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Date : 20181022


Dossier : IMM-1022-18

Référence : 2018 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2018

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ZEXUAN LIN

SHUIGEN ZHENG

JINJIA ZHENG (D’ÂGE MINEUR)

ZIUYUN ZHENG (D’ÂGE MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sont une famille originaire de la Chine; ils sollicitent l’asile, disant craindre d’être persécutés dans ce pays parce que la demanderesse principale (la DP) pratique le Falun Gong, qui y est interdit. La Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté leur appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], laquelle a jugé que la demande d’asile ne pouvait être admise parce qu’il avait été conclu que la DP n’était pas une véritable adepte du Falun Gong.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée car la SAR n’a pas commis d’erreur dans sa manière d’aborder ou d’évaluer les connaissances qu’avait la DP du Falun Gong.

Le contexte

[3]  La famille demanderesse est constituée de la DP, Zexuan Lin, de son époux, Shuigen Zheng (« le demandeur »), ainsi que de leurs enfants, Jinjia et Xiuyun Zheng (les « demandeurs d’âge mineur »).

[4]  Le demandeur s’est rendu au Canada en juillet 2015.

[5]  La DP prétend avoir commencé à pratiquer le Falun Gong en avril 2016 en vue d’atténuer ses symptômes ménopausiques. En septembre 2016, la DP et le demandeur ont amené les demandeurs d’âge mineur au Canada en vue d’examiner la possibilité d’inscrire ces derniers à l’école au Canada.

[6]  En janvier 2017, les demandeurs sont arrivés au Canada munis de visas de visiteur. Peu après leur arrivée, la mère de la DP a téléphoné pour les informer que le Bureau de la sécurité publique avait arrêté plusieurs des adeptes du Falun Gong qui étaient membres du groupe de la DP et que le Bureau était à sa recherche.

[7]  Les demandeurs ont présenté leurs demandes d’asile le 22 février 2017. La SPR a refusé leurs demandes et la SAR a rejeté leur appel le 6 février 2018.

La décision de la SAR

[8]  En appel devant la SAR, les demandeurs n’ont pas produit de nouveaux éléments de preuve ni demandé la tenue d’une audience. La question centrale que la SAR avait à trancher consistait à savoir si le risque couru en Chine était établi parce que la DP pratiquait le Falun Gong. Dans sa décision, la SPR a conclu que la DP n’était pas digne de foi au sujet de cette activité car elle avait commis de nombreuses erreurs en décrivant les cinq exercices fondamentaux du Falun Gong.

[9]  La SAR a conclu que les connaissances qu’avait la DP du Falun Gong ne correspondaient pas à sa prétendue pratique. Elle disait avoir participé deux fois par semaine à des séances de groupe en Chine d’avril 2016 à janvier 2017. Elle soutient qu’au Canada elle a poursuivi ses séances de groupe aux deux semaines et prétend avoir effectué des séances quotidiennes entre le mois de février 2017 et la date de l’audience de la SPR (mai 2017). Sur ce fondement, la SAR a estimé qu’elle aurait effectué au Canada environ 120 séances à domicile et plus de 100 séances de groupe.

[10]  La SAR a signalé que, malgré la fréquence de ses séances, la DP a commis de nombreuses erreurs à propos du Falun Gong dans son témoignage devant la SPR, dont de la difficulté à nommer trois des cinq exercices fondamentaux du Falun Gong, le fait de mentionner de manière inexacte l’objet de trois exercices et l’omission d’indiquer les trois principes essentiels du Falun Gong.

[11]  La SAR a tout de même conclu que la DP a montré qu’elle avait une certaine connaissance du Falun Gong car elle a expliqué correctement le processus qui consiste à remplacer le karma (une matière noire) par la vertu (une matière blanche) et a été capable de mentionner quelques exercices et de fournir sur eux des détails restreints.

[12]  Dans le cadre de son examen, la SAR a conclu que la SPR avait commis deux erreurs dans sa manière d’évaluer la demande. Premièrement, les questions que la SPR a posées au sujet de la fréquence à laquelle la DP effectuait ses séances au Canada étaient exagérément microscopiques. Le simple fait d’avoir mal saisi les questions posées explique les réponses manifestement incohérentes de la DP. Deuxièmement, la SPR a commis une erreur dans la façon dont elle nommé l’objet du premier exercice.

[13]  En dépit de cela, la SAR a conclu que la DP ne possédait toujours pas un « niveau de connaissance religieuse correspondant à ce à quoi il serait possible de s’attendre [de la part d’]une personne se trouvant dans [sa] situation » (Gao c Canada (MCI), 2015 CF 1139, au par. 26). Les erreurs qu’elle a commises et les difficultés qu’elle a eues lors de son témoignage ne correspondaient pas à l’étendue des séances qu’elle prétendait effectuer et ne pouvaient pas être uniquement imputables à de la nervosité et à des oublis.

[14]  La SAR a également pris en compte les photographies que la DP avait présentées. L’une d’elles montrait un groupe pratiquant le Falun Gong, mais elle n’y apparaissait pas clairement. Une autre montrait la DP devant une bannière du Falun Gong à Toronto. La SAR a conclu que cette photographie établissait seulement que la DP s’était déjà tenue devant une bannière. La SAR a donc jugé que les photographies n’établissaient pas qu’elle était une adepte du Falun Gong.

[15]  Comme il n’a pas été allégué que le fait que la DP pratiquait le Falun Gong au Canada risquait d’attirer l’attention des autorités chinoises, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas de demande d’asile sur place.

[16]  Dans l’ensemble, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en rejetant les demandes des demandeurs.

La question en litige et la norme de contrôle applicable

[17]  La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la DP quant à sa connaissance du Falun Gong.

[18]  La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de la SAR ainsi qu’à son évaluation de la preuve est la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 à 49).

L’analyse

[19]  Les demandeurs soutiennent que la SAR a évalué de manière indûment sévère le degré de connaissances qu’avait la DP du Falun Gong. Ils sont d’avis que le degré de connaissances à laquelle la SAR s’attendait de la part de la DP était trop exigeant, vu qu’elle ne pratiquait le Falun Gong que depuis peu et la majeure partie du temps en Chine, où sa capacité de le faire était restreinte.

[20]  La Cour fédérale a clairement indiqué que le degré de connaissances religieuses qui est exigé pour étayer une demande d’asile se situe à l’extrémité inférieure du registre, et qu’il faudrait que le décideur se concentre sur la sincérité de la croyance plutôt que sur le degré de connaissances (voir Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002, aux paragraphes 10 à 17 [Huang]). Une analyse exagérément microscopique de la croyance religieuse d’un demandeur, en comparant ses connaissances à une conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que lui devrait savoir ou comprendre, est déraisonnable (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, au paragraphe 61).

[21]  La meilleure façon de montrer comment la SAR a évalué les connaissances qu’avait la DP du Falun Gong est de reproduire c qu’elle a elle-même indiqué :

[traduction]

[11]  Je ne trouve pas que les arguments des appelants à cet égard soient convaincants. L’appelante principale allègue qu’elle a commencé à pratiquer le Falun Gong de façon régulière au début d’avril 2016. Elle ajoute qu’après l’avoir tout d’abord pratiqué deux fois par semaine à la maison, elle s’est jointe après un mois à un groupe qui s’exerçait deux fois par semaine en Chine. Elle allègue de plus que depuis son arrivée au Canada, en janvier 2017, elle effectue des séances quotidiennes à la maison, et deux fois par semaine avec un groupe depuis février 2017 environ (après que les autorités ont eu vent de sa prétendue pratique). Cela équivaut à près de quatorze mois de séances avant l’audition de la demande d’asile, le 29 mai 2017 – environ 120 jours de séances quotidiennes au Canada et plus de 100 séances de groupe. Elle a déclaré que, même si la pratique du Falun Gong est restreinte en Chine, elle a pu lire un texte fondamental, le Zhuan Falun, et discuter de ses expériences avec d’autres adeptes en Chine.

[12]  Le Falun Gong est une pratique axée sur l’acquisition de connaissances, qui combine certains principes fondamentaux avec la pratique physique de cinq exercices; le « fondement du Falun Dafa [Falun Gong] est constitué d’un ensemble de connaissances fondamentales essentielles à l’acquisition d’une culture appropriée qui mène à des stades d’accomplissement supérieurs ».

[13]  Même si elle a allégué qu’elle s’y adonnait de manière établie et fréquente, l’appelante principale a témoigné avec difficulté à propos du Falun Gong :

a. Quand on lui a d’abord demandé le nom du premier exercice, elle a mentionné le second. Elle a plus tard corrigé son erreur.

b. Quand on lui a demandé de décrire l’objet du premier exercice, elle a répondu qu’il s’agissait de faire tourner la roue de loi pour absorber de bonnes choses de l’extérieur et, a-t-elle plus tard ajouté, pour ouvrir des canaux d’énergie à l’intérieur du corps et absorber de l’énergie de l’extérieur. Au contraire, d’après les textes du Falun Gong, lors de cet exercice la roue de loi ne tourne pas.

c. L’appelante principale a également déclaré que le deuxième exercice a pour objet d’absorber de l’énergie dans le corps, par la roue de loi qui tourne au niveau de l’abdomen. Elle a déclaré qu’il s’agit du seul endroit où la roue tourne. Au contraire, l’objet du deuxième exercice n’est pas d’absorber de l’énergie, mais d’ouvrir le corps, d’amplifier la sagesse et d’affermir des pouvoirs surnaturels en tenant la roue de loi, qui tourne entre les bras dans quatre positions différentes autour du corps.

d. Je signale de plus que même si elle a pu nommer le troisième exercice et son objet de manière générale, elle n’a nullement mentionné la roue de loi. C’est au cours de cet exercice que l’adepte tourne précisément cette roue au niveau de l’abdomen.

e. L’appelante principale a aussi eu un peu de difficulté à nommer le quatrième exercice.

f. Enfin, interrogée sur le cinquième exercice, elle a déclaré que son objet était d’absorber de l’énergie dans le corps, depuis l’extérieur. Comme l’a signalé la SPR, cela « s’apparente davantage à l’objet du troisième exercice », et le cinquième a plutôt pour but d’affermir des pouvoirs surnaturels et le champ d’énergie qui enveloppe le corps.

g. Dans l’ensemble, le témoignage de l’appelante principale au sujet du Falun Gong a été relativement vague et manquait de détails précis. Tant la SPR que l’avocat l’ont interrogée sur les principes ou les enseignements fondamentaux du Falun Gong, et elle a donné diverses réponses, comme les suivantes : les adeptes doivent exercer la clémence, protéger le Dafa, s’exercer de façon constante et ne pas renoncer. Le Falun Gong comporte trois principes fondamentaux : la vérité, la bonté et la tolérance. Ce n’est que quand l’avocat a précisément énuméré ces principes que l’appelante principale a convenu qu’il s’agissait là d’idées centrales. Elle n’a pas mentionné la pratique reconnue du Falun Gong qui consiste à méditer dans le but de transmettre des pensées vertueuses.

[22]  Il ressort de la décision de la SAR que celle-ci a examiné en détail les connaissances qu’avait la DP du Falun Gong.

[23]  Les demandeurs se fondent sur la décision Huang, dans laquelle la Cour a conclu que la SPR avait commis une erreur en soumettant la demandeure d’asile « à une norme de connaissances du Falun Gong déraisonnablement élevée, et [lui] a imposé sa propre conception du Falun Gong » (Huang, au par. 17). Cependant, dans Huang, la demanderesse prétendait avoir nettement plus d’expérience (4 ans) que la DP dont il est question en l’espèce (14 mois). Par ailleurs, toujours dans cette décision, la SPR a conclu que la demanderesse avait  au sujet du Falun Gong « des connaissances au‑dessus de la moyenne » et que seules les questions portant sur la philosophie du Falun Gong plutôt que sur ses pratiques lui avaient posé des difficultés. Par contraste, en l’espèce et comme il a été établi plus tôt, la SAR a conclu que la DP avait eu de la difficulté à répondre à des questions de base sur des pratiques fondamentales du Falun Gong.

[24]  En fait, en l’espèce, la situation de la DP se compare surtout à celle du demandeur dans l’affaire Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1156. Dans ces deux affaires, la SAR a considéré que les demandeurs n’étaient pas des personnes « peu instruites » et ils disaient avoir pratiqué le Falun Gong pendant un temps semblable. Dans les deux cas, la SAR a fait remarquer que « leurs connaissances ne [TRADUCTION] “correspondaient” pas à leur expérience » même en tenant « compte de la période pendant laquelle ils avaient pratiqué le Falun Gong et des conditions dans lesquelles ils l’[avaient] pratiqué en Chine ».

[25]  Enfin, l’argument des demandeurs, à savoir que la SAR avait omis d’évaluer la crédibilité de la DP au-delà de son témoignage sur la pratique du Falun Gong, est indéfendable. La SAR a expressément traité de trois inférences défavorables quant à la crédibilité que la SPR avait tirées au sujet d’autres aspects du témoignage de la DP, et elle les a rejetées.

[26]  En l’espèce, il est clair que la SAR a évalué de manière indépendante les éléments de preuve et, en fait, qu’elle a infirmé les conclusions de la SPR sur un certain nombre de questions.

[27]  À mon avis, la SAR a eu un doute raisonnable au sujet de la crédibilité de la pratique, par la DP, du Falun Gong. L’évaluation de ses connaissances n’a pas été faite sans tenir compte des circonstances environnantes, comme il est signalé au paragraphe 17 de la décision de la SAR :

[traduction]

[17]  Ses explications à propos des erreurs susmentionnées, à savoir qu’elle était nerveuse dans certains cas et qu’elle faisait des oublis dans d’autres, n’expliquent pas de manière raisonnable le grand nombre d’erreurs qu’elle a commises et les difficultés qu’elle a eues en parlant d’une pratique qu’elle avait entreprise en faisant courir des risques à sa famille et à elle-même. Je conclus, comme la SPR, que les connaissances qu’avait l’appelante principale du Falun Gong ne correspondaient pas au niveau de pratique qu’elle alléguait. Bien qu’elle ne soit pas très instruite, l’appelante principale avait fait neuf années d’études et avait terminé des études secondaires de premier cycle, et elle avait plus de 23 ans d’expérience de travail à titre d’administratrice du personnel et, ensuite, de commis de bureau. Elle avait voyagé seule avec ses enfants jusqu’en Australie, et elle ne semblait pas être une personne peu instruite. Elle a déclaré qu’elle avait eu l’occasion de lire le Zhuan Falun, et a prétendu que sa pratique comportait un important élément collectif – plus de 100 séances de groupe.

[28]  Dans l’ensemble, l’évaluation de la SAR était raisonnable et conforme à la preuve. Les demandeurs n’ayant relevé aucune erreur susceptible de contrôle, la présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


JUGEMENT RENDU DANS IMM-1022-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1022-18

INTITULÉ :

ZEXUAN LIN, SHUIGEN ZHENG, JINJIA ZHENG (D’ÂGE MINEUR), ZIUYUN ZHENG (D’ÂGE MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 août 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

le 22 octobre 2018

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

pour les demandeurs

David Joseph

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES demandeurS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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