Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20181022


Dossiers : T‑963‑17

T‑964‑17

Référence : 2018 CF 1054

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MITCHEL TIMOTHY NOME

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

VU la requête du demandeur, déposée auprès de la Cour lors de la séance générale, à Winnipeg, au Manitoba, le 9 octobre 2018, le défendeur sollicite ce qui suit :

a) Une ordonnance enjoignant au défendeur :

i) de fournir au demandeur un accès raisonnable à des ressources juridiques, plus particulièrement un accès aux ressources juridiques en ligne, telles que Canlii, Westlaw ou Nexis, et lui offrir la possibilité de conserver et d’examiner les documents obtenus de ces sites;

ii) de permettre au demandeur de communiquer par téléphone et par courriel avec les professeurs de droit, les étudiants en droit, les avocats ou toute organisation juridique pouvant aider le demandeur à préparer son dossier;

iii) de fournir au demandeur un ordinateur portatif personnel et un moyen de conserver les fichiers de manière électronique, comme des clés USB, et de considérer que ces fichiers sont protégés par le secret professionnel et lui appartiennent;

iv) d’assumer les dépens de la présente requête.

ET VU QU’il a été constaté que le demandeur a retiré la demande de réparation qu’il avait cherché à obtenir en vertu du sous-alinéa a)(iii) ci‑dessus;

ET APRÈS avoir confirmé que le demandeur est représenté par un avocat à moins qu’il n’y ait observation de l’article 124 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106);

ET APRÈS avoir lu les documents déposés et entendu les arguments des parties;

[1]  Je remarque que le juge Manson, dans une ordonnance datée du 24 août 2017, a accordé ce qui suit :

[TRADUCTION]

1. Le demandeur déposera sa demande en vertu des règles applicables de la Cour.

2. Le défendeur fournira tout l’accès raisonnable aux fournitures et aux outils de communication nécessaires afin que le demandeur puisse continuer son recours judiciaire immédiatement, à défaut de quoi la Cour envisagera le recours et les réparations appropriés pour le demandeur selon des modalités raisonnables.

3. Étant donné que des négociations de règlement sont en cours, les parties devront informer la Cour de toute médiation ou de tout autre mode alternatif de règlement des différends qui pourrait aider efficacement à régler le litige et, sur demande des parties, la Cour nommera un médiateur afin de faciliter la résolution du litige.

[2]  Des demandes de contrôle judiciaire ont été déposées pour les dossiers T‑964‑17 et T‑963‑17 le 29 juin 2017. À la suite de l’ordonnance du juge Manson, le juge Pentney, dans une ordonnance datée du 17 août 2018, a ordonné que les requêtes actuelles dans les deux affaires soient entendues le 9 octobre 2018.

[3]  Je remarque également que les parties ont tenté de régler les questions liées à l’ordonnance du juge Manson au fur et à mesure qu’elles se présentaient. Ce faisant, les parties sont parvenues à un accord sur certaines questions. Toutefois, deux affaires comprennent encore des questions qui doivent être tranchées et elles ont été déposées à la Cour afin d’obtenir réparation. Les questions qui restent ont été énoncées par le demandeur comme suit :

[TRADUCTION]

  • a) qu’il soit accordé au détenu un accès par Internet à Canlii ou à tout autre outil de recherche juridique en ligne;

  • b) qu’il lui soit accordé de l’espace pour plus de 40 personnes dans sa liste institutionnelle de numéros de téléphone, afin qu’il puisse téléphoner à un avocat, à des professeurs ou à d’autres ressources juridiques. Ou, subsidiairement, que le demandeur sache qui est sur sa liste de numéros de téléphone limitée à 40 personnes afin qu’il puisse y soustraire et y ajouter certaines personnes.

[4]  Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’a pas fait appel à la procédure de règlement des griefs au lieu de déposer la présente requête, le demandeur a soutenu que la procédure de règlement des griefs prendrait trop de temps. Le demandeur fait valoir que ces questions doivent être réglées afin qu’il puisse présenter sa cause sous son meilleur jour au moment de la préparation de ses demandes de contrôle judiciaire.

[5]  Dans l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, la Cour suprême a conclu que l’un des motifs discrétionnaires pour refuser de procéder à un contrôle judiciaire est l’existence d’un autre recours approprié. La question d’un autre recours approprié dans le contexte des détenus a été tranchée par la Cour dans l’affaire Thompson c Canada (Service correctionnel), 2018 CF 40. Dans cette affaire, le juge Southcott a réaffirmé que les procédures de règlement des griefs dont les contrevenants peuvent se prévaloir leur offrent un autre recours approprié par rapport au contrôle judiciaire. Le juge Southcott a expliqué, en outre, que le contrôle judiciaire ne sera généralement approprié qu’après qu’une décision définitive est rendue dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[6]  Les questions dont je suis saisie se situent dans le contexte d’une autre requête qui vise à obtenir une réparation devant la Cour pour les contrôles judiciaires déjà déposés et la question dont je suis saisie n’est pas identique sur le plan des faits aux affaires indiquées ci‑dessus. Malgré cela, lorsqu’on l’examine, il est clair que ce que le demandeur demande dans cette affaire s’apparente à la demande indirecte de quelque chose que l’on ne peut obtenir directement.

[7]  Les demandes présentées découlent de la même question qui peut être tranchée dans le cadre du régime de règlement des griefs ou bien elles ont déjà été tranchées à l’aide de l’ordonnance du juge Manson. Même s’il ne s’agit pas de la meilleure façon de procéder pour le demandeur, en raison des facteurs temporels, le régime de règlement des griefs constitue quand même un autre recours approprié. Puisqu’il existe un autre recours approprié, je n’accorderai pas la réparation demandée.

[8]  Subsidiairement, si les recours ci‑dessus ne constituent pas d’autres recours appropriés, je ne souscris pas à l’argument avancé par le demandeur. L’avocat du demandeur a fait valoir qu’en principe, le simple fait de se voir accorder la possibilité d’obtenir un contrôle judiciaire ne suffit pas. Le demandeur a fait valoir qu’un détenu devrait avoir la possibilité de présenter sa cause sous son meilleur jour en présentant ses arguments de façon satisfaisante. Selon l’argument du demandeur, cela ne peut être fait qu’en ayant accès à Canlii.

[9]  Je suis d’avis que le demandeur a accès à un bibliothécaire. Lorsqu’on le lui demande, le bibliothécaire fournit des affaires au détenu, mais le demandeur soutient que le processus de demande prend trop de temps et qu’il ne peut pas lire la police des décisions imprimées. La Cour confirme que le demandeur a accès à un texte annoté, Federal Courts Practice de Saunders, Rennie et Garton, où il peut trouver la jurisprudence. Toutefois, le demandeur soutient que cette mesure d’adaptation ne suffit pas. Il s’est plaint du fait que, même avec le texte annoté, il doit prendre une seule citation de la Loi et des Règles annotées et ensuite faire un suivi dans le cadre de sa recherche juridique. De plus, il soutient que le bibliothécaire n’a suivi aucune formation juridique, ce qui rend le processus inefficace puisqu’il ne permet pas au demandeur de présenter ses observations écrites à la Cour.

[10]  Le demandeur soutient qu’afin d’avoir un meilleur accès à des professeurs en droit et à des avocats, on doit lui fournir la liste institutionnelle de 40 personnes qui figurent actuellement à sa liste de numéros de téléphone. Dans l’établissement, un détenu a droit à un certain nombre de personnes approuvées qu’il a le droit d’appeler. Le demandeur a indiqué que cet établissement permet que 40 personnes fassent partie de la liste et que ce nombre de personnes figure déjà à sa liste. Le demandeur maintient qu’il préférerait avoir plus de 40 personnes à sa liste parce qu’il est très procédurier et qu’il a des avocats ou des affaires qu’il a déposées au Québec, en Ontario et auprès d’autres Cours supérieures en ce qui concerne des litiges actuels et antérieurs. Le demandeur soutient que, subsidiairement, si l’établissement n’augmente pas le nombre de personnes qu’il peut avoir à sa liste, il doit avoir sa liste de numéros de téléphone afin de pouvoir radier certaines personnes et en ajouter d’autres.

[11]  Il convient de noter que la demande du demandeur d’avoir un plein accès à un moteur de recherche juridique sur Internet n’a jamais été effectuée auparavant dans l’établissement. Le demandeur soutient que, même si cela n’a jamais été fait auparavant, tout problème de sécurité que l’établissement perçoit pourrait être traité en bloquant tout sauf l’outil de recherche juridique. De cette façon, le demandeur serait en mesure de préparer ses arguments juridiques et les besoins en matière de sécurité de l’établissement seraient respectés.

[12]  J’ai examiné avec l’avocat du demandeur la capacité du demandeur à correspondre par écrit avec les personnes auxquelles il demande de l’aide. Même si le demandeur reconnaît que cela est possible, il ne s’agit pas du moyen de communication préféré du demandeur. De plus, étant donné que le demandeur a ou a eu de nombreux avocats partout au Canada (certes, des services offerts bénévolement), on ignore pourquoi un avocat ne peut lui fournir une affaire de CanLii ou une recherche pertinente en lui envoyant l’affaire ou des citations par la poste, qu’il pourrait ensuite fournir à la bibliothèque de l’établissement.

[13]  Le défendeur a présenté des éléments de preuve selon lesquels l’établissement a déjà accordé des « faveurs » exceptionnelles (comme un accès spécial aux ordinateurs) au demandeur et qu’il a dû les révoquer étant donné : 1) son mauvais usage de l’accès, 2) son comportement et 3) des mesures de sécurité plus strictes après qu’une arme blanche a été trouvé dans la cellule du demandeur. De plus, on souligne que, puisque la nature sous-jacente de ces actions en justice correspond à des questions administratives et non pénales, les mêmes droits ne sont pas en litige. Le défendeur soutient que l’établissement s’est donné beaucoup de mal pour répondre aux besoins du demandeur afin qu’il puisse déposer le dossier de sa demande. Le défendeur fait valoir que, plutôt que de déposer son dossier de demande et de procéder à une audition des questions, le demandeur dépose la présente requête par l’intermédiaire d’un avocat. Il agit de la sorte malgré le fait que le défendeur a fait de son mieux pour se conformer aux ordonnances du juge Manson dans le cadre de ce processus. Enfin, le défendeur indique que les observations présentées par le demandeur dans son affidavit et dans ses documents ne sont pas entièrement véridiques.

[14]  Lorsqu’on lui a demandé s’il existait des précédents relativement à ces questions, le demandeur a invoqué la décision R c Biever, 2015 ABQB 301, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Dans cette affaire, une personne qui se représentait elle‑même, M. Biever, était accusée d’un certain nombre d’infractions en lien avec des vols de banque devant le juge Graesser. M. Biever se représentait lui‑même dans cette affaire criminelle et il s’était vu refuser une mise en liberté sous caution et était détenu dans un centre correctionnel provincial (détention provisoire) en attendant son procès. M. Biever a demandé un accès spécial afin de procéder à une recherche juridique dans le but de préparer sa défense et, à l’audience, il a admis qu’il recevait des copies des affaires et des documents de recherche de membres de sa famille et d’un avocat.

[15]  L’équité procédurale et les droits examinés dans cette affaire se situent dans le contexte du droit criminel et ne seraient pas les mêmes que ceux qui seraient accordés au demandeur dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Je conclus que l’affaire Biever est distincte, puisque M. Biever n’était pas dans un établissement fédéral où il y avait un bibliothécaire et qu’il n’avait pas été reconnu coupable puisqu’il était en détention provisoire de sorte que sa capacité à préparer sa défense au criminel et sa liberté étaient en cause.

[16]  En revanche, le demandeur a déjà été reconnu coupable et de nombreuses ressources sont à sa disposition dans l’établissement fédéral. En fait, même dans ce contexte plus élevé de droit criminel, le juge Graesser n’a pas ordonné de manière spéciale un accès à toutes les ressources en ligne, mais il a plutôt suggéré que le juge de l’Alberta et le centre de détention provisoire d’Edmonton (CDPE) trouvent une façon de lui accorder un accès raisonnable.

[17]  Je conclus que, d’après les faits de l’espèce, le demandeur s’est vu accorder un accès raisonnable aux documents de recherche à ce jour et je ne constate aucun obstacle à ce qu’il ait un accès par l’intermédiaire du bibliothécaire, à ce que des copies lui soient envoyées par la poste par ses divers avocats et professeurs, ou à ce que cette pratique se poursuive à l’avenir. Évidemment, tout cela est assujetti aux règles de l’établissement et au comportement du demandeur.

[18]  Je conclus que l’ordonnance du juge Manson est plus que suffisante pour répondre aux besoins du demandeur et je n’ordonnerai pas la réparation demandée par le demandeur. Ces requêtes seront rejetées.

[19]  J’ordonne en outre que la question fasse l’objet d’une instance à gestion spéciale afin que les demandes de contrôle judiciaire puissent être traitées en temps opportun et que toute autre requête présentée puisse être mise au rôle rapidement.

[20]  Conformément à l’article 384 des Règles des Cours fédérales, la présente affaire fera l’objet d’une instance à gestion spéciale afin qu’elle soit traitée en temps opportun, puisqu’elle ne va pas de l’avant et qu’elle fait l’objet de différends et de retards auxquels le processus administratif de contrôle judiciaire ne devrait pas être assujetti.

[21]  Le défendeur a demandé des dépens de 1 000 $. Étant donné que les parties sont parvenues à une entente après avoir rencontré le directeur au sujet de l’accès aux ordinateurs et que le grief a été retiré et approuvé par le demandeur huit jours avant le dépôt de ces requêtes, je réduirai le montant, vu l’incarcération actuelle du demandeur, à un montant forfaitaire de 200 $, qui comprend les taxes et les débours.


ORDONNANCE dans les dossiers T‑963‑17 et T‑964‑17

LA COUR ORDONNE que :

  1. les questions fassent l’objet d’une instance à gestion spéciale;

  2. les requêtes soient rejetées;

  3. le demandeur verse des dépens d’un montant forfaitaire de 200 $ sans délai au défendeur.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1e jour de novembre 2018

Isabelle Mathieu, B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑963‑17 et T‑964‑17

 

INTITULÉ :

MITCHEL TIMOTHY NOME C PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG, MANITOBA

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 OCTOBRE 2018

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS

Me Karl Gowenlock

POUR LE DEMANDEUR

Me Meghan Riley

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

BUETI WASYLIW WIEBE

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.