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Date : 20181003


Dossier : IMM-4270-17

Référence : 2018 CF 975

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

BILIKISU OLAYOMIBO OLAYINKA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

et

PIUS LEKWUWA OKORONKWO

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 14 septembre 2017 [la décision ou la décision de la SAR] de rejeter l’appel de la demanderesse de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 5 avril 2017.

[2]  Comme je l’explique plus en détails ci-après, la présente demande est rejetée, car la demanderesse n’a pas fait la preuve qu’on l’a privée de son droit à la justice naturelle en conséquence de la représentation de son ancien conseil devant la SPR ou la SAR, ni que la SAR a fait une erreur lors de l’évaluation des éléments de preuve ou de la crédibilité et de l’identité de la demanderesse.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse affirme qu’elle est nigériane et qu’elle s’appelle Bilikisu Olayomibo Olayinka. Elle a demandé l’asile au Canada parce qu’elle craignait son époux, qui, selon elle, était violent. À l’appui de sa demande, Mme Olayinka a présenté un constat de naissance, une déclaration d’âge, des certificats d’études, un certificat d’origine, des affidavits de parents, d’amis et de voisins, des rapports médicaux et des documents relatifs aux circonstances du décès de son premier enfant.

[4]  La demande d’asile de la demanderesse a été refusée par la SPR au motif qu’elle ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir son identité. Elle a interjeté appel auprès de la SAR, mais cet appel a été rejeté dans la décision résumée ci-dessous, qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. La demanderesse a également sollicité un nouveau conseil et a demandé à la SAR de réexaminer sa décision, alléguant l’incompétence de son ancien conseil. Cette demande a été rejetée par la SAR dans une décision datée du 25 janvier 2018, qui fait l’objet d’une demande judiciaire distincte dans le dossier IMM-622-18 de la Cour. Les deux demandes de contrôle judiciaire ont été entendues le 25 juillet 2018. La Cour rend une décision distincte dans le dossier IMM-622-18.

[5]  Les arguments invoqués par la demanderesse pour contester la décision dans la présente affaire comprennent des allégations d’incompétence à l’endroit de son ancien conseil, selon lesquelles elle a été privée de sons doit à la justice naturelle. En raison de ces allégations, l’ancien conseil de la demanderesse, Pius Lekwuwa Okoronkwo, s’est vu accorder le statut d’intervenant dans cette affaire par l’ordonnance du protonotaire Milczynski du 10 mai 2018. Bien que cette ordonnance n’ait pas expressément ajouté M. Okoronkwo à l’intitulé, il en a été question à l’audience, et j’ai confirmé que mon jugement aurait une incidence sur cet ajout.

III.  Décision de la Section d’appel des réfugiés

[6]  La SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision antérieure de la SPR, concluant que la demanderesse n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Comme la SPR, la SAR a rendu cette décision au motif que la demanderesse n’avait pas établi son identité.

[7]  La SAR a d’abord tenu compte du fait que la demanderesse n’avait pas produit le passeport frauduleux qu’elle avait utilisé pour se rendre au Canada et du témoignage de la demanderesse concernant ce document. La demanderesse a déclaré que l’agent qui lui a prêté assistance a conservé les documents qu’il a utilisés, qu’elle n’a manipulé le passeport que brièvement lorsqu’elle est arrivée au Canada et que l’agent le lui a retiré une fois qu’elle a été traitée par les autorités canadiennes. La SAR a tiré une conclusion défavorable quant à l’incapacité de la demanderesse de produire des documents à l’appui de son entrée au Canada et de ce qu’elle tenait comme un témoignage incohérent à l’égard du passeport utilisé par la demanderesse pour venir au Canada. La SAR a également conclu qu’il n’était pas crédible que la demanderesse, comme elle l’a allégué, n’ait reçu aucune instruction de son agent quant à la façon de répondre aux questions des douaniers.

[8]  La SAR a ensuite examiné le fait que la demanderesse n’ait pas fourni de passeport nigérian valide. La SAR a retenu en partie son argument selon lequel il était déraisonnable pour la SPR de s’attendre à ce qu’elle demande un passeport nigérian à l’ambassade du Nigéria à Ottawa, parce qu’une telle mesure pourrait être considérée comme le fait de se réclamer à nouveau de la protection de son pays de nationalité. Cependant, la SAR a néanmoins tiré une inférence défavorable de l’omission de la demanderesse d’obtenir un passeport nigérian, étant donné que la SPR avait rejeté sa demande d’asile en raison de son incapacité d’établir son identité.

[9]  La SAR a conclu que la déclaration d’âge et le constat de naissance étaient frauduleux parce que le constat de naissance avait été signé par une personne portant le même nom que le père de la demanderesse, alors que le père de celle-ci était décédé il y a plus de 10 ans. La demanderesse a affirmé que c’était son oncle qui avait signé le document, que son oncle avait pris en charge le rôle de son père (son frère) après le décès de celui-ci et que son oncle portait le même nom que son père. Faute de documents probants, la SAR n’a pas retenu ces explications. La SAR a de nouveau tiré une inférence défavorable, concluant que la demanderesse avait présenté des documents frauduleux et que ces documents n’étayaient pas sa prétendue identité personnelle.

[10]  La SAR n’a accordé aucun poids aux certificats d’études de la demanderesse en raison de l’absence de photographies et de la signature de celle-ci. Elle n’a pas non plus accordé de poids au certificat d’origine, puisque l’affidavit du frère aîné de la demanderesse, qui, selon la demanderesse, a obtenu les pièces d’identité pour le compte de celle-ci, était muet sur l’obtention de ce document.

[11]  La SAR a estimé que les affidavits des membres de la famille de la demanderesse n’étaient pas probants pour établir son identité personnelle, déterminant qu’ils étaient liés aux mauvais traitements allégués qu’elle a subis de la part de son époux sans toutefois fournir d’autres renseignements probants sur son identité personnelle.

[12]  Prenant note de l’observation de la demanderesse selon laquelle elle avait témoigné en langue yoruba, la SAR a conclu que la demanderesse était nigériane et qu’elle avait vécu au Nigéria à un certain moment de sa vie, mais qu’elle n’avait fourni aucun document probant et fiable pour prouver son identité personnelle. La SAR a expliqué qu’il s’agissait d’une question déterminante et a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

IV.  Les questions et la norme de contrôle

[13]  La demanderesse soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur lors de l’appréciation de la preuve?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur lors de l’appréciation de la crédibilité et de l’identité de la demanderesse?

[14]  Les parties conviennent, et moi également, que la question de la justice naturelle est régie par la norme de la décision correcte (voir notamment la décision Atim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 695, au paragraphe 32) et que les deux autres questions énumérées ci­dessus peuvent faire l’objet d’un contrôle par la Cour selon la norme du caractère raisonnable.

V.  Analyse

A.  Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle?

(1)  Les principes juridiques

[15]  La demanderesse soutient qu’elle a été privée de son droit à la justice naturelle en raison de l’incompétence alléguée de son ancien conseil, l’intervenant. Il n’existe pas de désaccord entre les parties quant aux principes juridiques applicables à de telles allégations. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c GDB, 2000 CSC 22 [GDB], aux paragraphes 26 et 27, l’analyse requise comporte à la fois un volet examen du travail de l’avocat et un volet appréciation du préjudice. Bien que, comme on l’a mentionné ci­dessus, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à l’analyse globale de la Cour visant à déterminer si une partie a été privée de son droit à la justice naturelle, le volet examen du travail de l’avocat, à savoir si la représentation de l’avocat n’a pas été à la hauteur des exigences en la matière, est examinée selon la norme du caractère raisonnable. Il existe une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable et la sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

[16]  De même, la Cour a établi un seuil élevé régissant les conditions préalables exigeantes et les critères relatifs à la preuve auxquels il doit être satisfait avant d’accorder une réparation en vertu d’un contrôle judiciaire pour cause de négligence de l’avocat (voir la décision Odafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1429, au paragraphe 8). Dans les instances entreprises au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27), l’incompétence d’un conseil ne constitue une entorse à la justice naturelle que lors de circonstances extraordinaires, et en ce qui concerne le volet examen du travail, « l'incompétence ou la négligence du représentant [doit ressortir] de la preuve de façon suffisamment claire et précise » (voir la décision Memari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 au paragraphe 36). En ce qui concerne le volet appréciation du préjudice, la partie qui fait une allégation d’incompétence doit démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été des erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente (voir la décision Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 9).

[17]  Dans la présente affaire, la demanderesse soulève un certain nombre d’allégations contre l’intervenant, chacune étant traitée ci­après. Toutefois, les allégations sur lesquelles elle insiste particulièrement ont trait aux conseils de l’intervenant au sujet du constat de naissance et de la déclaration d’âge, qui constituent les documents d’identité présentés avec la demande d’asile de la demanderesse, et le défaut de l’intervenant de transmettre à la SAR la preuve des tentatives ultérieures de la demanderesse d’obtenir un passeport nigérian.

(2)  Les conseils relativement au constat de naissance et à la déclaration d’âge avant la présentation de la demande

[18]  Comme on l’indique dans l’aperçu de la décision ci-dessus, la SAR a conclu que la déclaration d’âge et le constat de naissance étaient frauduleux car le constat de naissance avait été signé par une personne portant le même nom que le père de la demanderesse, qui est décédé il y a plus de 10 ans. La demanderesse a affirmé que c’était son oncle qui a signé les documents, que son oncle a assumé le rôle de son père après le décès de celui-ci (son frère) et que son oncle portait le même nom que son père. Étant donné l’absence de documents corroborants, la SAR n’a pas cru ces explications.

[19]  Dans l’affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a admis que son oncle et son père décédé n’ont pas le même nom. Elle affirme que son oncle est analphabète, ce qui l’a amené à assermenter le constat de naissance d’une manière telle que ledit constat indiquait que son oncle était son père. La demanderesse explique que son oncle a effectivement assumé le rôle de son père après le décès de celui-ci et déclare qu’elle a informé l’intervenant de cette situation et de l’analphabétisme de son oncle. Cependant, elle affirme que l’intervenant lui a conseillé de mentir à la SPR lors de l’audience et de dire que son oncle et son père portent le même nom.

[20]  L’intervenant nie cette allégation. Dans son affidavit, il déclare que lorsqu’il a confronté la demanderesse avec le fait qu’il semblait que ce soit le défunt père de celle-ci qui soit l’auteur du constat de naissance, elle a déclaré que c’est son oncle qui a signé le document et qu’il porte le même nom que son père, étant donné que son grand-père était polygame et que son père et son oncle sont nés de deux mères différentes.

[21]  Si la Cour devait admettre la déclaration de la demanderesse selon laquelle l’intervenant lui a conseillé de mentir à la SPR, cela répondrait évidemment au volet examen du travail de l’allégation de représentation incompétente. Cependant, les affidavits de la demanderesse et de l’intervenant fournissent deux versions incompatibles des faits et la Cour doit déterminer laquelle est crédible. Pour en arriver à une conclusion, j’ai tenu compte des deux versions, je le répète, incompatibles, des faits dans leur ensemble qui ont mené à l’audience de la SPR, et de la preuve ayant trait au constat de naissance.

[22]  La demanderesse affirme qu’elle a rencontré l’intervenant pour la première fois en novembre 2016 et qu’il lui a fourni une liste de documents à préparer pour appuyer sa demande. Elle a ensuite communiqué avec sa famille au Nigéria pour obtenir ces documents. Un colis a été expédié du Nigéria à la demanderesse le 23 novembre 2016 au refuge de Toronto où elle résidait alors. Elle déclare que dans ce colis se trouvaient le constat de naissance et la déclaration d’âge, tous deux datés du 11 novembre 2016, ses cartes de guichet automatique et un certificat de capacité à titre d’infirmière auxiliaire.

[23]  La demanderesse déclare que le jour où elle a reçu le colis, elle l’a apporté à l’occasion de sa rencontre avec l’intervenant à son cabinet et a ouvert le colis en présence de l’intervenant. Elle a ensuite indiqué que son oncle avait déclaré à tort dans la déclaration d’âge qu’il était son père et a demandé conseil à l’intervenant sur cette question. La demanderesse indique que l’intervenant lui a dit que cela pouvait aller et qu’il lui a ensuite dit d’apporter le constat de naissance et la déclaration d’âge lorsqu’elle présentera sa demande d’asile au bureau d’immigration d’Etobicoke. Il n’est pas contesté qu’elle s’est présentée seule au bureau d’immigration et qu’elle a présenté sa demande le 7 janvier 2017.

[24]  Selon la déclaration de la demanderesse, le seul autre colis qu’elle a reçu du Nigéria lui a été expédié le 21 février 2017. À son affidavit sont annexées des copies des bordereaux du service de messagerie du 23 novembre 2016 et du 21 février 2017.

[25]  Le témoignage de la demanderesse indique que la question entourant la déclaration d’âge a ensuite été soulevée vers 21 h 30 la veille de l’audience de la SPR du 1er mars 2017, au moment où l’intervenant lui a téléphoné pour lui demander pourquoi son oncle avait déclaré dans ce document qu’il était son père. Elle prétend avoir confronté l’intervenant au fait que celui-ci avait la déclaration d’âge en sa possession depuis trois mois. Elle a ensuite expliqué que son oncle a assumé le rôle de son père après le décès de celui-ci, mais que son oncle a indiqué ce fait dans la déclaration d’âge parce qu’il est analphabète. La demanderesse affirme que l’intervenant l’a informé qu’il lui indiquerait la marche à suivre le lendemain et que lors de leur rencontre dans les bureaux de la SPR le lendemain matin, il lui a conseillé de déclarer que son oncle porte le même nom que son père.

[26]  En ce qui concerne la version des faits de l’intervenant, celui-ci confirme qu’il a rencontré la demanderesse pour la première fois dans son cabinet en novembre 2016 et lui a conseillé de préparer des documents d’identité pour appuyer sa demande d’asile. Cependant, il nie que la demanderesse lui ait fourni le constat de naissance ou la déclaration d’âge avant de présenter sa demande d’asile le 7 janvier 2017. Il affirme qu’elle a apporté ces documents, entre autres, après les avoir reçus du Nigéria, lors d’une rencontre à son cabinet le 17 février 2017. Le soir-même, en examinant les documents, il a repéré le problème au niveau du constat de naissance et a téléphoné à la demanderesse. L’intervenant soutient que c’est au cours de cet appel qu’elle l’a informé que son oncle et son père avaient le même nom parce qu’ils venaient d’une famille polygame. Il nie avoir discuté de cette question avec la demanderesse la veille de l’audience de la SPR du 1er mars 2017.

[27]  Lors du contre-interrogatoire de l’intervenant relativement à son affidavit, l’avocat de la demanderesse a contesté la version des faits de celui-ci, faisant remarquer que les documents déposés par la demanderesse le 7 janvier 2017 comportaient une annexe 12, signée à la fois par la demanderesse et l’intervenant le 6 décembre 2016 et faisant état à la fois de la date de délivrance et du numéro de document du constat de naissance. La demanderesse soutient que cela corrobore sa version des faits, car cela démontre que l’intervenant avait pris connaissance du constat de naissance, et donc de la déclaration d’âge qui l’accompagnait, au début de décembre 2016.

[28]  Selon le témoignage de l’intervenant en contre-interrogatoire, l’annexe 12 a été remplie et signée le 6 décembre 2016 en fonction des renseignements transmis à la demanderesse par téléphone par son frère, qui avait obtenu le constat de naissance au Nigéria. L’intervenant a expliqué que la demanderesse avait été malade en raison d’une grossesse en novembre 2016 et en décembre 2016. Par conséquent, afin de réduire le nombre de visites de la demanderesse à son cabinet, il a déclaré qu’ils ont rempli et signé les formulaires de demande d’asile le 6 décembre 2016, bien que le constat de naissance, en tant que document d’identité, n’ait pas encore été reçu, de façon à ce que la demanderesse puisse entreprendre le dépôt de sa demande dès que ce document lui parviendrait du Nigéria. Rien dans la preuve ne contredit cette explication, et j’en viens à la conclusion que l’annexe 12 ne permet pas à la Cour donner prépondérance à l’une ou l’autre version des faits.

[29]  La demanderesse soutient également que sa version des faits est corroborée par le témoignage de son gestionnaire de cas au refuge de Toronto, où elle résidait lorsqu’elle a reçu le colis de la messagerie DHL expédié le 23 novembre 2016 du Nigéria. Le gestionnaire de cas a rédigé une lettre indiquant que, pendant que la demanderesse séjournait au refuge, elle a reçu des documents du Nigéria par l’entremise de DHL et qu’on lui a remis des jetons de la TTC afin de lui permettre d’apporter les documents à son avocat. Toutefois, comme l’a fait valoir l’intervenant, le gestionnaire de cas n’a fourni aucune preuve quant aux documents qui figuraient dans le colis livré par DHL. Encore une fois, j’estime que cette déclaration est de peu d’utilité pour la Cour.

[30]  La demanderesse fait valoir que la chronologie de l’intervenant, indiquant notamment que la demanderesse a reçu le constat de naissance et la déclaration d’âge à une époque entre le 6 décembre 2016 et le 7 janvier 2017 et qu’elle les a ensuite apportés au cabinet de l’intervenant le 17 février 2017, n’est pas plausible, car d’aucune façon la demanderesse aurait attendu plus d’un mois avant d’amener les documents au cabinet de l’intervenant après qu’elle les ait reçus. De son côté, l’intervenant soutient que le délai de la demanderesse n’est pas plausible, car il n’y a aucune raison pour laquelle la demanderesse aurait attendu jusqu’au 7 janvier 2017 pour déposer sa demande si elle avait reçu le constat de naissance à la fin de novembre ou au début de décembre. La demanderesse répond à cet argument en soulignant qu’elle était malade en raison de sa grossesse au cours de cette période. À mon avis, cette maladie pourrait expliquer le délai dont parle l’une ou l’autre des parties. Par conséquent, je n’estime pas particulièrement convaincants les arguments de la demanderesse ni de l’intervenant.

[31]  Toutefois, l’intervenant présente des éléments de preuve qui corroborent davantage sa version des faits que celle de la demanderesse. À son affidavit est annexé un registre provenant du téléphone qu’il déclare avoir utilisé lors de ses entretiens avec la demanderesse, faisant état de plusieurs appels faits au numéro de téléphone de celle-ci, notamment un appel de huit minutes à 18 h 21 le 17 février 2017. Cela concorde avec la déclaration de l’intervenant selon laquelle la demanderesse lui a remis les documents, notamment le constat de naissance et la déclaration d’âge, lors d’une rencontre ce jour-là et qu’il lui a téléphoné plus tard dans la journée après avoir examiné les documents pour discuter du problème concernant la déclaration de son oncle. L’intervenant souligne également que le registre téléphonique n’indique pas qu’un appel a été fait à la demanderesse la veille de l’audience de la SPR du 1er mars 2017, c’est-à-dire au moment où et de quelle manière, selon la demanderesse, l’intervenant a cerné le problème afférent à la déclaration. La demanderesse n’a pas contesté cet élément du contre-interrogatoire de l’intervenant et, comme l’a fait valoir l’intervenant, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter ce point.

[32]  L’intervenant fait également remarquer que plusieurs des documents que la demanderesse a apportés à son cabinet le 17 février 2017 portaient une date ultérieure à celle où le colis livré par DHL le 23 novembre 2016 a été expédié du Nigéria. Il indique que les documents qu’il a reçus de la demanderesse ce jour­là sont ceux qu’il a télécopiés à la SPR le soir suivant son entretien téléphonique avec la demanderesse au sujet du problème concernant la déclaration d’âge. La liste des documents envoyés par télécopieur le 17 février 2017 n’est pas contestée, puisque les documents sont identifiés dans la liste qui accompagnait cette télécopie. Ceux-ci sont constitués du constat de naissance et de la déclaration d’âge, ainsi que du certificat d’origine daté du 6 février 2017, du certificat de décès du fils de la demanderesse délivré par la Commission nationale de la population [National Population Commission] et daté du 15 février 2017, et de l’affidavit du frère de la demanderesse daté du 10 février 2017 qui a servi à obtenir le certificat de décès.

[33]  Je conviens de l’argument de l’intervenant selon lequel la réception le 17 février 2017 de documents dont la date se situe entre les dates d’expédition des colis de messagerie du 23 novembre 2016 et du 21 février 2017 mine la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle a reçu des documents du Nigéria par messagerie seulement à ces deux dates. Par conséquent, l’intervenant soutient que le constat de naissance et la déclaration d’âge auraient pu être reçus entre le moment de la signature des documents de la demande d’asile le 6 décembre 2016 et le moment du dépôt de ces documents le 7 janvier 2017, comme l’allègue celui-ci.

[34]  La demanderesse répond à cet argument que certains des documents déposés à la SPR le 17 février 2017 ont été transmis du Nigéria à la demanderesse par courriel, et non par messagerie. Elle fait remarquer que l’intervenant a transmis une deuxième série de documents à la SPR le 24 février 2017 et elle soutient qu’il s’agissait des documents originaux reçus par la voie du colis de messagerie du 21 février 2017 qui n’avaient pas été transmis auparavant par courriel. Elle fait valoir, comme preuve corroborant sa déclaration, la transcription de son témoignage devant la SPR, dans lequel elle fait référence à la numérisation et à la transmission par courriel de documents en provenance du Nigéria, dont les originaux devaient suivre au besoin. Toutefois, ce témoignage se rapporte uniquement à un certificat d’études secondaires qui, selon la SPR, semblait avoir été envoyé par messagerie électronique Google en tant que pièce jointe JPEG. La copie de ce document, qui se trouve dans le dossier de la demanderesse, comprend un pied de page qui renvoie à la messagerie électronique Google et qui peut avoir été à l’origine de la demande de renseignements de la SPR au sujet de ce document. Rien dans ce témoignage n’indique que d’autres documents ont été envoyés à la demanderesse par courriel. La demanderesse ne dépose pas non plus, dans l’affidavit qu’elle a présenté à l’appui de cette demande de contrôle judiciaire, la réception de documents en l’espèce.

[35]  Dans son plaidoyer en réponse aux observations de la demanderesse à cet égard, l’avocat de l’intervenant a souligné l’absence de preuve de transmission par courriel des documents de la demanderesse. La demanderesse reconnaît qu’il n’y a pas de preuve documentaire de la transmission par courriel de certains de ses documents, mais elle soutient que c’est parce que cette question n’a été soulevée qu’après la date limite de dépôt d’autres affidavits dans cette demande de contrôle judiciaire. J’estime que cet argument n’est pas convaincant, car cette question a été soulevée dans l’affidavit de l’intervenant du 18 décembre 2017 déposé le 21 décembre 2017, dans lequel celui-ci dépose sous serment que certains des documents que la demanderesse a apportés à son cabinet le 17 février 2017 n’existaient pas en novembre 2016. Par conséquent, cette question a été soulevée bien avant la date limite du 23 avril 2018 pour le dépôt d’autres affidavits par la demanderesse.

[36]  Compte tenu des lacunes de la preuve de la demanderesse sur ce point, j’estime que l’argument de l’intervenant le sert, bien que dans une certaine mesure seulement. Je remarque que, selon la décision, l’un des documents sur lesquels repose l’argument, soit le certificat d’origine, était une copie et non un original, qui aurait donc pu être reçu autant par courriel que par messagerie. De même, l’inférence que certains des documents datés de février 2017 ont été reçus par la demanderesse par colis de messagerie autre que les deux autres colis identifiés par la demanderesse ne corrobore pas la conclusion selon laquelle le constat de naissance et la déclaration d’âge ont été expédiés dans le même colis, car la version des faits des deux parties atteste que ces documents étaient parvenus au Canada lorsque la demanderesse a déposé sa demande d’asile le 7 janvier 2017. Tout au plus, l’inférence qu’il existait plus de deux colis de messagerie détonne par rapport à la crédibilité de la prétention de la demanderesse selon laquelle il n’y avait que deux colis et dans cette mesure limitée, vient appuyer la prétention de l’intervenant selon laquelle la demanderesse a reçu le constat de naissance et la déclaration d’âge entre le moment où elle a signé sa demande et celui où elle l’a soumise.

[37]  Après avoir soupesé le tout, je conclus que la preuve corrobore davantage, quoique dans une faible mesure, la chronologie d’ensemble et la version des faits de l’intervenant, et j’en viens donc à la conclusion que la demanderesse n’a pas fait la preuve qu’elle a remis le constat de naissance et la déclaration d’âge à l’intervenant avant le dépôt de sa demande. En donnant prépondérance à la version des faits de l’intervenant, j’en viens également à la conclusion que la demanderesse n’a pas fait la preuve que l’intervenant lui a conseillé de mentir à la SPR au sujet du nom de son oncle.

[38]  Si l’on fait abstraction de ces conclusions, la demanderesse soutient également que l’intervenant n’a pas satisfait à la norme de compétence en tant que conseil en ce sens qu’il n’aurait pas dû lui permettre de présenter, en tant que documents d’identité à l’appui de sa demande d’asile, le constat de naissance et la déclaration d’âge sans d’abord les examiner. Elle soutient que si l’intervenant avait examiné ces documents avant leur présentation, il aurait identifié le problème concernant la déclaration de l’oncle et la demanderesse aurait eu l’occasion de corriger la situation, possiblement en obtenant un substitut du document problématique.

[39]  La demanderesse renvoie la Cour à la déontologie du Barreau de l’Ontario, plus particulièrement à la définition d’« avocat compétent », à savoir une avocate ou un avocat qui possède et met les connaissances, habiletés et attributs nécessaires au service de chaque affaire acceptée pour un client ou une cliente. Cela comprend ce qui suit : examiner les faits, définir les questions à régler, déterminer les objectifs du client, étudier les options possibles, formuler les plans d’action pertinents et en aviser le client. La demanderesse prétend que l’intervenant a enfreint cette norme en omettant d’enquêter sur les documents d’identité sur lesquels la demanderesse avait l’intention d’asseoir sa preuve et en omettant de cerner le problème que posaient ces documents.

[40]  L’intervenant conteste que le fait qu’il ait permis à la demanderesse de se fier au constat de naissance et à la déclaration d’âge sans qu’il ait d’abord examiné ces documents constitue un manquement à ses obligations professionnelles. Il fait remarquer que les demandeurs du statut de réfugié présentent souvent des pièces d’identité à l’appui de leurs demandes initiales, par exemple lorsqu’ils arrivent à un point d’entrée au Canada, sans jamais consulter un avocat. Je ne trouve pas cet argument particulièrement convaincant, car il va de soi que l’avocat n’a pas l’obligation de donner des conseils sur les pièces d’identité avant leur présentation si ses services n’ont pas encore été retenus.

[41]  Au cours du contre-interrogatoire, l’intervenant a établi une distinction entre les documents du client à l’appui de la demande d’asile et ceux qui établissent son identité, en indiquant que sa pratique constituait à examiner ces derniers et que, ce faisant le 17 février 2017, il a cerné le problème relatif aux documents d’identité. Il a expliqué qu’un constat de naissance est un document sur lequel les demanderesses d’asile nigérians s’appuient couramment pour établir leur identité, mais il a aussi confirmé qu’il était conscient que la SPR pouvait avoir des préoccupations au sujet de documents d’identité frauduleux provenant du Nigéria. Je comprends l’argument de la demanderesse selon lequel, compte tenu de cette prise de conscience de l’intervenant, il aurait été prudent de la part de celui-ci d’examiner ses documents d’identité pour s’assurer qu’il n’y avait rien qui aurait pu susciter des préoccupations à la SPR. Cependant, j’hésite à conclure qu’en l’absence de raison précise de se préoccuper de la documentation d’identité d’un client donné, le conseil a l’obligation absolue d’examiner cette documentation avant que le client ne s’y fie pour présenter une demande d’asile. La demanderesse n’a présenté aucune jurisprudence à l’appui d’une telle conclusion et, en appliquant le seuil élevé et la norme du caractère raisonnable applicable au volet examen du travail de l’analyse nécessaire, je n’en viens pas à la conclusion que l’intervenant a manqué à ses obligations professionnelles à cet égard.

[42]  De plus, en ce qui concerne le volet appréciation du préjudice de l’analyse, je ne peux conclure qu’il existe une probabilité raisonnable que le résultat de cette instance aurait été différent si l’intervenant avait soulevé le problème concernant la déclaration d’âge auprès de la demanderesse avant le dépôt de sa demande. Étant donné que j’ai donné prépondérance à la version des faits de l’intervenant plutôt qu’à celle de la demanderesse, il n’en demeure pas moins que si l’intervenant avait soulevé ce problème avant le dépôt de la demande le 7 janvier 2017, la demanderesse aurait répondu de la même manière qu’elle dit l’avoir fait le 17 février 2017, à savoir que son oncle porte le même nom que son père. Par conséquent, rien ne permet de conclure que la procédure aurait été différente si cette question avait été soulevée en décembre ou en janvier plutôt qu’en février.

(3)  Les conseils relativement au constat de naissance et à la déclaration d’âge après l’identification du problème

[43]  La demanderesse soutient également qu’une fois que le problème concernant la déclaration d’âge a été cerné avant l’audience de la SPR, l’intervenant avait l’obligation d’informer la demanderesse des mesures à prendre pour répondre à la préoccupation selon laquelle la SPR pourrait estimer que ses documents d’identité sont frauduleux. La demanderesse soutient, notamment, que l’intervenant aurait dû lui conseiller d’obtenir des éléments de preuve corroborants pour démontrer que son oncle et son père avaient le même nom.

[44]  L’intervenant a indiqué en contre-interrogatoire que, compte tenu de ses propres antécédents culturels, il trouvait plausible l’explication de la demanderesse selon laquelle son père et son oncle venaient d’une famille polygame et portaient le même nom. Selon lui, bien qu’un autre conseil ait pu prendre la décision de demander des documents corroborants à l’appui de cette explication, il s’agit d’une question de jugement et son défaut de le faire ne représente pas une représentation inadéquate ou incompétente. Je souscris à ce point de vue, qui est conforme au seuil élevé et à la norme de décision raisonnable applicables au volet examen du travail d’une analyse d’une incompétence alléguée.

[45]  La demanderesse soutient que le manquement de l’intervenant sur cette question fut encore plus flagrant au moment où elle s’apprêtait à interjeter appel devant la SAR, étant donné qu’il savait à ce moment que la SPR avait refusé la demande de la demanderesse en raison du défaut de celle-ci d’établir son identité et avait soulevé des questions ayant trait particulièrement à l’absence de documentation attestant que son oncle avait en fait le même nom que son père. Interrogé à ce sujet au cours du contre-interrogatoire, l’intervenant a déclaré que le conseil qu’il avait donné à la demanderesse relativement à l’appel visait l’obtention d’un passeport de l’ambassade du Nigéria afin de régler la question de l’identité. L’avis d’appel a été signé le 18 avril 2017 et le 4 mai 2017, l’intervenant a reçu une télécopie du refuge où résidait la demanderesse dans laquelle on indiquait qu’elle avait présenté une demande de passeport. Il a reçu une autre télécopie le 10 mai 2017 indiquant que l’entrevue de la demanderesse à l’ambassade du Nigéria à Ottawa avait été fixée au 16 mai 2017.

[46]  La demanderesse fait valoir que, nonobstant sa demande de passeport, l’intervenant aurait quand même dû lui donner des conseils sur la façon de faire face aux préoccupations de la SPR au sujet du constat de naissance et de la déclaration d’âge, de façon à ce qu’elle ait un autre moyen de prouver son identité. Là encore, j’en viens à la conclusion que cet argument relève du domaine du jugement de l’avocat. Je constate que, d’après le dossier dont la Cour est saisie, rien n’indique que la demanderesse ait réussi à obtenir un passeport nigérian et rien n’explique un tel échec. Toutefois, le dossier n’indique pas l’existence de renseignements dont disposait l’intervenant au moment où il a interjeté appel pour le compte de la demanderesse pouvant faire obstacle à l’obtention d’un passeport en tant que moyen de régler la question de l’identité. Je ne vois pas comment la représentation de la demanderesse par l’intervenant a été inadéquate à cet égard.

[47]  En outre, en ce qui concerne le volet appréciation du préjudice de l’analyse, j’estime qu’il s’agit d’un argument particulièrement difficile à invoquer pour la demanderesse, étant donné le fait incontesté que son oncle et son père ne portaient pas le même nom. Compte tenu de cela, il est difficile d’en arriver à la conclusion que les conseils de l’intervenant sur le bien-fondé de l’obtention d’une corroboration d’un nom courant auraient eu une probabilité raisonnable de modifier l’issue de l’affaire. De toute évidence, il n’aurait pas été possible d’obtenir des preuves légitimes à cet effet. Ces conseils auraient peut-être permis à la demanderesse d’obtenir un constat de naissance étayé par une déclaration d’âge exacte. Toutefois, la preuve ne permet pas à la Cour de conclure à l’existence de la probabilité raisonnable d’un tel résultat.

(4)  Du défaut de présenter une preuve de demande de passeport

[48]  Sur la question de justice naturelle, la demanderesse souligne, en tant que dernier argument, le fait que l’intervenant ne l’a pas représentée adéquatement en omettant d’indiquer, en guise de fondement de sa preuve en appel, qu’elle avait fait une demande de passeport nigérian. Son affidavit explique qu’elle a demandé aux responsables du refuge où elle habitait de lui envoyer par télécopieur une copie de sa demande de passeport le 10 mai 2017. La réception de cette télécopie par l’intervenant n’est pas contestée. La demanderesse affirme également qu’elle a expressément demandé à l’intervenant d’inclure ces documents dans son dossier d’appel devant la SAR et qu’elle ignore pourquoi il ne l’a pas fait.

[49]  Au cours du contre-interrogatoire à ce sujet, l’intervenant a déclaré qu’il n’avait pas envoyé ces documents à la SAR parce que ce qui importait, c’était d’avoir en main le passeport lui-même, et non le fait qu’une demande en ce sens ait été faite. De plus, l’entrevue de la demanderesse était prévue pour le 16 mai 2017, quelques jours seulement après que l’intervenant ait reçu la télécopie du 10 mai 2017; ce qu’il estimait, selon son expérience, c’est que la demanderesse recevrait le passeport le jour-même de l’entrevue. Dans le dossier de la demanderesse se trouve un courriel du 17 mai 2017 transmis par les responsables du refuge à l’ambassade du Nigéria pour indiquer que la demanderesse souhaitait reporter son entrevue, parce que son médecin lui a recommandé de ne pas effectuer de déplacement avant que son bébé, né le 21 avril 2017, ait au moins deux mois. L’intervenant a déclaré qu’on ne lui a jamais transmis de copie de ce courriel et que rien dans le dossier présenté à la Cour ne semble contredire son affirmation. Il a plutôt déclaré qu’il harcelait la demanderesse pour qu’elle lui fournisse le passeport, mais n’a pas reçu d’explication quant à la raison pour laquelle elle ne l’a pas fait.

[50]  Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire pourquoi il n’avait pas transmis une copie de la demande de passeport à la SAR alors qu’il était évident qu’à la date de l’entrevue du 16 mai 2017, le passeport ne serait pas disponible, l’intervenant a indiqué qu’il s’inquiétait du fait que cela pourrait donner l’impression d’un manque de sérieux ou de diligence de la part de la demanderesse en ce qui a trait à l’obtention de documents destinés à attester son identité.

[51]  J’estime que ces explications de l’intervenant sont raisonnables. Toutefois, je suis m’interroge sur le fait que l’intervenant n’a pas tenu compte du témoignage de la demanderesse selon lequel elle a expressément demandé à l’intervenant de présenter sa demande de passeport lors de son appel devant la SAR. Bien que les explications de l’intervenant à cet égard soient raisonnables, la preuve qu’il a déposée ne contredit pas l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle lui a demandé de présenter sa demande de passeport et n’indique pas qu’elle a laissé tomber ces instructions sur son conseil. Je m’interroge donc quant au fait que le dossier démontre que l’intervenant a fait fi des instructions du demanderesse, ce qui, à mon avis, répondrait au volet examen du travail du test dont il est fait état dans l’arrêt GDB.

[52]  Toutefois, je ne peux conclure que l’on a satisfait au volet appréciation du préjudice du critère. Comme il a été mentionné ci-dessus, les préoccupations de l’intervenant concernant la présentation de la demande de passeport plutôt que le passeport lui-même sont fondées, surtout à mesure où le temps s’écoulait. Étant donné qu’il n’existe aucune preuve au dossier qu’un passeport ait été délivré à la demanderesse lorsque la SAR a rendu sa décision le 14 septembre 2017, ou à toute époque ultérieure depuis, il n’existe aucun fondement permettant à la Cour d’en arriver à la conclusion que l’issue de l’instance devant la SAR eut été différente si la SAR avait été informée qu’une demande de passeport avait été présentée.

[53]  La demanderesse fait remarquer que dans sa décision, la SAR a conclu [traduction] qu’« il serait raisonnable et crédible de la part de la demanderesse de déployer des efforts pour obtenir des documents authentiques afin de corroborer son identité personnelle ». Bien que je comprenne que cet extrait de la décision fait référence à des efforts plutôt qu’à des résultats, je ne peux conclure qu’il existe une probabilité raisonnable que la SAR eut été convaincue de l’identité de la demanderesse simplement parce que celle-ci aurait fait des efforts. En effet, dans la phrase suivante de la décision, la SAR indique expressément qu’elle s’attend à ce que la demanderesse demande et obtienne un passeport :

[traductionElle a présenté à la SPR les documents mentionnés ci-dessous. Il serait raisonnable que ces documents puissent être présentés aux autorités compétentes à l’ambassade du Nigéria à Ottawa afin de prouver son identité personnelle et d’obtenir un passeport.

[54]  N’ayant pas satisfait au volet appréciation du préjudice de l’analyse de l’arrêt GDB, je conclus que l’argument de justice naturelle de la demanderesse lié à la demande de passeport ne constitue pas un motif d’entrave à la décision.

[55]  Bien que les arguments ci­dessus soient ceux que la demanderesse a mis en évidence à l’appui de ses allégations de représentation incompétente, son affidavit et ses observations écrites soulèvent des arguments supplémentaires, que je traiterai ci­après.

(5)  Les autres arguments de représentation incompétente

[56]  La demanderesse soutient qu’elle a remis son certificat d’infirmière auxiliaire à l’intervenant et qu’il lui a conseillé de ne pas inclure cet élément de preuve. L’intervenant aborde ce point dans son affidavit, déclarant qu’il a demandé à la demanderesse comment elle avait obtenu un certificat en sciences infirmières alors qu’elle l’avait informé que son plus haut niveau de scolarité était le secondaire. Il dit qu’elle a expliqué que ce document était nécessaire pour appuyer une demande de visa qu’elle a présentée par le passé. L’intervenant a déclaré qu’il a demandé à la demanderesse si le document était légitime et qu’elle n’a pas répondu par l’affirmative. Il a donc décidé de ne pas divulguer un document d’origine douteuse. La demanderesse n’a pas contesté cette déclaration en contre-interrogatoire et n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter l’explication de l’intervenant. L’explication de l’intervenant au sujet de son approche à l’égard des certificats de soins infirmiers est raisonnable, et je ne trouve aucun fondement à l’allégation d’une représentation incompétente sur cette question.

[57]  Parmi les documents présentés à la SPR figuraient des certificats scolaires qui ne portaient ni la photographie, ni la signature de l’élève, faisant en sorte que la SAR ne leur a accordé aucun poids. La demanderesse déclare dans son affidavit que les photographies et les signatures manquent dans ces documents parce qu’ils ont été obtenus de l’établissement scolaire par sa sœur, tandis que les originaux se trouvent au domicile de son époux et que, par conséquent, elle n’est pas en mesure de les obtenir. Elle allègue que l’intervenant lui a conseillé de faussement déclarer que les certificats soumis constituaient les originaux et que la politique de l’établissement scolaire consistait à les fournir sans signature ni photographie.

[58]  L’intervenant nie cette allégation, affirmant que la demanderesse l’a informé que les certificats qu’elle a fournis étaient les originaux. Il signale des incohérences dans les déclarations de la demanderesse à ce sujet. Dans une lettre datée du 23 octobre 2017 que l’avocat actuel de la demanderesse a adressée à l’intervenant, où l’on fait mention des allégations de représentation incompétente de la demanderesse, il est indiqué que le frère de la demanderesse s’est rendu à l’établissement scolaire pour obtenir les certificats. Toutefois, dans son affidavit, la demanderesse affirme que c’est sa sœur qui a accompli cette tâche. Compte tenu de cette incohérence dans le témoignage de la demanderesse, je donne prépondérance au témoignage de l’intervenant et je conclus qu’il n’y a pas de représentation incompétente relativement à la question des certificats scolaires.

[59]  Enfin, la demanderesse allègue que la transcription de l’audience de la SPR ne révèle qu’une série de questions superficielles posées par l’intervenant sur la question de l’identité, dont l’insuffisance n’a pas permis à la demanderesse de résoudre les préoccupations de la SPR au sujet de son identité. J’estime que cette allégation n’est pas fondée. Comme l’a fait valoir l’intervenant, la SPR a posé des questions au sujet de l’identité de la demanderesse et l’intervenant a posé des questions supplémentaires à ce sujet. La demanderesse n’a pas identifié de questions particulières liées à son identité qui auraient pu modifier les résultats de la procédure devant la SPR ou la SAR. La demanderesse n’a satisfait ni au volet examen du travail ni au volet appréciation du préjudice du test de l’arrêt GDB relativement à cette allégation.

[60]  Pour conclure sur la question de la justice naturelle, j’estime que la demanderesse n’a pas été privée de son droit à la justice naturelle par son représentant à l’aune des principes juridiques examinés plus tôt dans la présente décision et en demeurant conscient du fait que la norme générale de contrôle est celle de la décision correcte.

B.  La SAR a-t-elle commis une erreur lors de l’appréciation de la preuve?

[61]  La demanderesse soutient que la SAR a commis plusieurs erreurs dans l’appréciation de son témoignage devant la SPR.

[62]  En premier lieu, la demanderesse prétend que la SAR a commis une erreur en concluant à l’incohérence de son témoignage en ce qui concerne la photographie du passeport frauduleux qu’elle a utilisé à son arrivée au Canada et son acquisition. La demanderesse soutient que son témoignage n’était pas incohérent et que toute incohérence manifeste dans la transcription découle de l’interrogatoire compliqué de la SPR.

[63]  J’ai examiné la partie pertinente de la transcription de l’audience de la SPR et je souscris au point de vue du défendeur sur cette question selon laquelle, selon la norme du caractère raisonnable, la SAR pouvait en arriver à la conclusion qu’elle a tirée en se fondant sur le témoignage de la demanderesse. Plus encore, comme l’indique le demandeur, la conclusion de la SAR relativement à cette question reposait non seulement sur les incohérences qu’elle a constatées dans le témoignage de la demanderesse, mais également sur le fait qu’il n’était pas crédible, comme celle-ci l’a allégué, que l’agent ne lui ait donné aucune directive sur la façon de répondre aux questions des douaniers. La demanderesse n’a pas contesté cet élément de l’analyse de la SAR, que j’estime raisonnable. En outre, en tenant compte de la décision dans son ensemble, la conclusion de la SAR quant au fait que la demanderesse n’a pas établi son identité est fondée sur les questions ayant trait aux documents d’identification de la demanderesse, et je n’estime pas qu’il soit possible de conclure que l’issue aurait été autre si celle-ci avait fourni une preuve crédible en ce qui concerne les documents qu’elle a utilisés pour son entrée Canada.

[64]  La demanderesse conteste également la conclusion de la SAR selon laquelle il aurait été raisonnable pour la demanderesse d’avoir obtenu un passeport de l’ambassade du Nigéria à Ottawa. Cet argument repose sur la crainte que l’obtention d’un passeport nigérian puisse être interprétée comme le fait de réclamer de nouveau la protection du Nigéria. Toutefois, la SPR et la SAR ont expressément répondu à cette inquiétude. Dans la décision, la SAR a fait référence au fait que la demanderesse s’appuyait sur la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Bashir, 2015 CF 51 [Bashir], et a souligné qu’elle était d’accord en partie avec les observations de la demanderesse. Cependant, malgré le principe ayant trait au fait de se réclamer à nouveau de la protection de son pays d’origine, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse ait communiqué avec l’ambassade du Nigéria pour obtenir un passeport et que, compte tenu des circonstances, elle aurait pu régler tout problème potentiel ayant trait au fait de se réclamer à nouveau de la protection de son pays d’origine.

[65]  Selon ce que j’ai compris du raisonnement de la SAR, c’est que, dans les circonstances de cette affaire, lorsque la demande d’asile de la demanderesse a échoué devant la SPR parce que la demanderesse n’a pas établi son identité personnelle, celle-ci aurait été en mesure de faire mention de toute inquiétude découlant de l’obtention d’un passeport nigérian. Ce raisonnement est conforme aux principes expliqués dans la décision Bashir, à savoir que la présomption ayant trait au fait de se réclamer à nouveau de la protection de son pays d’origine est réfutable lorsqu’un étranger obtient un passeport de son pays d’origine sans avoir l’intention de retourner dans ce pays. Je ne trouve rien de déraisonnable dans l’analyse de la SAR des circonstances de cette affaire.

[66]  La demanderesse soutient également que la SAR a commis une erreur en accordant peu de poids à son certificat d’origine en raison de la preuve relative à la situation dans le pays en cause liée à la disponibilité de documents frauduleux au Nigéria, alors que cette preuve était de nature générale et ne portait pas spécifiquement sur les certificats d’origine. Je ne trouve rien de déraisonnable dans la façon dont la SAR a traité ce document. Bien que la décision de la SPR repose en partie sur les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays en cause en ce qui a trait à la disponibilité de documents frauduleux, la décision de la SAR était principalement axée sur le fait que l’original du certificat d’origine n’était pas disponible et le fait que le témoignage de la demanderesse au sujet de l’acquisition de ce document par son frère n’a pas été corroboré par l’affidavit de celui-ci.

[67]  Enfin, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur lors du traitement des affidavits des membres de sa famille et de ses voisins. Elle soutient que la SAR a rejeté à tort ces affidavits parce qu’ils ne comportaient pas de pièces d’identité délivrées par les autorités gouvernementales. Encore une fois, bien que ce raisonnement ait été un fondement pour que la SPR accorde peu de poids à ces affidavits, la conclusion de la SAR à l’égard de ces affidavits ne s’est pas fondée sur ce point. La SAR a plutôt conclu que les affidavits fournissaient des renseignements concernant les allégations de violence de la demanderesse, mais qu’ils n’étaient pas probants pour établir son identité personnelle. J’admets le point de vue de la demanderesse selon lequel ces affidavits portent sur les relations entre les souscripteurs d’affidavits et la demanderesse. Toutefois, la SAR n’a pas négligé cet aspect. Elle a souligné dans sa référence aux conclusions de la SPR que les souscripteurs d’affidavits ont indiqué leur lien par rapport à la demanderesse, mais que la SAR a conclu que les affidavits ne fournissaient pas de renseignements probants supplémentaires sur l’identité personnelle de la demanderesse. J’estime que les conclusions de la SAR quant à la valeur probante des affidavits se situent dans l’éventail des résultats possibles et acceptables visés par la norme du caractère raisonnable.

C.  La SAR a-t-elle commis une erreur lors de l’appréciation de la crédibilité et de l’identité de la demanderesse?

[68]  La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en rejetant la prétention de la demanderesse parce que celle-ci n’a pas établi son identité, sans se donner l’occasion d’évaluer les risques allégués par sa prétention. Elle s’appuie sur la décision de la Cour dans l’affaire Gulamsakhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 105, au paragraphe 9, dans laquelle la Cour a mis en garde contre la tendance à tirer des conclusions défavorables en se fondant sur le recours à des passeurs et à l’utilisation de faux documents pour échapper à la violence et à la persécution. La demanderesse fait également référence à la décision Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4, au paragraphe 44, à des fins similaires.

[69]  Je suis d’avis que ces principes ne s’appliquent que dans une faible mesure à la présente affaire. La décision de la SAR ne reposait pas sur le fait que la demanderesse avait utilisé un passeport frauduleux pour entrer au Canada, mais sur le fait qu’elle n’avait pas fourni de preuve crédible et probante de son identité personnelle.

VI.  Question à certifier

[70]  Aucune des parties n’a soulevé de question à certifier aux fins d’appel et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4270-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’intitulé de la présente demande est modifié de façon à ajouter l’intervenant Pius Lekwuwa Okoronkwo.

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4270-17

INTITULÉ :

BILIKISU OLAYOMIBO OLAYINKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUILLET 2018

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2018

COMPARUTIONS :

Dilani Mohan

POUR LA DEMANDERESSE

Amina Riaz

POUR LE DÉFENDEUR

Soloman Orijiwuru

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan Law

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Soloman Orijiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR L’INTERVENANT

 

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