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Date : 20180731


Dossier : IMM-4968-17

Référence : 2018 CF 801

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SHEEZA TABASSUM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Tabassum, a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), laquelle confirmait la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC, 2001, c 27. Elle affirme que la SAR n’a pas tenu compte de ses observations, n’a pas tenu compte de la preuve, et a évalué sa crédibilité d’une manière qui n’était pas conforme à la jurisprudence.

[2]  Après avoir examiné le dossier, et pris en considération les observations écrites et orales des parties, je suis d’avis que l’intervention de la Cour est justifiée. Dans sa décision, la SAR indique à tort que Mme Tabassum n’a pas présenté d’observations relativement à certaines conclusions de la SPR dont était saisie la SAR. La SAR a mal qualifié les observations présentées, et a omis de traiter de ces observations, ce qui mine la transparence et l’intelligibilité de sa décision. Pour ces motifs, exposés plus en détail ci-dessous, la demande est accueillie.

II.  Énoncé des faits

[3]  Mme Tabassum est une citoyenne du Pakistan. Elle était à l’emploi de la Pakistan International Airlines comme hôtesse de l’air et est arrivée au Canada à ce titre en septembre 2016. Elle a présenté une demande d’asile au motif qu’elle craignait un agent des douanes (l’agent) au Pakistan. Elle a affirmé que l’agent cherchait à ce qu’elle accepte de devenir sa femme ou sa maîtresse. Comme elle a refusé, elle affirme qu’il l’a systématiquement persécutée pendant un certain nombre d’années. Elle a de plus affirmé avoir été victime d’une tentative d’enlèvement, de menaces répétées selon lesquelles on lancerait de l’acide sur elle, et de harcèlement,

[4]  Mme Tabassum a affirmé qu’en 2016, alors qu’elle se trouvait à Toronto, un ami et un collègue de travail l’ont informée que des personnes représentant l’agent avait cherché à avoir accès à son logement au Pakistan et l’avait une fois de plus menacée de conséquences désastreuses. Après avoir été informée de cet incident, elle a décidé de ne pas retourner au Pakistan et a demandé l’asile au Canada.

[5]  Le ministre est intervenu lors de l’audience de la SPR sur la question de la crédibilité.

[6]  La SPR a jugé que la demanderesse n’était pas crédible, a fait ressortir des incohérences entre le contenu de son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), son témoignage par affidavit et son témoignage devant la SPR. La SPR a également souligné diverses autres préoccupations, a tiré une inférence défavorable du fait qu’elle n’a pas demandé l’asile dans d’autres pays lors de ses voyages pour son travail, et a jugé que les documents soutenant sa demande d’asile n’étaient pas fiables.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[7]  La seule question que je dois examiner est la suivante : la SAR a-t-elle omis de tenir compte des observations et, le cas échéant, cela rend-il sa décision déraisonnable?

[8]  Une décision de la SAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). Lors de l’examen du caractère raisonnable d’une décision, il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la SAR. La Cour s’en tient alors « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’« à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

IV.  Analyse

A.  La SAR a-t-elle omis de tenir compte des observations et, le cas échéant, cela rend-il sa décision déraisonnable?

[9]  Dans son examen de l’appel, la SAR a reconnu que Mme Tabassum affirmait ce qui suit : 1) qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale; 2) que la SPR avait commis une erreur en ne respectant pas les directives no 4 du président intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe; 3) que les conclusions sur la crédibilité étaient insuffisantes pour miner la véracité de son exposé.

[10]  Après avoir rejeté une demande en vue de faire admettre de nouveaux éléments de preuve, la SAR s’est penchée sur la question de la crédibilité. La SAR a pris en considération les conclusions de la SPR concernant les points suivants : 1) incohérences et omissions dans le témoignage; 2) crédibilité des témoins; 3) fiabilité de la preuve documentaire; 4) fait que la demanderesse s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays et a omis de demander plus tôt l’asile.

[11]  Dans son analyse de la crédibilité, point par point, la SAR a à maintes reprises affirmé que [traduction] « [l]’appelante n’a présenté aucune observation à cet égard ». Un examen des observations écrites présentées par Mme Tabassum à la SAR montre que ce n’était simplement pas le cas. Ses observations écrites traitaient bien de plusieurs des conclusions en cause.

[12]  Le défendeur affirme que les observations présentées n’étaient rien de plus que des déclarations générales et des affirmations selon lesquelles telle ou telle conclusion se situait en marge de la demande d’asile. En effet, le défendeur affirme que Mme Tabassum n’a pas suffisamment souligné et particularisé les questions traitées dans ses observations à la SAR, et que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’aucune observation n’avait été présentée.

[13]  Mal interpréter la nature des observations d’un demandeur ne peut, en soi, équivaloir à une erreur susceptible de révision. Toutefois, une erreur susceptible de révision peut être commise si, comme c’est le cas en l’espèce, les faits montrent que des observations pertinentes quant aux questions examinées ont été faites, et que l’essentiel de ces observations n’a pas été pris en considération par la SAR.

[14]  La description que fait le défendeur des observations de Mme Tabassum à la SAR comme étant [traduction] « des déclarations générales et des affirmations selon lesquelles telle ou telle conclusion se situait en marge de la demande d’asile » soulève deux questions. Premièrement, les observations en cause ne se limitaient pas du tout à des déclarations générales. Par exemple, sur la question relative au fait que Mme Tabassum ait omis de présenter plus tôt une demande d’asile, les observations présentées font allusion à des éléments de preuve que la SPR aurait laissé de côté. Deuxièmement, et ce point est sans doute plus important encore, Mme Tabassum a bien présenté des observations, et ces observations n’ont pas été examinées par la SAR. En implorant la Cour de voir ces observations comme de simples affirmations générales, malgré les déclarations inexactes de la SAR selon lesquelles les observations sur diverses questions n’existaient pas, le défendeur demande à la Cour d’évaluer le bien-fondé des observations qui ont été laissées de côté.

[15]  Une cour de révision peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat », mais pour satisfaire au critère de la décision raisonnable énoncé dans l’arrêt Dunsmuir, une décision doit quand même permettre à la cour de révision « de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15 et 16).

[16]  Il ne s’agit pas d’un cas où la SAR pourrait profiter de la présomption selon laquelle elle était au courant du contenu du dossier, puisque la RAD a conclu qu’il y avait absence d’observations. Il est possible de constater que le contenu des observations présentées par Mme Tabassum avait trait aux questions pour lesquelles la SAR affirme qu’aucune observation n’a été présentée. La décision de la SAR ne contient pas les éléments de transparence, de justification et d’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir et est déraisonnable.

B.  Dépens

[17]  Dans ses observations écrites, Mme Tabassum a affirmé qu’il s’agissait d’un cas où il serait approprié de trouver des raisons spéciales justifiant une adjudication des dépens. Durant ses observations faites de vive voix, l’avocat de Mme Tabassum a indiqué que les arguments sur les dépens ne seraient pas maintenus, et je n’ai pas examiné la question des dépens.

V.  Conclusion

[18]  La demande est accueillie. Les parties n’ont pas relevé de question importante de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4968-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un autre décideur;

  3. Aucuns dépens ne sont accordés;

  4. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4968-17

 

INTITULÉ :

SHEEZA TABASSUM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Osborne G. Barnwell

 

Pour la demanderesse

 

David Joseph

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osborne G. Barnwell

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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