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Date : 20180911


Dossier : IMM-3934-17

Référence : 2018 CF 909

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 septembre 2018

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SATHIYARAJANI PERAMPALAM ET RUWINI SUBANI ANTON ROHAN PERERA (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR SATHIYARAJANI PERAMPALAM)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Sathiyarajani Perampalam, la demanderesse principale, et sa fille (ensemble, les demanderesses) demandent le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) d’une agente principale d’immigration de rejeter leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Les demanderesses demandent le contrôle judiciaire de la décision pour les motifs suivants : 1) la décision a été rendue d’une manière injuste sur le plan de la procédure, particulièrement en ce qui concerne le traitement que l’agente a réservé à la preuve des demanderesses et le fait que l’agente n’a pas permis aux demanderesses d’obtenir une audience; 2) la décision elle-même était déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je conclus que le droit des demanderesses à l’équité procédurale n’a pas été violé durant le processus d’ERAR. Toutefois, les conclusions de l’agente dans la décision concernant l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale manquent de clarté. Par conséquent, et à la lumière de l’importance de l’affidavit dans la demande d’ERAR des demanderesses, je conclus que la décision n’était pas raisonnable. La demande sera accueillie.

II.  Énoncé des faits

[3]  Les demanderesses sont des Tamoules du Sri Lanka. La demanderesse principale est mariée à un Cinghalais et a deux enfants. Les demanderesses ont quitté le Sri Lanka pour le Canada le 30 mars 2010. Le mari et le fils de la demanderesse principale sont restés au Sri Lanka, avec l’intention de les suivre à une date ultérieure. D’autres membres de la famille des demanderesses sont venus au Canada à titre de réfugiés et vivent maintenant au Canada.

[4]  Les demanderesses ont fait une demande d’asile en 2010. La revendication du statut de réfugiées était fondée sur l’identité ethnique tamoule des demanderesses et sur le mariage interracial de la demanderesse principale. La demanderesse principale a témoigné d’un certain nombre d’incidents violents impliquant les forces de sécurité sri lankaises avant son départ du Sri Lanka, déclarant que ces incidents étaient dus au fait qu’elle et son mari étaient soupçonnés de soutenir les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

[5]  La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile des demanderesses le 17 septembre 2013 en raison du témoignage incohérent de la demanderesse principale. La SPR a aussi conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible. Le tribunal ne croyait pas que les incidents particuliers relatés par la demanderesse principale s’étaient produits de la façon décrite. La SPR a également conclu qu’il n’y avait pas d’éléments du profil permettant de conclure que les demanderesses avaient besoin d’une protection.

[6]  En 2017, à l’appui de la demande d’ERAR des demanderesses, la demanderesse principale a soutenu que sa situation avait considérablement changé depuis le rejet de la demande de statut de réfugié par la SPR. La demanderesse principale a déclaré qu’elle est désormais séparée de son mari, qui est devenu une personnalité politique influente dans sa région du Sri Lanka. De plus, elle a établi une relation avec un homme au Canada et a demandé le divorce de son mari sans succès. La demanderesse principale a fourni un affidavit de sa sœur qui affirme qu’elle s’est rendue au Sri Lanka pour intervenir auprès du mari de la demanderesse principale. Le mari a réagi furieusement et a menacé de détruire la famille si elle rentrait au Sri Lanka. La demanderesse principale craint que son mari ne se venge en toute impunité si elle et sa fille retournaient au Sri Lanka.

III.  La décision

[7]  La décision est datée du 29 août 2017. L’agente d’ERAR a conclu que les demanderesses n’avaient pas démontré l’existence d’un risque personnel et démontrable au Sri Lanka. Elles n’ont pas établi plus qu’une simple possibilité de persécution en cas de retour au Sri Lanka. Elles n’ont pas établi le risque de torture, de menace à leur vie ou de faire l’objet de représailles ou de peines cruelles et inusitées au Sri Lanka.

[8]  L’agente d’ERAR a examiné en détail la décision de la SPR de 2013 de rejeter la demande d’asile des demanderesses. Elle a ensuite passé en revue les nouveaux faits sur lesquels les demanderesses ont fondé leur demande d’ERAR : l’éloignement de la demanderesse principale de son mari sri lankais maintenant un homme influent, sa nouvelle relation au Canada et son incapacité à obtenir un divorce, sa peur de subir la violence de son mari si elle retourne au Sri Lanka. L’agente d’ERAR s’est questionnée sur l’absence d’éléments de preuve concordants concernant la relation canadienne de la demanderesse principale et ses affirmations selon lesquelles son mari était devenu une personne influente au Sri Lanka.

[9]  L’agente d’ERAR a examiné l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale et a tiré deux conclusions. Premièrement, l’agente a conclu que l’affidavit se rapportait à des faits que la SPR avait précédemment jugés non crédibles. Deuxièmement, en ce qui concerne le voyage de la sœur au Sri Lanka en 2016 et la confrontation avec le mari de la demanderesse principale, l’agente d’ERAR a soulevé le manque d’éléments de preuve concordants concernant le voyage. Par conséquent, l’agente n’a pas accordé de valeur probante à l’affidavit de la sœur.

[10]  L’agente d’ERAR a conclu que les demanderesses avaient énuméré les mêmes risques que ceux qui avaient été présentés à la SPR et qu’elles avaient fourni une preuve factuelle insuffisante de l’évolution ultérieure des risques, déclarant que [traduction] « la preuve présentée par la demanderesse ne réfute pas les conclusions de la SPR, qui a estimé que les demanderesses ne pouvaient démontrer que leur historique ou leurs profils justifiaient que l’on craigne qu’elles fassent l’objet de représailles à leur retour ».

[11]  L’agente d’ERAR a ensuite examiné les éléments de preuve liés à la situation au Sri Lanka, en faisant référence aux rapports de situation pour les années 2013 à 2016. Elle a conclu que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées de leur fardeau de présenter des éléments de preuve suffisants démontrant qu’elles seraient personnellement en danger au Sri Lanka.

[12]  Un addenda à la décision fait état de la présentation par les demanderesses, le 21 août 2017, des éléments de preuve documentaire supplémentaires concernant la situation au Sri Lanka. L’agente d’ERAR a constaté que les documents supplémentaires ne réfutent pas la conclusion de la SPR selon laquelle les demanderesses n’avaient aucunement le profil ni les antécédents qui confirmeraient qu’elles seraient en danger si elles étaient renvoyées au Sri Lanka. De plus, elle a conclu que les nouveaux documents ne fournissaient aucune preuve démontrant que l’époux de la demanderesse principale est un homme influent qui représentait une menace pour les demanderesses.

IV.  Questions en litige

[13]  Les demanderesses soulèvent un certain nombre de questions dans la présente demande. Elles qualifient certaines de ces questions de violations de l’équité procédurale. Elles font également valoir que la décision elle­même est déraisonnable. J’examinerai la majorité des arguments des demanderesses concernant l’équité procédurale dans une section du présent jugement. Mon analyse s’articule comme suit :

  • 1) L’agente d’ERAR a-t-elle violé le droit des demanderesses à l’équité procédurale?

  • 2) L’agente d’ERAR a-t-elle tenu compte adéquatement de l’affidavit présenté en preuve par les demanderesses? De plus, l’agente d’ERAR en est-elle arrivée à une conclusion discrétionnaire lorsqu’elle a soupesé la crédibilité dans son examen de l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale?

  • 3) L’agente d’ERAR a-t-elle tenu compte de façon raisonnable du niveau de risque associé au profil des demanderesses?

V.  Norme de contrôle

[14]  La décision d’un agent d’ERAR doit faire l’objet d’une révision par la Cour au regard de la norme de contrôle du caractère raisonnable, en dehors de toute révision de la décision axée sur des questions d’équité procédurale (Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 496, au paragraphe 14; Korkmaz c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2015 CF 1124, au paragraphe 9 (Korkmaz); Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, au paragraphe 10 (Raza)). L’agent d’ERAR doit faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des déterminations factuelles et des évaluations des risques effectuées par un agent d’ERAR, y compris son évaluation du poids ou de la valeur probante à accorder aux nouveaux éléments de preuve présentés à l’appui d’une demande d’ERAR (Korkmaz, Raza, Aladenika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 528, au paragraphe 11). La Cour n’intervient que si la décision manque de justification, de transparence ou de clarté et qu’elle n’entre pas dans la gamme des résultats possibles et acceptables qui sont défendables sur les faits particuliers de la cause et en droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[15]  La Cour est tenue d’examiner les questions d’équité procédurale pour s’assurer qu’elles sont bien fondées (Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 34). L’examen de la Cour est axé sur la procédure et sur la question de savoir si, compte tenu des droits fondamentaux en l’espèce et des autres facteurs contextuels identifiés par la Cour suprême du Canada dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 21 à 28, le processus suivi par l’agente d’ERAR a été juste et équitable.

[16]  Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a rendu une conclusion discrétionnaire quant à la crédibilité de l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale et aurait dû tenir une audience conformément à l’alinéa 113b) de la LIPR et à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Des décisions récentes de la Cour appuient la conclusion selon laquelle cette situation soulève une question mixte de fait et de droit et est assujettie à la norme du caractère raisonnable, particulièrement si l’on remet en cause la mesure dans laquelle la décision d’ERAR était fondée sur une détermination de crédibilité (Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474. aux paragraphes 6 à 10; Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 831, au paragraphe 16).

VI.  Discussion

[17]  En application du paragraphe 112(1) de la LIPR, une personne visée par une mesure de renvoi peut demander la protection du ministre, sous réserve de certaines exceptions. Une demande d’ERAR comporte une évaluation factuelle des observations et des nouveaux éléments de preuve présentés à un agent d’ERAR par un demandeur et il incombe à ce dernier d’établir le besoin de protection. Comme l’agente d’ERAR l’a indiqué dans sa décision, une demande d’ERAR ne constitue pas un appel du rejet d’une demande d’asile. Il s’agit d’une évaluation visant à déterminer si de nouveaux faits, éléments de preuve et risques sont apparus depuis la demande d’asile, éléments qui donneraient lieu à la nécessité de protéger les demanderesses.

1)  L’agente d’ERAR a-t-elle violé le droit des demanderesses à l’équité procédurale?

[18]  Dans leurs observations écrites, les demanderesses soulèvent un certain nombre d’arguments d’équité procédurale que j’aborderai dans la présente section. Dans leurs observations à l’audience, les demanderesses se sont concentrées sur le traitement des affidavits de la demanderesse principale et de sa sœur par l’agente d’ERAR. J’aborderai ces arguments dans la prochaine section du présent jugement.

[19]  Les demanderesses soutiennent d’abord que la décision doit être annulée parce qu’il ne s’agit pas d’une décision qui se rapporte à leur cas. Elles soutiennent que l’agente d’ERAR s’est fiée à la décision de la SPR dans une mesure qui remet en cause sa compétence. De plus, l’agente d’ERAR a refusé d’examiner la preuve des demanderesses et a fondé sa décision sur des éléments de preuve non pertinents. Par conséquent, le droit des demanderesses d’être entendues a été violé, ce qui constitue selon elles une violation de l’équité procédurale.

[20]  Je conclus que les arguments des demanderesses sont sans fondement. La décision est fondée sur les éléments de preuve que les demanderesses ont présentés à l’agente d’ERAR. Il est faux d’affirmer que l’agente d’ERAR s’est fiée à la décision de la SPR pour prendre sa décision, tout comme il est faux d’affirmer que l’agente a refusé d’examiner la preuve présentée par les demanderesses. L’agente d’ERAR a exposé les constatations et les conclusions de la SPR en matière de crédibilité dans le cadre de sa décision. Elle l’a fait en partie pour répondre aux 16 premiers paragraphes de l’affidavit de la demanderesse principale à l’appui de sa demande d’ERAR. Ces paragraphes rappelaient le calendrier des événements et les demandes d’asile dont la SPR a été saisie. L’agente d’ERAR avait le droit de se fonder sur les conclusions négatives de la SPR en ce qui a trait à la crédibilité des témoignages relatifs à ces demandes. Elle n’a pas restreint son pouvoir discrétionnaire en examinant la décision de la SPR ni en acceptant les conclusions de la SPR concernant la demande d’asile des demanderesses qui a été rejetée.

[21]  L’agente a traité correctement les éléments de sa décision relative à l’ERAR, notant qu’elle devait évaluer si de nouveaux développements factuels et de nouveaux risques démontraient que les demanderesses étaient actuellement en danger. L’agente a examiné l’évolution de la situation des demanderesses, qui constituait l’objet de la demande d’ERAR. Elle a retracé et examiné les observations présentées par la demanderesse principale et sa sœur dans leurs affidavits. Il n’y a eu aucun refus d’examiner la preuve et l’agente d’ERAR n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale à cet égard. La question de savoir si son examen et ses conclusions concernant la preuve par affidavit des demanderesses étaient raisonnables est abordée séparément dans le présent jugement.

[22]  Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a considéré comme inadmissible la preuve constituée des rapports sur la situation dans leur pays de 2011 et 2013. Elles soutiennent qu’une telle décision n’est pas simplement déraisonnable, mais qu’elle est aussi interdite par l’article 113 de la LIPR et qu’elle était tellement inacceptable qu’elle constitue une violation des règles de procédure. Encore une fois, je ne suis pas de cet avis.

[23]  Un demandeur est autorisé à présenter des observations à l’appui de sa demande d’ERAR conformément à l’article 161 du Règlement. Dans ses observations, le demandeur doit indiquer les éléments de preuve étayant ses allégations et ceux-ci doivent satisfaire aux exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR. L’alinéa 113a) restreint la preuve qu’un demandeur peut présenter aux nouveaux éléments de preuve qui sont apparus après le rejet de sa demande d’asile ou aux éléments de preuve qui n’étaient pas raisonnablement accessibles au demandeur au moment de la demande d’asile. L’alinéa 113a) n’interdit pas à un agent d’ERAR de se fonder sur des éléments de preuve documentaire antérieurs au rejet d’une demande d’asile. Les critères énoncés dans ce paragraphe ne s’appliquent qu’aux éléments de preuve que le demandeur peut présenter.

[24]  Les demanderesses soutiennent également que les documents expliquant la situation dans leur pays en 2011 et 2013 auxquels l’agente d’ERAR a fait référence constituaient une preuve extrinsèque. Toutefois, les documents faisaient partie des éléments de preuve documentaire tangibles concernant le Sri Lanka. Ils étaient datés, mais l’agente d’ERAR s’est également appuyée sur des documents du département d’État des États­Unis datant de 2015 et 2016 et sur un rapport du Home Office du Royaume-Uni datant de 2015. Les demanderesses ne font pas référence à des rapports plus récents sur le Sri Lanka ni à des éléments de preuve documentaire au dossier qui contredisent les éléments de preuve sur lesquels l’agente a fondé sa décision. De plus, les demanderesses n’expliquent pas en quoi les rapports antérieurs étaient extrinsèques à l’évaluation menée par l’agente. Elles n’ont pas établi en quoi le fait que l’agente se soit fiée à ces rapports et à des documents plus récents sur la situation de leur pays constituait une violation de leur droit à l’équité procédurale.

2)  L’agente d’ERAR a-t-elle tenu compte adéquatement de l’affidavit présenté en preuve par les demanderesses? De plus, l’agente d’ERAR en est-elle arrivée à une conclusion discrétionnaire lorsqu’elle a soupesé la crédibilité dans son examen de l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale?

[25]  Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a rejeté à tort l’affidavit de la demanderesse principale et celui de sa sœur. Étant donné que les arguments des demanderesses concernant le traitement des deux affidavits par l’agente sont essentiels à la présente demande, il est utile de présenter en détail les conclusions de l’agente d’ERAR à cet égard :

Je note que l’affidavit [de la sœur] fait référence à des faits déjà jugés non crédibles par la CISR. De plus, je note que la demanderesse n’apporte aucun autre document concernant le voyage de sa sœur au Sri Lanka, par exemple des copies de billets d’avion, des timbres de passeport, des affidavits ou des lettres des amis auxquels elle a parlé lorsqu’elle est revenue au Canada. Étant donné que cet affidavit porte sur des faits déjà jugés non crédibles par la CISR, et comme il n’y a pas de documents justificatifs à l’appui, et comme il provient d’une personne très proche de la demanderesse, ayant ainsi un intérêt dans cette demande, je ne peux pas reconnaître à ce document une valeur probante pour confirmer les risques que la demanderesse a invoqués.

De plus, la demanderesse affirme qu’elle a une relation avec un homme au Canada, qu’elle prend très au sérieux et qu’elle aimerait épouser, et que c’est pour cette raison que son mari au Sri Lanka lui en voudrait. Je constate que la demanderesse ne soumet aucun document concernant cet homme (affidavit du partenaire de la demanderesse, photographies...etc.).

La demanderesse prétend que son mari au Sri Lanka est devenu un homme influent alors qu’elle était au Canada, mais elle n’apporte aucune preuve à l’appui de l’affidavit de sa sœur, pour démontrer ses allégations.

A.  Affidavit de la demanderesse principale

[26]  Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a rejeté implicitement l’affidavit de la demanderesse principale au motif qu’il s’agissait d’un élément de preuve jugé non crédible par la SPR. Les demanderesses déclarent également que l’agente d’ERAR a traité le contenu de l’affidavit comme des observations et non comme une preuve et qu’elle n’a pas tiré de conclusion sur la crédibilité de la preuve par affidavit. En l’absence d’une telle conclusion, les demanderesses soutiennent que le refus de l’agente de considérer l’affidavit de la demanderesse principale comme preuve constitue une violation de leur droit à l’équité procédurale.

[27]  Le défendeur soutient que l’agente d’ERAR a examiné attentivement l’affidavit de la demanderesse principale. Bien que l’agente n’ait pas qualifié d’affidavit le témoignage de la demanderesse principale, elle a examiné le contenu de l’affidavit comme preuve et a conclu de manière raisonnable qu’il n’étayait pas les allégations des demanderesses. De plus, le défendeur soutient que l’agente d’ERAR n’était pas tenue d’évaluer la crédibilité de l’affidavit de la demanderesse principale. Le processus de demande d’ERAR n’est pas une audience quasi judiciaire au cours de laquelle la crédibilité du témoignage oral de la demanderesse est mise à l’épreuve. Il était raisonnable pour l’agente d’ERAR de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer les allégations de la demanderesse principale selon lesquelles elle entretenait une relation au Canada et qu’elle risquait des représailles de son mari à son retour au Sri Lanka.

[28]  L’agente d’ERAR a décrit dans sa décision chacune des revendications de la demanderesse principale dans son affidavit, à savoir les menaces de son mari, le fait qu’il était devenu une personne influente et son refus de lui accorder le divorce. Les renseignements fournis par l’agente d’ERAR provenaient clairement de l’affidavit de la demanderesse principale. Il n’y a eu aucun refus d’examiner la preuve et aucune violation du droit des demanderesses à l’équité procédurale. L’agente d’ERAR a plutôt examiné la preuve présentée par la demanderesse principale dans l’affidavit et a conclu que cette preuve ne réussissait pas à étayer ses allégations. La question qui se pose à moi est de savoir si l’examen de l’affidavit par l’agente d’ERAR a été raisonnable.

[29]  Les demanderesses soutiennent, et je suis d’accord, que l’agente d’ERAR n’a pas évalué la crédibilité de la preuve fournie par la demanderesse principale dans son affidavit. Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a commis une erreur susceptible de révision en omettant de procéder à une telle évaluation (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228).

[30]  Malgré l’absence d’une évaluation de la crédibilité, je conclus que l’agente d’ERAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision dans son examen de l’affidavit de la demanderesse principale. La jurisprudence antérieure de la Cour établit que l’agente d’ERAR a été autorisée à évaluer le poids à accorder à la preuve qui lui a été présentée sans tirer de conclusion quant à sa crédibilité (Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 26 (Ferguson), Ozomma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1167, au paragraphe 52 (Ozomma)).

[31]  Comme il est indiqué ci-dessus, l’agente d’ERAR a résumé le témoignage rendu par la demanderesse principale dans son affidavit. L’agente n’a tiré aucune conclusion quant à sa crédibilité, déclarant seulement en conclusion que les éléments de preuve présentés par les demanderesses n’avaient pas établi un profil de risque différent de celui qui avait été évalué par la SPR en 2013. La conclusion de l’agente d’ERAR concernant l’affidavit de la demanderesse principale était centrée sur le poids à accorder à la preuve contenue dans cet affidavit. Elle a conclu que cette preuve n’était pas suffisante pour établir que la demanderesse principale entretenait une relation sérieuse avec un Canadien, ce qui expliquait la colère et les représailles probables de son mari sri lankais, ni que son mari était maintenant un homme influent au Sri Lanka. J’estime qu’il était raisonnable que l’agente d’ERAR en arrive à ces conclusions. Le poids à accorder à la preuve présentée dans une demande d’ERAR relève de l’expertise et de la compétence de l’agente d’ERAR et cette évaluation exige beaucoup de jugement. L’agente a expliqué les motifs de ses conclusions concernant l’affidavit de la demanderesse principale. Ces motifs sont transparents, clairs et raisonnables.

[32]  Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a commis une erreur en n’acceptant pas le témoignage de la demanderesse principale tel qu’il figure dans son affidavit et tel qu’il est corroboré par celui de sa sœur, en violation de la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (AC) (Maldonado). Le principe énoncé dans la décision Maldonado, selon lequel lorsqu’un demandeur jure de la véracité de certaines allégations, celles-ci sont présumées vraies, a trait à des questions de crédibilité. L’énoncé complet du principe par la Cour d’appel fédérale est instructif (Maldonado, au paragraphe 5) :

[traduction]
5. À mon avis, la Commission a choisi arbitrairement, sans raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse concernant les déclarations sous serment qu’elle a faites et dont il a été question ci-dessus. « Quand un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. » Dans cette affaire, je ne peux pas trouver de raisons valables pour lesquelles la Commission pourrait douter de la véracité des allégations de la demanderesse.

[33]  Dans Maldonado, la CAF a conclu que la Commission en question avait tiré une conclusion qui ne tenait pas compte de la déclaration non contestée du demandeur. La Commission n’a donné aucune raison de contester implicitement la crédibilité du demandeur. En l’espèce, l’agente d’ERAR n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité et aucune conclusion qui contredit le témoignage de la demanderesse principale. L’agente a exigé d’autres éléments de preuve concordants pour étayer les principales allégations de la demanderesse principale. L’agente d’ERAR a souligné les éléments de preuve qui permettraient de corroborer de façon convaincante l’une des revendications centrales de la demanderesse principale, sa nouvelle relation au Canada, et qui seraient facilement accessibles à la demanderesse principale. La preuve qui corrobore le témoignage de la demanderesse principale concernant la conduite de son mari sri lankais et son influence est l’affidavit de sa sœur, auquel l’agente d’ERAR n’a attribué aucune valeur probante. J’aborde la question du traitement de l’affidavit de la sœur par l’agente dans la suite du présent jugement.

B.  Affidavit de la sœur de la demanderesse principale

[34]  Les demanderesses soulèvent deux questions interdépendantes concernant le traitement par l’agente d’ERAR de l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale. Premièrement, elles soutiennent que l’agente a rejeté l’affidavit « en bloc », violant ainsi la présomption de véracité de la preuve sous serment énoncée dans Maldonado. Deuxièmement, les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a tiré une conclusion discrétionnaire quant à la crédibilité de l’affidavit de la sœur. Elles affirment que, bien que l’agente ait présenté son analyse de l’affidavit comme une analyse de la pertinence et non de la crédibilité, elle a rejeté des déclarations de la sœur qui étaient pourtant vraies, mettant ainsi en doute sa crédibilité et faisant fi du critère du caractère raisonnable.

[35]  Le défendeur soutient que l’agente d’ERAR a bien soupesé toute la preuve présentée par les demanderesses, y compris l’affidavit de la sœur. Il soutient que l’agente n’avait pas le droit d’attribuer de poids à l’affidavit sans d’abord conclure sur sa crédibilité en raison de l’absence de corroboration et du lien familial identifié par l’agente. L’intimé s’appuie sur la décision de la Cour dans Ullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 221, au paragraphe 30 (Ullah), dans laquelle le juge O’Keefe a déclaré que « l’agente a conclu, dans la présente affaire, que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve ne signifie pas nécessairement qu’elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité ».

[36]  Pour faciliter la consultation, les conclusions de l’agente d’ERAR concernant l’affidavit de la sœur sont les suivantes :

[traduction]
Je note que l’affidavit [de la sœur] fait référence à des faits déjà jugés non crédibles par la CISR. De plus, je note que la demanderesse n’apporte aucun autre document concernant le voyage de sa sœur au Sri Lanka, par exemple des copies de billets d’avion, des timbres de passeport, des affidavits ou des lettres des amis auxquels elle a parlé lorsqu’elle est revenue au Canada. Étant donné que cet affidavit porte sur des faits déjà jugés non crédibles par la CISR, et comme il n’y a pas de documents justificatifs à l’appui, et comme il provient d’une personne très proche de la demanderesse, ayant ainsi un intérêt dans cette demande, je ne peux pas reconnaître à ce document une valeur probante pour confirmer les risques que la demanderesse a invoqués.

[37]  Je conclus que l’agente d’ERAR n’a pas rejeté l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale dans son intégralité. L’agente d’ERAR n’a commis aucune erreur sujette à révision à cet égard. Elle a examiné l’affidavit et a pris une décision quant à sa valeur probante. Toutefois, je conclus également que les motifs de la décision de l’agente d’ERAR de n’accorder à l’affidavit aucune valeur probante n’étaient pas transparents ni clairs.

[38]  L’agente d’ERAR a fondé sa décision concernant la valeur probante de la preuve en partie sur le fait que l’affidavit de la sœur relate des faits qui avaient été jugés non crédibles par la SPR. Bien qu’un agent d’ERAR puisse déterminer la valeur probante sans faire d’évaluation de la crédibilité (Ferguson, au paragraphe 26; Ullah, aux paragraphes 29 et 30), il n’est pas autorisé à tirer une conclusion discrétionnaire sur la crédibilité sous prétexte d’évaluer le poids de la preuve. La mention par l’agente d’ERAR de faits qui ne sont pas crédibles dans l’affidavit de la sœur suggère qu’un élément de crédibilité a éclairé la décision de l’agente de ne pas accorder de valeur probante à l’affidavit. La décision ne montre pas clairement quel est l’effet de ce facteur sur la conclusion de l’agente d’ERAR concernant la valeur probante de l’affidavit.

[39]  Je ne suis pas en mesure de déterminer si la lecture des faits non crédibles dans l’affidavit de la sœur a influencé l’agente dans son évaluation de l’affidavit et sa conclusion quant à son manque de valeur probante. Plus important encore, les demanderesses ne sont pas en mesure de déterminer si leur demande d’ERAR a été rejetée pour des raisons de crédibilité ou en raison des autres facteurs mentionnés par l’agente. Ce manque de transparence et de clarté à lui seul rend la décision déraisonnable et nécessite un nouvel examen de la demande d’ERAR des demanderesses.

[40]  Pour en arriver à cette conclusion, j’ai examiné la décision dans son ensemble. Malheureusement, les conclusions de l’agente d’ERAR concernant l’affidavit de la sœur sont très brèves. Il n’est pas possible de dissocier la déclaration de l’agente concernant les faits non crédibles énoncés dans l’affidavit des autres facteurs pertinents à l’évaluation de la valeur probante qui ont été identifiés par l’agente d’ERAR. L’affidavit de la sœur constitue un élément essentiel de la preuve présentée par les demanderesses et son traitement est fondamental pour une détermination appropriée de la demande d’ERAR des demanderesses. Si, au moment de la nouvelle révision, la crédibilité de l’affidavit de la sœur est évaluée, le nouvel agent d’ERAR doit rendre une conclusion claire sur sa crédibilité et, ce faisant, peut être tenu de convoquer une audience si les facteurs énoncés au paragraphe 167(1) du Règlement sont en cause.

[41]  Les parties ont également présenté des observations concernant le traitement approprié des conclusions négatives de la SPR en matière de crédibilité et du fait que les demanderesses continuent d’affirmer les faits qui sont contestés dans leurs affidavits. La demanderesse principale et, dans une moindre mesure sa sœur, décrivent dans leurs affidavits respectifs des faits que la SPR n’a pas pris en compte dans sa décision de 2013.

[42]  L’agente d’ERAR n’a pas commis d’erreur en se référant dans sa décision aux motifs et aux conclusions de la SPR concernant les faits qui ont servi de fondement à la demande d’asile des demanderesses. Les conclusions de la SPR doivent être maintenues à moins qu’elles ne soient réfutées par de nouveaux éléments de preuve convaincants. La répétition de ces affirmations par la demanderesse principale et par sa sœur ne constitue pas une telle preuve. Toutefois, le fait que la demanderesse et sa sœur continuent de décrire des faits jugés non crédibles à l’audience de la SPR ne devrait pas être utilisé pour contester leur crédibilité dans leur demande d’ERAR. Cela mènerait à une situation inextricable. La crédibilité des deux femmes pourrait être mise en doute parce qu’elles continuent d’insister sur des faits que la SPR n’a pas jugés crédibles. Par ailleurs, si la demanderesse principale décrivait un ensemble différent de faits relatifs à la période visée par la revendication du statut de réfugié, le manque de constance dans ses histoires pourrait nuire à sa crédibilité. À mon avis, les faits relatés dans chacun des affidavits qui se rapportent à la période et aux événements examinés par la SPR sont peu importants dans la demande d’ERAR. Si une évaluation de la crédibilité de la demanderesse principale ou de sa sœur est faite au moment de la révision, elle doit porter sur les événements et les éléments de preuve relatifs au changement de situation personnelle des demanderesses et sur les risques qui sous-tendent leur demande d’ERAR.

[43]  En ce qui concerne les autres facteurs identifiés par l’agente d’ERAR pour déterminer la valeur probante de l’affidavit de la sœur, je ne constate aucune erreur dans le fait qu’elle se soit fondée sur l’absence de corroboration et le fait que l’affidavit a été fourni par un proche parent ayant un intérêt personnel dans le résultat de la demande. Dans la décision Ferguson, la Cour a établi que les éléments de preuve présentés par des témoins ayant un intérêt personnel dans une affaire peuvent être examinés pour déterminer leur valeur probante avant d’examiner leur crédibilité, car ce type de preuve exige habituellement une corroboration pour avoir valeur probante. Le juge Zinn a déclaré (Ferguson, au paragraphe 27) :

La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle-même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

[44]  Les demanderesses soutiennent que le fait que l’agente d’ERAR exige de la sœur qu’elle corrobore les détails de son voyage au Sri Lanka déroge à la présomption de véracité d’une déclaration faite sous serment, conformément à Maldonado. Elles citent la décision Ortega Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 611, aux paragraphes 20 et 21, pour le principe selon lequel la corroboration peut réhabiliter une déclaration douteuse, mais c’est une erreur que de l’exiger afin d’établir la vérité d’une déclaration sans aucun motif.

[45]  Je conclus que l’exigence de l’agente d’ERAR en matière de preuve corroborante en l’espèce était raisonnable et appuyée par la jurisprudence de la Cour. Premièrement, la référence à l’absence de corroboration n’a pas été faite par l’agente dans le contexte d’une conclusion défavorable à la crédibilité, explicite ou implicite, et n’a pas donné lieu à une telle conclusion. Deuxièmement, comme il ressort clairement de la décision du juge Zinn dans l’affaire Ferguson, les déclarations faites par un membre de la famille ayant un intérêt dans une demande d’ERAR peuvent devoir être corroborées afin de satisfaire le fardeau du demandeur d’établir les faits sur lesquels il s’appuie. La jurisprudence ne dit pas que tous ces affidavits doivent être mis de côté s’ils ne sont pas corroborés. La position est plus nuancée. Un affidavit d’un membre de la famille proche peut faire l’objet d’une vérification de sa valeur probante et peut exiger une corroboration pour établir les faits en question selon la prépondérance des probabilités. Une telle exigence a une incidence sur le principe tiré de Maldonado, mais ce principe est énoncé comme une présomption et peut être modifié pour des raisons valables (Maldonado, au paragraphe 5). Dans certains cas, l’exigence de corroboration d’une déclaration sous serment par un membre de la famille ayant un intérêt clair et personnel dans l’affaire afin de s’acquitter du fardeau de la preuve d’un demandeur est à la fois logique et raisonnable. Dans le cas qui nous intéresse, l’agente d’ERAR s’est interrogée sur l’absence d’une preuve concordante et facilement accessible du voyage de la sœur au Sri Lanka. La présentation d’une telle preuve documentaire par les demanderesses dans le contexte de la présente demande d’ERAR était raisonnable et n’imposait pas un fardeau indu aux demanderesses.

3)  L’agente d’ERAR a-t-elle tenu compte de façon raisonnable du niveau de risque associé au profil des demanderesses?

[46]  Les demanderesses soutiennent que l’agente d’ERAR a refusé de tenir compte de la nouvelle situation de la demanderesse principale. Le fondement de la demande d’ERAR des demanderesses était décrit comme suit (affidavit de la demanderesse principale, au paragraphe 23) :

[traduction]
23. Bien que les risques auxquels je suis exposée au Sri Lanka en tant que Tamoule soient semblables à ceux exposés dans ma demande d’asile, ma situation a changé. Je crains aujourd’hui qu’en cas de retour au Sri Lanka, soit je serais forcée de vivre seule avec l’inimitié de mon mari, soit je devrais retourner vivre avec lui pour me protéger et protéger ma fille. Je n’ai aucun doute qu’il me punirait pour ce qu’il considère comme mes transgressions, et il a l’influence pour le faire en toute impunité.

[47]  La demanderesse principale reconnaît qu’en tant que Tamoule retournant au Sri Lanka, elle court les mêmes risques que ceux qui ont été évalués par la SPR. Les risques supplémentaires ou modifiés qu’elle soumet dans la demande d’ERAR sont les suivants :

  • a) le risque de vivre comme une femme célibataire avec l’inimitié de son mari;

  • b) le risque de retourner vivre avec son mari pour se protéger et protéger sa fille,

  • c) dans chaque cas, être vulnérable aux représailles que son mari pourrait lui faire subir en toute impunité en raison de son statut de personne influente dans leur région du Sri Lanka.

[48]  L’agente d’ERAR a conclu dans sa décision que les demanderesses n’avaient pas établi que leur situation et leur profil de risque avaient changé depuis la décision de la SPR en 2013. Elle n’a pas évalué le risque pour les demanderesses de représailles de la part de l’époux parce que les demanderesses n’ont pas établi ce risque dans leur preuve. L’agente d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le profil de la demanderesse principale était celui d’une femme tamoule célibataire, de retour au pays, craignant que son influent mari puisse agir contre elle en toute impunité. Son évaluation de la documentation sur la situation au Sri Lanka correspond à ses conclusions factuelles. Je conclus que l’agente d’ERAR n’a pas refusé d’examiner le nouveau profil de risque présenté par les demanderesses; elle a conclu que ce profil n’a pas été établi.

[49]  L’agente d’ERAR a examiné le même profil de risque que celui qui était présenté à la SPR à la lumière de la documentation mise à jour à propos du pays. Elle a examiné la documentation sur le Sri Lanka soumise par les demanderesses à l’appui de leur demande d’ERAR. Dans un addenda à la décision, elle a pris note de la documentation supplémentaire soumise par les demanderesses à l’égard de leur pays et des passages se rapportant à la torture, à des arrestations arbitraires et à la situation des femmes et des Tamouls dans le pays. L’agente d’ERAR a également déclaré que les documents supplémentaires n’établissaient pas que le mari de la demanderesse principale était devenu une personne influente et qu’il constituerait une menace pour elle et sa fille.

[50]  L’agente d’ERAR a cité un certain nombre de rapports crédibles de 2013 à 2016. L’agente a décrit en détail la situation à laquelle font face les Tamouls de retour au Sri Lanka et les femmes en général. Elle reconnaît que la situation n’est pas parfaite, mais qu’elle s’améliore. L’agente n’a pas abordé en détail la question générale de la discrimination à l’égard des femmes au Sri Lanka, mais elle était au courant de la question et a fait spécifiquement référence à la situation des femmes dans l’addenda. Comme le profil de risque de la demanderesse principale évalué par l’agente d’ERAR était celui d’une femme tamoule de retour au pays avec un enfant, un profil général seulement, je conclus que l’examen des documents relatifs au Sri Lanka par l’agente a été raisonnable. Au moment de la révision, si le nouvel agent d’ERAR détermine que les demanderesses établissent leur nouveau profil de risque, il devra considérer le nouveau profil de la demanderesse principale comme celui d’une femme tamoule seule qui retourne au Sri Lanka avec un enfant et qui doit faire face aux menaces que peut représenter un mari cinghalais influent.

VII.  Conclusion

[51]  L’agente d’ERAR n’a pas fourni de motifs clairs pour justifier sa décision de ne pas accorder de valeur probante à l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale, particulièrement en ce qui a trait aux faits dont la SPR a été saisie précédemment et que cette dernière a jugés non crédibles. Compte tenu de l’importance de l’affidavit de la demande d’ERAR des demanderesses, je conclus que la décision était déraisonnable. La demande de révision est donc accueillie.

VIII.  Question certifiée

[52]  Le défendeur n’a pas posé de question à des fins de certification. Les demanderesses ont soutenu que si leur demande est rejetée, je devrais certifier la nécessité de corroborer un affidavit sous serment par un membre de la famille proche dans une demande d’ERAR. L’avocat des demanderesses a fait valoir que la jurisprudence de la Cour diverge sur cette question et déroge indûment à la présomption de véracité (établi dans Maldonado) d’un affidavit sous serment, un principe fondamental du droit canadien de l’immigration. Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas de contradiction dans la jurisprudence de la Cour. Les affaires ont été jugées en fonction des faits spécifiques à chaque cas et la Cour a toujours considéré qu’il devait y avoir de bonnes raisons de s’écarter du principe découlant de Maldonado.

[53]  Dans Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au paragraphe 46, la Cour d’appel fédérale a résumé les critères de certification d’une question relative à l’alinéa 74d) de la LIPR :

La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2017 CAF 130, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186, aux paragraphes 15 et 35).

[54]  En l’espèce, j’ai accueilli la demande en raison d’un manque de clarté dans l’évaluation de la valeur probante faite par l’agente d’ERAR par rapport à la crédibilité de la preuve contenue dans l’affidavit de la sœur de la demanderesse principale. La question de la corroboration de l’affidavit de la sœur n’a aucune incidence sur l’issue de cette demande (Ozomma, aux paragraphes 73 et 74). Par conséquent, la question soulevée par les demanderesses n’est pas déterminante pour la demande et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3734-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de l’agente responsable de l’ERAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3734-17

 

INTITULÉ :

SATHIYARAJANI PERAMPALAM ET RUWINI SUBANI ANTON ROHAN PERERA (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR SATHIYARAJANI PERAMPALAM) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 avril 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

Pour les demandeurs

Neeta Logsetty

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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