentait pour les processus futurs.

[102]  Le défendeur affirme que la Commission a raisonnablement exercé le vaste pouvoir discrétionnaire dont elle jouit en vertu de l’article 69 de la LEFP et conformément à sa mission d’assurer l’intégrité du processus de nomination dans la fonction publique du Canada. Le défendeur déclare que le demandeur n’a aucun motif de se plaindre que la révocation est exagérément sévère, parce qu’elle n’a aucune incidence sur la question en cause et qu’elle ne rend pas la décision déraisonnable. Le défendeur invoque l’arrêt Canada (Procureur général) c Boogaard, 2015 CAF 150, sous la plume du juge Stratas, au paragraphe 81 :

[81]  […] les juges ne peuvent pas intervenir en se fondant sur des opinions personnelles au sujet de la sévérité ou non de la décision. Les juges doivent plutôt se limiter à la question suivante : en tenant compte de la marge d’appréciation qui doit être accordée au décideur, est‑ce que la décision est acceptable et justifiable au regard des faits et du droit?

[103]  À mon humble avis, le législateur a confié à la Commission la mission de protéger l’intégrité du système du mérite dans la fonction publique du Canada : Seck, aux paragraphes 24 (préambule) et 46 (intention du législateur). En adoptant l’article 69, le législateur a donné à la Commission un outil important pour l’aider à s’acquitter de son obligation prévue par la loi d’assurer l’intégrité en faisant en sorte que le processus de nomination soit à l’abri de la fraude. Le processus d’examen est un pilier central du système de nomination, un système qui est conçu pour trouver des candidats méritoires. Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Seck, aux paragraphes 32, 46 et 48 :

[32]  Le pouvoir d’enquête de la Commission en vertu de l’article 69 de la Loi fait donc partie d’une vaste réforme cherchant à moderniser le système de dotation de la fonction publique, notamment en déléguant la plupart des décisions de dotation à l’échelon le plus bas possible. Cette réforme cherche par contre à maintenir et à protéger les valeurs fondamentales de la fonction publique, notamment celles voulant que les nominations à la fonction publique soient non partisanes et axées sur le mérite. L’article 69 doit donc être compris et interprété dans ce contexte.

...

[46]  Le législateur cherche donc à assurer la probité du processus de nomination à la fonction publique fédérale. L’absence de fraude lors du processus de nomination est donc une valeur fondamentale que le législateur cherche à défendre par les articles 69 et 133 de la Loi. La Commission peut donc mener une enquête et prendre des mesures correctives lorsqu’il y a fraude dans le processus de nomination, que cette fraude ait mené ou non à une nomination frauduleuse.

...

[48]  Dans le cas de fraude dans le processus de nomination, la Commission peut : a) « révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination »; b) « prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées ». Il s’agit là de mesures administratives visant à assurer la probité du processus de nomination à la fonction publique fédérale, et non pas à proprement parler de mesures disciplinaires. Cette distinction est importante, tant afin de cerner les limites des mesures que peut prendre la Commission en vertu de l’article en cause qu’afin de préciser le devoir de la Commission d’agir équitablement envers ceux qui font l’objet de l’enquête.

[Non souligné dans l’original.]

[104]  Il est également important de souligner que le demandeur admet que ses actes ont compromis le processus d’examen. Il n’a pas contesté le point (2) de la définition de la fraude formulée dans l’arrêt Seck. Voici ce qu’il dit au paragraphe 55 de son mémoire : [traduction« Le demandeur ne conteste pas que le deuxième élément du critère serait satisfait en l’espèce ». Le deuxième volet prévoit [traduction« que le processus de nomination aurait pu être compromis par ces actes ».

[105]   L’alinéa 69b) de la LEFP autorise la Commission à « prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées » une fois qu’elle a conclu à la fraude. Je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a révoqué la nomination du demandeur au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5. Cette décision commande une retenue considérable. Le demandeur a reçu plusieurs avis (au moins deux) l’informant qu’il ne lui était pas permis de faire connaître à des tiers les renseignements concernant l’examen; si on ajoute les avis relatifs aux autres examens qu’il a passés, il en a été avisé sans équivoque à au moins cinq reprises. Le dossier fait mention d’une conduite similaire du demandeur dans le cadre de trois autres processus de nomination à un emploi dans la fonction publique. La Commission a statué que l’explication donnée par le demandeur au sujet de sa demande d’aide à une personne de l’extérieur [traduction] « n’était pas crédible ». La Commission a expressément conclu que le demandeur savait que ses actes n’étaient pas permis. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que la Commission a agi de manière déraisonnable en révoquant sa nomination.

[106]  À mon humble avis, il en va de même pour le reste des mesures correctives, qui avaient pour effet d’obliger ou d’inciter le demandeur à demander l’autorisation de la Commission avant de chercher à obtenir une autre nomination dans la fonction publique. La Commission n’a pas interdit au demandeur de présenter sa candidature, elle a simplement exigé que le demandeur lui donne avis de toute demande d’emploi de cette nature. De plus, cette condition spéciale est seulement applicable pendant trois ans; par la suite, il ne sera plus nécessaire pour lui d’aviser la Commission. Il est possible, selon la nature de sa demande d’emploi, que la Commission donne l’autorisation au demandeur de se porter candidat à une autre nomination. Je ne suis pas convaincu que cet aspect des mesures correctives imposées par la Commission est excessif; cet aspect de la sanction appartient plutôt aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[107]  Je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle la révocation d’une nomination ne vise pas à discipliner ni à punir un candidat, mais plutôt à renforcer l’intégrité du processus de nomination. Il s’agit, à mon humble avis, de l’objectif de l’article 69 de la LEFP et, selon moi, d’un principe directeur fondamental de la Commission. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les principes du droit du travail, comme la proportionnalité et la discipline progressive, s’appliquent dans le contexte de l’article 69 : MacAdam, aux paragraphes 109 et 112; Seck, au paragraphe 51. En fait, dans l’arrêt Seck, la Cour d’appel fédérale a tranché cette question aux paragraphes 48 à 50 :

g) Les mesures correctives de l’article 69

[48]  Dans le cas de fraude dans le processus de nomination, la Commission peut : a) « révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination »; b) « prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées ». Il s’agit là de mesures administratives visant à assurer la probité du processus de nomination à la fonction publique fédérale, et non pas à proprement parler de mesures disciplinaires. Cette distinction est importante, tant afin de cerner les limites des mesures que peut prendre la Commission en vertu de l’article en cause qu’afin de préciser le devoir de la Commission d’agir équitablement envers ceux qui font l’objet de l’enquête [souligné par le demandeur].

[49]  Les employeurs des fonctionnaires sont responsables des mesures disciplinaires envers eux, et celles‑ci sont régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission ne peut donc prendre de mesures disciplinaires en vertu de l’article 69 de la Loi. Elle peut tout au plus, comme elle l’a fait dans le cas de l’appelante, remettre à l’employeur l’information pertinente constatée au cours de son enquête. Il appartiendra à celui‑ci, s’il le juge opportun, d’entamer les mesures disciplinaires qui s’imposent. Le rôle et le mandat de la Commission portent sur la probité du processus de nomination à la fonction publique plutôt que sur la discipline des fonctionnaires fautifs.

[50]  La révocation d’une nomination par la Commission en vertu de l’article 69 n’est donc pas une mesure disciplinaire, car une telle nomination est nulle ab initio. Il ne s’agit pas là d’un congédiement ou d’un licenciement qui peut faire l’objet d’un grief. Les autres mesures correctives que peut prendre la Commission ne peuvent non plus faire l’objet d’un grief.

[Non souligné dans l’original.]

D.  La Commission a‑t‑elle passé outre à sa compétence légale lorsqu’elle a ordonné que le demandeur, par suite de la révocation de sa nomination, cesserait d’être un employé de la fonction publique fédérale?

[108]  Le demandeur déclare que la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte, parce qu’il s’agit d’une question de compétence. Il invoque l’arrêt Seck et en particulier le paragraphe 17 dans lequel la Cour d’appel fédérale a statué ce qui suit : « des questions de délimitation des compétences des agents administratifs en cause […] appelle[nt] la norme de la décision correcte ». Avec respect, je suis tenu de suivre la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCDP, dans lequel la Cour a statué ce qui suit, au paragraphe 27 :

[27]  Depuis plusieurs années, notre Cour tente de simplifier l’analyse relative à la norme de contrôle applicable, afin de « faire en sorte que les parties cessent de débattre des critères applicables et fassent plutôt valoir leurs prétentions sur le fond » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 36, citant Dunsmuir, par. 145, le juge Binnie). Dans cette optique, il existe une présomption bien établie selon laquelle la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 54; Alberta Teachers, par. 39; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 15; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, par. 22; Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3, par. 33‑34; Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, par. 8).

[Non souligné dans l’original.]

[109]  En conséquence, à mon humble avis, la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision raisonnable.

[110]  Le demandeur formule son argument de la façon suivante : dans sa décision, la Commission a non seulement ordonné que la nomination du demandeur au poste qu’il occupait au moment de sa décision soit révoquée, mais elle a également décidé d’ordonner que le demandeur [traduction] « cessera d’être un employé de la fonction publique fédérale » après cette révocation :

[traduction]

[...] que la nomination de M. Dayfallah au poste d’analyste, du groupe et niveau EC‑5, qui a été faite par suite du processus de nomination interne annoncé 15‑MOT‑IA‑HRS‑84651, soit révoquée. Le ministère des Transports doit remplir les documents nécessaires pour donner suite à la révocation et confirmer au Secteur de la surveillance et des enquêtes de la Commission de la fonction publique qu’il l’a fait dans les 60 jours qui suivront la signature du présent compte rendu de décision. À la suite de la révocation de sa nomination, M. Dayfallah cessera d’être un employé de la fonction publique fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[111]  Le demandeur affirme que même si l’article 69 de la LEFP confère à la Commission le pouvoir d’ordonner la révocation d’une nomination si elle est convaincue qu’une fraude a été commise pendant le processus de nomination, la Commission n’a pas le pouvoir de dicter ce que pourraient être les répercussions de cette révocation sur la relation entre l’employé en question et son employeur. Autrement dit, la Commission n’avait pas le pouvoir de mettre fin à l’emploi du demandeur, ce qu’elle a tenté de faire en l’espèce, selon ce qu’affirme le demandeur.

[112]  Le défendeur déclare que la Commission a ordonné seulement trois mesures correctives : la révocation de la nomination du demandeur au poste EC‑5 et deux conditions à délai déterminé concernant un possible emploi futur dans la fonction publique fédérale, rien de plus.

[113]  Le défendeur convient que la Commission n’a pas le pouvoir de [traduction« prévoir la résiliation de la relation contractuelle et légale d’emploi entre le demandeur et le Conseil du Trésor ». À mon avis, cela découle de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985), c F‑11, alinéas 12(1)c), d) et e) :

Pouvoirs des administrateurs généraux de l’administration publique centrale

Powers of deputy heads in core public administration

12 (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

12 (1) Subject to paragraphs 11.1(1)(f) and (g), every deputy head in the core public administration may, with respect to the portion for which he or she is deputy head,

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

(c) establish standards of discipline and set penalties, including termination of employment, suspension, demotion to a position at a lower maximum rate of pay and financial penalties;

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

(d) provide for the termination of employment, or the demotion to a position at a lower maximum rate of pay, of persons employed in the public service whose performance, in the opinion of the deputy head, is unsatisfactory;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

(e) provide for the termination of employment, or the demotion to a position at a lower maximum rate of pay, of persons employed in the public service for reasons other than breaches of discipline or misconduct; and

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[114]  À mon humble avis, le sous‑ministre a mis fin à l’emploi du demandeur dans sa lettre au demandeur datée du 15 janvier 2018. Dans cette lettre, le sous‑ministre, comme le lui avait recommandé la Commission, a révoqué la nomination au poste d’analyste de la sécurité ferroviaire EC‑5. Le sous‑ministre a ajouté : [traduction« Par conséquent, vous cesserez d’être un employé de la fonction publique fédérale ». Je ne peux pas interpréter ce passage autrement que comme un licenciement.

[115]  La décision de la Commission prévoit notamment ce qui suit : [traduction« À la suite de la révocation de sa nomination, M. Dayfallah cessera d’être un employé de la fonction publique fédérale ». Mais comme en ont convenu les parties, la Commission n’avait pas le pouvoir de mettre fin à la relation contractuelle et légale d’emploi entre le demandeur et son employeur. Par conséquent, la décision de la Commission n’équivalait pas à un licenciement et le demandeur n’a pas raison de la qualifier de licenciement ou de tentative de licenciement. La relation d’emploi du demandeur a été résiliée par le sous‑ministre. Dans cette circonstance, je ne puis conclure que la Commission a mis fin à son emploi, parce qu’elle ne le pouvait pas et parce qu’elle ne l’a pas fait.

[116]  Le demandeur a déposé un grief à l’encontre de la décision du sous‑ministre, comme la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral lui en donne le droit. Le grief du demandeur est en instance. Je ne suis pas convaincu qu’est bien fondée l’observation du demandeur selon laquelle le commentaire de la Commission lui a causé un préjudice en [traduction« pouvant nuire au recours qui est à [sa] disposition pour contester son licenciement ».

[117]  En l’absence d’une décision ordonnant le licenciement, je ne puis qualifier la démarche de déraisonnable. Et je ne puis pas non plus conclure à l’existence d’un manquement à l’équité procédurale.

VI.  Conclusion

[118]  La présente affaire soulève des questions d’équité procédurale et de raisonnabilité. À mon avis, les observations du demandeur voulant qu’il ait été victime d’un manquement à l’équité procédurale ne sont pas fondées. Ce qui s’est produit était équitable dans les circonstances. Après avoir examiné comme un tout les aspects de la décision qui font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, j’arrive à la conclusion que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, conformément à l’arrêt Dunsmuir. Étant donné que la décision est équitable sur le plan procédural et qu’elle est raisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VII.  Dépens

[119]  Les parties ont convenu que la partie déboutée paiera à la partie qui obtient gain de cause le montant global de 2 500 $ comprenant les débours et les taxes. À mon avis, ce montant est raisonnable; je vais donc rendre une ordonnance de cette nature en faveur du défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑153‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur paiera au défendeur le montant global de 2 500 $ au titre des dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑153‑18

 

INTITULÉ :

HASSAN DAYFALLAH c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NovembrE 2018

 

COMPARUTIONS :

Jean‑Michel Corbeil

 

POUR Le demandeur

 

Andrew Kinoshita

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldblatt Partners, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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