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Date : 20181023


Dossier : IMM-1795-18

Référence : 2018 CF 1062

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

ORIOL NOEL

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  La demande d’asile de M. Oriol Noel, un citoyen haïtien, a été rejetée en application de l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention], au motif que son statut de résident permanent du Brésil lui confère des droits et obligations similaires à ceux des citoyens de ce pays.

[2]  Il conteste cette décision et plaide que son statut de résident permanent n’était plus valide au moment de son audition devant la Section de la protection de réfugiés [SPR] et devant la Section d’appel des réfugiés [SAR], et que même s’il avait eu ce statut, il est faux de prétendre qu’il lui confère les mêmes droits que ceux dont jouissent les Brésiliens.

II.  Faits

[3]  M. Noel allègue que son père a été victime d’un acte criminel en 2014. Bien qu’il ait dénoncé l’agresseur de son père aux autorités policières, celui-ci aurait retrouvé rapidement sa liberté. Craignant sa vengeance, M. Noel a quitté Haïti pour la République dominicaine le 26 février 2015, pour ensuite se rendre au Brésil le 23 mars 2016. Il a obtenu le statut de résident permanent du Brésil le même jour, lequel est valide pour une période de neuf ans.

[4]  M. Noel a travaillé au Brésil du mois d’août 2015 au mois de juin 2016, moment où il a quitté pour les États-Unis en raison de la crise de l’emploi qui sévissait alors au Brésil. Il a demandé l’asile aux États-Unis et y a travaillé du mois d’août 2016 au mois d’août 2017.

[5]  Il est arrivé au Canada le 3 août 2017 et a déposé sa demande d’asile le 21 août 2017.

[6]  La SPR et la SAR ont rejeté la demande d’asile de M. Noel au motif que son statut de résident permanent du Brésil lui confère essentiellement les mêmes droits que ceux d’un citoyen brésilien et qu’il ne risquait pas d’être persécuté advenant son retour dans ce pays. C’est la décision de la SAR qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.  Décision contestée

[7]  D’abord, la SAR conclut que la SPR n’a pas erré en concluant que M. Noel possédait le statut de résident permanent du Brésil. Il a reçu une carte de résident permanent valide pour neuf ans, aux termes d’un arrêté ministériel accordant la résidence permanente brésilienne à 43 871 ressortissants haïtiens. Le Cartable National de Documentation [CND] du Brésil de mars 2017 prévoit que la résidence permanente est accordée de façon indéfinie, mais qu’elle doit être renouvelée tous les neuf ans, sans formalité particulière. Il existe donc une preuve prima facie à l’effet que M. Noel est résident permanent du Brésil.

[8]  En pareil cas, le fardeau de preuve se déplace sur les épaules du demandeur d’asile qui doit établir qu’il ne peut plus se prévaloir de ce statut ou qu’il ne peut plus retourner dans ce pays tiers (Shahpari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7678 (CF) aux para 11-12). Le CND du Brésil, à l’onglet 3, prévoit que le statut de résident permanent est annulé dans les cas suivants :

I.  l’étranger obtient la nationalité brésilienne;

II.  l’expulsion de l'étranger a été ordonnée;

III.  l’étranger demande de quitter définitivement le Brésil et renonce expressément au droit de retour prévu à l'article 51;

IV.  l’étranger s'absente du Brésil plus longtemps que la période qui est indiquée à l'article 51 [deux ans];

V.  en cas de transformation de visa suivant l’article 42;

VI.  l’étranger viole l’article 18, l’article 37, paragr. 02, ou les articles 99 à 101;

VII.  l’étranger est un résident temporaire ou un réfugié politique dont le séjour au Brésil arrive à échéance (ibid., art. 49).

[9]  Selon la SAR, le simple fait pour M. Noel de quitter le Brésil en juin 2016, sans en informer les autorités, ne mène pas automatiquement à la perte de son statut de résident permanent. M. Noel détenait toujours son statut de résident permanent au moment de l’audience devant la SPR le 16 novembre 2017.

[10]  La SAR conclut, comme la SPR l’a fait avant elle, que le statut de résident permanent au Brésil permet de jouir d’essentiellement les mêmes droits et obligations que les citoyens de ce pays, que ce soit en matière de soins de santé, d’éducation, de prévoyance sociale ou de sécurité. Il existe certaines exceptions relatives au droit de vote, au service militaire et à l’accès à certaines charges publiques, mais dans l’ensemble, la SAR conclut que la SPR n’a pas erré à cet égard.

[11]  La SPR conclut également que M. Noel n’a pas établi une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs de la Convention, advenant son retour au Brésil. Il n’a pas non plus établi l’un des risques énumérés à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]; dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile au Canada, M. Noel n’a pas répondu qu’il craignait subir un préjudice grave s’il était renvoyé au Brésil. Au moment de présenter sa demande d’asile aux États-Unis, il n’a pas sollicité l’asile à l’égard du Brésil, mais uniquement à l’égard d’Haïti. Enfin, il était impossible pour la SPR de conclure, selon la preuve au dossier, que les Haïtiens sont persécutés sur l’ensemble du territoire brésilien (Ranjha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 637; Sagharichi v Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 182 NR 398 (FCA) (QL)). M. Noel affirme avoir été victime de discrimination au Brésil, mais pour qu’il y ait persécution, les mesures discriminatoires doivent avoir des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions au droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous. La preuve ne démontre pas qu’il s’agit là du sort réservé aux Haïtiens demeurant au Brésil.

[12]  Finalement, la SPR a eu raison de considérer le retard de M. Noel à exprimer une crainte à l’égard d’un éventuel renvoi au Brésil.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[13]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question :

La SAR a-t-elle erré en concluant que M. Noel était exclu en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’article 1E de la Convention en raison de son statut de résident permanent du Brésil?

[14]  La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une question mixte de droit et de faits (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 au para 11).

[15]  Par ailleurs, l’interprétation du droit étranger est une question de fait également soumise à la norme de la décision raisonnable (Lhazom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 886 au para 7).

V.  Analyse

[16]  M. Noel soumet que la SAR aurait dû conclure que de quitter le Brésil sans en informer les autorités entraîne une révocation automatique de la résidence permanente dans ce pays. Il s’appuie sur l’article 51 de la loi régissant la résidence permanente au Brésil :

Art. 51. An alien registered as a permanent resident who leaves Brazil, may return to the country independently from a visa if he/she returns within two years. (Renumbered by Law no. 6964 of 12/09/81)

Sole paragraph. The evidence of the date of departure for the purposes of this article shall be the annotation on the alien’s travel document made by the competent agency of the Ministry of Justice at the time of his departure from Brazil.

[TRADUCTION]

Art. 51. L’étranger inscrit à titre de résident permanent qui quitte le Brésil peut y revenir sans visa dans les deux ans suivant son départ. (Renuméroté par la Loi n6964 du 12/09/81)

Paragraphe unique. Pour l’application du présent article, la date de départ est réputée être celle estampillée par le fonctionnaire du ministère de la Justice au moment où l’étranger quitte le Brésil.

[17]  Il soumet que puisque son passeport n’a pas été étampé à sa sortie de Brésil, il se voit dans l’impossibilité d’y retourner. Le tampon de sortie étant, selon lui, la seule façon de prouver la durée d’une absence du Brésil, il se verra dans l’impossibilité de faire cette preuve.

[18]  M. Noel soumet également que la SAR a erré en concluant que les résidents permanents haïtiens au Brésil disposent des mêmes droits que les Brésiliens. Il réfère la Cour au Country Report on Human Rights Practices (Brazil) qui prévoit que les Haïtiens font face à de la discrimination dans l’emploi :

« According to local NGO Reporter Brasil, Haitian workers reported being victims of employment discrimination. The Ministry of Labor published and distributed a workers’ rights manual in Portugese (sic) and Haitian Creole, but workers – especially in the construction business – complained some employers displayed racist behavior and would not disclose the rights Haitians had under law, including social security benefits ».

[TRADUTION]

« Selon l’ONG locale Repórter Brasil, les travailleurs haïtiens sont victimes de discrimination dans l’emploi. Bien que le ministère du Travail ait publié et diffusé un manuel des droits des travailleurs en portugais et en créole haïtien, les travailleurs, surtout dans le domaine de la construction, se plaignent que certains employeurs agissent avec racisme et refusent d’informer les Haïtiens des droits que leur confère la loi, notamment pour ce qui est des prestations de sécurité sociale ».

[19]  D’abord, quant au statut de M. Noel au Brésil, tant au moment de son audience devant la SPR que devant la SAR, la preuve révèle ce qui suit :

-Son nom figure sur la liste des Haïtiens auxquels le gouvernement brésilien a accordé la résidence permanente;

-Un tampon dans son passeport indique qu’il s’est enregistré comme résident permanent en mars 2016;

-Les autorités brésiliennes lui ont délivré une carte d’identité de résident permanent valide pour neuf ans;

[20]  Quant à l’impact de son départ du Brésil sur le maintien de sa résidence permanente, la SAR devait considérer les éléments suivants :

-M. Noel dit avoir quitté le Brésil sans en informer les autorités et son passeport ne contient pas d’étampe de sortie;

-Il a quitté en juin 2016 de sorte que non seulement l’audience de la SAR a eu lieu à l’intérieur de la période de deux ans mais la décision de la SAR (12 avril 2018) a également été émise à l’intérieur de cette période;

[21]  À mon avis, la SAR a conclu de façon raisonnable qu’il existait une preuve prima facie à l’effet que M. Noel détenait le statut de résident permanent du Brésil.

[22]  Il lui appartenait donc de démontrer qu’il avait perdu ce statut (Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 241 au para 14; Hassanzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1494 aux para 27-29).

[23]  Compte tenu de la preuve devant elle, je suis d’avis qu’il était également raisonnable pour la SAR de conclure que M. Noel n’a pas démontré avoir perdu son statut au moment de l’audience devant la SPR (Hadissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF No 436 (QL) aux para 14-15).

[24]  Le CND du Brésil n’indique pas que la conséquence de l’absence du tampon de sortie est la révocation du statut de résident permanent. Le premier alinéa de l’article 51 de la loi régissant la résidence permanente au Brésil indique qu’un résident permanent peut quitter et retourner sans visa à l’intérieur d’une période de deux ans. Il n’indique pas si le résident permanent peut retourner après l’expiration de cette période en obtenant un visa. Le second alinéa indique que la preuve de la durée de l’absence du pays se fait à l’aide du tampon de sortie. Il n’indique pas ce qu’il advient en l’absence de ce tampon, ni même à qui appartient le fardeau de prouver la durée de l’absence; au résident permanent qui désire entrer sans visa ou aux autorités qui entendent révoquer le statut de résident permanent du ressortissant étranger.

[25]  Cette disposition est susceptible de plusieurs interprétations dont un certain nombre sont favorables à M. Noel. Puisqu’il avait le fardeau de prouver qu’il avait perdu son statut de résident permanent, je suis d’avis que la SAR pouvait conclure qu’il ne l’avait pas fait, surtout que la période de deux ans n’était pas expirée au moment où elle a rendu sa décision.

[26]  M. Noel a quitté volontairement le Brésil et rien ne l’empêchait de tenter d’y retourner avant l’échéance de la période de deux ans (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Choovak, 2002 CFPI 573 aux paras 40-43).

[27]  Je partage les doutes exprimés par l’honorable Marshall Rothstein, alors de cette Cour, quant au fait qu’un demandeur d’asile puisse volontairement renoncer à la protection d’un pays pour demander l’asile dans un autre pays :

[…] Je fais remarquer que si, en raison de leur absence de l’Allemagne et de leur séjour au Canada, les requérants ont effectivement le droit de renoncer à la protection de l’Allemagne et à demander celle du Canada, il s’agit là d’une anomalie. En substance, cela donne le droit aux réfugiés au sens de la Convention le droit d’émigrer où ils veulent sans se conformer aux conditions habituelles, uniquement en raison de leur renonciation unilatérale à la protection qui leur a tout d’abord été accordée par le premier pays d’asile. En fait, cela signifie qu’ils peuvent « faire du shopping de lieu d’asile » parmi les pays signataires de la Convention de Genève et « resquiller » dans les listes d’attente ordinaires pour immigrer dans le pays de leur choix. Si tel est le cas, les requérants, qui ont résidé en Allemagne pendant dix ans, peuvent simplement abandonner l’Allemagne et adopter le Canada. Ils auraient alors un droit d’émigration au Canada supérieur à celui des simples nationaux allemands. Ce n’est ni équitable ni logique.

(Wassiq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1996] ACF No 468 (QL) au para 11.)

[28]  Par ailleurs, quant à l’analyse de la situation des Haïtiens qui possèdent la résidence permanente du Brésil, M. Noel soumet que la SAR a erré en concluant qu’ils bénéficient des mêmes droits que les Brésiliens. Il soutient que la preuve démontre qu’ils font face à de la discrimination et ne sont pas informés de leurs droits.

[29]  Or, pour que la discrimination à l’égard d’un individu équivaille à de la persécution, elle doit être grave et répétée et doit occasionner de graves conséquences pour l’individu. Par exemple, lorsque l’on nie à un individu ses droits humains fondamentaux comme ceux de pratiquer sa religion ou d’exercer un métier (Sefa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1190 au para 10).

[30]  Je suis d’avis qu’au regard de la preuve, la SAR pouvait raisonnablement conclure que la discrimination alléguée par M. Noel n’équivalait pas à de la persécution. M. Noel a effectivement  travaillé au Brésil au moment même où ce pays, selon ses propres dires, subissait une crise de l’emploi. Ses allégations à l’effet que certains Brésiliens ont une attitude raciste à l’égard des Haïtiens, bien que fort malheureuses, ne sont pas suffisantes pour conclure que ces derniers sont victimes de persécution.

[31]  Je rappelle en terminant que tant dans sa demande d’asile aux États-Unis que dans son formulaire de Fondement de demande d’asile au Canada, M. Noel n’indique aucune crainte à l’égard du Brésil.

VI.  Conclusion

[32]  M. Noel n’a pas rencontré son fardeau de démontrer qu’il avait perdu, à la date de l’audience devant la SPR, les droits que lui confèrent la résidence permanente du Brésil, ni qu’il n’aurait pu se les voir octroyer à nouveau en retournant au Brésil. Il n’a pas non plus démontré qu’il risquait d’être persécuté s’il est renvoyé vers le Brésil. Pour ces motifs, sa demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale pour fins de certification et cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1795-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1795-18

INTITULÉ :

ORIOL NOEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Darius Constantin

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Éloïse Eysseric

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chamoun, Constantin - Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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