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Date : 20181107


Dossier : T‑1929‑18

Référence : 2018 CF 1119

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MERCEDES-BENZ FINANCIAL SERVICES CANADA CORPORATION

demanderesse

et

MAERSK LINE A/S

défenderesse

et

TIANJIN ZHONGYISHENGSHI TECHNOLOGY DEVELOPMENT CO. LTD et WORLDLINK LOGISTICS INC.

intervenantes

ORDONNANCE ET MOTIFS

  Dans une requête déposée le vendredi 2 novembre 2018, la demanderesse, Mercedes‑Benz Financial Canada Corporation (« Mercedes »), sollicitait :

1.  Une ordonnance interdisant à Maersk Line A/S (Maersk), la défenderesse, d’entreprendre toute démarche en vue d’aliéner ou de libérer les six véhicules Mercedes-Benz décrits dans la requête;

2.  Une ordonnance enjoignant à Maersk de rapatrier les véhicules au Canada, plus précisément à Vancouver, dans les quatorze (14) jours de la date de la requête, puis de les remettre à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ou de se conformer aux directives de la Cour ou aux modalités convenues par les parties.

[1]  Peu avant que l’affaire ne soit instruite, la Cour a reçu une lettre de M. Walter Stasyshn indiquant que les véhicules en cause en l’espèce [traduction] « ont été ultimement acquis » par sa cliente, Tianjin Zhongyish Technology Development Co. Ltd (« Tianjin »). M. Stasyshn voulait présenter des observations à l’audience en vue d’autoriser sa cliente à intervenir dans la requête.

[2]  Après examen des observations des parties et celles de M. Stasyshn, j’ai rendu une injonction provisoire prévoyant ce qui suit :

1.  Il était interdit à Maersk d’entreprendre la moindre démarche en vue d’aliéner ou de libérer les véhicules décrits dans la requête en injonction de Mercedes, jusqu’à nouvel ordre de la Cour;

2.  Tianjin devait déposer et signifier, au plus tard le lundi 5 novembre 2018 à midi, sa demande visant à être constituée comme partie à l’instance et son dossier de requête visant à démontrer qu’elle a un intérêt dans l’affaire, y compris tous les justificatifs d’achat, les documents de paiement et les communications qu’elle, son avocat ou d’autres parties ont eues avec l’ASFC concernant les véhicules, ainsi que les raisons pour lesquelles elle estime que ceux-ci ne devraient pas être rapatriés au Canada pendant que la question de leur propriété est examinée;

3.  Mercedes devait signifier et déposer, au plus tard le lundi 5 novembre 2018 à 14 h, un mémoire des faits et du droit;

4.  L’instruction de la présente affaire devait reprendre le mardi 6 novembre 2018 à 10 h.

[3]  Tianjin a dûment déposé un dossier de requête pour son compte et pour celui de Worldlink Logistics Inc. (« Worldlink »), présentée comme étant sa représentante autorisée au Canada; elle demande à être constituée comme partie à l’instance et soulève la question de savoir si Mercedes a satisfait au critère de délivrance d’une injonction mandatoire.

[4]  Mercedes a déposé ce qu’elle a appelé des observations additionnelles ainsi qu’un nouvel affidavit de Mme Tasha Nue, directrice nationale des recouvrements et de la récupération des pertes chez Mercedes.

[5]  Mercedes soutient que six acheteurs individuels ont acquis chacun de nouveaux véhicules Mercedes-Benz chez des concessionnaires en vertu de contrats de vente à tempérament ou de contrats de vente conditionnelle. Chaque contrat prévoyait une clause de cession du contrat par le vendeur à Mercedes, et cette dernière a dûment inscrit son intérêt à l’égard de chaque véhicule. Plus précisément :

i)  Contrat de vente à tempérament

Date : 24 juillet 2018,

Vendeur : Silver Star Montréal Inc.

Acheteur : M. Charles Dray

Véhicule : VUS Mercedes-Benz 2018, classe GLS 450 4MATIC

Numéro d’identification : 4JGDF6EE1JB167282

Intérêt inscrit aux termes du Code civil du Québec, RLRQ c CCQ‑1991 (le CCQ) sur le Registre des droits personnels et réels mobiliers (le RDPRM), 31 juillet 2018, numéro d’enregistrement 18‑0836107‑0007

(Véhicule 7282)

ii)  Contrat de vente à tempérament

Date : 27 juin 2018

Vendeur : Auto Classique de Laval Inc.

Acheteur : M. Georgios Zevgolis

Véhicule : VUS Mercedes-Benz 2018, classe GLE 400 4MATIC

Numéro d’identification du véhicule : 4JGDA5GB3JB131136

Intérêt inscrit aux termes des dispositions du CCQ sur le RDPRM, 6 juillet 2018, numéro d’enregistrement 18‑0734830‑0020

(Véhicule 1136)

iii)  Contrat de vente conditionnelle

Date : 31 juillet 2018

Vendeur : Mercedes-Benz Canada Inc. (concessionnaire Mercedes)

Acheteurs : M. You Lin Jiang et Mme Wenyan Yang

Véhicule : VUS Mercedes-Benz 2018, classe GLS 450 4MATIC

Numéro d’identification du véhicule : 4JGDF6EE5JB157662

Intérêt inscrit aux termes des dispositions de la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario, L.R.O. 1990, c. P.10 (la LSM), 3 août 2018, numéro d’enregistrement 20180803 1047 1532 3524

(Véhicule 7662)

  • iv) Contrat de vente conditionnelle

Date : 21 juin 2018

Vendeur : Concessionnaire Mercedes

Acheteur : M. Min Kang Xie

Véhicule : VUS Mercedes-Benz 2018, classe GLS 450 4MATIC

Numéro d’identification du véhicule : 4JGDA5GBXJB146345

Intérêt inscrit aux termes des dispositions de la LSM, 29 juin 2018, numéro d’enregistrement 20180629 0851 1532 2079

(Véhicule 6345)

v)  Contrat de vente conditionnelle

Date : 30 août 2018

Vendeur : Concessionnaire Mercedes

Acheteurs : Mme Ming-Lai Li et M. Ka Ho Li

Véhicule : VUS Mercedes-Benz 2018, classe GLS 450 4MATIC

Numéro d’identification du véhicule : 4JGDF6EEXJB174781

Intérêt inscrit aux termes des dispositions de la LSM, 11 septembre 2018, numéro d’enregistrement 20180911 1104 1532 5784

(Véhicule 4781)

vi)  Contrat de vente conditionnelle

Date : 3 août 2018

Vendeur : Quantum Automotive Group Inc.

Acheteur : M. Mahdi Darbani

Véhicule : VUS Mercedes-Benz 2018, classe GLS 450 4MATIC

Numéro d’identification du véhicule : 4JGDF6EE4JB178678

Intérêt inscrit aux termes des dispositions de la LSM, 13 août 2018, numéro d’enregistrement 20180813 1258 1532 4731

(Véhicule 8678)

(collectivement désignés comme les « véhicules »).

[6]  Des copies des contrats de vente et des extraits d’inscription étaient joints comme pièces à l’affidavit de Mme Tasha Nue, souscrit le 2 novembre 2018 (« l’affidavit no 1 de Mme Nue »). Dans son affidavit no 1, Mme Nue nous apprend peu de choses de plus. Elle y atteste toutefois que les faits présentés dans la demande (requête) sont véridiques et qu’elle a consulté une série de courriels échangés avec M. Walter Stasyshyn, lequel n’avait fourni, à la date où elle a rédigé son affidavit, ni détail ni élément de preuve concernant l’achat présumé des véhicules par 9379‑5540 Québec Inc (« Québec Inc ») ou les droits de propriété qu’aurait la consignataire Tianjin à l’égard des véhicules.

[7]  Dans ses observations écrites initiales, Mercedes faisait valoir que des sommes lui étaient encore dues à l’égard des véhicules, qu’elle restait titulaire des droits, titres, droits de propriété et intérêts s’y rapportant, et qu’elle n’avait consenti ni à un transfert de titres ou d’intérêts à l’égard des véhicules ni à la sortie de ceux‑ci du Canada, alors que ce consentement était requis aux termes des contrats de vente.

[8]  Malgré cela, les véhicules ont été réceptionnés par Maersk à Toronto et à Montréal, ils ont été chargés sur deux navires de Maersk à Vancouver et livrés en Chine et en Corée du Sud. L’expéditeur nommé sur les connaissements est Québec Inc ou, dans le cas d’un des véhicules, Apex Global Logistics. La consignataire est Tianjin Showdilongyang International Logistics Co. Ltd ou Tianjin Zhongyshengshi Technology Development Co. C’est Worldlink qui aurait conclu les contrats de location avec Maersk pour les consignataires, quoique son nom ne figure pas sur les connaissements. Les copies des connaissements sont jointes comme pièces à l’affidavit no 1 de Mme Nue.

[9]  Mercedes soutient que les consignataires ne détenaient à aucun moment de titres valides sur les véhicules et que ni eux ni personne n’avait le droit de les faire sortir du Canada. Par ailleurs, en découvrant qu’il y avait eu rupture des contrats de vente du fait de l’expédition des véhicules hors du Canada, Mercedes a avisé la police et l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») qui, à leur tour, ont prévenu Maersk. Cependant, le temps que cette dernière réagisse, les navires ne se trouvaient plus en eaux canadiennes. Les véhicules ont été déchargés au port de Shanghai et de Busan, où ils demeurent sous la garde et le contrôle de Maersk.

[10]  Pour ce qui est des motifs de sa requête visant à obtenir une mesure injonctive, Mercedes soutient dans ses observations initiales qu’elle reste titulaire de tous les droits, titres et intérêts relatifs aux véhicules, que le risque qu’elle n’en reprenne pas la possession est extrêmement élevé si Maersk ne reçoit pas l’ordre de les ramener au Canada, et qu’il est extrêmement urgent que les véhicules soient rapatriés au Canada et confiés à la protection de la police canadienne ou de l’ASFC. Mercedes ajoute que sa requête vise principalement à s’assurer que les véhicules soient ramenés au Canada et placés sous la garde de la police en attendant qu’elle mène une enquête, afin qu’ils échappent au ressort de cours ou de tribunaux étrangers.

[11]  Maersk n’a soumis aucune observation écrite. Durant les comparutions initiales qui se sont déroulées devant moi, son avocat a indiqué qu’elle était disposée à rapatrier les véhicules si la Cour le lui ordonnait et si Mercedes assumait les frais, ce que cette dernière a accepté. Maersk a fait remarquer que le contrat de transport qu’elle a conclu avec les consignataires l’oblige à leur expédier et à leur remettre les véhicules. Il n’est donc pas loisible à Maersk de simplement rapatrier les véhicules à la demande de Mercedes.

[12]  Lors de l’audition initiale de la présente affaire, M. Stasyshyn a déclaré qu’il estimait que Tianjin avait un intérêt dans les véhicules et qu’elle devait donc pouvoir participer à l’audience sur l’injonction.

[13]  Comme je l’ai indiqué plus haut, j’ai accordé l’ordonnance provisoire autorisant Tianjin à déposer et à soumettre des observations à cet égard.

[14]  Tianjin a déposé l’affidavit de Jingbo Gao, directeur de Worldlink, souscrit le 5 novembre 2018 (« l’affidavit de M. Gao »). M. Gao déclare dans ce document que Worldlink est une entreprise de logistique et qu’il est le représentant autorisé de Tianjin au Canada. Si l’on en croit M. Gao, Tianjin voulait acheter sept véhicules Mercedes au Canada et a conclu un contrat avec Québec Inc afin qu’elle s’en charge et qu’elle les fasse transporter en Chine. Tianjin a payé à Québec Inc le montant total du prix d’achat des véhicules. Sont joints à l’affidavit de M. Gao comme pièces des documents que M. Gao présente comme des virements télégraphiques (non traduits), et des documents contractuels liant Tianjin et Québec Inc qui ont pour titres Contrat de vente et Facture commerciale. M. Gao a également joint à son affidavit des pièces qu’il a décrites comme des documents concernant le paiement, l’enregistrement et la vente des véhicules :

i)  Véhicule 7282

Silver Star Montréal (s/n Silver Start Montréal), offre d’achat destinée à Ian Nathan Widman, non datée et non signée (NIV 4JGDF6EE1JB167282), certificat d’enregistrement du Québec pour 9379‑5540 Québec Inc, et copie client d’un paiement comptant non négociable de la TD Bank adressé à Silver Star Montréal pour un montant de 115 960,62 $, payeur non identifié.

  • ii) Véhicule 1136

Mercedes-Benz Laval (Auto Classique de Laval INC), accord d’achat, acheteur Georgios Zevgolis (NIV 4JGDA5GB3JB131136), certificat d’enregistrement du Québec pour 939‑5540 INC, paiement comptant non négociable de la TD Bank adressé à Mercedes Benz Laval pour un montant de 84 344,38 $, payeur non identifié;

  • iii) Véhicule 7662

Mercedes Benz Markham (s/n Mercedes – Benz Canada Inc.), offre de financement destinée à You Lin Jiang (non signée par le concessionnaire) (NIV 4JGDF6EE5JB157662), enregistrement du véhicule en Ontario pour You Lin Jiang, paiement comptant non négociable de la TD Bank adressé à Mercedes Benz Markham pour un montant de 113 037,29 $, payeur non identifié;

  • iv) Véhicule 6345

Mercedes Benz Markham (s/n Mercedes – Benz Canada Inc.), accord d’achat, acheteur Min Kang Xie (NIV 4JGDA5GBXJB146345), permis de véhicule de l’Ontario pour Min Kang Xie, paiement comptant non négociable de la TD Bank adressé à Mercedes Benz Markham pour un montant de 84 047,92 $, payeur non identifié;

  • v) Véhicule 4781 – Aucune information;

  • vi) Véhicule 8678

Quantum Automotive Group Incorporated, accord d’achat, acheteur Mahdi Darbani (NIV 4JGDF6EE4JB178678), permis de véhicule de l’Ontario pour Darbani Mahdi, paiement comptant non négociable de la TD Bank adressé à Quantum Automotive Group Incorporated pour un montant de 106 274,68 $, payeur non identifié;

Autres :

Mercedes Benz Markham (s/n Mercedes –Benz Canada Inc.), acheteur Ping Yan Cai, (NIV 4JGDF6EE9JB182144), permis de véhicule de l’Ontario pour Pingyan Cai, paiement comptant non négociable de la TD Bank adressé à Mercedes Benz Markham pour un montant de 112 454,99 $, payeur non identifié;

Mercedes Benz Thornhill (s/n Mercedes –Benz Canada Inc.), acheteur Yangyu Chan (NIV 4JGDF6EE6JB181839), permis de véhicule de l’Ontario pour Yangyu Chan, permis de véhicule, paiement comptant de la TD Bank adressé à Mercedes Benz Thornhill pour un montant de 111 953,27 $, payeur non identifié.

[15]  M. Gao affirme avoir été surpris d’apprendre que les véhicules avaient été financés, même si les documents de Mercedes l’indiquent. Par ailleurs, il a été informé par M. Yang de chez Tianjin, dont le poste et la fonction au sein de cette entité ne sont pas expliqués, que des représentants de Québec Inc étaient allés en Chine pour chercher des occasions d’affaires auprès d’entreprises souhaitant acheter des véhicules au Canada, où les prix sont bien plus bas qu’en Chine. Tianjin a passé les commandes pour les sept véhicules décrits par M. Gao et Québec Inc s’est chargée de leur acquisition. M. Yang a indiqué à M. Gao que Québec Inc servait d’intermédiaire. Cette entreprise s’est chargée du transfert des véhicules dans l’entrepôt de Worldlink en Colombie-Britannique en vue de leur entreposage, des formalités en vue de l’expédition des véhicules et de la prise d’assurances avant l’expédition. Cependant, Worldlink n’a pas préparé les documents d’exportation ni les autres documents remis à l’ASFC. M. Gao ne précise pas qui s’en est chargé.

[16]  Il affirme par ailleurs que Worldlink comme Tianjin n’avaient rien à voir avec le présumé vol des véhicules et que la police n’a contacté ni lui ni M. Yang, quoique M. Stasyshyn ait communiqué avec l’ASFC. Une lettre datée du 24 octobre 2019 adressée par M. Stasyshyn à l’ASFC et à Maersk est jointe en tant que pièce à l’affidavit de M. Goa. Elle indique que les documents concernant les ventes entre Québec Inc et Tianjin avaient été fournis et qu’apparemment, Québec Inc n’avait pas réglé les privilèges sur les véhicules. Et même si les [traduction] « titulaires inscrits », ce qui désigne, comme me l’a appris M. Stasyshyn lorsqu’il a comparu devant moi, les acheteurs initiaux des véhicules, tels qu’ils sont identifiés par Mercedes, avaient demandé que les véhicules soient rapatriés, Tianjin avait fait la demande inverse afin de pouvoir enquêter sur ce qui s’était passé. La lettre précise que si les véhicules étaient réexpédiés au Canada, toutes les pertes et tous les dommages qui en résulteraient pour ses clients seraient imputables à l’ASFC et à Maersk et que des actions seraient prises en conséquence. La lettre indique par ailleurs que les titulaires inscrits ont conclu une entente avec Québec Inc pour que les véhicules lui soient transférés afin d’être vendus à Tianjin, et que toute question liée au paiement doit donc être résolue entre les titulaires inscrits et Québec Inc, les premiers n’ayant pas le droit d’exiger le retour des véhicules. La lettre ne précise pas comment M. Stasyshyn a eu connaissance de ces prétendus accords.

[17]  Sont également joints plusieurs courriels échangés entre M. Stasyshyn et Andrew Donaldson de l’ASFC, dont il ressort que l’ASFC n’avait pas réussi à retrouver « Jason », le propriétaire de Québec Inc; que le vol d’au moins quelques véhicules avait été signalé au Canada; que l’ASFC a effectué des vérifications pour voir où en étaient les enquêtes de la police, d’Interpol et des autorités frontalières chinoises; que tous les véhicules étaient grevés de privilèges; que les documents frauduleux présentés à l’ASFC par Worldlink semblaient avoir été envoyés par « Jason »; que le permis d’exportation inexact inscrit sur la déclaration d’exportation devait être corrigé; s’agissant d’un conteneur PONU, que les acheteurs des deux véhicules au Canada voulaient qu’ils leur soient retournés parce qu’ils n’avaient pas reçu de paiement, et que l’ASFC allait effectuer un suivi auprès des autres propriétaires; que Worldlink avait été priée de contacter « Jason », car l’ASFC le soupçonnait de n’avoir payé aucun des véhicules au Canada. Dans les autres courriels, M. Stasyshyn s’adresse à l’ASFC pour chercher à obtenir la garantie que les véhicules ne seront pas réexpédiés au Canada tant que les droits de chacun n’auront pas été déterminés de manière à ne pas porter préjudice à sa cliente, et fait remarquer que les acheteurs semblent avoir facilité une transaction frauduleuse.

[18]  Dans son affidavit, M. Goa précise également que M. Yang l’a informé que Tianjin avait déposé une action devant le tribunal maritime de Tianjin le 1er novembre 2018 mais, pour autant qu’elle sache, celui-ci n’avait rendu aucune ordonnance. Il déclare que Tianjin fait valoir qu’elle a payé les véhicules et qu’elle a donc un droit de propriété à leur égard. Il conteste les droits que Mercedes revendique à l’égard des véhicules.

[19]  Dans ses nouvelles observations venant étayer les fondements de sa requête qui vise à obtenir une mesure injonctive, Mercedes affirme qu’elle détient une sûreté dûment enregistrée qu’aurait révélée toute recherche diligente des titres des véhicules. Et même si la requête ne vise pas à obtenir une ordonnance quant à la propriété des véhicules, Mercedes soutient que l’expédition des véhicules hors du Canada n’a ni modifié ni supprimé sa sûreté et sa réserve de propriété. Par ailleurs, Tianjin n’a fourni aucune preuve attestant un achat de bonne foi ou établissant les circonstances dans lesquelles Québec Inc a obtenu les véhicules des acheteurs ou des concessionnaires initiaux. Il n’y a aucune preuve de l’existence d’une chaîne de propriété ininterrompue jusqu’à Tianjin. D’après les observations, les documents soumis par M. Goa sont incomplets et contradictoires, ils ont été altérés et ils sont douteux. À cet égard, je remarque que l’affidavit no 2 de Mme  Nue évoque divers problèmes concernant les documents; la signataire affirme que Mercedes a confirmé auprès de représentants d’Auto Classique, de Silver Start, de concessionnaires Mercedes et de Quantum qu’aucun d’eux n’a jamais obtenu les reçus de traites de la TD Bank, dont des copies étaient jointes à l’affidavit de M. Goa. Par ailleurs, les reçus de traites de la TD Bank n’indiquent pas à quel nom ils ont été émis, ce que Mme Nue sait être la pratique usuelle, ni à quoi ils se rapportent.

Tianjin et Worldlink devraient-elles être constituées comme parties à la présente requête?

[20]  Tianjin soutient que la Cour peut ordonner que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance (alinéa 104(1)b) des Règles des Cours fédérales; Constellation Brands Québec Inc. c Smart and Biggar, 2016 CF 605, au paragraphe 44). Comme elle a un intérêt bénéficiaire à l’égard des véhicules, Tianjin devrait être liée par toute décision de la Cour qui touche ses intérêts, qu’elle ne pourra pas faire valoir si elle n’est pas constituée comme partie. Tianjin avance par ailleurs que Mercedes pourrait avoir perdu les sûretés qu’elle avait enregistrées lorsque les véhicules ont été expédiés hors du Canada, et que le rapatriement des véhicules pourrait réactiver ou rétablir les privilèges, ce qui menacerait son intérêt bénéficiaire à l’égard de ces véhicules, intérêt qui procède, selon elle, du droit des fiducies (Nishi c Rascal Trucking Ltd., [2013] 2 RCS 438, au paragraphe 1). C’est la raison pour laquelle la question de la propriété n’est pas distincte de celle de savoir si Mercedes devrait obtenir une ordonnance mandatoire exigeant le rapatriement des véhicules au Canada. Tianjin devrait à tout le moins être constituée comme intervenante.

[21]  Mercedes conteste pour sa part que les sûretés enregistrées par elle aient été anéanties par l’enlèvement illégal des véhicules. Elle soutient qu’il n’est pas nécessaire de déterminer la propriété aux fins de la mesure injonctive sollicitée, cette question n’étant pertinente qu’au regard de la demande d’intervention de Tianjin. Comme les documents fournis sur ce point par cette dernière sont incomplets et douteux, ils ne lui permettent pas d’établir une forte apparence de droit quant au titre de propriété. Mercedes ne cite aucune loi à l’appui de sa position concernant l’injonction.

[22]  Comme je l’explique plus loin, étant donné que la réclamation de Mercedes contre Maersk concerne seulement le retard avec lequel elle aurait répondu à sa demande de rapatriement des véhicules, il n’est pas nécessaire que Tianjin soit une partie à cette action. Et si la Cour devait accorder une injonction exigeant le retour des véhicules, elle ne lierait que Maersk et non Tianjin. Cette dernière n’est donc pas une partie nécessaire à l’action envisagée. Cependant, comme Tianjin fait valoir un intérêt bénéficiaire, quoique contesté, à l’égard des véhicules, j’estime qu’elle devrait se voir reconnaître le statut d’intervenante dans la présente instance de manière à ce que sa position soit connue de la Cour.

[23]  L’article 109 des Règles régit les autorisations d’intervenir. Les critères à remplir pour se voir accorder le statut d’intervenant ont été énoncés en ces termes :

1)  L’intervenant éventuel est‑il directement touché par l’issue de l’instance?

2)  Y a‑t‑il une question qui relève de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?

3)  S’agit‑il d’un cas où il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

4)  La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

5)  L’intérêt de la justice sera‑t‑il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?

6)  La Cour peut-elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?

(Rothmans, Benson & Hedges Inc. c Canada (Procureur général), [1990] CF 90 (C.A.), confirmé dans Sport Maska Inc. c Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44 (« Sport Maska »)).

[24]  Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Sport Maska que les critères à remplir pour accueillir ou rejeter une requête en intervention doivent demeurer souples, car chaque requête est différente. En définitive, la question qui se pose dans tous les cas est de savoir si l’intérêt de la justice commande que la requête en intervention soit accueillie ou rejetée. La notion d’intérêt de la justice est générale, ce qui permet à la Cour de considérer à la fois ses propres intérêts et ceux des parties au litige.

[25]  Je suis convaincue que, dans les présentes circonstances, Tianjin et Worldlink devraient se voir accorder le statut d’intervenante, car l’intérêt supposé de Tianjin ne serait autrement pas connu de la Cour, ce qui ne serait pas dans l’intérêt de la justice.

[26]  Il n’est pas nécessaire que je statue sur la validité de l’argument de Tianjin suivant lequel, même si elle a acheté et payé les véhicules au Canada, les sûretés enregistrées antérieurement par Mercedes ont été anéanties par l’enlèvement desdits véhicules, en contravention des contrats de vente conclus entre les concessionnaires et les acheteurs initiaux et, le cas échéant, que les sûretés pourraient être rétablies ou renouvelées par le rapatriement des véhicules au Canada, ce qui porterait alors préjudice à Tianjin. Cependant, je n’accepte pas la prétention de cette dernière selon laquelle elle détient un intérêt bénéficiaire fondé sur le droit des fiducies, ainsi qu’elle le fait valoir. Cet argument ne s’appuie sur aucune preuve.

[27]  Par conséquent, Tianjin et Worldlink sont constituées comme parties intervenantes à la présente requête.

La mesure injonctive demandée par Mercedes devrait-elle être accordée?

[28]  Dans l’arrêt R. c Canadian Broadcasting Corp., 2018 CSC 5 (« Canadian Broadcasting »), la Cour suprême du Canada a récemment examiné le cadre d’analyse applicable en matière de délivrance d’une injonction interlocutoire, et cité ses précédents arrêts Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110, et RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 (« RJR—MacDonald »), dans lesquels elle avait jugé que les demandes visant à obtenir une telle injonction devaient satisfaire à chacun des trois volets du critère énoncé dans la décision American Cyanamid Co c Ethicon Ltd, [1975] AC 396. À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien-fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est‑à‑dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

[29]  Dans l’affaire Canadian Broadcasting, les tribunaux d’instance inférieure avaient toutefois appliqué un seuil plus exigeant, ce qui soulevait pour la première fois devant la Cour suprême la question de savoir quel seuil devrait être effectivement appliqué à la première étape lorsque le demandeur sollicite une injonction interlocutoire mandatoire. La Cour a écrit ceci :

[15]   À mon avis, lorsqu’il s’agit d’examiner une demande d’injonction interlocutoire mandatoire, le critère approprié pour juger de la solidité de la preuve du demandeur à la première étape du test énoncé dans RJR—MacDonald n’est pas celui de l’existence d’une question sérieuse à juger, mais plutôt celui de savoir si le demandeur a établi une forte apparence de droit. Une injonction mandatoire intime au défendeur de faire quelque chose — comme de rétablir le statu quo —, ou d’autrement [traduction] « restaurer la situation », ce qui est souvent coûteux et pénible pour le défendeur et ce que de longue date l’equity a été réticente à faire. Une telle ordonnance est également (règle générale) difficile à justifier à l’étape interlocutoire, puisque la réparation qui vise à restaurer la situation peut habituellement être obtenue au procès. De plus, comme l’a exprimé le juge Sharpe (dans un ouvrage de doctrine), « le risque qu’un tort soit causé au défendeur est [rarement] moins important que le risque couru par le demandeur du fait de la décision du tribunal de ne pas agir avant le procès ». Les conséquences potentiellement sérieuses pour un défendeur du prononcé d’une injonction interlocutoire mandatoire, y compris la décision finale relativement à la poursuite en faveur du plaignant, exigent en outre ce que la Cour a décrit dans RJR—Macdonald comme étant « un examen approfondi sur le fond » à l’étape interlocutoire.

[16]  Dans certains cas, un dernier élément devra être examiné, soit que, parce que les injonctions interlocutoires mandatoires requièrent que le défendeur fasse quelque chose, elles peuvent constituer un fardeau plus important ou avoir des conséquences coûteuses pour lui. Il faut toutefois garder à l’esprit que le respect d’injonctions prohibitives peut entraîner des coûts aussi lourds que ceux découlant des injonctions mandatoires. Tout en concluant que les demandes d’injonctions interlocutoires mandatoires doivent être examinées à la lumière d’une version modifiée du test énoncé dans RJR—MacDonald, je reconnais qu’il peut être difficile de faire une distinction entre les injonctions mandatoires et les injonctions prohibitives, puisqu’une injonction interlocutoire au libellé prohibitif peut avoir [traduction] « l’effet de forcer le défendeur à faire quelque chose ». Par exemple, en l’espèce, cesser de diffuser les renseignements établissant l’identité de la victime requerrait qu’un employé de la SRC prenne les mesures nécessaires pour retirer ces renseignements du site Web de l’entreprise. En définitive, le juge de première instance, lorsqu’il qualifie l’injonction interlocutoire de mandatoire ou de prohibitive, doit regarder au‑delà de la forme et du libellé de la demande sollicitant l’ordonnance de manière à déceler l’essence de ce qui est recherché et, à la lumière des circonstances particulières de l’affaire, à déterminer [traduction] « quelles risquent d’être les conséquences pratiques de l’injonction ». Bref, le juge de première instance doit examiner si, en substance, l’effet global de l’injonction consisterait à exiger du défendeur qu’il fasse quelque chose ou qu’il s’abstienne de le faire.

[30]  Quant à savoir ce qu’implique une « forte apparence de droit », cela signifie que, lors de l’examen préliminaire de la preuve, le juge de première instance doit être convaincu qu’il y a une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que le demandeur réussira ultimement au procès à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance. La Cour a conclu ce qui suit :

[18]  En résumé, pour obtenir une injonction interlocutoire mandatoire, le demandeur doit satisfaire à la version modifiée que voici du test établi dans RJR—MacDonald :

1)  Le demandeur doit établir une forte apparence de droit qu’il obtiendra gain de cause au procès. Cela implique qu’il doit démontrer une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, il réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance;

2)  Le demandeur doit démontrer qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction n’est pas accueillie;

3)  Le demandeur doit démontrer que la prépondérance des inconvénients favorise la délivrance de l’injonction.

[31]  En l’espèce, Mercedes n’a pas encore déposé l’action sous-jacente. L’article 372 des Règles prévoit à cet égard :

372(1) Une requête ne peut être présentée en vertu de la présente partie avant l’introduction de l’instance, sauf en cas d’urgence.

(2) La personne qui présente une requête visée au paragraphe (1) s’engage à introduire l’instance dans le délai fixé par la Cour.

[32]  Dans ses observations écrites initiales, Mercedes déclarait que l’affaire était urgente et qu’elle s’était efforcée d’introduire l’instance dans le délai et les conditions fixées par la Cour. À la première audience, la question principale concernait la participation éventuelle de Tianjin à la requête. L’ordonnance provisoire que j’ai rendue a permis de garder les choses en suspens jusqu’à la prochaine date d’audience où je disposerais des observations de Tianjin; cette ordonnance ne concernait pas le dépôt d’une déclaration par Mercedes.

[33]  Lorsque la requête m’a à nouveau été présentée hier, j’ai demandé à Mercedes quelle action elle envisageait. Son avocat a répondu qu’étant donné que je n’avais pas rendu d’ordonnance, sa cliente avait compris qu’elle n’avait pas besoin de déposer une déclaration entre la délivrance de l’ordonnance provisoire et la reprise de l’instruction.

[34]  Sans égard au fait qu’une déclaration n’a pas encore été déposée, j’ai fait remarquer que les observations de Mercedes ne me permettaient pas de déterminer le fondement de sa réclamation contre Maersk – c’est‑à‑dire l’action sous-jacente censée fonder sa requête en injonction. Cette question était pertinente pour l’évaluation du premier des trois volets du critère, à savoir que Mercedes doit démontrer une forte apparence de droit qu’elle obtiendra gain de cause au procès contre Maersk.

[35]  Pressé de fournir une réponse, M. Prager a déclaré que le fondement de l’action sous-jacente contre Maersk tenait au fait que cette dernière avait tardé à réagir après avoir été avisée que les véhicules ne devaient pas sortir du Canada. Je note que Mercedes n’a soumis aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation.

[36]  À mon avis, cette déclaration soulevait par contre une question de compétence. Comme il n’y a pas de relation contractuelle entre Maersk et Mercedes en ce qui concerne les véhicules, Mercedes n’est pas une partie aux connaissements. Pour que la Cour ait compétence en vertu de l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, navigation et marine marchande, l’action doit relever de l’une des rubriques énumérées. Cependant, Mercedes n’aborde nullement dans ses observations le fondement de son action, et n’a pas non plus expliqué lorsqu’elle a comparu devant moi à quel titre la Cour aurait compétence relativement à l’action sous-jacente. M. Prager a déclaré que Mercedes n’avance pas que Maersk était partie au stratagème frauduleux grâce auquel les véhicules ont été transportés hors du Canada, et je fais effectivement remarquer qu’une telle allégation échapperait très probablement à la compétence de la Cour.

[37]  L’avocat de Maersk a indiqué pour sa part que c’était la première fois qu’il entendait parler de l’action envisagée par Mercedes. Bien qu’aucun élément de preuve n’ait été soumis à la Cour sur la question, il a déclaré que les véhicules avaient en fait été chargés en septembre et que Maersk a été contactée pour la première fois par l’ASFC le 4 octobre 2018, et par l’avocat de Mercedes le 31 octobre suivant. L’ASFC a demandé à Maersk de ramener les véhicules alors que les navires qui les transportaient étaient déjà en mer. Cependant, l’ASFC n’avait pas compétence pour faire une telle demande puisque les véhicules ne se trouvaient plus au Canada ni dans les eaux canadiennes. L’avocat de Maersk a rappelé que sa cliente ne pouvait pas simplement rompre son contrat de transport à la demande d’une tierce partie. Elle est toutefois disposée à ramener les véhicules si la Cour le lui ordonne et si Mercedes est prête à assumer tous les frais (d’aller-retour et connexes). J’imagine que Maersk a également pris en compte la lettre de M. Stasyshyn dans laquelle il menace d’intenter une action en justice contre elle et l’ASFC si les véhicules étaient rapatriés au Canada. Maersk est en somme prise entre deux feux. Son avocat a fait savoir qu’en cas de dépôt d’une déclaration, Maersk entend se défendre et se réserve le droit de contester la compétence de la Cour.

[38]  À mon avis, ces circonstances donnent à penser que Maersk n’est en fait qu’une partie de convenance en l’espèce. Les véhicules se trouvent dans son entrepôt et elle dispose de navires pour les rapatrier. Les observations et la preuve que Mercedes a déposées dans la présente requête ne révèlent pas de véritables préoccupations quant à la conduite de Maersk et à la rapidité avec laquelle elle a réagi à la demande de rapatriement des véhicules, mais ont plutôt trait à la présumée fraude.

[39]  C’est ce que confirment les observations initiales de Mercedes dans lesquelles elle déclare que sa requête vise principalement à s’assurer que les véhicules soient rapatriés au Canada pour être confiés à la garde de la police en attendant qu’elle mène enquête, afin qu’ils échappent au ressort éventuel de cours et de tribunaux étrangers.

[40]  Il est vrai que, dans certains cas, une mesure injonctive peut être prise contre une personne qui n’est pas partie à l’action sous-jacente. Par exemple, des tiers peuvent être visés par des injonctions interlocutoires s’ils sont mêlés à un point tel aux actes fautifs d’autres personnes qu’ils facilitent le préjudice, même s’ils n’ont commis eux-mêmes aucun acte répréhensible (Google Inc. c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34). Cependant, ce n’est pas ce que Mercedes soutient en l’espèce.

[41]  Lors de l’audience initiale, je me suis dite préoccupée par le manque d’attention portée au critère relatif à la délivrance d’une injonction, et notamment quant à la question de savoir si Mercedes avait établi l’existence d’un préjudice irréparable. J’ai présumé qu’en autorisant Mercedes à déposer un nouveau mémoire des faits et du droit, elle en profiterait pour aborder la question. Or, Mercedes affirme que mon ordonnance provisoire lui a donné à penser que j’étais convaincue qu’elle remplissait le critère, si bien qu’elle a présumé qu’elle devait uniquement traiter de l’ajout de Tianjin au regard de la requête et de l’intérêt déclaré de Tianjin à l’égard des véhicules.

[42]  Cette position me pose problème mais, quoi qu’il en soit, même dans ses observations initiales, Mercedes n’a pas fait la moindre mention du critère. Elle n’a cité aucune règle de droit à l’appui de sa demande visant à obtenir une injonction mandatoire forçant Maersk à rapatrier les véhicules. Elle n’a pas non plus fourni de preuve qui confirme qu’il existait une forte apparence de droit contre Maersk.

[43]  Par ailleurs, je conviens avec Tianjin que Mercedes n’a pas établi de façon claire et non hypothétique qu’elle subira un préjudice irréparable si les véhicules ne sont pas ramenés au Canada. Je note qu’aucun des affidavits de Mme Nue n’aborde directement cette question. De plus, les contrats de vente contiennent des clauses aux termes desquelles l’acheteur est tenu de verser à Mercedes toutes les sommes dues en vertu du contrat si le véhicule est endommagé, détruit ou manquant. Ainsi, Mercedes peut poursuivre les acheteurs au titre des contrats de vente cédés. Lesdits contrats obligent en outre l’acheteur à assurer les véhicules contre le vol et d’autres risques, tant et aussi longtemps que les sommes dues aux termes du contrat sont impayées, les indemnités étant payables à Mercedes.

[44]  Par conséquent, nous pouvons imaginer que si les véhicules ont été volés aux acheteurs initiaux, Mercedes est assurée contre le risque. Par ailleurs, si les acheteurs initiaux étaient complices de la fraude et du transport des véhicules hors du Canada, Mercedes dispose d’un droit d’action contre eux pour rupture de contrat et dommages-intérêts; elle peut aussi porter l’affaire devant les tribunaux criminels. Cela étant dit, je reconnais qu’il n’y a aucune certitude de recouvrement contre ces parties, quand bien même l’action civile serait accueillie.

[45]  Dans ses dernières observations, Mercedes déclare que si les véhicules ne sont pas rapatriés au Canada, il existe un [traduction] « risque clair que justice ne soit pas rendue, que MBFS [Mercedes] ne recouvre jamais la possession desdits véhicules, que l’ASFC et que la police canadienne soient privées d’éléments importants pour leur enquête, et que ceux qui ont pris part à l’exportation illégale, quels qu’ils soient, soient poussés à poursuivre cette entreprise lucrative ». Tout cela est peut-être vrai et ces préoccupations sont légitimes. Toutefois, je ne dispose d’aucune preuve attestant la nécessité de rapatrier les véhicules aux fins de l’enquête criminelle. De plus, la réparation que Mercedes demande à la Cour est une mesure injonctive fondée sur une action sous-jacente qu’elle envisage contre Maersk. Les mesures injonctives mandatoires ne sont pas des recours autonomes. Par conséquent, rien ne justifie en l’espèce de délivrer une injonction visant le recouvrement de biens qui auraient été frauduleusement transportés hors du Canada pour aider à une enquête criminelle et éviter que des tribunaux étrangers se déclarent compétents ou les en dissuader.

[46]  Quant à la prépondérance des inconvénients, ce facteur est assurément favorable à Mercedes. Comme elle est disposée à rembourser à Maersk les frais de rapatriement des véhicules, la délivrance de l’injonction n’imposerait aucun fardeau à cette dernière. Par ailleurs, il est tout à fait clair et incontesté que l’enlèvement des véhicules du Canada supposait un élément de fraude dont les paramètres ne sont toutefois pas établis. Bien que Mercedes n’ait produit aucune preuve sur la question, son avocat m’a affirmé qu’en fait 40 voitures étaient visées et que des actions avaient été engagées devant d’autres tribunaux. Dans ces circonstances, je n’accorde pas non plus beaucoup de poids à l’observation de Tianjin suivant laquelle elle subira un préjudice si les véhicules sont rapatriés au Canada et que ce retour rétablirait ou maintiendrait la validité des sûretés enregistrées par Mercedes. Dans l’ensemble, l’équité est favorable à Mercedes qui tente, comme elle l’a dit, de frapper au cœur d’un problème répandu de fraude. Cependant, le critère relatif aux mesures injonctives est conjonctif, le fardeau de la preuve repose sur Mercedes et les deux premiers volets du critère n’ont pas été remplis. Par conséquent, la requête doit être rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1929‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. Tianjin Zhongyishengshi Technology Development Co. Ltd et Worldlink Logistics Inc. sont constituées comme intervenantes dans la présente affaire et l’intitulé est modifié en conséquence;

  2. La requête de Mercedes visant à obtenir une injonction interlocutoire est rejetée;

  3. Mon ordonnance provisoire est caduque;

  4. Compte tenu des circonstances, aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de janvier 2019

Sandra de Azevedo, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1929‑18

 

INTITULÉ :

MERCEDES-BENZ FINANCIAL SERVICES CANADA CORPORATION c MAERSK LINE A/S et TIANJIN ZHONGYISHENGSHI TECHNOLOGY DEVELOPMENT CO. LTD et WORLDLINK LOGISTICS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 NOVEMBRE 2018

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

La JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Vincent Prager

Marianne Bastille-Parent

Elaine Gray

POUR La demanderesse

 

 

Peter G. Pamel

Sarah Sweet

 

POUR la défenderesse

 

 

Walter Stasyshyn

POUR LES INTERVENANTES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada LLP

Montréal (Québec)

POUR La demanderesse

 

Borden Ladner Gervais LLP

Montréal (Québec)

 

POUR La défenderesse

 

Walter Stasyhyn

Toronto (Ontario)

POUR LES INTERVENANTES

 

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