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Date : 08112018


Dossier : T‑1635‑17

Référence : 2018 CF 1122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ALLAN BRADLEY ZALYS

demandeur

et

LE SURINTENDANT P. LEBRUN DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA (DÉFENDEUR)

JENNIE LATHAM (ARBITRE)

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Allan Bradley Zalys, qui n’était pas représenté par un avocat, dépose la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision (la décision) rendue par une arbitre de niveau II nommée en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R‑10. Cette décision, datée du 8 juin 2017, constituait une nouvelle audience relativement à une décision d’un arbitre de niveau I datée du 13 mars 2016 et a rejeté le grief que le demandeur avait déposé en janvier 2013. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.  Contexte

[2]  Le 22 août 2012, le demandeur a pris sa retraite de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) au grade de sergent d’état-major, après un peu plus de 37 années de service. Avant de prendre sa retraite, il avait demandé son renvoi et le paiement de ses congés annuels inutilisés, ce qui, pensait‑il, comprendrait la solde de service accumulée. Le demandeur a reçu un paiement équivalant à 1 398 heures de congés annuels, mais ce paiement n’incluait aucune somme correspondant à la solde de service accumulée.

[3]  La solde de service est décrite comme une indemnité de maintien en poste accordée aux membres en vue de récompenser ceux qui restent dans la GRC. Cette indemnité leur est versée en fonction de la durée de leur service et elle est calculée en pourcentage de leur solde. Elle augmente par tranches de cinq ans de service au sein de la GRC. Elle est habituellement payée sous forme de rémunération lorsqu’un membre prend un congé annuel, auquel cas elle ouvre droit à pension. Si un membre n’utilise pas la totalité de ses congés annuels, ceux-ci sont mis en réserve, tout comme la solde de service. S’il subsiste des congés annuels accumulés au moment où le membre prend sa retraite, ils sont toujours payés en guise et lieu de rémunération. Toutefois, le défendeur est d’avis que la solde de service peut être payée ou non avec les congés annuels au moment de la retraite, suivant la manière dont ces congés sont payés.

[4]  Après que le demandeur a pris sa retraite par voie de renvoi volontaire, on l’a informé qu’un membre n’avait le droit de recevoir la solde de service qu’en restant en service et en la recevant sous forme de rémunération, de pair avec les congés annuels inutilisés à prendre et à épuiser jusqu’à la date de la retraite. Pendant la période qui précède la retraite et tout en recevant une rémunération pour les congés annuels accumulés, le membre peut aussi en profiter en accumulant du temps supplémentaire et, peut-être, en montant en grade aux fins du calcul du service ouvrant droit à pension. En revanche, le membre demeure disponible pour rappel tout en restant au sein de la GRC et en épuisant ses congés accumulés.

[5]  Le demandeur ne pouvait pas accumuler d’autre temps ouvrant droit à pension. Il ignorait qu’on ne lui paierait pas la solde de service ou que celle-ci ne serait pas appliquée à sa pension de retraite. Il ne souhaitait pas se trouver dans la position où on pouvait le rappeler. Il a donc décidé de ne recevoir qu’un montant forfaitaire représentant ses congés annuels accumulés, un montant qui, pensait‑il, inclurait la solde de service qu’il avait accumulée et mise en réserve. Ce n’est qu’après avoir décidé d’être renvoyé qu’il a découvert que le montant payé n’incluait pas la solde de service accumulée, soit la somme de 7 257,01 $.

[6]  Le 2 janvier 2013, après plusieurs mois d’échanges de courriels avec les Services nationaux de rémunération, le demandeur a déposé un grief, alléguant qu’on l’avait privé, à son renvoi, de la solde de service qu’il avait accumulée, soit un montant de 7 231,57 $, et qui n’était pas considérée ou calculée comme des services ouvrant droit à pension.

[7]  Selon des discussions qu’il avait eues avec des employés des services de rémunération de la GRC, il croyait comprendre que le grief portait essentiellement sur le sens de l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation », qui figure à l’article 7.1 du Manuel d’administration (le MA) ainsi que du Manuel national de la rémunération (le MNR). Si l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation » était censée inclure les indemnités, le montant payé au titre des congés annuels du demandeur avait été évalué de manière inexacte, tandis que si cette expression était censée exclure les indemnités, le demandeur avait reçu le montant exact en guise de paiement à son renvoi.

[8]  Le 13 mars 2016, le demandeur a reçu la décision définitive de l’arbitre de niveau I, lequel a conclu qu’il n’avait pas droit à la solde de service lors du paiement de ses congés annuels. Cet arbitre a conclu que la solde de service était réservée aux membres en service de la GRC, c’est‑à‑dire qu’elle n’était payée qu’avec les congés annuels s’ils étaient pris avant la retraite. Le demandeur, en tant que membre à la retraite, ne touchait plus de rémunération, ce qui mettait fin à son droit à la solde de service. L’arbitre a donc déterminé que le demandeur n’avait pas établi que le défendeur agissait d’une manière contraire à la loi.

[9]  Le 18 avril 2016, le demandeur a présenté une demande de révision au niveau II du processus de règlement des griefs, processus au cours duquel l’arbitre a rendu une nouvelle décision (la décision de niveau II). C’est cette décision‑là qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[10]  L’arbitre a examiné le MA, de même que le MNR, pour y relever les définitions pertinentes, lesquels faisaient tous deux référence au même article 7.1. Celui‑ci prévoit que si un membre décède ou est renvoyé de la GRC, un montant égal au nombre de jours de congés annuels acquis mais non utilisés, calculé en fonction du « taux de rémunération du niveau de titularisation » à la date du décès ou du renvoi, est payé. Cependant, l’arbitre a conclu qu’aucune des politiques en question ne comportait une définition de l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation». Elle a ensuite examiné la définition de l’expression « taux de rémunération » – définie dans le MNR comme « un taux de rémunération annuel sans indemnité ou toute autre forme de rémunération » et a conclu qu’il paraissait [traduction] « clair » que la solde de service ne serait pas incluse dans le calcul. L’arbitre a néanmoins consulté la définition anglaise du mot « substantive » que donne l’Oxford Dictionary et a conclu qu’il signifie [traduction] « avoir une existence distincte et indépendante », ce qui dénote un sens restrictif plutôt qu’une extension du terme que ce mot décrit. Par conséquent, l’arbitre a conclu que le mot « substantive » ne pouvait désigner que la partie essentielle du taux de rémunération ou la rémunération de base, plutôt qu’une rémunération qui dépend du montant des indemnités attribuées à chaque employé particulier. La définition de l’expression « substantive salary », c’est‑à‑dire, dans le présent contexte, le « taux de rémunération du niveau de titularisation », ne pouvait désigner, selon l’arbitre, qu’une rémunération de base exempte de toute autre forme de rémunération.

[11]  L’arbitre a également fait référence à l’article 6.1.1 des deux manuels, où l’on emploie l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation » à l’égard du paiement de la banque de congés annuels des officiers qui excède le droit au report de congés, et qui indique expressément que « [l]es indemnités ou les primes de rendement ne sont pas comprises ». L’arbitre a conclu que l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation » était systématiquement appliquée aux paiements de la rémunération de base des membres, sans aucune indemnité ou autre forme de rémunération, ce qui devrait s’appliquer de la même façon à la situation du demandeur.

[12]  L’arbitre a donc conclu que le demandeur n’avait pas établi que la décision du défendeur de lui accorder le paiement de ses congés annuels sans y inclure la solde de service était contraire à la loi et aux politiques de la GRC ou du Conseil du Trésor. Son grief a donc été rejeté une seconde fois.

II.  Norme de contrôle

[13]  Pour ce qui est du contrôle de la décision d’un arbitre de la GRC, la Cour souscrit au raisonnement qu’a adopté la juge Strickland dans l’affaire Su c Canada (Procureur général), 2017 CF 645, aux paragraphes 42 et 43 :

[42]  Je suis d’accord avec le défendeur que la décision du commissaire est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Les parties n’ont indiqué aucun jugement à l’égard de la norme de contrôle devant être appliquée à la décision du commissaire concernant un appel d’une ordonnance rendue en application du sous-alinéa 22(2)a)(ii) de la Loi sur la GRC, mais la Cour a conclu par le passé que la décision d’un arbitre ou du commissaire de la GRC devait recevoir une grande déférence en raison de leur expertise spécialisée et de leurs vastes pouvoirs, surtout lorsque la décision fait intervenir le processus interne de grief ou les politiques internes de la GRC (Mousseau, au paragraphe 15; Boogaard, aux paragraphes 32 et 33; voir également Storozuk, aux paragraphes 24 à 27; Schamborzki c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1262, au paragraphe 30 et Camara c. Canada, 2015 CAF 43, aux paragraphes 6 et 19). Je suis également d’accord avec le défendeur que l’interprétation des Consignes du commissaire et du manuel d’administration doit être révisée en fonction de la norme de la décision raisonnable puisqu’il s’agit de l’interprétation par la GRC de ses propres politiques internes, pour lesquelles elle possède une certaine expertise (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51 (« Dunsmuir »); Alberta Teachers’, aux paragraphes 30, 39 et 48; Beaulieu, aux paragraphes 41 à 44; Irvine, au paragraphe 27).

[43]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59).

III.  Analyse

A.  Il incombe à la GRC d’établir que l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation » exclut la solde de service à l’article 7.1.

[14]  L’arbitre a convenu avec le demandeur que le sens à donner à l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation » qui figure à l’article 7.1 du MNR ou du MA précédent, relativement au paiement versé au décès ou au renvoi d’un membre, était le [traduction] « nœud du litige ». L’arbitre a indiqué de façon plus restrictive qu’elle admettait que [traduction] « si l’expression "taux de rémunération du niveau de titularisation", qui figure à l’article 7.1, est censée inclure les indemnités, le montant payé au demandeur a été évalué de manière inexacte ».

[15]  Cependant, la Cour est respectueusement d’avis que l’arbitre a entrepris son analyse du mauvais pied quand, après avoir fait référence à la définition non ambiguë de l’expression « taux de rémunération » dans le MNR, une définition qui exclut les indemnités, elle conclut qu’il semble être [traduction] « clair » que la solde de service est exclue lorsqu’elle est payée dans toutes les circonstances.

[16]  Elle fait ensuite négativement abstraction des arguments qu’invoque le demandeur en signalant que celui-ci s’est [traduction] « arrêté » au mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision), en soutenant que ce dernier doit avoir un autre sens qui a pour but de donner plus d’extension au terme défini. Non seulement le demandeur avait‑il raison de mettre en évidence la question déterminante, comme l’arbitre l’a reconnu, mais il s’agit aussi d’un argument très raisonnable de dire que si l’on ajoute des mots supplémentaires à l’expression « taux de rémunération », qui est définie de manière non ambiguë et qui exclut les indemnités demandées, ces mots supplémentaires doivent être sûrement destinés à avoir une certaine incidence sur le sens de l’expression, ce qui pourrait fort bien inclure dans les circonstances une intention d’étendre la définition.

[17]  On tient pour acquis que chacun des mots qu’emploient les rédacteurs de documents établissant les droits juridiques de particuliers a été choisi de manière délibérée et est destiné à contribuer au sens de l’objet de ces documents. Le législateur n’inclut pas dans ses lois des termes inutiles ou dénués de sens : Canada (Procureur général) c JTI-Macdonald Corp., 2007 CSC 30, au paragraphe 87, R c Kelly, [1992] 2 RCS 170. Ce raisonnement s’applique également à l’interprétation des politiques qui régissent des questions importantes, telles que le paiement de la rémunération des employés. En l’espèce, le terme supplémentaire « substantive » (dans la version anglaise de la décision) rend, à tout le moins, ambiguë l’interprétation du calcul du paiement des congés annuels en cas de renvoi ou de décès.

[18]  L’arbitre entreprend ensuite de critiquer et, en fait, déforme l’observation du demandeur, non représenté par un avocat, comme suit : [traduction] « [l]e problème que pose l’affirmation du plaignant est que celui-ci ne fournit aucune politique ou définition à l’appui de sa théorie. Il soutient essentiellement qu’en l’absence d’une définition, c’est son interprétation qui doit prévaloir ». Elle semble laisser entendre qu’il incombait au demandeur de fournir une politique ou une définition qui établirait le sens de l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation » que l’on retrouve dans les manuels du défendeur. En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec cette hypothèse.

[19]  L’argument du demandeur, si on lit entre les lignes, est tout à fait correct. Si le défendeur ne fournit pas une définition claire du mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision), le demandeur devrait avoir gain de cause.

[20]  Si le sens défini et non ambigu de l’expression « taux de rémunération » est rendu ambigu à cause de la formulation de l’employeur, telle qu’elle s’applique à la situation du demandeur, il incombe assurément à l’employeur de présenter une définition ou une explication claire dans les documents dont disposent les membres pour les guider dans les choix qui s’offrent à eux quand ils quittent la Gendarmerie.

[21]  La Cour est d’avis qu’il s’agit ici d’une affaire dans laquelle il est important de faire une distinction entre la situation d’une partie qui a le fardeau juridique d’établir que la décision du décideur était déraisonnable, et le fardeau qu’a une partie quelconque, à quelque moment que ce soit, de faire la preuve d’une question donnée, y compris une question qui est susceptible de trancher l’affaire.

[22]  De l’avis de la Cour, la GRC ne peut pas se soustraire à son obligation de fournir à ses membres des directives qui sont claires et ne créent pas de confusion au sujet d’une question aussi importante pour eux que leurs conditions à la retraite, et aussi simple à exprimer que le calcul du paiement des congés annuels accumulés. Cela a été fait, après tout, aux articles 6.1.1 et 6.1.2, pour ce qui est de l’officier cadre.

[23]  La Cour convient avec le demandeur qu’il est important que la solde de service soit une rémunération acquise et mise en réserve. Les politiques ou les directives qui éliminent une chose qui a été acquise et qui, est‑il convenu, peut-être mise en réserve et payée ultérieurement doivent être exprimées le plus clairement possible. Cela signifie qu’il aurait fallu présenter un texte clair, dénotant le caractère éventuel de la solde de service au moment du renvoi, et surtout dans les dispositions régissant le cumul de la solde de service, et clairement répété dans les conditions de paiement en cas de renvoi ou de décès. Par ailleurs, cela aurait dû être suivi d’une forme quelconque de protocole de retraite, qui obligerait le demandeur à donner son accord au moment de renoncer à son droit de recevoir la solde de service. La situation est comparable à celle d’une compagnie d’assurance, qui n’oserait pas éliminer une forme de couverture antérieurement offerte sans le signaler de manière expresse à un endroit très évident, ou, de préférence, sans faire expressément approuver cette mesure par la signature de l’assuré.

[24]  Cela concorde avec le principe général d’interprétation qui favorise, d’une part, une interprétation généreuse des dispositions législatives qui confèrent des avantages au demandeur, comme des mesures de protection de l’emploi, et, d’autre part, une interprétation stricte des dispositions qui restreignent ou entravent les droits que créent de telles dispositions : Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 36. Autrement dit, il faut une disposition législative explicite pour priver une personne de droits dont elle jouit par ailleurs sur le plan juridique : Société de crédit commercial GMAC – Canada c T.C.T. Logistics Inc., [2006] 2 RCS 123, au paragraphe 51.

[25]  Il incomberait donc à la GRC de fournir une définition claire de l’expression « taux de rémunération du niveau de titularisation », de façon à exclure la solde de service acquise, dans la mesure où l’article 7.1 semble être le seul avis donné aux membres au sujet de leurs droits à l’égard des montants payés au moment du renvoi. Sur ce point, la Cour conclut que s’il existe une preuve de directives connexes ou d’un protocole de renvoi qui aideraient à renseigner sur cette question les membres qui prennent leur retraite, aucune n’a été présentée à l’arbitre pour étayer l’équité et la cohérence de l’application de la disposition.

[26]  Un énoncé inexact ou une sous-estimation du fardeau qu’a l’employeur de fournir une définition claire du sens du mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) à l’article 7.1 suffit probablement pour infirmer la décision et la renvoyer à un arbitre différent pour examen. Toutefois, étant donné que la Cour est convaincue en fin de compte que le sens clair du mot « substantive » n’a rien à voir avec les indemnités et qu’elle ordonne que l’affaire soit renvoyée avec pour instruction d’adopter une interprétation qui confirme la position du demandeur, elle procédera au reste de son analyse à l’appui de son ordonnance définitive.

B.  L’interprétation contextuelle que fait l’arbitre des articles 6.1.1 et 6.2.2 par rapport à l’article 7.1 est déraisonnable.

[27]  La Cour critique l’interprétation contextuelle que fait l’arbitre de l’article 7.1 en se fondant sur les mots « taux de rémunération du niveau de titularisation de base », qui figurent aux articles 6.1.1 et 6.2.2. Ces dispositions régissent le paiement des crédits de congés annuels excédentaires que les officiers cadres mettent en réserve. Ces deux dispositions excluent expressément les indemnités du paiement de ces crédits.

[28]  La Cour convient que le mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) devrait avoir le même sens aux articles 6.1.1, 6.2.2 et 7.1. Cependant, elle conclut qu’une fois que l’on prend en compte dans l’interprétation le mot « base », l’interprétation contextuelle la plus raisonnable des articles 6.1.1 et 6.2.2 est que le mot « base » est destiné à exprimer l’exclusion des indemnités, et non le mot « substantive ».

[29]  Les trois dispositions sur lesquelles la Cour met l’accent sont les suivantes :

6. Paiement des congés annuels à l’officier cadre

6.1. Le 31 mars, le membre qui est officier cadre et dont la réserve de congés annuels dépasse une année d’acquis se fait automatiquement payer les crédits de congés excédentaires jusqu'à concurrence d'une année d’acquis.

6.1.1. Le paiement est calculé en fonction du taux de rémunération du niveau de titularisation de base du membre en vigueur le 31 mars de l'année de référence en cours. Les indemnités ou les primes de rendement ne sont pas comprises.

[…]

6.2.2. Le paiement volontaire est calculé en fonction du taux de rémunération du niveau de titularisation de base du membre en vigueur le 31 mars de l'année de référence précédente. Les indemnités ou les primes de rendement ne sont pas comprises.

7. Paiement des congés annuels au renvoi ou au décès

7.1. Lorsque le membre est renvoyé de la GRC ou qu’il meurt, le membre ou sa succession reçoit un montant égal au nombre de jours de congé annuel acquis mais non utilisés au crédit du membre, calculé à son taux de rémunération du niveau de titularisation le jour du renvoi ou du décès.

[30]  Au paragraphe 71 de ses motifs, après avoir fait remarquer que les membres qui sont officier cadre dont les congés annuels excèdent ceux qu’ils ont le droit de reporter verront le solde payé en fonction du « taux de rémunération du niveau de titularisation de base », exclusion faite de toute indemnité ou prime de rendement, l’arbitre arrive à la conclusion suivante, sans motifs :

[traduction]

[71]  Le paiement des congés est systématiquement appliqué aux membres en service et à la retraite de la GRC. De plus, le mot « substantive » est expliqué, et dénote que le paiement doit être fondé sur la rémunération de base du membre, sans aucune indemnité ou autre forme de rémunération.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  C’est donc dire que, de l’avis de l’arbitre, les mots « substantive » et « base » (dans la version anglaise de la décision) devraient ajouter la même caractéristique à l’expression « taux de rémunération », et que ces deux termes visent à exclure les indemnités. La Cour conclut à tout le moins que la comparaison contextuelle de l’arbitre est dénuée de justification et de transparence car elle donne simplement le même sens à deux mots qui, censément, sont tous deux destinés à conférer la même caractéristique à l’expression « taux de rémunération », ce qui est contraire aux principes d’interprétation ordinaires.

[32]  Cela évite le problème d’interprétation concret et évident qui consiste à savoir lequel des deux mots est destiné à exprimer le passage détaillé qui exclut les primes de rendement ou les indemnités. De l’avis de la Cour, les mots « taux de rémunération de base » expriment plus clairement l’exclusion d’autres formes de rémunération que les mots « taux de rémunération du niveau de titularisation ».

[33]  En fait, l’arbitre est tenu de se fonder sur le mot « base » pour donner un sens au mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision), ce qu’il fait très bien. À l’inverse, le mot « substantive » donne peu de sens supplémentaire à celui du mot « base », relativement au concept de l’exclusion des indemnités du taux de rémunération, ce que ce dernier fait très aisément par lui-même. L’arbitre ne tente aucunement de définir le mot « base » ou d’appliquer sa définition au mot « substantive ».

[34]  Le fait que le mot « base » et le passage excluant les indemnités aux articles 6.1.1 et 6.2.2 vont de pair est également confirmé par l’absence des deux à l’article 7.1. Quel autre sens contextuel pourrait‑on donner au fait que seul le mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) figure à l’article 7.1, sinon qu’il ne traduit ni le sens des « deux » ni le passage excluant les indemnités. Ce mot existe en soi et doit avoir un autre sens, lequel, en fin de compte, est évident si l’on porte davantage attention au contexte plus général analysé ci‑après.

[35]  Par ailleurs, si l’intention était que le sens du mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) soit le même que celui du mot « base », pourquoi ne pas répéter simplement à l’article 7.1 la même formulation qu’aux articles 6.1.1 et 6.2.2?

[36]  Sur ce point, la Cour considère que la distinction contextuelle rapprochée et visuelle qu’il y a entre les dispositions relatives au paiement que comportent les articles 6 et 7 est d’autant plus importante. L’article 7.1 est situé juste après les autres articles qui le précèdent, ce qui dénote que les deux dispositions ont été rédigées et devraient être interprétées ensemble. D’autant plus que le mot « base » et le passage excluant les primes de rendement et les indemnités du sens de l’expression « taux de rémunération » figurent à deux endroits dans la disposition relative aux paiements destinés aux officiers (les articles 6.2 et 6.2.2), mais ne sont pas inclus dans la définition du taux de rémunération qui s’applique à tous les membres (article 7.1).

[37]  S’il est nécessaire de faire preuve d’exactitude et de précision pour s’assurer que le texte n’est nulle part ambigu, ce serait vraisemblablement en lien avec l’article 7.1, une disposition qui s’applique à tous les membres de la GRC qui ont des congés en réserve au moment de leur décès ou de leur renvoi, comparativement à l’application plus restreinte de ce texte aux congés annuels excédentaires que le personnel officier a accumulés.

[38]  La Cour fait aussi remarquer qu’il semble n’y avoir aucune preuve indiquant si d’autres primes de rendement ou indemnités, à part la solde de service, peuvent s’accumuler mais ne sont pas payées au moment du renvoi (le décès est une situation tout à fait différente, qui est analysée ci‑après). Autrement dit, il n’est pas clair pour la Cour quelles seraient les conséquences d’une décision favorable au demandeur qui pourrait s’appliquer à d’autres situations dans lesquelles des primes de rendement ou des indemnités seraient payées au moment du renvoi. Comme l’issue des décisions est étroitement liée à leur interprétation, et que l’arbitre n’a fait référence à aucune, la Cour conclut que seule la solde de service qui est mise en réserve est éliminée en cas de renvoi.

[39]  En résumé, la Cour conclut que la méthode contextuelle que l’arbitre a adoptée pour tenir compte du sens des mots « taux de rémunération du niveau de titularisation » à l’article 7.1, en se fondant sur la même formulation que l’on trouve aux articles 6.1.1 et 6.2.2, est déraisonnable parce qu’elle fait abstraction du mot important qu’est « base » et que ces mots, lus ensemble, semblent confirmer plus raisonnablement la conclusion inverse, à savoir que, pour les raisons exposées, la solde de service est incluse dans le taux de rémunération.

C.  La référence faite à des définitions du dictionnaire est déraisonnable parce que l’arbitre a omis de prendre en compte le sens légal connexe du mot « substantive » (effectif) dans la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, qui l’associe au grade du membre pour le calcul de la rémunération.

[40]  La Cour conclut que le fait que l’arbitre ait eu recours aux définitions du mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) que l’on trouve dans des dictionnaires et les commentaires connexes qu’elle a faits à l’appui de ces définitions est des plus problématiques parce qu’il existe dans une loi connexe un sens qui associe le mot « substantive » au « grade » du membre au moment du renvoi. L’analyse que fait l’arbitre du sens donné par les dictionnaires figure aux paragraphes 64 et 65 de sa décision, et la Cour en souligne les passages pertinents :

[traduction]

[64] La politique ne définit peut-être pas le mot « substantive », mais l’Oxford Dictionary, dans sa deuxième édition, en donne une définition. Il indique : « qui a une existence distincte et indépendante ». Ce mot, lorsqu’il est employé comme adjectif, désigne une connotation restrictive plutôt qu’une extension du substantif qu’il décrit. Par exemple, quand ce mot sert à décrire un grade ou un poste, il se rapporte au poste permanent plutôt qu’à un poste temporaire, semblable à un rôle intérimaire. Lorsqu’il sert à décrire un « droit », comme dans le cas d’un droit substantiel, il se rapporte au droit fondamental d’une personne. Si on lui confère la même relation avec une rémunération, ce mot peut uniquement désigner la partie essentielle de la rémunération, ou la rémunération de base, plutôt qu’une rémunération qui dépend du montant des indemnités attribuées à chaque employé individuel.

[65] Je conclus que la définition de « substantive », dans le cas présent, désigne une rémunération de base sans aucune autre forme de rémunération. […]

[41]  La Cour remet en question jusqu’à un certain point la conclusion de l’arbitre selon laquelle le mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) a le même sens que le mot « base », c’est‑à‑dire que [traduction] « le mot [substantive] peut uniquement désigner la partie essentielle de la rémunération, ou la rémunération de base » [non souligné dans l’original], ce qui est déjà problématique, compte tenu surtout de l’analyse contextuelle décrite plus tôt. L’Oxford Dictionary donne deux définitions qui pourraient s’appliquer (en anglais) au mot « substantive ». Le premier sens, celui d’avoir une [traduction] « existence distincte et indépendante », comme un composé chimique qui serait basé sur ses éléments constitutifs, ne vient pas directement à l’esprit. Le second sens que donne l’Oxford Dictionary est lié à ce qui est réel, c’est‑à‑dire : [traduction] « qui a un fondement solide dans la réalité et qui est donc important, valable ou considérable ». Dans le dictionnaire en ligne Webster, ce mot est défini comme suit : [traduction] « réel plutôt qu’apparent ». Cela pourrait signifier la rémunération réelle qui est payée, comme pour ce qui ouvre droit à pension, par opposition à la rémunération de base seulement. Néanmoins, compte tenu du degré de déférence qui est dû à l’arbitre, la Cour ne peut substituer son opinion à celle du décideur dans ce contexte.

[42]  La Cour peut toutefois intervenir en lien avec l’analyse déraisonnable concernant le second exemple donné par l’arbitre, lequel confirme censément le sens du mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision), lorsqu’elle fait référence à son application au mot « ranks » (grades) du service, en disant, par exemple : [traduction] « quand ce mot sert à décrire un grade ou un poste, il se rapporte au poste permanent plutôt qu’à un poste temporaire ». [Non souligné dans l’original.]

[43]  En s’exprimant ainsi, l’arbitre fait clairement allusion au mot « substantive » (effectif) qui figure dans la définition du mot « solde » à l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC (1985), c R‑11, (LPRGRC). Cela est important, car il s’agit d’un usage connexe du mot « substantive » (effectif) dans des circonstances analogues à celles où le mot « rémunération » est lié au « grade ». De plus, c’est le seul emploi du mot « substantive » (effectif) que l’on trouve à un endroit quelconque dans les lois ou les politiques qui s’appliquent à la GRC. Cette disposition, dans laquelle la Cour souligne les passages pertinents, est la suivante :

3 (1) solde

 

3 (1) pay means,

 

a) Relativement à la Gendarmerie, la solde du grade effectif détenu par la personne que vise l’expression, à l’exclusion de la solde du grade provisoire ou la solde supplémentaire pour les emplois temporaires dans les cadres ou autres emplois temporaires du même genre, ou, dans le cas d’une personne ne détenant pas un grade dans la Gendarmerie, le traitement ou autre rémunération pour l’accomplissement des fonctions régulières de cette personne à titre de membre de la Gendarmerie, ainsi que les allocations, versées au moyen d’indemnité ou autrement, que les règlements prescrivent;

 

(a) as applied to the Force, the pay of the substantive rank held by the person in respect of whom the expression is being applied, not including the pay of acting rank or extra pay for staff or similar temporary appointments, or, in the case of a person not holding a rank in the Force, the salary or other remuneration for the performance of the regular duties of that person as a member of the Force, together with such allowances by way of compensation or otherwise as are prescribed by the regulations, and

 

[44]  Soit dit en passant, on pourrait signaler que l’alinéa 8(1)c) du Règlement sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada (CRC, c 1393), (le Règlement sur la pension de retraite), sous la rubrique « Allocations devant être incluses dans la solde », comprend dans la définition du mot « solde », qui renvoie au paragraphe 3(1) de la Loi, le passage suivant : « l’allocation relative au service que le membre de la Gendarmerie a reçue après le 1er octobre 1966, à titre d’indemnité pour ses longs états de service dans la Gendarmerie ». C’est cette disposition du Règlement sur la pension de retraite qui fait que la solde de service ouvre droit à pension. Il s’agit également d’une situation dans laquelle le « grade effectif », aux termes du Règlement sur la pension de retraite, inclut la solde de service. Cela ne fait qu’ajouter à la notion selon laquelle la rémunération de base doit faire référence aux exclusions, de façon à renforcer le sens défini du mot « rémunération », mais pas par rapport au mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision).

[45]  Le problème que pose la manière dont l’arbitre applique le mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision), en donnant comme exemple le grade du membre, comporte là encore deux volets. Premièrement, elle omet de signaler que cet exemple est tiré de dispositions législatives hautement pertinentes concernant le mot « solde » — un synonyme ordinaire du mot « rémunération » — et elle le sort plutôt de nulle part, sans faire référence à la Loi. Deuxièmement, et ce détail est plus important, elle fait abstraction de l’autre définition très pertinente du mot « substantive » qui devrait s’appliquer aux articles 6.1.1, 6.2.2 et 7.1, et qui a pour but de préciser qu’il faut se servir du grade pour calculer la rémunération au moment du renvoi.

[46]  Par exemple, pour ce qui est des articles 6.1.1 et 6.2.2, il semble qu’un certain nombre de facteurs soient requis pour pouvoir calculer le paiement des congés annuels excédentaires accumulés à titre de rémunération. Ces facteurs sont les suivants : 1) la date du calcul de la rémunération de l’officier, soit la rémunération qui est en vigueur à la fin de l’année, c’est‑à‑dire le 31 mars, 2) la rémunération du grade effectif de l’officier à cette date, c’est‑à‑dire son grade permanent et non temporaire ou intérimaire, et 3) la rémunération de base de l’officier, c’est‑à‑dire sa rémunération, à l’exclusion des primes de rendement ou des indemnités.

[47]  Par comparaison, l’article 7.1 n’a pas besoin d’une date de rémunération, car il s’agit par définition de la rémunération que touchait le membre à la date de son décès ou de son renvoi. Cependant, l’article 7.1, à l’instar des articles 6.1.1 et 6.2.2, exige que l’on détermine le « grade effectif » du membre, c’est‑à‑dire le grade permanent qu’il avait à la date de son décès ou de son renvoi, et non celui rattaché au poste temporaire ou intérimaire qu’il pouvait occuper à cette date‑là. Cependant, ces mots ne sont inclus dans aucun de ces articles car il est clair, du point de vue contextuel, que le mot « substantive » (effectif) se rapporte au grade, tel qu’utilisé uniquement à cette fin à l’alinéa 8(1)c) de la LPRGRC.

[48]  Si le mot « substantive » (effectif) se rattache au grade du membre à la date de son décès ou de son renvoi, il s’ensuit que le mot « base », qui figure aux articles 6.1.1 et 6.2.2, doit être l’unique descripteur du contenu de ce qui constitue la « rémunération ». En l’espèce, cela ferait logiquement référence aux éléments exclus de la rémunération, soit les primes de rendement et les indemnités. Dans le même ordre d’idées, et par logique inverse, il s’ensuit forcément que l’absence du mot « base » à l’article 7.1 ainsi que celle des exclusions connexes peuvent seulement vouloir dire que la rémunération au moment du décès ou du renvoi d’un membre inclurait un montant englobant les primes de rendement et les indemnités.

[49]  La Cour ne voit pas clairement si le défaut de l’arbitre de faire référence à l’application dans la LPRGRC du mot « substantive » (effectif) à des questions de grade témoigne d’un manque de transparence, ou s’il s’agit d’une simple inadvertance de sa part. Cependant, quelle que soit l’explication, l’application la plus raisonnable du mot « substantive » (effectif), tel qu’on le retrouve dans tous les articles où il est employé, serait par rapport au grade du membre au moment du paiement des congés annuels, et non au contenu de la rémunération.

[50]  En conclusion, la Cour est d’avis que la seule interprétation raisonnable du mot « base » est l’exclusion des primes de rendement et des indemnités de la rémunération, aux articles 6.1.1 et 6.2.2. L’absence du mot « base » à l’article 7.1, de même que l’exclusion connexe des primes de rendement et des indemnités, dénotent fortement que les rédacteurs des deux dispositions voulaient que la « rémunération » dont il est question à l’article 7.1 englobe le paiement des congés annuels au moment du décès ou du renvoi d’un membre.

D.  L’article 7.1 n’offre pas aux membres renvoyés pour cause de décès le choix de recevoir la solde de service, ce qui confirme que celle-ci doit être payable aussi aux membres qui optent pour un renvoi volontaire.

[51]  L’arbitre conclut que l’article 7.1 présente deux options aux membres qui prennent leur retraite, relativement à la réception des congés annuels mis en réserve. Ils peuvent les recevoir à titre de rémunération bimensuelle continue sous forme de congés jusqu’au moment de la retraite, ce qui inclut la solde de service inutilisée, ou les recevoir sous la forme d’un montant forfaitaire, sans la solde de service qui a été mise en réserve. Le passage extrait des motifs de l’arbitre qui décrit ces options figure au paragraphe 68, et la Cour en a souligné les passages pertinents :

[traduction]

[68]  Le plaignant continue de tenter de rattacher la solde de service aux congés annuels, alors que c’est à la rémunération bimensuelle qu’elle est rattachée. Dans son cas, le plaignant aurait pu se prévaloir des 1 398 heures de congés, toucher sa rémunération avec toutes les indemnités connexes et prendre congé, prorogeant ainsi sa date de renvoi. Comme il a été indiqué, l’autre option consiste à demander un paiement. Cela n’est pas offert à titre d’option équitable. Il s’agit simplement d’une option. Suivant la situation de chacun, une option peut avantager une personne plus qu’une autre, mais rien ne permet de dire que ces options sont censées être équitables.

[52]  La Cour ne souscrit pas à l’affirmation selon laquelle on peut attribuer à l’article 7.1 une intention quelconque d’offrir des options. Aucune option n’est offerte aux membres qui sont renvoyés parce qu’ils décèdent prématurément, pendant qu’ils sont encore au service de la Gendarmerie. Par contre, l’arbitre a raison de reconnaître que la disposition n’est pas équitable parce qu’elle traite la solde de service de manière différente dans le cas de membres différents. Lorsqu’on l’interprète comme l’arbitre le suggère, l’article 7.1 n’est pas juste inéquitable; il est manifestement déraisonnable dans le cas des membres renvoyés pour cause de décès.

[53]  Étant donné qu’aucune option n’est offerte aux membres au moment de leur décès, il serait déraisonnable de considérer que l’article 7.1 vise à offrir une option à une seule des deux catégories de membres auxquelles cette disposition s’applique, à savoir les membres qui sont renvoyés de la Gendarmerie pour cause de décès et ceux qui sont renvoyés volontairement. L’arbitre ne peut interpréter l’article7.1 en en excluant le mot « décès ».

[54]  Le libellé de l’article 7.1 ne permet donc pas de faire une distinction quelconque au sujet du paiement aux membres de la solde de service accumulée, en fonction de leur mode de renvoi. Les membres renvoyés par décès, ou volontairement, ou ceux qui restent en service pour dépenser la solde de service qu’ils ont mise en réserve doivent avoir droit à la même option, s’il est dit qu’il en existe une, ou à aucune.

[55]  Le fait qu’il soit impossible d’offrir des « options » aux membres qui décèdent pendant qu’ils sont au service de la GRC corrobore de manière convaincante l’interprétation contextuelle et légale de l’article 7.1, à savoir que tous les membres ont droit à la solde de service qu’ils ont accumulée, indépendamment de la manière dont ils quittent la GRC en règle.

E.  Le caractère raisonnable de la décision est miné par le défaut de justifier la manière différente de traiter le paiement de la solde de service qui est mise en réserve.

[56]  Au moment du renvoi, les membres sont traités de deux façons différentes. Premièrement, ceux qui restent dans la Gendarmerie reçoivent leur solde de service, et deuxièmement cette mesure ajoute du temps de service et peut-être un grade au calcul de leurs pensions de retraite, ce qui les avantage donc au moment où ils prennent leur retraite. Le demandeur, qui avait 37 années de service, ne pouvait pas profiter de l’option consistant à demeurer en service pour dépenser la solde de service qu’il avait mise en réserve. Le fait que l’employeur offre ces avantages économiques aux membres qui restent dans la Gendarmerie, mais que ces avantages ne soient pas offerts au moment du renvoi, exige que l’on explique l’objet de la disposition qui permettrait qu’une telle chose survienne.

[57]  Ni le défendeur ni l’arbitre n’expliquent pourquoi les membres qui envisagent de prendre leur retraite doivent être traités de façon différente, suivant la manière dont ils décident de quitter la GRC. L’arbitre semble énoncer incorrectement l’essentiel de l’argument qu’invoque le demandeur, tout en formulant une conclusion qui manque de justification lorsqu’elle fait remarquer que le demandeur tente de [traduction] « rattacher la solde de service aux congés annuels, alors que c’est à la rémunération bimensuelle qu’elle est rattachée ». Son argument a toujours été qu’il est fondamentalement inéquitable de traiter la solde de service d’une manière différente, suivant la manière dont on quitte la Gendarmerie. De plus, le fait que la solde de service soit rattachée aux congés annuels lorsqu’elle est payée régulièrement et non accumulée ne justifie pas de manière raisonnable qu’on la reprenne après qu’elle a été acquise pour la seule raison que le membre ne veut pas rester dans la Gendarmerie parce que cela ne lui offre aucun avantage.

[58]  L’absence de toute analyse au sujet de l’objet d’une disposition est inusitée, car l’interprétation d’une disposition ambiguë a pour but de déterminer l’intention qu’avait le rédacteur, quand celle‑ci n’est pas évidente. Toutefois, le véritable nœud du problème est que le fait de considérer que l’article 7.1 n’est pas nécessairement équitable dans la manière de traiter les membres va à l’encontre de tout principe d’interprétation raisonnable qui pourrait s’appliquer à n’importe quelle disposition qui vise le versement d’une rémunération à un employé pour les services rendus.

[59]  La Cour signale qu’en réponse à ces questions, il y a eu, à l’audience, quelques discussions au sujet du fait que l’objet sous-jacent de l’article 7.1 est d’avantager la GRC en encourageant les membres à rester dans la Gendarmerie afin qu’on puisse les rappeler s’il survient une situation d’urgence qui exige qu’ils reviennent au travail.

[60]  Si c’est le cas, l’intention sous-jacente et non exprimée de l’article 7.1 s’apparente à de la mauvaise foi. Dans cette disposition, la GRC ne devrait pas viser un objectif ultérieur qui, en fait, ajoute une condition non énoncée au déboursement de la solde de service que seuls reçoivent les membres qui restent en service, à l’avantage de l’employeur.

F.  L’omission de s’assurer que les membres étaient au courant de la perte possible, au moment de leur renvoi, de la solde de service accumulée.

[61]  En réponse à des questions écrites, l’auteur de l’affidavit du défendeur a fait part de l’opinion suivante, qui décrit censément la conduite raisonnable des membres qui envisagent de prendre leur retraite, et la Cour en a souligné les passages pertinents :

[traduction]

En conséquence, et selon mon expérience des Services nationaux de rémunération, avant de fixer la date réelle de leur retraite et de leur renvoi, les membres de la GRC devraient évaluer avec soin les avantages et les désavantages que présente le fait de prendre les congés annuels qu’ils ont acquis, ce qui fait ainsi étendre le service ouvrant droit à pension et améliorer les prestations de retraite futures, par opposition au fait de recevoir un montant forfaitaire pour les congés annuels accumulés au moment de leur renvoi.

[62]  Le problème que pose ce conseil est que, malgré qu’il soit recommandé d’examiner avec soin les options au moment du renvoi, rien ne prouve que la GRC dispose de protocoles de renvoi proactifs qui fournissent des informations aux membres qui envisageant de prendre leur retraite. Tout ce que les membres peuvent consulter est une disposition certes ambiguë, enfouie à l’article 7.1 du chapitre 19 du MNR.

[63]  C’est du moins la déduction que tire la Cour de ce qu’a énoncé le demandeur, au service de la Gendarmerie pendant 37 ans. Il a déclaré dans son affidavit qu’il n’a appris que la solde de service n’était pas incluse dans le montant forfaitaire des congés annuels qu’après avoir opté pour son renvoi, quand il a vu que les montants compris dans son paiement en rémunération ne l’incluraient pas. Le demandeur a confirmé que c’était le cas à l’audience. Au‑delà de toutes les autres qualités dont le demandeur a fait montre en s’attaquant avec acharnement à l’inéquité du fait de ne pas recevoir la solde de service qu’il avait acquise, la Cour est d’avis qu’il est une personne qui réfléchirait avec soin à ses options, s’il était au courant de ces dernières.

[64]  Après avoir posé de nombreuses questions, le demandeur a été orienté en fin de compte vers l’article 7.1 du MNR. Après avoir appris que le calcul reposait sur la définition du « taux de rémunération du niveau de titularisation », il a tenté d’en obtenir une définition qui pouvait aider à expliquer pourquoi on exclurait la solde de service acquise et mise en réserve. On ne lui en a fourni aucune, ce qui équivaut à une réponse du genre : « il en est ainsi, tout simplement ».

[65]  Malgré que l’on n’ait fourni au demandeur qu’une réponse péremptoire quand il a soumis la question à l’arbitrage, l’arbitre de niveau I n’a pas expliqué lui non plus pourquoi la solde de service que l’on acquiert et qui est mise en réserve est perdue au moment du renvoi. Cet arbitre a indiqué seulement que sa [traduction] « position était problématique parce qu’il avait axé ses arguments sur la définition du "taux de rémunération du niveau de titularisation", alors que la véritable question en litige était la situation du plaignant au moment du paiement de ses congés annuels ». La Cour conclut qu’on a fourni une fois de plus au demandeur une conclusion plutôt que des motifs en réponse à une demande raisonnable d’explications quant à l’objet de l’article 7.1.

[66]  Le demandeur a persisté dans ses efforts parce qu’il considérait qu’il était inéquitable qu’on le prive de son droit à la solde de service qu’il avait accumulée. Il n’avait aucune indication claire de ce qui arriverait au moment de son renvoi, non seulement à cause d’une disposition des plus ambiguës sur le paiement des congés annuels, mais aussi à cause d’un manque manifeste d’efforts de la part de la GRC pour expliquer ces options. Dans ce contexte, il n’avait aucune possibilité de prendre une décision éclairée à propos de ses options de retraite.

[67]  En définitive, je conviens avec le demandeur qu’il n’existe aucun fondement raisonnable, équitable ou lié aux ressources humaines qui pourrait expliquer la différence de traitement que l’on fait subir aux membres à qui l’on refuse la même solde de service que celle qu’a acquise un collègue qui envisage de prendre sa retraite. Cela est d’autant plus vrai que, selon sa preuve non contestée, il n’a pas eu d’autre choix que de mettre en réserve sa solde de service parce que l’employeur l’obligeait à renoncer à prendre ses congés annuels. Le fait que sa situation paraisse bien dérisoire par rapport à celle d’un membre décédé qui n’a pas droit à la solde de service qu’il a acquise et mise en réserve ne fait que confirmer un manque total d’équité dans la manière dont la GRC applique l’article 7.1, un manque d’équité que les rédacteurs de cette disposition n’ont jamais voulu.

IV.  Conclusion

[68]  La demande est accueillie, car la décision de l’arbitre de niveau II est déraisonnable et ce, pour les raisons suivantes :

  1. La décision impose déraisonnablement au demandeur le fardeau de fournir des motifs pour montrer que l’interprétation des mots « taux de rémunération du niveau de titularisation » exige le paiement de la solde de service accumulée au moment du décès ou du renvoi du membre;

  2. L’interprétation contextuelle des mots « taux de rémunération du niveau de titularisation de base » est déraisonnable parce qu’elle omet de prendre en considération le mot « base » qui figure aux articles 6.1.1 et 6.2.2, soit les deux dispositions qui éclairent de la manière la plus raisonnable l’interprétation contextuelle de l’article 7.1, en ce sens que le mot « base » est précisé de façon à exclure du calcul de la rémunération les primes de rendement et les indemnités, ce qui présume de manière contextuelle que le mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) doit exprimer un objet différent;

  3. La décision repose de manière déraisonnable sur l’une des deux définitions de dictionnaire possibles tout en omettant d’indiquer expressément qu’un sens connexe du mot « substantive » (dans la version anglaise de la décision) tire son origine de la LPRGRC, et ensuite, en n’accordant pas la priorité à l’objet du mot « substantive » en tant qu’attribut du sens du mot « rémunération » dans les articles 6.1.1 et 6.2.2, relativement au grade du membre le jour de son décès ou de son renvoi, ce qui distingue donc davantage le mot « base » du mot « substantive » et qui amène à conclure que le mot « substantive » qui figure dans les articles 6.1.1, 6.2.2 et surtout 7.1, est rattaché au grade de l’officier ou du membre quand il est renvoyé, et non au contenu de la « rémunération » à payer;

  4. La décision décrit de manière déraisonnable l’article 7.1 comme offrant une « option » que les membres doivent choisir pour recevoir leur solde de service, alors que cette disposition ne peut clairement pas être considérée comme offrant une option aux personnes renvoyées pour cause de décès, et qu’elle n’offre aucun moyen de faire une distinction entre un renvoi volontaire et un renvoi involontaire pour cause de décès;

  5. L’article 7.1 est inéquitable et déraisonnable si on l’interprète de manière à faire une distinction quant au droit de recevoir la solde de service accumulée selon qu’elle est payable au moment du renvoi volontaire, par opposition au fait d’être payée en tant qu’élément des congés annuels en retardant le renvoi de la Gendarmerie, d’autant plus qu’aucune explication n’est fournie à propos de la différence de traitement dans la réception de la solde de service;

  6. La GRC a manqué à son obligation d’informer les membres de la possibilité qu’ils perdent la solde de service au moment de leur renvoi.

[69]  La demande est accueillie et la décision est annulée.

[70]  L’affaire est renvoyée à l’arbitre de niveau II avec instruction de déclarer que les mots « taux de rémunération du niveau de titularisation », à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du MNR ou du MA, incluent la solde de service accumulée, en se fondant sur le poste permanent du membre plutôt que sur n’importe quel poste temporaire qu’il occupe, et qu’elle est payable à la date de son décès ou de son renvoi.

[71]  Le demandeur a droit aux frais judiciaires que prévoit le tarif A ainsi qu’aux autres débours raisonnables qui ont été engagés dans le cadre de la poursuite de la présente demande, et ces frais sont à payer par le défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1635‑17

LA COUR ORDONNE que :

  1. la décision est annulée et l’affaire renvoyée à l’arbitre de niveau II avec instruction de déclarer que les mots « taux de rémunération du niveau de titularisation », à l’article 7.1 du chapitre 19.1 du Manuel national de la rémunération (MNR) ou du Manuel d’administration (MA), incluent la solde de service qui a été accumulée, en se fondant sur le poste permanent du membre plutôt que sur n’importe quel poste temporaire qu’il occupe, et qu’elle est payable à la date de son décès ou de son renvoi;
  2. le défendeur est tenu de payer au demandeur les frais judiciaires prévus par le tarif A ainsi que les autres débours raisonnables qui ont été engagés dans le cadre de la poursuite de la présente demande.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de janvier 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1635‑17

INTITULÉ :

ALLAN BRADLEY ZALYS c GRC ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SeptembrE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 8 NovembrE 2018

COMPARUTIONS :

Allan Bradley Zalys

POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Courtenay Landsiedel

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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