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Date : 20181105


Dossier : IMM-1418-18

Référence : 2018 CF 1109

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 5 novembre 2018

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JENAGAN SIVAGNANASUNDARAMPILLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR], LC 2001, c 27, à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], rendue le 8 mars 2018 [la décision], selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

II.  Le contexte

[2]  Le demandeur est né à Jaffna, au Sri Lanka, en 1992. Sa famille a été déplacée à Colombo en 1995, où il a résidé jusqu’à son départ du pays en juillet 2011. Le demandeur craint d’être persécuté par les forces gouvernementales sri lankaises en raison des liens imputés à sa famille avec les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul [les TLET].

[3]  En 2007, le demandeur et son père se sont rendus à Vanni, un fief des TLET, pour rendre visite à la famille. Par la suite, en mai 2009, l’armée sri lankaise [l’armée] a arrêté l’oncle du demandeur et sa famille, et sa cousine a été interrogée et accusée d’être membre des TLET. Au cours de l’interrogatoire, sa cousine aurait révélé que le demandeur et sa famille étaient venus à Vanni en 2007, ce qui a conduit l’armée à penser qu’ils étaient des partisans des TLET. Le demandeur affirme que sa cousine a été emmenée par l’armée et qu’elle a disparu à tout jamais.

[4]  Le 23 juin 2011, l’armée et la police ont perquisitionné le domicile du demandeur. Il a de nouveau été interrogé au sujet de son voyage à Vanni et de sa cousine. Le demandeur affirme que la même nuit, des membres de l’armée en civil sont revenus chez lui et l’ont emmené dans une camionnette jusqu’à une maison. Le demandeur y aurait été retenu pendant quatre jours, au cours desquels il aurait été giflé et interrogé sur ses liens avec les TLET. Le demandeur a été relâché après que sa mère eut payé cinq lakhs.

[5]  Après sa libération, le demandeur allègue avoir été suivi par quelqu’un dans une camionnette blanche. Craignant que les autorités continuent de le soupçonner d’être un partisan des TLET, les parents du demandeur ont pris des dispositions pour qu’il fuie le Sri Lanka, ce qu’il a fait en juillet 2011; il est arrivé au Canada en novembre 2011.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SPR a conclu que le témoignage du demandeur était détaillé et généralement conforme à l’exposé circonstancié figurant dans son Formulaire de renseignements personnels [le FRP]. La SPR a jugé le demandeur crédible. Elle a ensuite examiné s’il correspondait à l’un des profils de risque définis dans les principes directeurs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka [les principes directeurs du HCR], à titre de personne soupçonnée d’avoir certains liens avec les TLET. La SPR a souligné que, d’après certains éléments de preuve documentaire, les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET risquent d’être arrêtées ou torturées par les forces de sécurité. Elle a en outre constaté que les rapports les plus récents faisaient état d’améliorations dans le pays et d’une réduction des arrestations et des détentions.

[7]  La SPR a fait remarquer que le demandeur avait passé la majeure partie de sa vie à Colombo, loin des zones contrôlées par les TLET. En ce qui concerne les événements du 23 juin 2011, la SPR a conclu qu’il n’était pas clair que ce soient des membres de l’armée qui l’ont emmené dans une camionnette. La SPR a souligné qu’il pourrait s’agir d’une tentative d’extorsion. Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur n’avait jamais été arrêté par la police ou l’armée.

[8]  La SPR a conclu que le demandeur n’était pas, selon la prépondérance des probabilités, une personne qui serait perçue comme ayant des liens avec des factions favorables aux TLET par le gouvernement du Sri Lanka et qu’il n’avait pas de bonnes raisons de craindre d’être persécuté en tant que demandeur d’asile débouté. De plus, elle a conclu que rien ne donnait à penser que, depuis qu’il avait fui le Sri Lanka, le gouvernement sri lankais avait des raisons de croire qu’il était membre ou partisan des TLET.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[9]  La Cour doit trancher deux questions : 1) la SPR a-t-elle appliqué le critère juridique approprié et 2) les conclusions de la SPR concernant le « profil de risque » étaient-elles raisonnables? Comme convenu par les parties, la décision doit être évaluée en fonction de la norme du caractère raisonnable, c’est-à-dire qu’elle doit être justifiée, transparente et intelligible et s’inscrire dans les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

[10]  Je note que la jurisprudence a établi un critère précis pour la détermination de la qualité de réfugié au sens de l’article 96; l’évaluation du critère par la SPR doit donc être examinée selon la norme de la décision correcte (Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 532, par. 11).

V.  Analyse

[11]  À l’audience, le demandeur a invoqué deux raisons pour lesquelles la décision est fondamentalement viciée, et les deux m’ont convaincu.

A.  La SPR a-t-elle appliqué le bon critère juridique?

[12]  Le demandeur soutient que la SPR a appliqué le mauvais critère, imposant ainsi une norme de preuve trop élevée à l’égard de la persécution, soit la prépondérance des probabilités, plutôt que la bonne norme, qui va au-delà de la simple possibilité. Le demandeur allègue en outre que la SPR a également mal énoncé le critère lorsqu’elle a statué qu’il « est improbable que le demandeur d’asile soit soumis à de la surveillance additionnelle à son retour au Sri Lanka en raison des activités qu’il a pratiquées au Sri Lanka et à la suite de son départ du Sri Lanka » (la décision, au paragraphe 22; soulignements ajoutés). Ce faisant, le demandeur soutient que l’analyse complète de la détermination de la qualité de réfugié au sens de l’article 96 était entachée d’une erreur de droit, car le critère qu’il convient d’appliquer consiste à vérifier s’il existe une possibilité raisonnable ou plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit perçu comme un partisan des TLET.

[13]  Le défendeur répond que l’évaluation faite par la SPR de la demande d’asile du demandeur au titre de l’article 96, considérée dans son ensemble, était raisonnable, malgré le libellé maladroit. À d’autres endroits de la décision, la Commission a correctement formulé le critère, puis l’a appliqué raisonnablement, c’est-à-dire à l’aune de la norme de la prépondérance des probabilités, et l’a comparé au bon critère juridique selon lequel il existe une possibilité raisonnable ou plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté (Nageem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 867 [la décision Nageem], par. 24–25).

[14]  Je suis convaincu par la position du demandeur : bien que la SPR ait correctement indiqué que la norme de preuve utilisée pour évaluer les éléments de preuve à l’appui d’une allégation est celle de la prépondérance des probabilités, il n’était pas clair si la SPR avait évalué les éléments de preuve au regard de la bonne norme juridique pour établir s’il existait une possibilité raisonnable ou plus qu’une simple possibilité de persécution. Du fait de cette erreur, l’évaluation de la Commission ne peut résister à un contrôle judiciaire (la décision Nageem, par. 24–25).

B.  Les conclusions de la SPR concernant le « profil de risque » sont-elles raisonnables?

[15]  Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a examiné les principes directeurs du HCR en ne tenant pas compte du fait que le profil du demandeur correspond au profil de risque selon lequel sa famille a des liens avec les TLET.

[16]  Le défendeur affirme que le traitement, par la SPR, des éléments de preuve eu égard aux principes directeurs du HCR était raisonnable : la SPR a cerné des profils de risque potentiels, et le fait d’avoir une famille ayant des liens avec les TLET n’était pas l’un d’eux.

[17]  Je ne souscris pas à l’affirmation du défendeur. Les personnes ayant des membres de la famille ou d’autres relations étroites qui ont des liens avec les TLET ou qui sont à la charge de telles personnes sont inclus, et par conséquent, la SPR a fait fi de ce profil de risque.

[18]  Le demandeur, à l’égard duquel la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité, a présenté un témoignage non contredit concernant la disparition de sa cousine et a fourni certains comptes rendus de tiers indiquant pourquoi elle était soupçonnée d’avoir des liens avec les TLET. Bien que le rôle de la Cour ne consiste pas à établir si le demandeur a réellement un lien familial fort avec les TLET par l’intermédiaire de sa cousine, c’est bien le rôle de la SPR de le faire, et il était déraisonnable de garder le silence sur la question.

VI.  Conclusion

[19]  La décision de la SPR sera annulée, et l’affaire sera renvoyée pour nouvel examen en raison de la formulation erronée du critère juridique et de la non‑prise en compte d’un élément clé du profil de risque du demandeur. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Aucune question n’a été soumise pour certification, et je conviens qu’aucune n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1418-18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la SPR, rendue le 8 mars 2018, est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

  3. Aucune question n’a été soumise pour certification et aucune n’a été soulevée.

  4. Aucune ordonnance n’est rendue concernant les dépens.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de novembre 2018.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1418-18

 

INTITULÉ :

JENAGAN SIVAGNANASUNDARAMPILLAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 octobre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

Le 5 novembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Teresa Ramnarine

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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