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Date : 20181017


Dossier : IMM-1545-18

Référence : 2018 CF 1042

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

DAHO THIERRY DOUTI

DOUTI NGO NGAN MINTAMAK VÉRONIQUE

DOUTI FRANCK OWEN TOUAHÉ

DOUTI ROYCE NOLAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. et Mme Douti, ainsi que deux de leurs enfants, ont présenté une demande de dispense pour considérations humanitaires [CH]. Ils allèguent que sans cette dispense, leur renvoi du Canada entraînera la séparation des membres de la famille, qui sont citoyens de pays différents. Un délégué du Ministre a refusé leur demande. Ils sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de ce refus. Je rejette leur demande, parce que le délégué du Ministre a raisonnablement conclu que les membres de la famille pourraient tous s’installer en France.

[2]  Notre Cour examine les décisions de cette nature selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au paragraphe 44, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy]). Cela signifie que je ne dois pas me demander quelle est la décision que j’aurais rendue. Je dois tout simplement m’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle se fonde sur une interprétation justifiable des principes juridiques applicables et sur une évaluation raisonnable des éléments de preuve présentés au décideur.

[3]  En l’espèce, l’agent qui a pris la décision au nom du ministre devait appliquer l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, qui indique que le ministre peut accorder la dispense demandée s’il « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

[4]  Une décision rendue en vertu de l’article 25 est de nature discrétionnaire. Le décideur doit soupeser plusieurs facteurs pertinents, mais aucun algorithme rigide ne détermine l’issue. Dans ce contexte, mon rôle n’est pas d’évaluer les facteurs pertinents ou d’exercer de nouveau un pouvoir discrétionnaire, mais plutôt de m’assurer que le décideur a identifié les facteurs pertinents et qu’il les a dûment pris en considération.

[5]  La présente affaire tire son origine d’une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire [CH] visant à autoriser M. et Mme Douti à présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. Cette demande était fondée sur les faits suivants.
M. Douti est citoyen de la Côte d’Ivoire. Il séjourne au Canada depuis 2011, mais sa demande d’asile a été rejetée et il est maintenant sans statut. Mme Douti, son épouse, est citoyenne allemande. Elle a séjourné au Canada à plusieurs reprises depuis 2008, en vertu de permis pour fins d’études ou de travail. M. et Mme Douti ont quatre enfants mineurs qui vivent avec eux au Canada. Deux des enfants sont citoyens canadiens, un est citoyen allemand et un est citoyen américain. Le motif principal de la demande de dispense était la séparation familiale. M. et Mme Douti affirment qu’il n’y a aucun pays où les membres de la famille peuvent légalement s’établir. Ainsi, le renvoi du Canada signifierait « la dispersion totale de la famille ».

[6]  Leur demande a été rejetée le 21 avril 2017, mais à la suite d’une entente avec le Ministre, cette décision a été mise de côté et le dossier a été renvoyé à un nouvel agent pour qu’une nouvelle décision soit prise. Le 15 mars 2018, leur demande a été rejetée à nouveau. Dans ses motifs, le délégué du Ministre a rejeté les prétentions concernant la séparation de la famille. Il a noté que Mme Douti est citoyenne allemande et qu’à ce titre, elle peut s’établir dans n’importe quel pays de l’Union européenne. Il a également souligné que Mme Douti a vécu en France à divers moments, incluant entre 2014 et 2016. Il a cité un document d’information du gouvernement français qui indique que « [s]i vous êtes Européen ou Suisse, vous pouvez être accompagné ou rejoint en France par votre famille proche » et qui décrit la procédure à suivre pour qu’un conjoint ou des enfants non européens puissent obtenir une carte de séjour. L’agent a conclu que M. et Mme Douti n’ont pas réussi à démontrer que leur famille serait séparée en cas de renvoi du Canada.

[7]  À mon avis, cette décision est tout à fait raisonnable. Dans le cadre d’une demande CH, c’est le demandeur qui a le fardeau de la preuve (Kisana c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 au paragraphe 35, [2010] 1 CF 360 (CA)). Cela signifie que M. et Mme Douti devaient démontrer à l’agent que leur renvoi entraînerait la séparation de la famille. Étant donné la citoyenneté allemande de Mme Douti, la possibilité de s’établir en Europe ne pouvait être ignorée. M. et Mme Douti devaient donc démontrer pourquoi il leur était impossible de s’établir en Europe. Ne l’ayant pas fait, ils ne peuvent aujourd’hui se plaindre que le délégué du Ministre ait rejeté leurs prétentions.

[8]  M. et Mme Douti soutiennent également que le délégué du Ministre n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants et que cela rend sa décision déraisonnable. Or, le délégué du Ministre consacre une page entière de ses motifs à l’analyse de l’intérêt des enfants. Je considère que son analyse était raisonnable. Dans la mesure où les arguments relatifs à l’intérêt de l’enfant ne constituaient qu’une reformulation des arguments relatifs à la séparation familiale, c’est à bon droit qu’il les a rejetés.

[9]  Par ailleurs, M. et Mme Douti soutiennent que le délégué du Ministre aurait dû accorder davantage de poids au besoin de stabilité des enfants, qui exigerait qu’ils puissent demeurer au Canada. Sans nier qu’un déménagement puisse affecter les enfants, j’estime qu’il s’agit là de difficultés inhérentes au renvoi. À ce propos, la juge Rosalie Abella de la Cour suprême du Canada a affirmé que « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le paragraphe 25(1) » (Kanthasamy, au paragraphe 23). Je constate également que M. et Mme Douti n’allèguent pas de difficultés particulières associées au fait de vivre en France. D’ailleurs, les enfants parlent tous le français et certains d’entre eux ont déjà vécu en France.

[10]  Finalement, en ce qui a trait au degré d’établissement des demandeurs, je suis d’avis que la manière dont le délégué du Ministre a exercé sa discrétion n’était pas déraisonnable.

[11]  Étant donné que la décision du délégué du Ministre est raisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-1545-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1545-18

INTITULÉ :

DAHO THIERRY DOUTI et al c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 OCTOBRE 2018

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

François Kasenda Kabemba

Pour le demandeur

 

Sarah Jiwan

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet François K. Law Office

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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