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Date : 20180801


Dossier : IMM-752-18

Référence : 2018 CF 810

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er août 2018

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MEHDI SHABABY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Mehdi Shababy, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le ministre a conclu, en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), qu’il constitue un danger pour le public au Canada (la décision contestée).

[2]  Le ministre peut déterminer qu’un réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada. Dans ce cas, la personne à protéger ou le réfugié au sens de la Convention peut être renvoyé du Canada vers le pays d’où il s’est enfui :

115 (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

115 (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada;

[3]  Le demandeur avait 23 ans quand il est arrivé au Canada en juin 2001 en tant que réfugié au sens de la Convention. Il a obtenu le statut de résident permanent à titre de réfugié parrainé par le gouvernement. Le demandeur a maintenant 40 ans et il vit au Canada depuis presque 17 ans. Sa famille demeure en Iran et aucun autre membre de sa famille ne réside au Canada. Le lourd dossier criminel du demandeur est chargé de crimes graves, incluant 44 condamnations allant du vol qualifié, à l’agression, à la fraude par carte de crédit et au vol (pour moins et plus de 5 000 $), en plus de multiples condamnations pour profération de menaces. Il n’est pas contesté que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour des motifs de grande criminalité.

[4]  Au moment de décider si une personne à protéger peut être renvoyée du Canada, le ministre doit soupeser le risque auquel cette personne est exposée et le danger qu’elle constitue pour le public au Canada. L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) guide l’analyse, puisque la personne chargée de cette analyse doit déterminer si l’individu, advenant qu’il soit renvoyé dans son pays d’origine, sera exposé à une menace à sa vie ou à un risque à sa sécurité ou à sa liberté, selon la prépondérance des probabilités. Le ministre examine également les facteurs d’ordre humanitaire (voir Clarke c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 910, au paragraphe 7).

[5]  En fonction du dossier dont il dispose, la déléguée du ministre (la déléguée) a conclu que le demandeur représente un danger pour le public. La déléguée a également conclu que le demandeur ne courrait pas de risque pour sa vie, sa liberté ou sa sécurité s’il retournait en Iran. Enfin, à la lumière de l’établissement positif très limité du demandeur au Canada, la déléguée a déterminé que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour l’emporter sur le danger qu’il constitue pour le public.

[6]  La décision contestée est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Nagalingamk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 32).

[7]  Le demandeur ne conteste pas l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire effectuée par la déléguée, mais allègue qu’elle a commis une erreur dans son évaluation du danger pour le public et du risque auquel il serait exposé s’il était renvoyé en Iran. Le demandeur ne soutient plus que la déléguée ait omis d’appliquer l’article 7 de la Charte. Pour les motifs exposés ci-après, la contestation actuelle concernant la norme de la décision raisonnable applicable à la décision contestée doit être rejetée.

Danger pour le public

[8]  Le demandeur est simplement en désaccord avec la conclusion de danger pour le public et l’appréciation de la déléguée de la preuve au dossier. Contrairement au reproche général formulé par le demandeur, les motifs invoqués par la déléguée à l’appui de sa conclusion ne sont pas superficiels. La déléguée a commencé par examiner les lois nationales et internationales concernées, ainsi que les antécédents criminels du demandeur décrits ci-dessous. La déléguée a conclu que le volumineux et prolongé dossier criminel du demandeur, qui s’étend de 2003 à 2017 et qui compte 45 condamnations à la date de la décision contestée, fait en sorte qu’il représente « un danger pour le public ». Il n’est pas nécessaire d’énoncer ici chacune des infractions pour lesquelles le demandeur a été condamné, mais seulement de souligner que quatre de ces infractions étaient passibles d’une peine d’emprisonnement de 10 ans, et que quatre autres infractions étaient liées à des accusations de profération de menaces. Dans sa décision, la déléguée a également mentionné l’absence d’éléments de preuve appuyant la possibilité de réadaptation du demandeur. La déléguée a également pris acte de l’argument de l’avocat du demandeur voulant que les condamnations soient dans la [traduction] « partie inférieure de l’échelle », que le demandeur était en plein cœur de son problème de toxicomanie entre 2002 et 2006 et qu’il n’a aucun antécédent en matière d’agressions physiques à l’endroit de membres de la population. Cependant, la déléguée a souligné que le demandeur avait menacé de mort l’une de ses victimes alors qu’il portait un couteau, et a ajouté que [traduction] « [c]e genre d’événement traumatiserait n’importe quelle personne raisonnable et pourrait avoir des effets néfastes sur celle-ci à long terme. » En outre, bien que les infractions de vol et fraude ne soient pas violentes en soi, la déléguée a mentionné que le comportement criminel des auteurs de crime est dangereux, et que des actes comme [traduction] le « [v]ol et le vol d’identité peuvent provoquer énormément de stress chez les victimes ». Ainsi, la déléguée a donné beaucoup de poids au nombre de condamnations du demandeur, de même qu’au fait qu’il a commis ces crimes sur une période de 14 ans et qu’il n’a pas soumis de plan assurant qu’il ne commettra plus de crimes. La déléguée a par conséquent conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur constitue un danger actuel et futur pour le public canadien, et que sa présence au Canada représente un risque inacceptable.

[9]  Je partage l’avis du défendeur voulant que l’analyse de la déléguée ne soit pas viciée et que sa conclusion soit appuyée par des éléments de preuve. Plus particulièrement, le demandeur allègue que la déléguée a commis une erreur en indiquant que le demandeur possédait un couteau au moment de commettre l’une de ses infractions de « proférations de menaces » pour laquelle il a été condamné, puisque le rapport de police de cet événement n’a pas mené à une déclaration de culpabilité. Par conséquent, le demandeur prétend que la déléguée n’aurait pas dû tenir compte de cet événement. Cependant, je suis d’avis que, dans les circonstances, il était raisonnable pour la déléguée de s’appuyer sur le rapport pour obtenir le récit de l’événement qui a abouti à sa déclaration de culpabilité. La condamnation pour « bris de probation » a découlé du fait que le demandeur possédait une arme, c’est-à-dire un couteau, au cours de cette même journée. Étant donné que le demandeur a été condamné pour bris de probation au cours de la même journée que l’événement, il était raisonnable pour la déléguée de s’appuyer sur le rapport de police pour obtenir la description de cet événement, et de conclure que le couteau a été utilisé au moment de l’acte de profération de menaces. En outre, le libellé de l’article 115 ne se limite pas à certains types d’infractions, et le danger pour le public peut inclure un danger physique et psychologique, ainsi qu’un danger économique (voir Arinze c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1547, au paragraphe 22; Ramanathan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 834, aux paragraphes 45 et 46). Par conséquent, je conclus que la déléguée n’a pas commis d’erreur susceptible de révision dans son évaluation des éléments de preuve liés au danger pour le public.

Risque lié au retour en Iran

[10]  Je suis également convaincu que la déléguée a examiné avec diligence si le demandeur sera personnellement exposé à un risque de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Iran. La déléguée a examiné les circonstances entourant le départ d’Iran du demandeur, à savoir qu’il participait à des activités communistes en Iran et en Turquie. La déléguée a mentionné le fait que l’avocat avait souligné le traitement que réservait l’Iran aux opposants du régime. La déléguée a ensuite effectué un examen approfondi des éléments de preuve liés aux conditions en Iran. Ces éléments de preuve ont indiqué que le président actuel de l’Iran a des opinions plus modérées que les régimes précédents au sujet des réformes en matière de droits de la personne. La déléguée a conclu que le demandeur vit à l’extérieur de l’Iran depuis plus de 16 ans. Elle a conclu qu’il n’existait pas une preuve suffisante démontrant qu’il subirait de [traduction] « mauvais traitements s’il retournait maintenant en Iran ».

[11]  Le demandeur fait valoir aujourd’hui que la déléguée a fait fi de certains documents liés aux conditions du pays qui étayaient l’allégation du demandeur selon laquelle il courrait des risques s’il retournait en Iran. Cependant, un décideur n’est pas tenu de prendre en considération chaque élément de preuve dans la formulation de sa décision. En l’espèce, la déléguée a examiné les conditions en Iran et a conclu que la situation en matière de droits de la personne s’est améliorée sous la gouverne du présent président, lequel est en place depuis 2013. L’appréciation des éléments de preuve est de la compétence de la déléguée. La déléguée n’était pas tenue d’accepter l’interprétation ou l’appréciation des éléments de preuve privilégiée par le demandeur. Il ne s’agit pas d’un cas où la déléguée a omis de tenir compte d’une preuve contradictoire. Je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que la déléguée a conclu que le demandeur [traduction] « ne fera pas face à plus qu’une simple possibilité de mauvais traitements, compte tenu du passage du temps et de sa faible participation à court terme à des activités politiques ». Cette conclusion est étayée par la preuve au dossier et par la plus récente jurisprudence sur la question (voir Baladie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 706, aux paragraphes 16 à 18 et 44 à 47).

[12]  Dans l’ensemble, la Cour conclut que la décision contestée est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soulevée dans la présente instance.


JUGEMENT dans le dossier IMM-752-18

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-752-18

INTITULÉ :

MEHDI SHABABY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

Le 1er août 2018

COMPARUTIONS :

Robin D. Bajer

Pour le demandeur

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin D. Bajer Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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