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Date : 20181025


Dossier : IMM‑5314‑17

Référence : 2018 CF 1075

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario) le 25 octobre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YOUSHI YANG, YAOHONG YANG, ZHANTU YANG et YAOZHONG YANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandes d’asile de la demanderesse principale, Youshi Yang [la DP], et de ses trois fils, Yaohong, Zhantu et Yaozhong [les demandeurs] ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui a conclu qu’ils n’avaient pas établi leur identité en tant que citoyens de la Chine. La SPR a jugé que les explications de la DP quant à l’absence de pièces d’identité n’étaient pas plausibles. Pour les motifs qui suivent, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire puisque les constatations de la SPR quant à la vraisemblance ne sont pas raisonnables.

Contexte

[2]  La DP affirme qu’en juin 2011 à la suite du décès de son époux, elle s’est jointe au mouvement Falun Gong avec un groupe d’adeptes en Chine. Apparemment, en octobre 2012, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] a fait une descente dans les locaux de son groupe d’adeptes du Falun Gong, après quoi, elle a pris la fuite. Elle affirme que des représentants du BSP se sont rendus chez ses parents pour l’arrêter.

[3]  À un moment donné après la descente alléguée, ses enfants et elle ont quitté la Chine grâce à de faux passeports de Hong Kong. À leur arrivée au Canada, en décembre 2012, ils ont présenté des demandes d’asile au motif qu’ils sont exposés à un risque de persécution en Chine en raison de la pratique du Falun Gong de la DP.

Décision de la Section de la protection des réfugiés

[4]  Dans la décision du 31 octobre 2017 de la SPR, la question déterminante concernait la crédibilité des demandeurs quant à leur identité et à l’authenticité de leurs pièces d’identité.

[5]  La DP a expliqué pourquoi elle n’a pas fourni sa carte d’identité de résident [la CIR], son permis de conduire et son permis de mariage. Elle a expliqué que les passeurs ont conservé sa CIR parce que ses parents ne l’ont pas récupérée lorsqu’ils leur ont remis le montant final dû. Durant son témoignage, la DP a déclaré que ses parents n’ont pas récupéré sa CIR parce qu’ils étaient trop nerveux et trop vieux (65 ans). Elle a ajouté que ses parents ne s’étaient pas rappelé qu’ils devaient récupérer sa CIR avant qu’elle leur pose des questions à ce sujet durant une conversation téléphonique un peu plus tard.

[6]  La SPR a conclu que l’explication de la DP au sujet de sa CIR n’était « ni crédible ni vraisemblable » puisque, selon la SPR, l’unique raison pour laquelle ses parents devaient rencontrer les passeurs, c’était pour récupérer la CIR. De plus, la SPR a conclu que les explications concernant l’âge de ses parents ou le fait qu’ils ont oublié de récupérer la CIR n’étaient ni crédibles, ni plausibles.

[7]  En ce qui concerne son permis de conduire, la DP a déclaré que ses parents n’avaient pas réussi à le trouver et que, pour sa part, elle n’avait pas pensé à l’apporter lorsqu’elle a quitté la Chine. Questionnée au sujet de son permis de mariage, la DP a répondu qu’elle ne l’avait pas parce qu’elle « n’était pas retournée chez elle ». La SPR a fait valoir que ces réponses ne constituaient pas une explication raisonnable. Plus particulièrement, la SPR a conclu que la réponse de la DP au sujet de l’absence de permis de mariage ne constituait pas une réponse appropriée.

[8]  La SPR a conclu que les documents fournis, un hukou, trois certificats de naissance et le certificat de décès de l’époux de la DP, n’étaient pas authentiques. Elle a fait remarquer qu’aucun des documents n’incluait une photo et qu’ils étaient tous « en parfait état, ce qui montre qu’ils n’ont jamais été utilisés ». La SPR a aussi souligné qu’il y a en Chine un vigoureux marché de documents frauduleux et que la DP avait la capacité et la volonté d’acheter et d’utiliser des documents frauduleux (vu son admission qu’elle est entrée au Canada au moyen de faux passeports).

[9]  La SPR a conclu que le certificat de naissance du fils cadet était frauduleux puisqu’il ne comportait pas de code à barres. Même si la DP a indiqué que les certificats de naissance étaient « authentiques et avaient été délivrés par l’hôpital », la SPR a tiré une « inférence très défavorable » quant à l’authenticité de tous les documents à la lumière de cette constatation. Aucune analyse judiciaire n’a été réalisée relativement aux certificats de naissance.

[10]  La SPR n’a accordé aucun poids aux pièces d’identité fournies et a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi leur identité en vertu de l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27 [LIPR] et l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [les Règles]. Puisque l’identité des demandeurs n’a pas été établie, la SPR n’a pas évalué la revendication de statut de réfugié sur place.

Questions en litige

[11]  Même si les demandeurs ont soulevé un certain nombre de questions liées à la décision de la SPR, c’est l’approche de la SPR relativement aux constatations sur la crédibilité et la vraisemblance qui est déterminante dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

Analyse

Norme de contrôle

[12]  Les parties reconnaissent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux constatations visant la crédibilité. Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » [Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47].

Les constatations de la SPR relativement à la crédibilité et à la vraisemblance sont‑elles raisonnables?

Dispositions législatives applicables

[13]  L’article 106 de la LIPR et l’article 11 des Règles sont ainsi libellés :

Crédibilité

Credibility

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

Documents

Documents

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11 The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

[14]  Ces dispositions exigent des demandeurs qu’ils produisent des documents acceptables pour établir leur identité ou qu’ils fournissent des explications raisonnables quant à l’absence de tels documents. En l’espèce, ce sont les explications de la DP relativement à l’absence de ces documents que la SPR a jugées invraisemblables.

[15]  Il est reconnu que la détermination de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR et que la Cour devrait hésiter à intervenir dans de telles décisions (Toure c  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1189, au paragraphe 32). Comme l’a expliqué la juge Gleason dans la décision Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 48 :

[48] […] Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[16]  Même s’il faut respecter la SPR, cette dernière doit tout de même fournir une décision qui s’appuie sur un raisonnement « en termes clairs et explicites » quant aux conclusions d’invraisemblance (Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1379, au paragraphe 27).

[17]  En l’espèce, la DP fait valoir qu’elle a fait des efforts raisonnables pour obtenir des pièces d’identité et qu’elle a fourni des explications tout aussi raisonnables pour justifier son incapacité de produire de tels documents. Elle a allégué qu’il est déraisonnable pour la SPR de conclure qu’elle n’était pas crédible et que cette dernière a erré en tirant ses conclusions sur la vraisemblance malgré ses explications quant aux raisons pour lesquelles elle n’a pas été en mesure de produire les documents.

Carte d’identité de résident

[18]  La DP a déclaré qu’elle n’avait pas sa CIR parce que ses parents avaient oublié de la récupérer auprès du passeur lorsqu’ils l’ont rencontré pour lui verser le dernier paiement. Elle a expliqué que ses parents étaient nerveux et qu’ils ne se sont pas rendu compte de leur erreur avant qu’elle les appelle pour leur parler de sa CIR. La SPR a conclu que cette explication n’était « ni crédible, ni vraisemblable ». Cependant, la SPR n’a fourni aucun motif pour justifier une telle conclusion.

[19]  En outre, durant son témoignage, la DP a déclaré que ses parents avaient peut-être oublié la CIR parce qu’ils étaient heureux qu’elle soit arrivée au Canada. Cette explication n’a pas été prise en considération par la SPR.

[20]  Dans la décision Valtech c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7, la Cour a maintenu que les conclusions d’invraisemblance peuvent seulement être faites dans les cas les plus évidents :

[7] Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur. [renvois omis.]

[21]  La SPR n’a fourni aucune explication de la raison pour laquelle elle jugeait que les explications de la DP « débordaient le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre », les rendant donc invraisemblables et non crédibles.

[22]  La SPR a rejeté l’explication de la DP liée à l’âge de ses parents sans appuyer sa conclusion sur quoi que ce soit. Elle a aussi déclaré dans sa décision que la DP n’avait fourni aucun élément de preuve quant à la santé mentale de ses parents. Cependant, un examen de la transcription révèle que la SPR ne s’est pas enquise de la santé mentale des parents de la DP durant l’audience. La SPR a seulement demandé à la DP si elle considérait qu’avoir 65 ans, c’est être vieux.

[23]  La SPR ne s’est appuyée sur aucun élément de preuve pour montrer que l’explication de la DP était invraisemblable, ce qui va à l’encontre de ses obligations lorsqu’elle tire des conclusions d’invraisemblance. Par conséquent, une telle conclusion n’est pas raisonnable.

Permis de conduire

[24]  Dans sa décision, la SPR a sous‑entendu que la DP s’est vu poser deux questions au sujet de son permis de conduire et qu’elle a fourni deux réponses différentes. La SPR a déclaré ce qui suit : « La demandeure d’asile s’est vu demander si elle avait fait des démarches pour présenter son permis de conduire. Elle a répondu que ses parents n’ont pas pu trouver le document. La question lui a été posée de nouveau, et elle a répondu qu’elle n’a jamais pensé l’apporter. » Cependant, la transcription révèle que la DP s’est vu poser deux questions différentes :

[traduction]

COMMISSAIRE : D’accord, et aviez-vous un permis de conduire en Chine?

DEMANDEURE D’ASILE : Oui.

COMMISSAIRE : Où est‑il?

DEMANDEURE D’ASILE : Oh, mes parents ne l’ont pas trouvé.

COMMISSAIRE : Pourquoi ne l’aviez-vous pas apporté?

DEMANDEURE D’ASILE : Je n’ai jamais pensé l’apporter parce que je suis sortie de chez mon ami. En effet, j’étais déjà chez lui à ce moment‑là.

[25]  Vu qu’on lui avait posé deux questions différentes, ses réponses n’étaient pas incohérentes. D’un côté, elle a expliqué ne pas avoir apporté son permis de conduire parce qu’elle se cachait chez un ami et, de l’autre, elle a expliqué ne pas pouvoir fournir le document parce que ses parents n’arrivaient pas à le trouver. Lorsqu’on examine ces réponses dans leur contexte temporel, elles ne sont pas incohérentes.

[26]  Même si un tribunal peut tirer une conclusion défavorable lorsqu’un témoin ne fournit pas des réponses uniformes ou qu’un demandeur d’asile affirme ne pas pouvoir trouver un document (Qiu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 259, aux paragraphes 8 et 11), en l’espèce, ce n’est pas exactement ce qui s’est passé.

[27]   Par conséquent, il est déraisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable alors qu’il n’y avait pas d’incohérence. De plus, la SPR n’a pas abordé l’élément central de la réponse de la DP, soit que ses parents n’arrivaient pas à trouver le permis de conduire. La SPR a déformé déraisonnablement l’échange concernant le permis de conduire.

Certificat de mariage

[28]  La SPR a tiré une conclusion négative lorsque la DP n’a pas répondu aux questions au sujet de son certificat de mariage. Cependant, la DP a admis qu’elle n’avait pas demandé à ses parents de lui envoyer le certificat, ce qui révèle un manque d’effort pour obtenir le document. Dans ses motifs, la SPR n’a pas évalué cette situation comme elle aurait dû le faire dans le cadre d’une évaluation générale visant à déterminer si la DP avait fait des efforts pour obtenir les documents. La SPR aurait dû tenir compte de la réponse et fournir des motifs quant à sa décision d’accepter ou de rejeter la réponse (Narasingham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 294, au paragraphe 24. Voir aussi Ipala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 472, aux paragraphes 20 à 22).

[29]  Il n’est pas raisonnable pour la SPR de ne pas tenir compte du témoignage de la DP, même si l’information donnée ne répond pas directement à la question. Par conséquent, il est déraisonnable pour la SPR de tirer une conclusion défavorable à la lumière des questions sur le certificat de mariage sans tenir compte de la réponse fournie.

Conclusion

[30]  Pour les motifs susmentionnés, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire. En outre, la DP affirme que la SPR a erré en ne tenant pas compte de la revendication de statut de réfugié sur place. Cependant, puisqu’il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire, je n’aborderai pas cette question.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5314‑17

LA COUR ORDONNE :

1.  qu’il soit fait droit à la demande de contrôle judiciaire. La décision de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

2.  Les parties n’ont soulevé aucune question de portée générale à des fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme.

Ce 2e jour du mois de novembre 2018.

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5314‑17

INTITULÉ :

YOUSHI YANG, YAOHONG YANG, ZHANTU YANG et YAOZHONG YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

30 AOÛT 2018

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA jUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

25 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Phillip J.L. Trotter

POUR LES DEMANDEURS

Amy King

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip J.L. Trotter

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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