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Date : 20181023

Dossier : IMM‑358‑18

Référence : 2018 CF 1064

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

 

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2018

En présence du juge en chef

ENTRE :

SIHUA JIANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Madame Jiang est citoyenne de la République populaire de Chine.

[2]  Elle a demandé l’asile au Canada en invoquant sa crainte d’être maltraitée par des représentants du Bureau de la sécurité publique [le BSP] en Chine. Elle affirme que le BSP est à sa recherche et qu’il l’arrêtera si elle retourne en Chine, parce qu’elle est membre de l’Église du Dieu tout-puissant, une religion qui est illégale dans ce pays.

[3]  La demande d’asile de Mme Jiang a été refusée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR]. Son appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a été rejeté.

[4]  Madame Jiang soutient que, lorsqu’elle a rejeté son appel, la SAR a commis les erreurs suivantes :

  1. elle n’a pas tenu d’audience après avoir soulevé de nouvelles préoccupations en matière de crédibilité concernant la citation à comparaître délivrée par le BSP que la demanderesse avait présentée à l’appui de sa demande;

  2. elle a conclu que la demanderesse n’aurait pas été en mesure de quitter la Chine avec son propre passeport si elle était recherchée par les autorités chinoises;

  3. elle a conclu que la citation à comparaître du BSP et les autres documents corroborants n’étaient pas authentiques;

  4. elle a estimé que la demanderesse n’était pas membre de l’Église du Dieu tout‑puissant;

  5. elle a rejeté la demande d’asile présentée sur place par la demanderesse [la demande d’asile sur place].

[5]  La présente demande sera rejetée pour les motifs suivants.

II.  Contexte

[6]  Aux fins qui nous occupent, les faits contextuels pertinents sont exposés dans le résumé suivant fourni par la SAR :

L’appelante a soutenu dans ses allégations présentées à la SPR qu’elle avait été initiée à l’Église du Dieu tout puissant par sa tante en octobre 2015, car elle souffrait de dépression. Elle a commencé à pratiquer son culte au sein d’un groupe au domicile de sa tante en janvier 2016, mais elle n’a pas été aux messes tenues régulièrement, puisque sa tante la jugeait trop jeune. L’appelante a aidé la dirigeante du groupe et sa tante, qui agissait comme codirigeante, à concevoir et à imprimer des documents religieux au moyen de son ordinateur.

La tante de l’appelante et le chef du groupe ont été arrêtés le 19 mars 2016, au moment où l’appelante rendait visite à sa grand‑mère. L’appelante a appris par son cousin que le Bureau de la sécurité publique (PSB) voulait l’arrêter elle aussi. Ses parents ont été interrogés par le PSB, qui a ordonné à l’appelante de se présenter aux autorités. Lorsqu’elle a omis de le faire, une sommation a été délivrée et remise à sa mère le 21 mars 2016. L’appelante est entrée dans la clandestinité. Un passeur a été embauché afin de l’aider à quitter le pays. Le PSB est toujours à sa recherche, et les autres adeptes se trouvent toujours en détention.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Devant la SAR, Mme Jiang a soulevé les quatre questions exposées aux sous-paragraphes 4 (ii) à (v), ci‑dessus, ainsi qu’une question supplémentaire qui n’est pas liée à la présente demande.

[8]  Pour ce qui est de la capacité de la demanderesse à quitter la Chine en utilisant son passeport, la SAR a effectué son propre examen et sa propre évaluation des éléments de preuve, y compris l’affirmation de Mme Jiang selon laquelle le passeur dont elle avait retenu les services pour l’aider avait soudoyé des agents des douanes. En bref, la SAR a conclu que cette affirmation n’était pas crédible, en partie parce qu’elle n’était pas appuyée par quoi que ce soit, et en partie aussi parce qu’elle était incompatible avec la preuve documentaire au dossier. La SAR a donc confirmé la décision de la SPR de rejeter cette affirmation.

[9]  Pour ce qui est de la citation à comparaître alléguée et des autres documents corroborants présentés par Mme Jiang, la SAR a encore une fois confirmé les conclusions défavorables qu’avait tirées la SPR en matière de crédibilité. Ce faisant, elle a invoqué des motifs supplémentaires, qui s’ajoutaient à ceux déjà mentionnés par la SPR, pour justifier cette conclusion. En outre, elle a conclu qu’en présentant un document frauduleux à l’appui de sa demande, Mme Jiang avait miné sa crédibilité générale ainsi que celle des autres documents qu’elle avait présentés à l’appui de sa demande.

[10]  Pour ce qui est du caractère authentique de ses croyances religieuses, la SAR a admis que Mme Jiang possédait certaines connaissances superficielles au sujet de l’Église du Dieu tout‑puissant. Elle a toutefois convenu avec la SPR que ces connaissances ne permettaient pas de dissiper divers doutes soulevés à cet égard. Après avoir examiné le dossier, la SAR a jugé qu’il n’y avait aucune raison de modifier les conclusions de la SPR, tant sur ces points qu’à l’égard des préoccupations relatives à la crédibilité exprimées par cette dernière au sujet du témoignage de la demanderesse. La SAR a fait observer que la SPR jouissait d’un certain avantage pour ce qui est de tirer des conclusions en matière de crédibilité, et que, par conséquent, il convenait de faire preuve de retenue à l’égard de ces conclusions. La SAR a ajouté que sa conclusion sur l’authenticité des croyances religieuses de Mme Jiang était en outre confortée par ses conclusions sur les questions examinées aux précédents paragraphes 8 et 9.

[11]  Enfin, la SAR a rejeté la demande d’asile sur place de Mme Jiang, après avoir estimé que certains des documents qu’elle avait fournis méritaient peu de poids, et avoir conclu qu’elle n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ses activités reliées à l’Église du Dieu tout-puissant au Canada avaient attiré sur elle l’attention des autorités chinoises, ni que ce serait vraisemblablement le cas dans l’avenir.

IV.  Norme de contrôle

[12]  La question d’équité procédurale soulevée par Mme Jiang doit être examinée selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43.

[13]  Les autres questions qu’a soulevées Mme Jiang doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 à 53 [Dunsmuir]; Abdulmaula c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 14, au paragraphe 8.

[14]  Pour évaluer si une décision est raisonnable, la Cour s’attache généralement à déterminer si elle est suffisamment intelligible, transparente et justifiée. À cet égard, la Cour doit veiller à comprendre les motifs qui sous‑tendent la décision, et déterminer si celle-ci appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16. Une décision qui a un « fondement rationnel » appartient habituellement à cette catégorie de décisions : Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 47.

V.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir une audience?

[15]  Mme Jiang a soutenu que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a tiré de nouvelles inférences défavorables quant à la crédibilité, mais aussi de nouvelles conclusions concernant l’authenticité de la citation à comparaître présentée par la demanderesse à l’appui de sa demande, sans tenir une audience ni donner à cette dernière la possibilité de présenter des observations au sujet de ces nouvelles inférences et conclusions.

[16]  Je ne suis pas de cet avis. La question de l’authenticité de la citation à comparaître a été clairement soumise à la SAR. De fait, elle a été expressément soulevée aux paragraphes 49 à 54 et 70 à 72 des observations écrites de Mme Jiang présentées à la SAR. Cela établit une distinction entre les faits de l’espèce et ceux de l’affaire Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684, aux paragraphes 9 et 10, que Mme Jiang a invoquée.

[17]  Les questions qui reposent sur une question existante, ou qui en sont des éléments, ne sont pas des « questions nouvelles ». En réalité, « [l]es questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties » : R c Mian, 2014 CSC 54, aux paragraphes 30 et 33. En l’espèce, la SAR a soulevé des préoccupations supplémentaires quant aux faits concernant la citation à comparaître visée, mais la SAR était à bon droit saisie de la question fondamentale de l’authenticité de ce document : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1175, au paragraphe 22. Elle était donc autorisée à examiner en détail cette question sans avoir à tenir une audience.

B.  Était‑il déraisonnable de la part de la SAR de conclure que Mme Jiang n’aurait pas été en mesure de quitter la Chine avec son propre passeport si elle était recherchée par les autorités chinoises?

[18]  Madame Jiang a affirmé que la conclusion de la SAR sur cette question était incompatible avec la jurisprudence de la Cour, et n’était pas raisonnable eu égard aux faits.

[19]  Quant à la jurisprudence de cette Cour, Mme Jiang invoque la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762 [Huang] et diverses autres affaires examinées dans cette décision. Il y a toutefois lieu d’établir des distinctions entre le cas en l’espèce et ces affaires.

[20]  En l’espèce, Mme Jiang s’est appuyée sur une simple affirmation selon laquelle la passeuse dont elle avait retenu les services pour l’aider à s’enfuir de la Chine lui aurait dit [traduction] « a[voir] soudoyé les agents des douanes pour [qu’elle] puisse quitter ce pays sans difficulté ». La SAR a notamment fait remarquer que le témoignage de Mme Jiang ne permettait pas d’établir clairement comment cela s’était fait.

[21]  Ce fait démontre une distinction avec les diverses affaires invoquées par Mme Jiang. Entre autres, dans chacune de ces affaires, la demanderesse en cause avait fourni des preuves supplémentaires pour expliquer comment elle avait réussi à quitter la Chine avec un passeport authentique. Et dans quelques-unes de ces affaires, la demanderesse concernée a expliqué de façon détaillée comment elle avait obtenu de l’aide d’une ou plusieurs tierces personnes pour quitter la Chine munie d’un passeport authentique : Huang, précité, au sous-paragraphe 68c); Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387, au paragraphe 13 [Sun]; Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au paragraphe 16 [Ren]; et Yao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, au paragraphe 14. Dans un autre cas, la demanderesse avait déclaré que l’agent des douanes n’avait pas scanné son passeport, ni entré que ce soit dans l’ordinateur, mais qu’il avait simplement estampillé le passeport : Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 543, au paragraphe 12. Et dans une autre affaire encore, il a été jugé que la SAR avait commis une erreur lorsqu’elle avait conclu qu’une telle chose était invraisemblable, car il aurait fallu soudoyer un grand nombre de fonctionnaires de l’aéroport à cette fin : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 533, au paragraphe 5 [Zhang]. En outre, dans la décision Sun, ci‑dessus, au paragraphe 13, il a été déterminé que la conclusion de la SPR était incompatible avec les autres conclusions auxquelles elle était arrivée concernant le caractère répandu de la corruption en Chine et la possibilité que les renseignements ne soient pas toujours communiqués efficacement entre les différentes autorités.

[22]  Dans une décision récente dans laquelle des affirmations très générales comparables à celles de Mme Jiang avaient été formulées par la demanderesse, à savoir la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 877, aux paragraphes 14 à 21, je note que la juge Gagné a également établi une distinction avec les affaires Zhang et Ren.

[23]  Pour ce qui est des faits, Mme Jiang a contesté le fait que la SAR se soit appuyée sur le Guide jurisprudentiel TB6‑11632 [TB6‑11632], qui est, d’après elle, incompatible avec les autres renseignements contenus dans le Cartable national de documentation.

[24]  Elle n’a toutefois pas expliqué en quoi les faits de cette affaire différaient de ceux exposés dans la décision TB6‑11632, où la SAR a examiné en détail la question de savoir si un citoyen chinois recherché par les autorités chinoises peut quitter le pays en utilisant un passeport authentique : TB6‑11632, aux paragraphes 9 à 36. En l’absence d’une telle explication, et après avoir examiné le dossier en l’espèce, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable que la SAR applique les faits de l’affaire TB6‑11632 à la situation de Mme Jiang.

[25]  Comme la Cour l’a récemment fait remarquer, les affaires de ce genre sont de nature factuelle et doivent être tranchées en fonction des preuves présentées : Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146, au paragraphe 20.

[26]  Malheureusement pour Mme Jiang, il était loisible à la SAR de conclure que le contexte factuel exposé dans la décision TB6‑11632 était semblable à celui qu’elle avait présenté, et de se fonder ensuite sur l’analyse contenue dans le Guide jurisprudentiel pour conclure qu’elle n’aurait pas pu sortir de Chine de la façon qu’elle allègue si elle avait été recherchée par le BSP : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 561, au paragraphe 12. Cela est d’autant plus vrai que la décision TB6‑11632 contient de nombreuses références au Cartable national de documentation daté du 31 mai 2016, et à diverses décisions dans lesquelles la Cour a confirmé des conclusions voulant que le fait de passer sans entrave les contrôles de sortie de la Chine avec un passeport authentique ne soit pas compatible avec le fait d’être recherché par les autorités chinoises : Zeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1060, au sous‑paragraphe 5(xi) et au paragraphe 32; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 315, au paragraphe 19; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666, au paragraphe 17.

[27]  Le législateur a expressément accordé au président de la CISR le pouvoir de désigner, après consultation des vice-présidents, des décisions de la CISR en tant que guides jurisprudentiels, dans le but d’aider les commissaires à exercer leurs attributions : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), alinéa 159(1)h). Selon un document intitulé Note de politique concernant la désignation de la décision TB6‑11632 en tant que Guide jurisprudentiel de la SAR, le président a exercé cette attribution. Ce document énonce notamment que les commissaires de la SPR et de la SAR « appliquent les guides jurisprudentiels aux cas comportant des faits semblables ou justifient leur décision de s’en écarter, le cas échéant ».

[28]  Compte tenu de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR, cette approche n’est pas déraisonnable. Elle peut notamment favoriser l’uniformité et, par conséquent, la certitude et la prévisibilité, dans le processus décisionnel de la SAR. En outre, le recours aux guides jurisprudentiels peut réduire le temps dont a besoin la SAR pour rendre ses décisions et, par conséquent, atténuer l’angoisse que vivent les demandeurs d’asile et leurs familles pendant qu’ils attendent l’issue de leurs appels.

[29]  En résumé, la conclusion de la SAR selon laquelle Mme Jiang n’aurait pas pu quitter la Chine avec son propre passeport si elle avait été recherchée par les autorités chinoises n’est pas déraisonnable. Il en va de même pour la conclusion de la SAR selon laquelle l’explication qu’a fournie Mme Jiang sur ce point n’était pas crédible. Les motifs fournis par la SAR étaient suffisamment intelligibles, transparents et justifiés pour me permettre de conclure qu’ils étaient logiquement fondés et appartenaient donc « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Halifax, précité, au paragraphe 47.

C.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la citation à comparaître du BSP et les autres documents corroborants n’étaient pas authentiques?

[30]  Compte tenu de la conclusion que je viens de tirer, il n’est pas nécessaire d’aborder cette question. Cela s’explique par le fait qu’en concluant que Mme Jiang n’avait pas pu quitter la Chine avec son propre passeport, la SAR a constaté du même coup que celle‑ci n’était pas, en réalité, recherchée par le BSP. Étant donné que ces conclusions n’étaient pas déraisonnables, elles sont déterminantes dans la présente demande, sauf en ce qui concerne les questions que Mme Jiang a soulevées à l’égard de sa demande d’asile sur place, qui est examinée dans la partie V. E) des motifs ci-après.

[31]  Je ferai une simple parenthèse, ici, pour préciser que je ne saurais retenir ce qui semble être l’argument avancé par Mme Jiang, à savoir que, d’une façon générale, il n’est pas possible de mettre en doute l’authenticité d’un document en se fondant sur une analyse microscopique. À mon avis, il peut être tout à fait loisible à la SAR ou à un autre décideur de mettre en doute l’authenticité d’un document en se fondant sur des différences minuscules, voire microscopiques, entre le document et un exemplaire authentique. Car ce sont ces détails minuscules ou microscopiques qui nous permettent de déceler qu’un document est faux. En fin de compte, la question de savoir si pareils détails permettent logiquement de conclure qu’un document n’est pas authentique dépendra des faits propres à chaque affaire.

D.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Mme Jiang n’était pas membre de l’Église du Dieu tout-puissant?

[32]  Compte tenu des commentaires que j’ai formulés au paragraphe 30, ci‑dessus, cette question n’est pertinente que parce qu’elle a un lien avec la question soulevée par Mme Jiang au sujet du traitement qu’a réservé la SAR à sa demande d’asile sur place. Si ce dernier argument n’avait pas été présenté, j’aurais jugé inutile d’examiner la question de la façon dont la SAR a traité la question de l’appartenance alléguée de Mme Jiang à l’Église du Dieu tout-puissant.

[33]  Madame Jiang a soutenu que la SAR et la SPR ont commis une erreur dans leur appréciation de son identité religieuse en s’attardant sur l’exactitude des réponses qu’elle avait fournies aux questions qui lui étaient posées au lieu d’examiner le caractère authentique de ses croyances religieuses. Elle maintient que le témoignage qu’elle a fourni au sujet des brochures religieuses qu’elle distribuait, et des différences entre sa religion et les autres, était conforme à la norme peu exigeante des connaissances religieuses prévue par la jurisprudence. Elle a ajouté que la SAR et la SPR ont également commis une erreur en omettant de présumer que son témoignage était véridique.

[34]  Je ne suis pas d’accord. Après avoir examiné le dossier et écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR, la SAR a conclu que la connaissance que possédait Mme Jiang de sa prétendue religion était [traduction] « superficielle » et [traduction] « vague », en particulier pour ce qui est des textes religieux qui constituent les principaux livres sacrés de l’Église du Dieu tout-puissant. La SAR a également conclu que le témoignage fourni par la demanderesse au sujet de la prière au Seigneur ne correspondait pas à la pratique de l’Église du Dieu tout‑puissant, telle que décrite par la SPR. Après avoir tiré ces conclusions, elle a estimé que les éléments de preuve produits par la demanderesse en vue d’établir qu’elle avait distribué à sept ou huit reprises des brochures religieuses au Canada, et qu’elle avait fait connaître la parole de Dieu en ayant plusieurs conversations avec d’autres personnes, n’établissaient pas l’authenticité de son appartenance religieuse alléguée.

[35]  À mon avis, il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion, malgré le jeune âge de Mme Jiang (19 ans) et la courte période de temps au cours de laquelle elle alléguait avoir pratiqué sa religion (quelques mois seulement). La conclusion de la SAR sur cette question est suffisamment justifiée, transparente et intelligible pour me permettre de conclure qu’elle était logiquement fondée, et qu’elle appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Halifax, précité, au paragraphe 47.

[36]  Compte tenu de la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR à l’égard de l’affirmation de Mme Jiang selon laquelle elle était recherchée par le BSP en Chine, celle‑ci ne bénéficiait plus, à ce stade, de la présomption de véracité de son témoignage sur les autres questions : Moossavi-Zadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 365, au paragraphe 44; Elfar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 51, au paragraphe 4. Compte tenu de cette conclusion défavorable en matière de crédibilité, la SAR était fondée à se montrer sceptique au sujet de la fiabilité des autres preuves produites par Mme Jiang pour attester le caractère authentique de sa foi en l’Église du Dieu tout-puissant. Pour dire les choses autrement, il était raisonnablement loisible à la SAR d’estimer que ces preuves n’étaient pas suffisamment indépendantes, objectives et convaincantes pour établir le caractère authentique des croyances religieuses de Mme Jiang dans les circonstances : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3.

E.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande d’asile sur place de Mme Jiang?

[37]  Devant la SAR, Mme Jiang a soutenu que la SPR a commis une erreur au moment d’examiner sa demande d’asile sur place, parce qu’elle avait omis d’examiner : i) son identité en tant qu’adepte de l’Église du Dieu tout-puissant au Canada, indépendamment de ses prétendues activités religieuses en Chine, et ii) les éléments de preuve qu’elle avait fournis relativement à ses activités liées à cette Église, au moins depuis son arrivée au Canada.

[38]  Dans le cadre de la présente demande devant la Cour, Mme Jiang a allégué que la SAR a commis les mêmes erreurs. Autrement dit, elle affirme que la SAR a omis d’examiner la question de savoir si ses activités religieuses au Canada risqueraient de l’exposer à un préjudice en Chine si elle retournait dans ce pays.

[39]  Je ne souscris pas à cette proposition.

[40]  La SAR a expressément examiné les arguments avancés par Mme Jiang au sujet de la nécessité d’évaluer ses activités religieuses au Canada indépendamment de ses activités en Chine, et en ce qui a trait à la nécessité de prendre en compte les conséquences qu’auraient pour elle ces activités advenant son retour en Chine. La SAR a également examiné, même si ce n’est que brièvement, les éléments de preuve présentés par la demanderesse au soutien de sa demande d’asile sur place. Ces éléments consistaient en des lettres émanant de coreligionnaires au Canada, et en des photographies qui la montraient en train de distribuer des brochures au Canada.

[41]  Pour ce qui est des activités religieuses exercées par Mme Jiang au Canada, l’examen qu’en a fait la SAR était très bref. Premièrement, elle a constaté que les preuves présentées n’avaient que peu de poids pour ce qui est d’établir l’authenticité des convictions religieuses de la demanderesse. Étant donné les conclusions défavorables tirées en matière de crédibilité relativement aux questions examinées dans les parties V. B) et V. D), ci‑dessus, cette observation n’était pas déraisonnable : voir le paragraphe 36.

[42]  Deuxièmement, la SAR a déclaré que le dossier ne contenait aucun élément de preuve établissant que les activités religieuses exercées par Mme Jiang au Canada étaient venues à l’attention des autorités chinoises. Madame Jiang n’a pas affirmé le contraire. En l’absence d’une telle preuve, la SAR a conclu que Mme Jiang n’avait pas démontré que ses activités reliées à l’Église du Dieu tout-puissant avaient attiré sur elle l’attention des autorités chinoises, ni que ce serait le cas dans l’avenir.

[43]  Troisièmement, compte tenu de sa conclusion selon laquelle Mme Jiang n’était pas une adepte authentique de l’Église du Dieu tout-puissant, la SAR a estimé qu’il était très peu probable que Mme Jiang pratique cette religion après son retour en Chine.

[44]  En se fondant sur les conclusions mentionnées ci‑dessus, la SAR en est arrivée à la conclusion qu’il n’existait pas de possibilité sérieuse que Mme Jiang soit persécutée en raison de son adhésion alléguée aux enseignements de l’Église du Dieu tout-puissant, dans le cas où elle retournerait en Chine.

[45]  Considérant la nature très limitée des activités religieuses de Mme Jiang au Canada, et en l’absence de toute preuve établissant une possibilité sérieuse que ses activités soient portées à l’attention des autorités chinoises, une telle conclusion n’était pas déraisonnable : Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 543, aux paragraphes 39 à 41; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 650, au paragraphe 19. Ma conclusion sur ce point est confortée par le fait que la SAR a conclu, de façon raisonnable, que Mme Jiang n’était pas une véritable adepte de l’Église du Dieu tout-puissant. Même si l’examen qu’a fait la SAR de cette question était très bref, il était suffisamment justifié, transparent et intelligible pour me permettre de comprendre comment la SAR en était arrivée à sa conclusion, et de décider que celle-ci appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[46]  En substance, la demande d’asile sur place de Mme Jiang était fondée sur son affirmation non étayée selon laquelle ses activités religieuses au Canada viendraient à l’attention des autorités chinoises, qui la persécuteraient alors en conséquence après son retour en Chine. Il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR de conclure qu’à cet égard, la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait, à savoir celui de démontrer : i) que ces activités viendraient probablement à l’attention des autorités chinoises; et ii) qu’il existait une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée par les autorités chinoises après son retour en Chine du fait de ces activités.

VI.  Conclusion

[47]  Compte tenu des conclusions que j’ai tirées dans la partie V, ci‑dessus, la présente demande sera rejetée.

[48]  Je souscris à la position exprimée par les avocats des parties au cours de l’audition de la présente demande, à savoir que les faits et les questions en litige en l’espèce ne soulèvent aucune question grave d’importance générale visée à l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT dans IMM‑358‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question ne sera certifiée sous le régime de l’alinéa 74d) de la LIPR.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de décembre 2018.

 

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


ANNEXE 1 — Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Présidence de la Commission

Duties of Chairperson

Fonctions

Chairperson

159 (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d’office des quatre sections; à ce titre :

159 (1) The Chairperson is, by virtue of holding that office, a member of each Division of the Board and is the chief executive officer of the Board. In that capacity, the Chairperson

(…)

(…)

h) après consultation des vice-présidents et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel;

(h) may issue guidelines in writing to members of the Board and identify decisions of the Board as jurisprudential guides, after consulting with the Deputy Chairpersons, to assist members in carrying out their duties; and

(…)

(…)


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM‑358‑18

INTITULÉ :

SIHUA JIANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 27 juillet 2018

jugEment ET MOTIFS :

le juge en chef CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

le 23 octobre 2018

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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