Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180731


Dossier : T-315-17

Référence : 2018 CF 802

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JAMES HOWARD ENRIGHT

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, qui est poursuivie en dommages-intérêts par le demandeur, M. James Howard Enright, a déposé une requête en jugement sommaire au motif que la réclamation du demandeur ne soulève aucune véritable question sérieuse litigieuse, car elle est irrecevable aux termes de la loi pour une raison ou une autre.

[2]  Le demandeur conteste la requête et soutient que son action est bien fondée et qu’elle nécessite la tenue d’un procès en bonne et due forme pour trancher les questions complexes soulevées dans la procédure.

[3]  Le demandeur est un militaire de carrière à la retraite qui a servi dans les Forces armées canadiennes du 8 janvier 1953 au 28 mai 1970. Le demandeur a intenté la présente action contre la Couronne le 3 mars 2017. Le demandeur n’était pas représenté par un avocat à l’époque. Sa déclaration originale était vierge, à l’exception d’une note manuscrite où on pouvait lire « 11 000 000 $ » indiquant la mesure de réparation recherchée et « Vancouver, Colombie-Britannique » indiquant le lieu proposé pour l’audience. Le demandeur avait annexé 40 pages à sa déclaration; ces 40 pages étaient composées d’une longue explication et de copies de courriels que le demandeur avait envoyés à divers ministères fédéraux. Après une requête par écrit de la défenderesse, la déclaration du demandeur a été radiée par le protonotaire Lafrenière (tel était alors son titre) le 4 avril 2017. Le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance par voie de requête. Le juge Zinn a accueilli la requête et a donné l’occasion au demandeur de déposer une déclaration modifiée adéquate, ce qu’il a fait le 15 mai 2017.

[4]  Dans sa déclaration modifiée, le demandeur réclame toujours des dommages-intérêts de 11 000 000 $ à la Couronne, cette réclamation découlant entièrement d’un incident impliquant une arrestation et une détention illégales, des voies de fait graves illégales et de la torture par la police militaire à Lahr, en Allemagne, le 11 février 1968 ou aux alentours de cette date (la cause d’action). Après une querelle et une bagarre qu’il a eues au cours de la nuit du 11 février 1968 avec un autre militaire, le caporal Jim Smith, dans un bar situé sur la base, la police militaire a été appelée et le demandeur a été placé en garde à vue, puis mis dans une cellule. En arrivant au poste de garde de la police militaire, il a été roué de coups et a perdu conscience. Après, un policier a frappé le demandeur par derrière sur le côté gauche de la tête avec un poteau de 2 po x 4 po et le demandeur a à nouveau perdu conscience. Plus tard, il a été attaché à une [traduction] « chaise de torture » de type médiéval et un policier a éteint son cigare sur le dos de ses mains droite et gauche. Le policier a lui a également donné des coups de pied dans l’aine et lui a serré le cou jusqu’à ce qu’il perde conscience. Plus tard, dans sa cellule, un autre policier a arrosé le demandeur avec un boyau d’incendie. Il y a été laissé seul, ayant froid, grelottant et restant éveillé pour le reste de la nuit. À un certain moment, dans la matinée du 12 février 1968, le demandeur a été libéré par les policiers (l’incident de 1968).

[5]  Par suite de l’incident de 1968, le demandeur affirme qu’il souffre notamment des problèmes de santé qui suivent :

[TRADUCTION]

  • a) Une cicatrice visible sur la jambe gauche en raison de l’agression commise par le caporal Jim Smith;

  • b) Une fracture du crâne qui continue de donner des maux de tête au demandeur et d’autres symptômes analogues à une commotion;

  • c) Deux cicatrices visibles découlant des brûlures de cigare sur le dos de ses mains. Depuis l’incident, des lésions apparaissent souvent sur le site des brûlures du demandeur, ce qui est inconfortable et lui rappelle constamment la torture dont il a été victime;

  • d) De la douleur et de l’inconfort en raison des dommages causés à son testicule gauche qui s’est depuis atrophié;

  • e) Un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT) lié à l’incident d’arrestation et de détention illégales, de voies de fait graves illégales et de torture;

  • f) Deux crises cardiaques, de l’hypertension artérielle, une dysérection, des cauchemars, de l’insomnie, des « flashbacks », des crises d’anxiété, du bruxisme, de la colère, de la tristesse et une incapacité permanente de maintenir des relations personnelles directement liée au stress attribuable à son TSPT.

[6]  Par suite de l’incident de 1968, le demandeur allègue également qu’il a notamment subi les dommages supplémentaires qui suivent :

[TRADUCTION]

  • a) Une libération anticipée des Forces canadiennes pour des raisons médicales. Ceci a entraîné des pertes à l’égard de sa carrière, de ses revenus, du droit à une pension et des avantages connexes;

  • b) Des répercussions sur ses revenus postérieurs au service militaire au motif que ses problèmes médicaux ont nui à sa capacité de conserver un emploi stable et significatif.

[7]  La défenderesse a déposé une défense le 13 juin 2017. Bien que la défenderesse soit responsable du fait d’autrui à l’égard des délits commis par les préposés de la Couronne, la défenderesse nie néanmoins toutes les allégations formulées par le demandeur dans la déclaration modifiée. La défenderesse donne une version très différente de l’incident, énonçant que l’arrestation et la détention du défendeur étaient légales et que la force utilisée était raisonnable et justifiée en droit. Par suite de la bagarre dans le bar avec le caporal Jim Smith, le demandeur a été accusé de conduite préjudiciable à la bonne réputation et à la discipline en contravention de l’article 118 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1950, c 43 (la Loi sur la défense nationale de 1950) et il a reçu un avertissement. La défenderesse mentionne également une enquête effectuée en février 1968 après le dépôt d’un grief par le demandeur quant à l’incident. De plus, du point de vue du droit, la défenderesse soutient que la réclamation est frappée de prescription pour une raison ou une autre.

[8]  Les divers motifs de rejet de la réclamation comme étant frappée de prescription sont à nouveau invoqués par la défenderesse dans la présente requête en jugement sommaire. La preuve de la défenderesse est principalement axée sur la demande faite en 2013 auprès d’Anciens Combattants Canada (ACC) et les prestations d’invalidité subséquemment reçues par le demandeur. L’affidavit de Nancy Weeks souscrit le 26 mars 2018 et les documents qui y sont annexés doivent être consultés à cet égard. La preuve soumise par la défenderesse à l’appui de la présente requête en jugement sommaire ne traite pas du bien-fondé des allégations faites par le demandeur à l’égard de l’incident de 1968. Cela étant dit, la défenderesse prétend que les éléments de preuve déposés par le demandeur dans son dossier de requête en réponse appuient une conclusion selon laquelle le demandeur pouvait clairement découvrir la réclamation au moment de l’incident de 1968.

[9]  Dans son affidavit souscrit le 10 juin 2018, déposé avec le dossier de la requête du demandeur, le demandeur donne sa version des circonstances entourant l’incident de 1968 dont découle une cause d’action en responsabilité délictuelle et en dommages-intérêts valide contre la Couronne. Il décrit aussi ses tentatives subséquentes et infructueuses d’aborder et de prévenir ses supérieurs à l’égard de l’incident. Il explique qu’il souffre de TSPT depuis l’incident. Il a tenté de retirer le meilleur de ce qui lui est arrivé et, lorsqu’il a eu le courage de raconter les actes de brutalité et de torture à des psychiatres et à des conseillers, on lui a apparemment dit d’effacer l’incident de sa mémoire à défaut de quoi des médicaments lui seraient prescrits; cela n’a fait qu’aggraver la situation. Il traite notamment des questions de fait soulevées par la défenderesse dans la défense déposée – il nie carrément avoir signé les documents sur lesquels la défenderesse se fonde et il affirme qu’il s’agit de faux. Il décrit brièvement les raisons pour lesquelles il a fait une demande d’indemnisation de ses blessures à ACC en 2013 et décrit la nature des prestations d’invalidité reçues depuis.

[10]  Conformément au paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, « [s]i, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence » (les Règles). La seule question soulevée par la présente requête est celle de savoir si la demande du demandeur est frappée de prescription pour une raison ou une autre, comme le fait valoir la défenderesse.

[11]  Il n’est pas nécessaire de répéter chacun des arguments des parties énoncés dans leurs mémoires des faits et du droit respectifs et qui, en grande partie, ont été invoqués à nouveau par les avocats dans leurs observations orales, excepté le fait que l’avocat de la défenderesse a abandonné l’argument selon lequel, aux termes de l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1950, c 43, ou de l’article 269 de la Loi sur la défense nationale actuelle, LRC 1985, c N-5, la réclamation est frappée de prescription parce que le demandeur n’a pas pris de mesures contre les auteurs du délit au cours du délai de prescription de six ans prévu par ces dispositions.

[12]  Plus particulièrement, la défenderesse soutient que la capacité du demandeur de présenter sa réclamation a expiré le 12 février 1974 ou aux alentours de cette date, à savoir six ans après que la cause d’action a pris naissance. Conformément à l’article 19 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, SC 1952-53, c 30 (la Loi sur la responsabilité de la Couronne de 1952) ou à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 (la LRCÉCA), une action contre la Couronne « doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d’action a pris naissance ». Le délai de prescription s’applique à tous les délits, y compris les voies de fait et la torture. La présente réclamation entre par conséquent dans le champ d’application de la disposition législative. La règle de la possibilité de découvrir le préjudice subi – établie par la jurisprudence – ne permet pas de proroger le délai de prescription de six ans. De toute façon, la réclamation du demandeur pouvait clairement être découverte au moment de l’incident de 1968 ou aurait dû être découverte par le demandeur s’il avait fait preuve de diligence raisonnable. Comme le fait valoir le demandeur, les voies de fait ou la torture ont laissé des marques physiques. Même si le demandeur pouvait ne pas connaître l’étendue totale du développement possible des blessures alléguées, il ne fait aucun doute qu’il savait que des dommages étaient survenus. Il admet aussi volontiers avoir souffert de TSPT après l’incident. Il connaissait également l’identité des auteurs du délit. De façon subsidiaire, la défenderesse soutient que la réclamation du demandeur est également frappée de prescription en application de l’article 9 de la LRCÉCA parce qu’il reçoit des prestations d’invalidité d’ACC sous le régime de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21 (la Loi d’indemnisation) pour les blessures découlant de l’incident de 1968.

[13]  Le demandeur soutient que le délai de prescription de six ans prévu par la loi ne s’applique pas aux victimes de torture. Le fait qu’il souffre de TSPT depuis l’incident de 1968 constitue une justification valide du fait de ne pas avoir engagé cette action beaucoup plus tôt. La règle de la possibilité de découvrir le préjudice subi s’applique à toutes les dispositions législatives sur la prescription à moins que le texte législatif indique clairement une modification de la règle. La possibilité de découvrir le préjudice subi doit précisément être liée au traumatisme émotionnel et psychologique que le demandeur a subi. Les questions compliquées à l’égard de la possibilité de découvrir le préjudice subi ne doivent pas être résolues de façon sommaire ou sans procès en bonne et due forme. Dans la mesure où la défenderesse s’appuie sur certains documents de la défense pour établir la connaissance par le demandeur de ses réclamations beaucoup plus tôt, le demandeur affirme que les documents sont des faux ou que sa signature a été obtenue sous la contrainte. En ce qui concerne la proposition alternative faite par la défenderesse selon laquelle la demande devrait être rejetée (ou suspendue) parce que le demandeur a déjà reçu ou est en mesure de recevoir des prestations sous le régime de la Loi d’indemnisation, le demandeur fait valoir que la défenderesse n’a pas démontré qu’il est évident et manifeste que les prestations d’invalidité ont été accordées à l’égard de la même blessure que cette celle pour laquelle la présente demande est déposée.

[14]  La Cour a examiné les arguments des parties à la lumière de la législation et des règles juridiques applicables, de la preuve au dossier et de la jurisprudence pertinente. Je suis d’avis que la requête peut être tranchée au motif que la présente réclamation entre dans le champ d’application de l’article 9 de la LRCÉCA qui établit une interdiction absolue en l’espèce :

9. Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte — notamment décès, blessure ou dommage — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État.

9. No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

[15]  Plus particulièrement, il n’est pas contesté que le demandeur a soumis une demande et qu’on lui a accordé des prestations d’invalidité pour des blessures découlant de l’incident de 1968 qui a eu lieu au cours de son service militaire. Le paragraphe 2(1) de la Loi d’indemnisation définit une blessure ou une maladie « liée au service » comme  étant « a) soit survenue au cours du service spécial ou attribuable à celui-ci; b) soit consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes ». [Non souligné dans l’original.]

[16]  Les articles 45 et 46 de la Loi d’indemnisation établissent l’admissibilité de base aux prestations d’invalidité des membres des Forces armées :

45 (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée :

45 (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

 

 

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

(a) a service-related injury or disease; or

 

b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

 

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)b), seule la fraction — calculée en cinquièmes — du degré d’invalidité qui représente l’aggravation due au service donne droit à une indemnité d’invalidité.

(2) A disability award may be paid under paragraph (1)(b) only in respect of that fraction of a disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated by service.

 

46 (1) Pour l’application du paragraphe 45(1), est réputée être une blessure ou maladie liée au service la blessure ou maladie qui, en tout ou en partie, est la conséquence :

46 (1) For the purposes of subsection 45(1), an injury or a disease is deemed to be a service-related injury or disease if the injury or disease is, in whole or in part, a consequence of

 

a) d’une blessure ou maladie liée au service;

(a) a service-related injury or disease;

 

b) d’une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service;

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service;

 

c) d’une blessure ou maladie qui est elle-même la conséquence d’une blessure ou maladie visée par les alinéas a) ou b);

(c) an injury or a disease that is itself a consequence of an injury or a disease described in paragraph (a) or (b); or

 

d) d’une blessure ou maladie qui est la conséquence d’une blessure ou maladie visée par l’alinéa c).

(d) an injury or a disease that is a consequence of an injury or a disease described in paragraph (c).

[17]  En l’espèce, depuis 2013, le demandeur a notamment reçu des prestations d’invalidité pour le TSPT et la cicatrice à sa main gauche, et il a également reçu des prestations d’invalidité pour dysérection et bruxisme relativement au TSPT; ces prestations lui ont été accordées sous le régime des articles 45 et 46 de la Loi d’indemnisation en conséquence de l’incident de 1968 décrit dans la déclaration solennelle souscrite par le demandeur le 30 mars 2013 (pièce B de l’affidavit de Nancy Weeks).

[18]  De fait, le 21 juin 2013, la demande d’indemnité d’invalidité du demandeur a été acceptée conformément à l’article 45 de la Loi d’indemnisation, selon une estimation initiale du degré d’invalidité de 10 % entraînant le versement d’une somme forfaitaire de 29 858,80 $. Dans les motifs qu’il a fournis, l’arbitre a fait remarquer plus particulièrement ce qui suit :

[traduction]

Nous avons examiné le récit détaillé que vous faites de la détention et des mauvais traitements prétendument infligés par des policiers militaires en 1968.

Un Carnet de visites médicales daté du 11 février 1968 contient la description que vous avez faite d’une brûlure de cigarette sur votre main au cours de la détention de la nuit précédente. À l’examen, le médecin indique que vous avez une lésion à la main et que vous vous plaignez d’une douleur à la mâchoire.

Le questionnaire médical de mai 2013 qui a été fourni établit un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et présente en détail votre récit de l’incident de 1968. Ce rapport indique que vos symptômes et vos troubles psychologiques actuels sont une conséquence des mauvais traitements infligés par des policiers militaires en 1968.

Conclusion :

En tenant compte des éléments de preuve décrits ci-dessus, nous tranchons toute incertitude en votre faveur et concluons que vous avez subi un traumatisme lié au service en 1968 qui a entraîné l’état allégué.

(Pièce D de l’affidavit de Nancy Weeks)

[19]  En septembre 2013, le demandeur s’est vu accorder une indemnité d’invalidité pour une cicatrice sur le dos de la main droite (pièce H de l’affidavit de Nancy Weeks). Le 27 novembre 2013, le demandeur a obtenu une augmentation de l’estimation de son invalidité pour la cicatrice sur le dos de sa main droite (pièce I de l’affidavit de Nancy Weeks). Le 20 décembre 2013, ACC a accepté la demande de prestations d’invalidité du demandeur pour une discopathie dégénérative de la colonne lombaire, mais a refusé ses demandes relatives à l’hypertension, au bruxisme et à la douleur post-traumatique au testicule gauche (pièce J de l’affidavit de Nancy Weeks). Le 12 juin 2014, ACC a accepté la demande de prestations d’invalidité du demandeur pour dysérection en tant que conséquence de son affection de TSPT précédemment admise, entraînant l’attribution d’une indemnité de 15 063,76 $ (pièce K de l’affidavit de Nancy Weeks). En juillet 2014, ACC a augmenté l’estimation de l’invalidité liée au TSPT du demandeur, entraînant l’attribution d’une indemnité d’invalidité de 75 318,82 $ (pièce L de l’affidavit de Nancy Weeks). Le 1er décembre 2014, ACC a modifié sa décision sur le droit à une indemnité datée du 20 décembre 2013 et a accordé au demandeur une indemnité d’invalidité pour bruxisme résultant du TSPT, sous le régime des articles 45 et 46 de la Loi d’indemnisation (pièce N de l’affidavit de Nancy Weeks). Le 11 mars 2015, ACC a confirmé sa décision du 20 décembre 2013 rejetant la demande de prestations d’invalidité du demandeur à l’égard d’une maladie cardiaque et d’hypertension relatives à son TSPT et pour la douleur post-traumatique au testicule gauche (pièce O de l’affidavit de Nancy Weeks). Le 5 mai 2016, ACC a accordé au demandeur une indemnité d’invalidité pour la perte de dix dents résultant du bruxisme et a rejeté sa demande de prestations pour la perte de cinq dents (pièce P de l’affidavit de Nancy Weeks). Enfin, le 2 avril 2017, ACC a indiqué au demandeur qu’il recevrait une somme forfaitaire non imposable de 27 478,99 $ pour prendre en compte l’entrée en vigueur d’une augmentation des indemnités d’incapacité (pièce Q de l’affidavit de Nancy Weeks).

[20]  Comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans l’arrêt Sarvanis c Canada, 2002 CSC 28, au paragraphe 38 (Sarvanis) : « [t]out simplement, l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif établit l’immunité de l’État lorsque la perte même — notamment décès, blessures ou dommages — qui constitue le fondement de l’action irrecevable est l’événement qui a fondé le paiement d’une pension ou d’une indemnité ». C’est le cas en l’espèce. Le fondement factuel de la réclamation en dommages-intérêts du demandeur dans la présente action est le même que celui de sa demande d’indemnité d’invalidité sous le régime des articles 45 et 46 de la Loi d’indemnisation. Comme cela a aussi été affirmé dans l’arrêt Sarvanis, l’article 9 de la LRCÉCA « traduit le désir rationnel du législateur d’empêcher la double indemnisation d’une même réclamation dans les cas où le gouvernement est responsable d’un acte fautif mais où il a déjà effectué un paiement à cet égard » (au paragraphe 28). Pour les dommages non physiques découlant de blessures physiques subies, la Cour suprême du Canada a également clairement établi dans l’arrêt Sarvanis que ces chefs accessoires de dommages-intérêts sont aussi visés par l’article 9 de la LRCÉCA : « [t]ous les dommages découlant du fait ouvrant droit à pension sont visés par l’art. 9, dans la mesure où la pension ou l’indemnité est versée « in respect of » la même perte — notamment décès, blessure ou dommage — ou sur le même fondement » (au paragraphe 29).

[21]  En fin de compte, la réclamation en dommages-intérêts du demandeur découlant de l’incident de 1968 est frappée de prescription aux termes de l’article 9 de la LRCÉCA. Une conclusion similaire a été tirée dans plusieurs causes ayant appliqué l’arrêt Sarvanis : voir Dumont c Canada, 2003 CAF 475; Canada c Prentice, 2005 CAF 395; Sherbanowski v Canada, 2011 ONSC 177; et Ellery v Canada (AG), 2009 SKQB 166. Par conséquent, il est évident et manifeste, à l’égard uniquement de ce motif particulier, que la demande du demandeur doit être rejetée et qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès.

[22]  Comme dernier point, bien qu’il ne soit pas nécessaire d’aborder l’autre motif de rejet soulevé par la défenderesse étant donné que beaucoup de temps a été consacré à cette question au cours de l’audition de la requête, j’ajouterais que la présente réclamation semble aussi être prescrite du fait de l’expiration de la période de prescription de six ans mentionnée à l’article 19 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne de 1952 ou de l’article 32 de la LRCÉCA. À l’égard de la possibilité de découvrir la réclamation, le demandeur n’a pas bien présenté sa cause et la Cour a le droit de tirer une conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve pour étayer la question de la prétendue impossibilité, pour le demandeur, de présenter sa réclamation beaucoup plus tôt. Plus particulièrement, il n’y a aucune expertise médicale démontrant que le demandeur n’a pas pu présenter de réclamation au motif qu’il souffrait de TSPT. Au moment de l’incident de 1968, il connaissait certainement l’identité des auteurs du délit et il savait qu’il avait subi un préjudice. En effet, pendant des années, le demandeur a affirmé qu’il était en colère. Je ne peux accepter ce qu’a avancé l’avocat du demandeur à l’audience, à savoir que le délai de prescription de six ans devrait commencer le 30 mars 2013, c’est-à-dire au moment où le demandeur a déposé sa demande de prestations d’invalidité à ACC en application de l’article 45 de la Loi d’indemnisation et a signé une déclaration solennelle faisant référence à l’incident de 1968. En l’absence d’une contestation constitutionnelle, l’article 19 de la Loi sur la responsabilité de la Couronne de 1952, ou l’article 32 de la LRCÉCA adoptée en remplacement, constitue la loi au Canada. Il existe une présomption de conformité de la législation nationale à l’égard des instruments internationaux interdisant la torture. Dans la présente instance civile, rien ne justifie actuellement que le délai de prescription de six ans ne s’applique pas à la présente réclamation.

[23]  Pour ces motifs, la Cour accueille la requête en jugement sommaire et rejette en totalité la réclamation du demandeur au motif qu’elle ne soulève pas de véritable question litigieuse. Il n’y aura aucune adjudication de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-315-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

La Cour accueille la requête en jugement sommaire dans le dossier T-315-17 et rejette en totalité la réclamation du demandeur au motif qu’elle ne soulève pas de véritable question litigieuse. Il n’y aura aucune adjudication de dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-315-17

INTITULÉ :

JAMES HOWARD ENRIGHT c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUILLET 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2018

COMPARUTIONS :

Samuel D. Stevens

POUR LE DEMANDEUR

Matt Huculak

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stevens & Company

Parksville (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.