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Date : 20181004


Dossier : IMM-1467-18

Référence : 2018 CF 995

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

DREISBER ALCINA RODRIGUEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Dreisber Alcina Rodriguez, un citoyen cubain qui a obtenu la résidence permanente an Canada en mars 2012, conteste la mesure de renvoi émise contre lui au motif qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  La Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déterminé que M. Rodriguez était de mauvaise foi lorsqu’il a contracté un mariage avec une citoyenne canadienne dans le but d’obtenir un statut de résident permanent au Canada.

[3]  La Section d’appel de l’immigration [SAI] a confirmé la mesure de renvoi et refusé la prise de mesures spéciales fondées sur des considérations d’ordre humanitaire aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Faits

[4]  En février 2010, M. Rodriguez rencontre V.G., une citoyenne canadienne, alors qu’elle est en vacances à Cuba. Au cours des deux années qui suivent, le couple vit une relation amoureuse à distance, entrecoupée de plusieurs visites de V.G. à Cuba.

[5]  M. Rodriguez parle de mariage pour la première fois en juillet 2010, mais c’est le 23 décembre 2010 qu’il affirme avoir fait sa demande officielle.

[6]  Un mariage est célébré à Cuba en février 2011 et V.G. soumet une demande de parrainage le 9 mars 2011. Elle continue ses visites régulières à Cuba jusqu’à ce que M. Rodriguez arrive au Canada et obtienne le statut de résident permanent le 19 mars 2012.

[7]  La relation se détériore dès l’arrivée de M. Rodriguez au Canada et le couple se sépare le 6 octobre 2012. Dans les jours suivant son arrivée, M. Rodriguez demande à une traductrice quel serait l’impact d’un divorce sur son statut au Canada.

[8]  En décembre 2012, V.G. écrit à la SI afin de dénoncer M. Rodriguez.

[9]  En janvier 2013, M. Rodriguez dépose une requête introductive d’instance en séparation de corps (il demande notamment qu’une pension alimentaire lui soit versée par V.G.), à laquelle V.G. répond par une requête en annulation de mariage.

[10]  La requête en annulation de mariage de V.G. est accueillie le 31 octobre 2013. L’Honorable Pierre Nollet, j.c.s. conclut que M. Rodriguez n’a jamais eu l’intention de faire vie commune avec V.G. et il le condamne à lui payer la somme de 2 500 $ en dommages punitifs pour abus de confiance.

[11]  En mars 2014, une commissaire de la SI conclut également que M. Rodriguez a été de mauvaise foi à l’égard de V.G. et qu’il a obtenu son visa de résident permanent grâce à de fausses déclarations relativement à ses réelles intentions à l’égard de V.G.

III.  Décision contestée

[12]  Devant la SAI, M. Rodriguez conteste la conclusion de la SI quant à l’existence de fausses déclarations et il demande, subsidiairement, la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[13]  Il soumet une nouvelle preuve, essentiellement des lettres et des photos, et témoigne sur leur contenu. La conjointe actuelle de M. Rodriguez, C.G., témoigne également sur sa relation avec M. Rodriguez et sur l’existence de motifs humanitaires.

[14]  La SAI rejette les deux motifs d’appel. Elle se dit convaincue, par prépondérance des probabilités, que M. Rodriguez a fait une fausse déclaration qui a mené à une erreur dans l’application de la LIPR. La preuve démontre que M. Rodriguez était de mauvaise foi lorsqu’il a épousé V.G. en contravention avec le paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]:

Mauvaise foi

Bad faith

 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[15]  La SAI tient compte, sans toutefois le considérer déterminant, du jugement de la Cour supérieure du Québec prononçant l’annulation du mariage et accordant des dommages punitifs à V.G.

[16]  Elle conclut, comme l’a fait la SI, que le comportement de M. Rodriguez à son arrivée au Canada démontre qu’il n’avait aucune intention de faire vie commune avec V.G. et qu’il « cherchait continuellement à obtenir davantage d’argent de [V.G.], la dénigrait, courtisait d’autres femmes et a rapidement voulu la quitter ». La SAI ajoute que la nouvelle preuve ne fait que démontrer que les prétentions amoureuses exprimées par M. Rodriguez avant son arrivée au Canada ne concordent pas avec son attitude après son arrivée.

[17]  La SAI réitère les conclusions de la SI quant au peu de crédibilité de M. Rodriguez. Ce dernier n’a pas réussi à convaincre que sa version devait être préférée à celle des autres témoins entendus par la SI. Il a offert une version changeante des faits et son comportement est incompatible avec ce qu’il avance.

[18]  La SAI conclut donc que M. Rodriguez n’avait aucune intention de faire vie commune avec V.G. et qu’il l’a épousée afin d’obtenir son visa de résident permanent.

[19]  Par ailleurs, la SAI conclut à l’insuffisance de motifs humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales à l’endroit de M. Rodriguez.

[20]  Elle estime que ses fausses déclarations sont graves et que ce facteur négatif pèse lourd dans la balance. Sans ces fausses déclarations, M. Rodriguez n’aurait pas pu obtenir un statut de résident permanent au Canada. Il n’exprime d’ailleurs aucun remord et continue à nier avoir fait quelque fausse représentation que ce soit.

[21]  La SAI estime qu’après plus de six ans passés au Canada, M. Rodriguez a un faible degré d’établissement. Il habite chez sa conjointe actuelle et comme il n’a pas d’emploi stable, il contribue peu financièrement. Il a eu un certain nombre d’emplois instables et a fait une tentative infructueuse d’ouvrir son propre restaurant. En 2015, il a quitté le Canada pendant plusieurs mois pour habiter chez un ami au Texas.

[22]  Il affirme avoir déclaré tous ses revenus, mais est contredit sur ce point par sa conjointe actuelle dont le témoignage, selon la SAI, est crédible et objectif. Il ne contribue donc pas adéquatement à la société canadienne, ce qui affecte d’autant sa crédibilité.

[23]  M. Rodriguez vit en couple avec C.G. et il bénéficie du soutien de sa famille et de la collectivité. La SAI considère positivement ce facteur.

[24]  Il a déjà demandé C.G. en mariage, mais elle a refusé invoquant l’échec récent de sa relation précédente. C.G. a la garde partagée de ses deux enfants issus d’une relation antérieure qui passent une semaine sur deux avec le couple. La SAI considère favorablement la lettre de soutien des enfants en faveur de M. Rodriguez.

[25]  La SAI estime que M. Rodriguez n’a pas démontré qu’il subirait un bouleversement s’il devait retourner à Cuba. Il a soumis des articles de journaux sur la détérioration des relations entre Cuba et les États-Unis depuis l’élection du président actuel, mais la SAI estime que la preuve d’un bouleversement diplomatique est insuffisante.

[26]  M. Rodriguez affirme qu’il publie des capsules humoristiques concernant son pays sur Internet et que cela menacerait sa sécurité advenant son retour. La SAI considère qu’il n’y a aucune preuve que les autorités de Cuba en ont connaissance ni que ces capsules offusqueraient les autorités au point de menacer sa sécurité.

[27]  M. Rodriguez plaide qu’il serait difficile pour lui de retourner à Cuba après avoir habité au Canada, invoquant des difficultés éventuelles reliées à l’emploi et aux services de santé disponibles. Or, la SAI retient qu’il est retourné à plusieurs reprises dans son pays au cours des dernières années, sans éprouver de problèmes particuliers. Par ailleurs, bien qu’il n’ait pas d’emploi qui l’attende à Cuba, il n’a pas plus d’emploi stable au Canada. Enfin, la preuve démontre qu’il a été opéré pour une hernie discale il y a quelques années, mais que son état de santé actuel ne nécessite pas de soins particuliers.

[28]  M. Rodriguez dit ne pas être en sécurité à Cuba depuis que son frère, qui était policier, a été assassiné. Il n’explique toutefois pas les circonstances dans lesquelles cet incident se serait produit ni en quoi cela constituerait une menace pour lui advenant son retour. Sa mère, son père et sa sœur demeurent à Cuba et pourraient l’héberger, au moins temporairement.

[29]  Enfin, il est vrai qu’il serait séparé de C.G. et de ses enfants, mais C.G. affirme devant la SAI que la communication par Internet est possible et qu’elle irait le visiter à Cuba s’il devait y retourner.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[30]  Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Est-ce que la SAI a fait preuve de partialité à l’égard de M. Rodriguez?

  2. Est-ce que la SAI a erré en concluant que M. Rodriguez a fait une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

  3. Est-ce que la SAI a erré en concluant que les motifs humanitaires invoqués sont insuffisants pour accorder à M. Rodriguez une mesure spéciale?

[31]  S’il y avait partialité de la part de la SAI, il y aurait violation d’un principe d’équité procédurale qui justifierait l’intervention de la Cour (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 45).

[32]  Pour ce qui est des deuxième et troisième questions à trancher, la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

V.  Analyse

A.  Est-ce que la SAI a fait preuve de partialité à l’égard de M. Rodriguez?

[33]  M. Rodriguez soutient que la SAI a laissé transparaître une crainte raisonnable de partialité :

  1. En critiquant le fait qu’il conteste la conclusion de la SI quant aux fausses déclarations;

  2. En indiquant que la nouvelle preuve aurait pu être présentée devant la SI et devant la Cour supérieure, alors que l’audience devant la SAI en est une de novo;

  3. En indiquant au procureur du ministre qu’il n’était pas nécessaire de le contre-interroger, un indice que sa décision était déjà prise;

  4. En faisant preuve d’animosité à son égard par des déclarations non pertinentes;

  5. En interprétant erronément le témoignage de sa conjointe actuelle;

  6. En minimisant ses efforts pour se trouver un emploi et en faisant preuve de discrimination à l’égard de son statut d’« homme au foyer »; et

  7. En retenant le fait qu’il aille fréquemment danser pour minimiser les conséquences de son mal de dos.

[34]  Le critère pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité est établi par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 à la page 394, et confirmé dans Baker au paragraphe 46:

... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?»

[35]  Une allégation de partialité doit être appuyée par une preuve convaincante et ne peut être faite à la légère. M. Rodriguez a le fardeau de faire cette preuve et le seuil à atteindre est élevé (Fouda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1176 au para 23). Essentiellement, il doit démontrer que le décideur avait l’esprit fermé et n’était pas disposé à la persuasion.

(1)  Contestation de la conclusion relative aux fausses déclarations

[36]  Dès le début de la première audience, le commissaire a questionné l’avocate de M. Rodriguez puisqu’il n’était pas clair si l’appel portait uniquement sur les considérations d’ordre humanitaire ou si la conclusion d’interdiction de territoire était également en cause.

PAR LE COMMISSAIRE

Alors Maître– Maître Roa, juste pour comprendre, est-ce que vous contestez en droit aujourd’hui ou vous présentez seulement des motifs humanitaires?

[37]  La réponse qui suit démontre qu’il n’était pas clair, jusqu’au jour précédant l’audience, que M. Rodriguez entendait contester la validité de la mesure de renvoi :

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

On avait parlé avec ma consœur, je lui ai dit que j’étais pas certaine parce que je revenais des vacances, j’allai discuter avec mon client. Et oui comme mon client a l’intention de contester en droit et les questions humanitaires aussi. Donc après une longue discussion dimanche avec mon client, c’est ça, on va contester en droit.

[38]  Le commissaire exprime sa surprise compte tenu des décisions antérieures de la SI et de la Cour supérieure, mais procède néanmoins sur le mérite de la mesure de renvoi.

PAR LE COMMISSAIRE

Monsieur a vraisemblablement vécu – était là dans les moments de sa vie où il a passé devant un commissaire de la SI, une commissaire de la SI, et devant une Cour supérieure. Les deux fois c’était – un juge et un commissaire ont dit à Monsieur qu’il n’était pas cru sur sa bonne foi sur l’authenticité du mariage et Monsieur veut contester encore aujourd’hui malgré ça?

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

Oui Monsieur le commissaire.

PAR LE COMMISSAIRE

O.k. Bon. Alors (inaudible)

[39]  La représentante du ministre proteste puisqu’elle n’a pas été informée qu’il y aurait contestation de la validité de la mesure de renvoi, mais elle indique que pour éviter la tenue d’une trop longue audience, elle s’en remettrait aux transcriptions de la preuve devant la SI.

PAR LE CONSEIL DU MINISTRE

Non mais vous avez pas dit ça quand on s’est parlé mais (inaudible).

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

Je vous avais dit que j’étais pas sûre mais –

PAR LE CONSEIL DU MINISTRE

Vous n’étiez pas sûre... O.k. parce qu'on a eu des témoins pour le ministre devant la section d’immigration mais on va s'en remettre aux transcriptions. Oui. O.k.

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

Oui je voulais pas vous prendre par surprise, juste (inaudible) –

PAR LE CONSEIL DU MINISTRE

(inaudible) O.k. ça va. C’est réouvrir le débat. C’est juste – je voulais juste soulever pour le ministre notre preuve est solide. Et donc il y a eu cette [on devrait ici lire sept] audience et j’espère ne pas avoir cette audience pour ce dossier (inaudible).

[40]  Les parties ont convenu que le témoignage de M. Rodriguez relativement à la validité de la mesure de renvoi ne porterait que sur la nouvelle preuve déposée devant la SAI, soit essentiellement des photos de lui et V.G. et des courriels échangés entre eux.

PAR LE CONSEIL DU MINISTRE

C’est bien à vous de le contester, je vais – je suis ici pour vous entendre, le commissaire aussi mais... je trouve que c’est... on va pas re – on est pas prêt pour faire 6 audiences pour ce dossier. [Rires] (inaudible) réentendre. Donc on va se remettre à certaines choses dans les transcriptions pour le ministre. On va pas réentendre le témoin.

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

Je suis d’accord avec vous, je vais pas refaire

PAR LE CONSEIL DU MINISTRE

Donc peut-être (inaudible)?

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

–des questions qui ont déjà été soulevées. Mais par contre j’attirerai l’attention du commissaire ou Maître, dans la preuve qui était dans le dossier a la Section d’appel – à la Section de l’immigration je m’excuse, il n’y avait pas toute la copie complète de la demande de parrainage.

Donc il n’y avait pas les photos, les emails que (inaudible) m’avait envoyé, des photos de mariage, des photos des voyages de Madame, et c’est ça. Monsieur a déposé une quantité énorme des e-mails que je me (inaudible).

Mon client m’a rapporté des... une somme des e-mails que ça faisait partie de la demande de parrainage qui parle de la relation de Madame et de mon client. Moi je trouve qu’il y a des choses importantes à regarder là-dessus. Donc... mon... l’interrogatoire ça va se passer sur cette question, les e-mails, les conversations que Monsieur avait eues avec Madame.

[Je souligne.]

[41]  Le commissaire questionne à nouveau l’avocate de M. Rodriguez pour confirmer son intention de contester la validité juridique de la mesure de renvoi.

PAR LE COMMISSAIRE

Maître Roa je sais que vous représentez votre client aujourd’hui et donc... vous pouvez le conseiller ou vous pouvez –

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

Je lui ai donné des conseils.

PAR LE COMMISSAIRE

– discuter avec lui. Et je sais aussi que vous allez peut-être répondre en faveur de votre client, la question que je vais vous poser en ce moment : croyez-vous vraiment que ces courriels-là vont faire une grande différence? Pensez-vous qu’un juge de la Cour supérieure qui aurait en accès à ces courriels-là ou la commissaire de la Section de l’immigration qui aurait eu accès à ces courriels-là auraient eu des décisions différentes dans le tel cas?

PAR LE CONSEIL DU DEMANDEUR

Je pense que oui Monsieur le commissaire.

PAR LE COMMISSAIRE

Bon allons-y.

[42]  Dans la mesure où M. Rodriguez a laissé planer un doute sur la portée de son appel jusqu’à la veille de l’audience et où la preuve nouvelle aurait pu être déposée devant la SI et devant la Cour supérieure, je ne crois pas que les commentaires du commissaire étaient déplacés, ou qu’ils soient indicatifs de partialité.

[43]  La SAI a admis et soupesé la nouvelle preuve et elle conclut qu’elle « apportait bien peu de nouveau à l’ensemble de l’information au dossier ».

(2)  Pas une réelle audience de novo

[44]  M. Rodriguez ne peut reprocher à la SAI de ne pas avoir tenu une réelle audience de novo puisqu’il était présent lorsque son avocate a convenu que son témoignage et celui de sa nouvelle conjointe ne porteraient que sur la nouvelle preuve et les considérations d’ordre humanitaire. La SAI pouvait donc s’en remettre aux transcriptions de la preuve devant la SI. Elle a fait sa propre analyse de cette preuve et en a tiré ses propres conclusions. À mon avis, le grief de M. Rodriguez n’est pas fondé.

(3)  Pas de contre-interrogatoire de M. Rodriguez

[45]  Le fait qu’un adjudicateur indique qu’il n’est pas nécessaire de contre-interroger la partie qui a le fardeau d’établir la véracité d’un fait allégué, ou encore d’entendre les représentations de la partie adverse à son égard, n’est pas nécessairement un signe de préjugé de la part de l’adjudicateur. C’est plutôt un signe que lors de l’interrogatoire principal, la partie n’a pas rencontré son fardeau et que l’adjudicateur a un souci d’utilisation efficace du temps d’audience.

[46]  Si la SAI n’était pas convaincue après le témoignage principal de M. Rodriguez, les chances sont qu’elle l’aurait été encore moins après son contre-interrogatoire. À tout évènement, la SAI est maîtresse de sa procédure et peut limiter la preuve à ce qui est nécessaire pour assurer une bonne instruction de l’affaire. Il ne s’agit pas ici d’un cas où l’efficacité administrative prend indûment le dessus sur le droit d’une partie de présenter entièrement sa cause, puisque la SAI a permis à l’avocate de M. Rodriguez de lui poser toutes les questions qu’elle désirait poser et de faire les représentations qui s’imposent.

[47]  Le grief de M. Rodriguez est également mal fondé.

(4)  Commentaires non pertinents

[48]  M. Rodriguez reproche à la SAI un certain nombre de commentaires non pertinents qui démontrent, selon lui, la partialité du commissaire, dont :

  1. Le fait qu’elle doute qu’il puisse aider les enfants de C.G. avec leurs devoirs de français puisqu’il s’exprime difficilement en français et requiert l’assistance d’un interprète;

  2. Le fait que sa sœur soit divorcée d’un Québécois; et

  3. Le fait que le mariage de M. Rodriguez et de V.G. n’était finalement pas différent de celui des autres couples québécois-cubains qui se sont terminés par un divorce.

[49]  La SAI a la tâche d’apprécier la crédibilité des témoins qu’elle entend et elle a le devoir de motiver ses conclusions défavorables. Elle ne peut le faire qu’en référant à la preuve qui lui est présentée. Dans le présent cas, M. Rodriguez s’est décrit comme un « homme au foyer » et il a notamment affirmé qu’il aidait les enfants de C.G. avec leurs devoirs de mathématiques et de français. Compte tenu du fait que son niveau de français est plutôt faible et qu’effectivement, il a requis l’assistance d’un interprète, il s’exposait à ce que la SAI considère qu’il tentait d’embellir la réalité. La SAI n’a fait qu’expliquer pourquoi elle en arrivait à cette conclusion.

[50]  Dans ses motifs, la SAI semble tirer une inférence négative du fait que la sœur de M. Rodriguez soit également divorcée d’un Québécois. La pertinence de ce fait est difficile à déterminer, mais sa simple mention ne permet certainement pas de conclure que la SAI a fait preuve de partialité. Elle suggère plutôt que l’ensemble de la preuve a été considérée puisque c’est un fait qui a été discuté à l’audience.

[51]  Finalement, comme M. Rodriguez tentait de convaincre la SAI que son mariage avec V.G. était différent des nombreux autres mariages entre Québécoises et Cubains qui se sont terminés par un divorce, il ne peut reprocher à la SAI d’avoir, à la lumière de l’ensemble de la preuve, conclu exactement le contraire.

(5)  Le témoignage de la conjointe actuelle de M. Rodriguez

[52]  M. Rodriguez reproche à la SAI d’avoir mal interprété certains pans du témoignage de C.G. Il lui reproche d’avoir retenu de ce témoignage que :

  1. C.G. a déjà envoyé de l’argent à la famille de M. Rodriguez à Cuba, alors qu’elle n’a fait qu’un transfert qui représentait un cadeau;

  2. La communication via Internet était possible avec Cuba, alors qu’elle a plutôt dit qu’elle était parfois mauvaise;

  3. M. Rodriguez l’a demandée en mariage avant son audience devant la SAI, alors que cela faisait un certain temps.

[53]  Or, ces conclusions de fait sont toutes appuyées par le témoignage de C.G. La seule affirmation qui pourrait porter à confusion est que la demande en mariage a eu lieu avant l’audience devant la SAI. Quoique cette affirmation soit techniquement vraie, la preuve n’indique pas à quel moment précis elle a eu lieu. Cette ambiguïté est cependant loin d’être suffisante pour permettre de conclure que le commissaire était partial.

[54]  Ce n’est pas parce que la SAI interprète la preuve d’une façon défavorable à M. Rodriguez qu’elle est pour autant partiale.

(6)  Les efforts de M. Rodriguez pour se trouver un emploi et son statut d’«homme au foyer »

[55]  D’abord, je suis d’avis que l’évaluation de l’intégration de M. Rodriguez à la société canadienne, ainsi que son apport aux tâches parentales et ménagères, ne devraient pas être traités dans le cadre de l’analyse de l’impartialité de la SAI ou des questions d’équité procédurale.

[56]  Le seul argument qui peut être considéré sous ce titre est celui par lequel M. Rodriguez reproche à la SAI d’avoir fait preuve de discrimination à son égard considérant son statut d’« homme au foyer », et affirme qu’il aurait été traité différemment s’il avait été une femme.

[57]  Lors de l’audience, j’ai demandé à son avocate ce que M. Rodriguez entendait par « homme au foyer » et à quel endroit dans le dossier certifié du tribunal trouvait-on la preuve qu’il correspondait à cette définition. Je n’ai pas obtenu de réponse claire à cette question.

[58]  À mon sens, la SAI n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard de M. Rodriguez; elle a tout simplement conclu que sa contribution aux tâches parentales (une semaine sur deux) et domestiques n’était pas suffisante pour qu’il réponde à la définition d’« homme au foyer » et qu’elle compense avec le fait qu’il contribue si peu sur le plan financier. M. Rodriguez ne m’a pas convaincue, à la lumière de la preuve, que cette conclusion aurait été différente s’il eût été une femme.

(7)  Les problèmes de dos de M. Rodriguez

[59]  M. Rodriguez reproche à la SAI d’avoir tantôt reconnu qu’il avait des problèmes de dos et tantôt conclu qu’il exagérait leur importance au moment où il était en couple avec V.G.

[60]  Or, je suis plutôt d’avis qu’il était loisible à la SAI de conclure, après avoir pris acte du fait qu’il a été opéré pour une hernie discale depuis qu’il est au Canada, que les douleurs au dos de M. Rodriguez ne pouvaient l’empêcher d’avoir une vie intime avec V.G. alors qu’il sortait danser plusieurs fois par semaine. La SAI n’a fait qu’exercer son rôle de juge des faits.

[61]  Je suis donc d’avis qu’une « personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » ne conclurait pas qu’il y a risque de partialité de la part de la SAI dans le dossier de M. Rodriguez.

B.  Est-ce que la SAI a erré en concluant que M. Rodriguez a fait une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR?

[62]  M. Rodriguez reprend un certain nombre d’arguments analysés au chapitre précédent et il reproche essentiellement à la SAI de ne pas avoir effectué une analyse indépendante de celle de la SI, relativement à l’authenticité de son mariage avec V.G. Il reproche à la SAI de ne pas avoir considéré les facteurs établis dans Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), SAI TA3-24409, Hoare, 17 janvier 2005; [2005] DSAI No 353 (QL) au paragraphe 3:

L’authenticité du mariage repose sur divers facteurs, dont la nature et la quantité varient d’un appel à l’autre. Parmi ces facteurs, citons entre autres l’intention des parties au mariage, la durée de la relation, le temps qu'elles ont passé ensemble, leur comportement au moment de leur première rencontre, de leurs fiançailles et/ou de leur mariage, leur comportement après le mariage, la connaissance que chaque partie a des antécédents de l’autre, l’ampleur des communications et des rapports soutenus, la prestation d'un soutien financier, la connaissance des enfants de l’autre partie et le partage de la responsabilité liée aux soins de ces enfants, la connaissance de la famille élargie de l’autre partie et la communication avec cette famille, ainsi que la connaissance de la vie quotidienne de l’autre partie. Tous ces facteurs peuvent être pris en compte pour établir l’authenticité du mariage. Le deuxième volet du critère, à savoir si la relation vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR, est évident et explicite. L’avantage recherché dans les appels concernant le parrainage d’un époux est généralement l’entrée au Canada et l’octroi au demandeur du statut de résident permanent à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

[Je souligne.]

[63]  À mon avis, la SAI n’a commis aucune erreur en ne considérant pas un à un les facteurs identifiés dans l’affaire Chavez. Ces facteurs, tels que bien expliqués dans cette décision, concernent l’authenticité du mariage. En l’instance, la SI et la SAI ont plutôt conclu que la démarche de M. Rodriguez visait plutôt à obtenir un statut ou un privilège sous le régime de la LIPR.

[64]  Les deux volets du test du paragraphe 4(1) du RIPR sont disjonctifs de sorte que si un seul de ces deux volets du test est rencontré, le mariage est considéré avoir été contracté de mauvaise foi (Trieu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 925 au para 36).

[65]  En l’espèce, il ne fait pas de doute que le mariage paraissait authentique, selon certains des critères de l’affaire Chavez, au moment où l’agent d’immigration a autorisé le parrainage de M. Rodriguez par V.G. C’est le comportement de M. Rodriguez après son arrivée au Canada qui a permis à la SI et à la SAI de conclure que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

[66]  En d’autres termes, il est faux de prétendre que si les facteurs énumérés dans Chavez tendent à démontrer l’authenticité d’un mariage, cela « fait contrepoids » à l’analyse des motivations véritables du mariage. Bien que ces deux questions puissent se recouper, elles demeurent néanmoins distinctes (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077 au para 26).

[67]  En concluant que M. Rodriguez s’est marié principalement pour obtenir le statut de résident permanent, la SAI n’avait pas à refaire l’analyse de l’authenticité du mariage. J’en conclus que la SAI n’a commis aucune erreur dans son appréciation de la preuve et en concluant que le mariage de M. Rodriguez était motivé non pas par l’amour, mais bien par l’obtention d’un statut sous le régime de la LIPR.

C.  Est-ce que la SAI a erré en concluant que les motifs humanitaires invoqués sont insuffisants pour accorder à M. Rodriguez une mesure spéciale?

[68]  Le seul argument de M. Rodriguez pour contester l’analyse faite par la SAI des motifs d’ordre humanitaire repose sur la partialité alléguée de la SAI. Or, puisque je suis d’avis que le comportement du commissaire de la SAI ne soulève aucune crainte raisonnable de partialité, son analyse des considérations d’ordre humanitaire est raisonnable et sera maintenue.

VI.  Conclusion

[69]  Pour les motifs consignés aux présentes, la demande de contrôle judiciaire de M. Rodriguez est rejetée. Les parties n’ont soumis aucune question d’importance générale pour fins de certification et cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1467-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1467-18

INTITULÉ :

DREISBER ALCINA RODRIGUEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Fabiola Ferreyra Coral

Pour LA DEMANDERESSE

Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROA Services juridiques

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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