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Date : 20180829


Dossier : T-31-18

Référence : 2018 CF 868

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

DARLENE LONGNECK

demanderesse

et

NATION CRIE DE MUSKEG LAKE REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF ET LE CONSEIL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse en l’espèce est Darlene Longneck, membre de la Nation crie de Muskeg Lake (Nation Muskeg). La Nation Muskeg est une bande constituée aux termes de la Loi sur les Indiens, LRC 1985 c I-5 qui l’autorise à faire usage et à tirer profit de deux réserves en Saskatchewan. La réserve d’origine de la Nation Muskeg est située à 134 kilomètres au nord-ouest de Saskatoon, tandis que sa réserve urbaine est située dans un secteur industriel au sein même de la ville de Saskatoon.

[2]  La présente demande vise à contester la validité d’une décision prise par la bande de modifier le code foncier de la Nation crie de Muskeg Lake (le code foncier) à la suite d’un vote de ratification communautaire qui s’est déroulé du 16 juin 2017 au 7 juillet 2017 dans la réserve d’origine ainsi qu’à Prince Albert, à Saskatoon et à Edmonton.

[3]  Mme Longneck prétend que les modifications apportées au code foncier ne sont pas valides puisque le nombre d’électeurs ayant pris part au vote n’atteignait pas le quorum nécessaire. La bande, quant à elle, soutient qu’aucun quorum n’était nécessaire pour approuver les modifications au code foncier. À son avis, il ne fallait qu’un vote favorable par une majorité d’électeurs enregistrés et en règle – une norme qui a été satisfaite selon ses dires.

[4]  La question en litige ne porte pas sur le vote de ratification en tant que tel, mais bien sur la question de savoir si les exigences minimales pour que l’approbation des modifications proposées soit légitime ont été satisfaites. S’il devait y avoir un quorum pour la tenue du vote, il n’a pas été atteint. Si aucun quorum n’était nécessaire et que la validité du vote ne dépendait que de l’approbation par une majorité d’électeurs admissibles, le vote de ratification était juridiquement valable.

[5]  D’après le dossier, 1 539 membres de la bande étaient des électeurs admissibles au moment de la tenue du vote de ratification. Selon l’article 2.1 du code foncier, tout membre de la bande âgé de 18 ans est un [traduction] « électeur admissible ». L’article 14 du code foncier énonce les modalités à respecter pour l’approbation des modifications et ajoute une exigence relative à l’enregistrement des électeurs. Le libellé de l’article 14.5 énonce explicitement les exigences à respecter :

[traduction]

Une question soumise à un vote de ratification est réputée être approuvée si une majorité des électeurs admissibles enregistrés vote en sa faveur. [Non souligné dans l’original.]

[6]  Un électeur admissible peut s’enregistrer et voir son nom être ajouté à la liste des électeurs enregistrés en retournant un document d’enregistrement à titre d’électeur valide avant le jour du scrutin ou le jour même : voir les articles 3.4, 3.5 et 3.6 du processus de ratification communautaire de la Nation crie de Muskeg Lake et l’alinéa 7.3b) de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières Nations (l’Accord-cadre).

[7]  La liste des électeurs enregistrés pour le vote de ratification dont il est question en l’espèce contient les noms de 354 électeurs admissibles. Sur les 346 voix exprimées, 1 bulletin a été annulé, 5 bulletins ont été rejetés, 282 bulletins étaient en faveur des modifications et 66 bulletins étaient contre. Il ressort donc de l’exercice que les modifications au code foncier ont rallié une vaste majorité des électeurs.

[8]  Mme Longneck soutient que le nombre total de voix exprimées n’atteignait pas le pourcentage minimal requis pour que l’approbation des modifications soit valide, conformément à ce qui est énoncé dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations, LC 1999 c 24 (LGTPN) et à l’article 7.4 de l’Accord-cadre. Il est vrai que les textes législatifs cités exigent, pour leurs propres fins, un quorum de 25 % plus un de tous les électeurs admissibles qui se disent en faveur de la question soumise à l’approbation de la bande. Pour l’approbation d’un premier code foncier en application de la LGTPN, il faut que les conditions suivantes soient respectées :

Approbation

Approval by members

12 (1) Le projet de code foncier et l’accord spécifique sont tenus pour approuvés lorsqu’ils reçoivent l’appui :

12 (1) A proposed land code and an individual agreement that have been submitted for community approval are approved if

a) soit de la majorité des voix exprimées, dans les cas où la majorité des électeurs participent effectivement au scrutin;

(a) a majority of eligible voters participated in the vote and a majority of those voters voted to approve them;

b) soit de la majorité des électeurs enregistrés, dans les cas où tous les électeurs ayant fait connaître, selon les modalités fixées par la première nation, leur intention de voter ont été enregistrés;

(b) all those eligible voters who signified, in a manner determined by the First Nation, their intention to vote have been registered and a majority of the registered voters voted to approve them; or

c) soit donné suivant les autres modalités dont conviennent la première nation et le ministre.

(c) they are approved by the community in any other manner agreed on by the First Nation and the Minister.

Approbation minimale

Minimum participation

(2) Dans tous les cas, cependant, l’approbation n’est valide que si plus de vingt-cinq pour cent des électeurs se sont exprimés en sa faveur.

(2) Notwithstanding subsection (1), a proposed land code and an individual agreement are not approved unless more than twenty-five per cent of the eligible voters voted to approve them.

Pourcentage supérieur

Increased percentage

(3) Le conseil peut cependant, par résolution, fixer pour l’approbation un pourcentage supérieur à celui prévu au paragraphe (2).

(3) A council may, by resolution, increase the percentage of votes required under subsection (2).

[9]  Si la disposition traitant du quorum énoncée ci-dessus s’était appliquée au vote de modification du code foncier de la Nation Muskeg, il aurait fallu qu’au moins 386 électeurs se prononcent en faveur de l’approbation, et il aurait alors manqué 104 votes.

[10]  L’interprétation qu’a faite Mme Longneck des dispositions pertinentes est pour ainsi dire corroborée par le rapport de certification initial préparé par l’agent de ratification désigné, qui indiquait que le nombre minimal de votes favorables nécessaire s’élevait à 386. De l’avis de Mme Longneck, cette affirmation dans le rapport corrobore sa position selon laquelle un quorum de 25 % plus un des votes était nécessaire pour modifier le code foncier de la Nation Muskeg.

[11]  L’argument de Mme Longneck comporte toutefois une faiblesse fondamentale, à savoir qu’il est expressément énoncé dans le code foncier de la Nation Muskeg que des modifications subséquentes peuvent être apportées une fois le code en vigueur, pourvu qu’elles rallient une majorité d’électeurs admissibles. Le code foncier de la Nation Muskeg est entré en vigueur en 2005 à la suite d’un vote tenu au sein de la bande qui respectait le quorum exigé. Le vote initial a été tenu conformément à l’article 12 de la LGTPN et à l’article 7.4 de l’Accord-cadre. Il convient toutefois de noter que l’exigence relative au quorum pour l’approbation initiale du code foncier de la Nation Muskeg est absente du code foncier en tant que tel, la bande ayant plutôt opté pour un vote majoritaire des électeurs enregistrés admissibles. La décision de supprimer l’exigence d’un quorum pour l’approbation des modifications au code foncier de la Nation Muskeg était conforme à l’alinéa 6(1)m) de la LGTPN selon lequel un code foncier doit contenir une procédure de modification. La LGTPN n’exige pas de quorum pour l’approbation des modifications au code foncier par la bande.

[12]  Il était donc loisible à la Nation Muskeg (avec l’accord implicite du ministre) d’adopter la norme d’approbation par vote majoritaire décrite à l’article 14.5 du code foncier et d’abandonner la norme du quorum prévue dans la loi qui s’appliquait à l’approbation initiale du code foncier.

[13]  Mme Longneck fait également fausse route lorsqu’elle cite l’agent de ratification, qui a indiqué, dans le Formulaire 10 qu’il a rempli, que la loi exige un quorum établi au paragraphe 12(2) de la LGTPN pour la certification. La question de savoir si l’agent de ratification croyait ou non qu’un quorum ait été nécessaire n’est pas pertinente. La Cour est seulement appelée à décider si le code foncier de la Nation Muskeg est assujetti à un quorum, ce qui n’est pas le cas. Je tiens à préciser que l’agent de ratification a utilisé le Formulaire 10 comme modèle et qu’il a rempli toutes les sections à développement. Ce formulaire avait été utilisé en 2005 pour confirmer les résultats de l’approbation du code foncier de la Nation Muskeg, ce qui nécessitait un quorum. Il n’est donc pas surprenant que l’agent de ratification ait indiqué le nombre de votes qui aurait été nécessaire pour constituer un quorum applicable à un vote effectué en application de la LGTPN.

[14]  En l’espèce, toutefois, le vote a été effectué en application de l’article 14 du code foncier, selon lequel la norme d’approbation applicable était celle de la majorité en faveur des modifications, une norme qui a de toute évidence été respectée.

[15]  Par ailleurs, le dossier ne comporte aucun élément de preuve crédible appuyant l’affirmation selon laquelle le processus d’approbation suivi par la Nation Muskeg était inéquitable sur le plan procédural ou que les résultats obtenus sont contraires aux souhaits véritables de la bande. Une majorité importante et nette de membres de la bande étaient en faveur des modifications apportées au code foncier, et il n’y a aucun fondement juridique permettant d’invalider ce résultat démocratique.

[16]  Pour les motifs susmentionnés, je conclus que les modifications apportées en 2017 au code foncier de la Nation Muskeg ont été approuvées par le vote communautaire tenu le 7 juillet 2017. Par conséquent, la demande de Mme Longneck est rejetée avec dépens payables à la Nation crie de Muskeg Lake et fixés à 2 500 $.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-31-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

  2. La demanderesse doit verser sans délai des dépens de 2 500 $ sous forme d’une somme forfaitaire à la Nation crie de Muskeg Lake.

 « R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-31-18

 

INTITULÉ :

DARLENE LONGNECK c NATION CRIE DE MUSKEG LAKE REPRÉSENTÉE PAR LE CHEF ET LE CONSEIL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUIN 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AOÛT 2018

 

COMPARUTIONS :

DARLENE LONGNECK

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

MEAGHAN M. CONROY

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

 

Pour la demanderesse

 

MLT AIKINS LLP

Edmonton (Alberta)

Pour la défenderesse

 

 

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