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Date : 20180705


Dossier : T-598-15

Référence : 2018 CF 689

[TRADUCTION FRANÇAISE REVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SPECIALIZED DESANDERS INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

ENERCORP SAND SOLUTIONS INC. ET PROGRESS ENERGY CANADA LTD.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente ordonnance porte sur deux requêtes présentées respectivement par chaque défenderesse en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, lesquelles interjettent appel de deux ordonnances rendues par la protonotaire Mandy Aylen le 30 avril 2018 [les ordonnances]. La protonotaire Aylen [la protonotaire] est chargée de la gestion de l’instance dans l’action en contrefaçon de brevet sous-jacente, dont découlent les présentes requêtes. Notamment, les ordonnances ont rejeté les requêtes présentées par les défenderesses visant à a) obtenir l’autorisation de modifier leur défense et leur demande reconventionnelle respective pour y ajouter une allégation selon laquelle les brevets en cause dans la présente instance sont invalides en raison de la divulgation publique faite, par l’inventeur, plus d’un an avant la date de dépôt, b) obtenir l’autorisation, le cas échéant, d’apporter d’autres modifications à ces actes de procédure, afin de préciser davantage ladite allégation, et c) interroger au préalable M. Bill Rollins, un tiers témoin.

[2]  Les parties ont présenté les deux appels ensemble. Les défenderesses font valoir que la protonotaire a commis une erreur de fait et de droit en rejetant leurs requêtes, et elles demandent que j’accorde le recours que la protonotaire aurait dû leur accorder, selon elles. Comme il est expliqué de manière plus détaillée ci-dessous, les deux requêtes sont rejetées, puisque je conclus que la protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit ou d’erreur manifeste et dominante de fait ou mixte de fait et de droit en rejetant les requêtes des défenderesses.

II.  Contexte

[3]  Le 16 avril 2015, la demanderesse, Specialized Desanders Inc. [SDI], a intenté une action en contrefaçon contre les défenderesses, Enercorp Sand Solutions Inc. (autrefois appelée Dynacorp Fabricators Inc.) [Enercorp] et Progress Energy Canada Ltd. [Progress], en alléguant la contrefaçon de son brevet canadien no 2 407 554 [le brevet 554]. Le brevet 554 revendique un appareil et une méthode pour déloger des particules (principalement du sable et, par conséquent, l’invention est communément appelée un dessableur) d’un écoulement de fluide sortant d’un puits de gaz. Les défenderesses ont contesté l’action en niant la contrefaçon et en affirmant que les revendications du brevet 554 étaient invalides. Elles ont également affirmé l’invalidité des deux autres brevets détenus par SDI, soit les brevets canadiens nos 2 433 741 et 2 535 215.

[4]  L’interrogatoire préalable du représentant de SDI, Christopher Allan Hemstock, a eu lieu les 13 et 14 décembre 2017. M. Hemstock a affirmé qu’il avait retenu les services d’un manufacturier, Petrofield Industries [Petrofield], pour la fabrication d’une unité d’essai destinée à SDI, au cours de l’année 2001, et que cette unité consistait en un appareil certifié par la ABSA. L’ABSA fait référence à l’Alberta Boilers Safety Association, laquelle est chargée de certifier que les récipients à pression fabriqués ou introduits en Alberta répondent aux codes et aux normes de sécurité applicables. Après que l’appareil a été fabriqué, il a fait l’objet d’essais dans un puits en présence d’un opérateur. M. Hemstock a affirmé que les essais ont eu lieu vers la fin de l’année 2001, mais il n’était pas certain de la date.

[5]  Il a également témoigné qu’un dessin a été fourni au manufacturier pour la fabrication de l’unité d’essai, mais il ignore s’il existe toujours. SDI s’est engagée à obtenir des renseignements concernant le document, à voir ce qu’elle détenait et à déterminer, le cas échéant, ce qu’elle produirait. Par la suite, SDI a répondu à cet engagement en indiquant qu’une recherche avait été effectuée et qu’aucun autre document ne serait produit.

[6]  Le 15 décembre 2017, après l’interrogatoire préalable de M. Hemstock, M. Justin Morin, le représentant d’Enercorp, a rencontré M. Bill Rollins, le propriétaire de Petrofield. M. Rollins a informé M. Morin qu’il détenait des dossiers concernant la première unité fabriquée conformément au brevet 554, y compris des dessins et un rapport des données du fabricant [RDF] daté du 5 octobre 2001. Sur les conseils de son avocat, M. Rollins n’était pas disposé à fournir lesdits documents, sauf en vertu d’une ordonnance d’un tribunal.

[7]  En conséquence des renseignements obtenus lors de l’interrogatoire préalable de M. Hemstock et de la rencontre avec M. Rollins, les défenderesses font valoir que l’invention revendiquée dans les brevets en cause a été divulguée publiquement, plus d’un an avant la date de dépôt applicable. L’importance de cette divulgation réside dans le fait que le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4, prescrit que l’objet que définit une revendication, dans une demande de brevet déposée au Canada, ne doit pas avoir été divulgué par le demandeur plus d’un an avant la date de dépôt, de telle sorte qu’il a été rendu accessible au public. Les défenderesses soulignent que le RDF mentionné par M. Rollins était daté du 5 octobre 2001, c’est-à-dire plus d’un an avant le dépôt du brevet 4 le 10 octobre 2002. Par conséquent, les défenderesses ont demandé l’autorisation de modifier leur défense et demande reconventionnelle pour alléguer l’invalidité des brevets en raison de la divulgation publique, en application de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets.

[8]  Le projet de modification de Progress, dans sa requête présentée à la protonotaire, alléguait l’invalidité du brevet 554 seulement, alors que le projet de modification d’Enercorp alléguait l’invalidité des trois brevets en cause en l’espèce. Autrement, le libellé du projet de modification de chacune des défenderesses est sensiblement le même. Par souci de simplicité, je ne reproduis que le projet de modification de Progress, qui se lit comme suit :

[traduction]

Le brevet 554 est invalide compte tenu de sa divulgation publique

L’invention a été divulguée et rendue accessible au public, par le fait de l’inventeur, plus d’un an avant la date de dépôt, entraînant ainsi l’invalidité du brevet 554, conformément à l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets. Plus précisément, l’invention a été divulguée, à tout le moins, dans un rapport de données du fabricant daté du 5 octobre 2001 environ, et même plus tôt, dont les précisions sont connues de la demanderesse.

[9]  Les requêtes des défenderesses demandaient également l’autorisation d’interroger M. Rollins.

[10]  Ces requêtes ont été examinées avec comparution des parties le 24 avril 2018, et la protonotaire les a rejetées le 30 avril 2018, dans les ordonnances visées par les présents appels.

III.  La décision de la protonotaire

[11]  La protonotaire a rendu deux ordonnances, puisqu’elle a été saisie de deux requêtes (chaque défenderesse a présenté une requête). Ces ordonnances ne sont pas identiques, puisque les demanderesses ont aussi demandé d’autres recours qui ne concernent pas le présent appel. Toutefois, les parties des ordonnances qui traitent du projet de modification concernant la divulgation publique sont sensiblement identiques et, sauf pour une exception indiquée plus loin dans les présents motifs, les deux ordonnances sont aussi identiques quant à la décision sur la demande d’interrogatoire de M. Rollins.

[12]  La protonotaire a établi que l’article 75 des Règles des Cours fédérales régissait les requêtes en vue d’obtenir une autorisation de modifier, et elle a souligné le principe énoncé dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1993] ACF no 777 [Canderel], selon lequel des modifications peuvent être autorisées si elles aident à décider de la vraie question en litige, si elles ne causent pas d’injustice que des dépens ne pourraient pas réparer et si elles servent l’intérêt de la justice. Elle a également mentionné que, comme question préliminaire, le projet de modification doit présenter une possibilité raisonnable de succès. Citant l’arrêt Teva Canada Limitée c. Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176 [Teva], aux paragraphes 29 à 32, la protonotaire a fait remarquer que si un projet de modification ne présente pas de possibilité raisonnable de succès, la cour n’est pas tenue d’examiner les autres questions, comme le préjudice que la modification pourrait causer à la partie opposée. Par conséquent, la protonotaire a expliqué que si un projet de modification ne résisterait pas à une requête en radiation, la modification doit être refusée.

[13]  La protonotaire a ensuite énoncé le principe selon lequel un acte de procédure qui ne contient que de simples affirmations, sans fondement sur des faits substantiels, ne révèle aucune cause d’action valable et il est susceptible de radiation. Citant l’arrêt Mancuso c. Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227 [Mancuso], aux paragraphes 16 et 17, la protonotaire a expliqué qu’une partie doit alléguer des faits substantiels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée, afin que la cour et les parties opposées n’aient pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action ou diverses défenses.

[14]  La décision de la protonotaire de rejeter les projets de modification est fondée sur ce principe. Pour les motifs exposés en détail dans la partie de l’analyse ci-dessous, la protonotaire a conclu que les modifications ne résisteraient pas à une requête en radiation, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, parce qu’elles n’alléguaient pas de faits substantiels suffisamment précis pour établir une défense de divulgation antérieure et que, par conséquent, elles ne présentaient pas une possibilité raisonnable de succès. La protonotaire a également conclu que les modifications étaient susceptibles d’être radiées au motif qu’elles étaient frivoles et vexatoires, en application de l’alinéa 221(1)c), puisqu’elles comportaient si peu de faits substantiels que la SDI ne saurait comment y répondre et que la Cour serait incapable de diriger les procédures.

[15]  La protonotaire a mentionné que les défenderesses avaient laissé entendre, lors de l’audition des requêtes, qu’elles devraient obtenir l’autorisation d’apporter d’autres modifications à leur acte de procédure modifié proposé, afin de corriger des lacunes dans les faits substantiels. Toutefois, elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour autoriser d’autres modifications, en affirmant que les défenderesses, lors de l’audition, n’avaient pas été en mesure d’exposer d’autres faits substantiels qu’elles pourraient alléguer si elles étaient autorisées à apporter d’autres modifications, lesquelles combleraient les lacunes dans l’acte de procédure que la protonotaire avait précédemment repérées.

[16]  Concernant les demandes visant à interroger M. Rollins, la protonotaire a indiqué que l’article 238 des Règles des Cours fédérales régit les demandes d’interrogatoire d’une personne qui n’est pas une partie à une action. Cet article des Règles exige, notamment, que le tribunal conclue que la personne détient peut-être des renseignements sur une question litigieuse de l’action. La protonotaire a rejeté ces demandes d’interrogatoire parce qu’elle n’était pas convaincue que M. Rollins détenait de tels renseignements. Les demandes des défenderesses visant à interroger M. Rollins étaient fondées sur l’affirmation qu’il détenait des renseignements et des documents pertinents pour l’allégation de divulgation antérieure. Comme l’autorisation de modifier les défenses et les demandes reconventionnelles pour inclure cette allégation avait été refusée, il ne s’agissait pas d’une question litigieuse.

[17]   Les défenderesses ont aussi fait valoir que le témoignage de M. Rollins était pertinent pour leur observation selon laquelle le brevet 554 est nul parce qu’il contient des allégations faites volontairement dans le but d’induire en erreur. Toutefois, la protonotaire n’a pas conclu que les demanderesses avaient établi que M. Rollins avait des renseignements à fournir sur cette question litigieuse.

[18]  L’ordonnance statuant sur la requête présentée par Progress traite également de l’argument supplémentaire de la défenderesse à l’appui de la demande d’interrogatoire préalable de M. Rollins. Dans ses observations écrites, Progress a fait valoir l’argument selon lequel M. Rollins possédait des renseignements pertinents pour son allégation d’inutilité du brevet contesté. Toutefois, la protonotaire a indiqué que Progress n’avait formulé aucune autre observation, lors de l’audition, pour expliquer en quoi les esquisses et les dessins du prototype du dessableur étaient pertinents à l’égard de cette question litigieuse. La protonotaire n’a pas été convaincue que Progress avait établi que les renseignements détenus par M. Rollins seraient pertinents quant à l’allégation d’inutilité.

[19]  En conséquence, les ordonnances ont rejeté les requêtes visant la modification des actes de procédure pour y inclure une allégation de divulgation publique et les requêtes visant l’interrogatoire de M. Rollins. La question des dépens relativement aux requêtes a été prise en délibéré jusqu’à la fin de l’audition d’autres requêtes en suspens découlant des interrogatoires préalables précédemment menés.

IV.  Questions en litige

[20]  Dans le présent appel, la Cour doit examiner les questions litigieuses suivantes, lesquelles ont été soulevées par les parties dans leurs observations :

  1. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que les défenderesses n’ont pas allégué suffisamment de faits substantiels dans le projet de modification?

  2. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que le projet de modification était frivole et vexatoire?

  3. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en refusant aux demanderesses la possibilité de modifier de nouveau leur acte de procédure modifié proposé pour combler les lacunes?

  4. La protonotaire a-t-elle commis une erreur en rejetant la requête visant l’interrogatoire préalable de M. Rollins?

V.  Norme de contrôle

[21]  Nulle controverse n’est soulevée à l’égard des principes entourant la norme de contrôle appropriée, bien que les parties ne soient pas d’accord sur l’application de ces principes aux questions particulières soulevées dans le présent appel.

[22]  Comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira v. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, aux paragraphes 28 et 79, la norme de contrôle prescrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux paragraphes 19 à 37, s’applique à un juge de la Cour fédérale lors de l’examen d’une décision rendue par un protonotaire de la Cour. La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et aux questions de droit et de fait contenant un principe juridique isolable, alors que les questions de fait et les questions de droit et de fait sont susceptibles de révision selon une norme d’erreur manifeste et dominante.

[23]  Lorsqu’il s’agit d’examiner si une erreur manifeste et dominante a été établie, il est aussi utile de tenir compte de l’explication fournie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bauer Hockey Corp. c. Sport Maska inc. (Reebok-CCM Hockey), 2014 CAF 158 [Bauer], au paragraphe 12, lequel arrêt traite de la norme de contrôle propre aux appels pour l’examen de la décision d’un juge d’accueillir ou de refuser une requête en radiation ou en modification d’un acte de procédure. Il convient de faire preuve de retenue devant une telle décision, en l’absence d’une erreur de droit, d’une mauvaise appréciation des faits, d’un défaut d’accorder un poids approprié à l’ensemble des facteurs pertinents ou d’une injustice évidente.

[24]  Les défenderesses prétendent que les observations qu’elles présentent à l’appui de leur thèse selon laquelle la protonotaire a commis une erreur en leur refusant le recours demandé comportent des erreurs de droit qui sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. SDI fait valoir que les questions litigieuses soulevées dans les observations des défenderesses sont régies par la norme de l’erreur manifeste et dominante. Je déciderai de la norme de contrôle que je juge appropriée en examinant, dans l’analyse ci-dessous, chacune des questions en litige soulevées par les défenderesses.

VI.  Analyse

A.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que les défenderesses n’ont pas allégué suffisamment de faits substantiels dans le projet de modification?

[25]  Les défenderesses soulèvent un certain nombre d’arguments à l’appui de leur thèse selon laquelle la protonotaire a commis une erreur en concluant qu’elles n’ont pas allégué suffisamment de faits substantiels pour appuyer leur modification proposée concernant la divulgation antérieure. Premièrement, elles prétendent que la protonotaire a appliqué un critère juridique incorrect en tenant compte de la suffisance de leur acte de procédure proposé. Elles soutiennent qu’il s’agit d’une erreur de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

[26]  Je ne comprends pas les prétentions des demanderesses selon lesquelles la protonotaire a commis une erreur dans la détermination du critère ou des principes régissant les situations où la Cour devrait accorder l’autorisation de modifier un acte de procédure, conformément à l’article 75 des Règles (selon les arrêts Canderel et Teva), ou des principes applicables à une requête en radiation et des règles relatives aux actes de procédure (selon l’arrêt Mancuso). Quoi qu’il en soit, je conclus que la protonotaire a déterminé correctement lesdits principes, comme il a été indiqué précédemment dans les présents motifs. Au contraire, l’argument soulevé par les défenderesses indique que, lors de l’examen visant à déterminer si l’acte de procédure modifié proposé contenait suffisamment de faits substantiels pour résister à une requête en radiation, la protonotaire a appliqué un critère incorrect en ce qui concerne les faits qui doivent être allégués pour établir la défense de divulgation antérieure, aux termes de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets.

[27]  L’analyse de cet élément par la protonotaire est exposée dans deux paragraphes de chacune des ordonnances. Ces paragraphes sont sensiblement les mêmes dans les deux ordonnances et, selon l’ordonnance statuant sur la requête présentée par Enercorp, ils se lisent comme suit (non souligné dans le deuxième paragraphe de l’original) :

[traduction]

[11]  Afin de décider qu’une invention a été antériorisée par une divulgation antérieure, une partie défenderesse doit d’abord établir qu’il y a eu divulgation publique au moins un an avant la date de dépôt du brevet concerné, que (i) la divulgation antérieure révèle l’objet qui, s’il est réalisé, contrefait nécessairement le brevet; et que (ii) la personne versée dans l’art aurait été en mesure de réaliser ce qui a été divulgué [voir la décision Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2017 CF 111, au paragraphe 62, et l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61].

[12]  Je suis d’accord avec SDI que l’acte de procédure proposé de Dynacorp n’allègue pas les faits substantiels nécessaires pour établir une défense de divulgation antérieure. Aucun fait substantiel n’est allégué pour témoigner des renseignements qui ont été rendus publics, des éléments des revendications en litige à l’égard des trois brevets qui ont été divulgués dans le RDF ou dans d’autres documents, de la manière dont ils ont été divulgués ou de la manière dont la divulgation alléguée aurait permis à une personne versée dans l’art de mettre en œuvre l’invention revendiquée dans les brevets [voir la décision Lantech.com, LLC c. Wulftec International Inc., précitée]. SDI et la Cour sont laissées dans l’ignorance quant à la question de savoir comment les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer la présente défense. Je ne suis pas convaincue qu’il suffise, pour Dynacorp, d’affirmer simplement qu’elle n’est pas en mesure de présenter d’autres faits substantiels, parce qu’ils sont connus de SDI. Dynacorp doit se fonder sur des faits appropriés pour faire valoir une défense d’utilisation antérieure, en l’absence desquels la défense n’est rien de plus qu’une allégation vague permettant à Dynacorp de se livrer à une recherche à l’aveuglette lors des interrogatoires préalables, ce qui est incorrect. Je conclus que, compte tenu de l’absence des faits substantiels nécessaires, la modification est susceptible de radiation, en application de l’article 221(1)a) des Règles, et qu’elle n’a, par conséquent, aucune chance de succès.

[28]  Les défenderesses soutiennent que la jurisprudence citée par la protonotaire ne permet pas de conclure qu’un acte de procédure approprié lié à la défense de divulgation antérieure exige d’alléger les catégories de faits substantiels énoncées dans la phrase soulignée ci-dessus. Elles soutiennent que l’imposition de cette exigence, lors de l’évaluation de la suffisance de leur acte de procédure, constitue une erreur de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

[29]  En ce qui concerne la norme de contrôle, je reconnais que la question soulevée par les observations énoncées ci-dessus quant à savoir si l’analyse de la protonotaire démontre une mauvaise compréhension des principes juridiques applicables à la défense de divulgation antérieure est une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (voir l’arrêt Bauer, aux paragraphes 28 à 31, à l’occasion duquel la Cour d’appel fédérale a conclu que le juge des requêtes avait commis une erreur en radiant une déclaration pour des dommages-intérêts punitifs, en se fondant sur une conclusion incorrecte voulant que les dommages-intérêts punitifs ne puissent être accordés qu’en cas de comportement répréhensible affiché par un des plaideurs au cours de l’instance). Par contre, l’application par la protonotaire de principes juridiques aux faits de l’espèce est une question de droit et de fait susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante (voir la décision Elbit Systems Electro-optics Elop Ltd. c. Selex ES Ltd., 2016 CF 1129, au paragraphe 18).

[30]  L’application de ces principes régissant la norme de contrôle et l’examen, en premier lieu, du paragraphe 11 de l’ordonnance, comme cité ci-dessus, ne me permettent pas de conclure que la protonotaire a commis une erreur de droit. La protonotaire énumère, dans ce paragraphe, les éléments qu’une partie défenderesse doit établir afin d’obtenir gain de cause à l’égard de la défense selon laquelle une invention a été antériorisée par une divulgation antérieure. Bien que l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets n’énonce pas expressément les éléments décrits par la protonotaire, ces derniers sont tirés de la jurisprudence citée par la protonotaire lors de l’interprétation de cette disposition (voir la décision Packers Plus Energy Services Inc. c. Essential Energy Services Ltd., 2017 CF 1111 [Packers Plus], au paragraphe 62; et l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61).

[31]  Puis, au paragraphe 12 de l’ordonnance, la protonotaire s’intéresse à la question de savoir si la modification proposée allègue suffisamment de faits substantiels pour établir la défense de divulgation antérieure. Citant la décision Lantech.com, LLC c. Wulftec International Inc, 2018 CF 41 [Lantech], la protonotaire affirme (dans la phrase contestée, soulignée ci-dessus) qu’aucun fait substantiel n’est allégué pour témoigner des renseignements qui ont été rendus publics, des éléments des revendications en litige, à l’égard des trois brevets, qui ont été divulgués dans le RDF ou dans d’autres documents, de la manière dont ils ont été divulgués ou de la manière dont la présumée divulgation aurait permis à une personne versée dans l’art de mettre en œuvre l’invention revendiquée dans le brevet. Les défenderesses soutiennent que la décision Lantech n’appuie pas la proposition selon laquelle une partie défenderesse doit alléguer l’ensemble de ces faits à l’appui.

[32]  Les passages pertinents de la décision Lantech se lisent comme suit, aux paragraphes 9 et 10 :

[9]  Le paragraphe 48 proposé de la défense et demande reconventionnelle à nouveau modifiée sur la prévision se lit ainsi :

44. Le Système de dispense de film dosée a été divulgué au public un an avant la première date de demande des trois brevets visés, c’est-à-dire le 7 avril 2006, ce qui rend donc les brevets invalides pour cause d’anticipation.

[10]  Il est reconnu que le Système de dispense de film dosée correspond à la description commerciale de la réalisation des brevets. Aucun fait important à l’appui n’a été présenté sur la machine ou le produit en particulier qui ont été supposément divulgués, sur le moment de leur divulgation, sur le lieu de leur divulgation, sur la façon dont ils ont été divulgués ou sur les renseignements particuliers qui auraient été à la disposition d’un membre du public à la suite de cette divulgation. Ce paragraphe unique est une simple allégation qui n’est pas étayée par des faits importants, ce qui est interdit, comme l’a reconnu la Cour : article 174 des Règles, Mancuso c. Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227 au para 17.

[33]  Je n’interprète pas ces paragraphes, tirés de la décision Lantech, ni la phrase contestée, tirée des ordonnances de la protonotaire, comme établissant un critère juridique quant aux faits substantiels qui doivent être allégués relativement à la défense de divulgation antérieure. Il s’agit plutôt de déclarations concernant les faits non allégués dans chaque cas précis, et elles représentent l’application du droit aux faits. La question de savoir si la protonotaire a commis une erreur dans cette partie de son analyse consiste donc en une question de droit et de fait susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[34]  En ce qui concerne cet examen, je me suis demandé si l’analyse de la protonotaire démontre une mauvaise appréciation des faits, un défaut d’accorder un poids approprié à l’ensemble des facteurs pertinents ou une injustice évidente. Les défenderesses prétendent que l’acte de procédure proposé était suffisant, puisqu’il alléguait la divulgation de l’invention dans le RDF à compter d’une date précise, laquelle remontait à plus d’un an avant la date de dépôt du brevet. Elles soutiennent que la référence au RDF établit leur allégation quant à la manière dont l’invention a été divulguée et aux renseignements rendus publics, c’est-à-dire que la divulgation a été faite au moyen du RDF, qui a rendu publics les renseignements qu’il contenait. En s’appuyant sur cette thèse, les défenderesses soulignent que les documents dont disposait la protonotaire à l’occasion des requêtes comprenaient le Pressure Equipment Safety Regulation, Alta Reg 49/2006 [le règlement sur la sécurité], dont le paragraphe 15(1) énonce, selon les défenderesses, les renseignements exigés suivants, en lien avec la production du RDF :

[TRADUCTION]

  • a) La pression et la température nominale;

  • b) les précisions relatives au mécanisme et les dimensions de toutes les pièces nécessaires;

  • c) les numéros de spécification de l’American Society of Mechanical Engineers (ASME) pour tous les matériaux;

  • d) les précisions sur les joints soudés;

  • e) les précisions sur l’essai non destructif;

  • f) les numéros de spécification du procédé de soudage;

  • g) le titre du code ou de la norme applicable, y compris les dates de l’édition et des suppléments pertinents;

  • h) les calculs;

  • i) un rapport de tout essai physique réalisé pour déterminer la pression de service de la chaudière ou du récipient à pression ou de toute partie de ce dernier;

  • j) tout autre renseignement nécessaire à l’administrateur ou à un agent chargé de l’application des codes de sécurité pour leur permettre d’examiner la conception et de décider de son caractère acceptable aux fins de l’enregistrement.

[35]  Il est clair que la protonotaire n’a pas négligé le fait que le RDF était indiqué dans les actes de procédure proposés. Ses ordonnances indiquent expressément les actes de procédure proposés, et son analyse de leur suffisance comprend une déclaration selon laquelle aucun fait substantiel à l’appui n’est allégué quant aux éléments des revendications des brevets en cause ayant été divulgués dans le RDF. Je suis d’accord avec les défenderesses que les ordonnances ne mentionnent pas le règlement sur la sécurité. Toutefois, l’absence d’une telle mention ne signifie pas que le règlement a été négligé. Dans la mesure où le règlement sur la sécurité donne un aperçu du type de renseignements contenus dans un RDF, il fournit, à mon avis, peu d’indications sur la question que la protonotaire examinait, c’est-à-dire la question de savoir si l’acte de procédure proposé contenait suffisamment de précisions. Il n’établit pas clairement les renseignements précis devant être allégués pour satisfaire au critère relatif à la défense de divulgation publique, de manière à permettre à SDI de répondre à l’allégation. J’estime que le règlement sur la sécurité n’est pas suffisamment probant sur la question en litige dont la protonotaire était saisie pour conclure qu’un manque d’analyse de ce document laisse entendre qu’il a été négligé. Mon examen du règlement sur la sécurité ne m’amène pas non plus à la conclusion que la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante en statuant, malgré l’allégation relative au RDF, que SDI serait laissée dans l’ignorance quant à la manière dont les défenderesses pourraient employer les renseignements contenus dans ledit rapport pour établir la défense de divulgation publique.

[36]  Je comprends que, parce que l’acte de procédure proposé des défenderesses indique le RDF comme un fait substantiel, le degré de précision dudit acte de procédure est plus important que celui relatif à la défense de divulgation antérieure examiné par le juge Annis dans la décision Lantech. Je ne peux pas conclure qu’un acte de procédure invoquant la défense de divulgation antérieure, au moyen d’un peu plus qu’une mention du document censé contenir la divulgation, n’a aucune chance de résister à une requête en radiation. Le degré de précision nécessaire pour constituer un acte de procédure suffisant en droit doit être examiné à la lumière des faits de chaque affaire donnée. En effet, le juge Zinn dans la décision Throttle Control Tech Inc. c. Precision Drilling Corporation, 2010 CF 1085, au paragraphe 37, parvient à une conclusion dans cette affaire précise, quoique dans le contexte d’une demande de précisions, selon laquelle l’allégation de divulgation antérieure n’était pas requise pour indiquer à qui les documents prétendument divulgués étaient destinés, dans quelles circonstances ils avaient été soi-disant divulgués ou la manière dont le destinataire est apparemment le public, comme l’exige le paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets. Ma conclusion est plutôt que l’application de la norme de contrôle pertinente à la décision rendue par la protonotaire en l’espèce ne me permet pas de statuer que l’analyse ou le résultat démontre une erreur manifeste et dominante découlant de la mauvaise interprétation ou de l’ignorance des documents pertinents, créant notamment une injustice.

[37]  En tirant cette conclusion, j’ai aussi examiné l’argument des défenderesses selon lequel elles sont placées dans une position impossible, puisqu’elles ne sont pas autorisées à alléguer la défense de divulgation antérieure sans éléments de preuve à l’appui ni à obtenir les éléments de preuve sans d’abord invoquer la défense. Elles prétendent que la protonotaire n’a pas tenu compte de ce dilemme. Je conclus que cet argument est non fondé. Les ordonnances mentionnent que la protonotaire n’est pas convaincue qu’il suffise, pour les défenderesses, d’affirmer simplement qu’elles ne sont pas en mesure de présenter d’autres faits substantiels, parce qu’ils sont connus de SDI. Par conséquent, la protonotaire a manifestement compris et examiné cet argument des défenderesses, mais elle a conclu que ces dernières étaient tenues d’alléguer un fondement factuel à l’appui de la défense. Il ne s’agit pas d’une conclusion selon laquelle les défenderesses doivent alléguer ou posséder des éléments de preuve, au stade du dépôt de l’acte de procédure, pour soutenir leurs allégations de fait.

[38]  Finalement, j’ai aussi examiné l’argument des défenderesses selon lequel la protonotaire a commis une erreur de droit en se fondant sur la preuve par affidavit déposée par SDI, lors de l’audition des requêtes. Les défenderesses invoquent l’arrêt Nidek Co. Ltd. c. VISX Incorporated, (1996), 209 NR 342 (CAF), au paragraphe 16, en ce qui concerne la thèse voulant qu’un tribunal ne doive pas examiner les éléments de preuve à l’occasion d’une requête en modification d’un acte de procédure. Plus précisément, je suis d’avis que cette jurisprudence établit le principe voulant qu’aucun élément de preuve ne soit admissible à l’occasion d’une requête en radiation d’un acte de procédure, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles, au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable ou aucune défense. Cette interdiction est expressément énoncée au paragraphe 221(2) des Règles. Je conviens que cette interdiction s’applique également, à l’occasion d’une requête visant la modification d’un acte de procédure, à l’examen par le tribunal de la question de savoir si la modification proposée est susceptible d’être radiée par une requête, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Toutefois, outre la considération de l’effet de l’alinéa 221(1)a) des Règles, des éléments de preuve peuvent être recevables à l’occasion d’une requête visant la modification d’un acte de procédure, en application de l’article 75 des Règles, notamment lors de l’examen des facteurs prescrits dans l’arrêt Canderel¸ ou lors de l’examen de la possible application de l’alinéa 221(1)c) des Règles, c’est-à-dire la question de savoir si l’acte de procédure proposé résisterait à une requête en radiation au motif qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire.

[39]  L’examen de ce point, selon la norme de la décision correcte, m’amène à conclure qu’aucune erreur de droit n’a été commise en ce qui concerne la présentation d’éléments de preuve à la protonotaire, à l’occasion de ces requêtes. En effet, comme SDI l’a fait remarquer, toutes les parties ont présenté des éléments de preuve à l’appui de leurs thèses respectives. Plus précisément, je conclus que la protonotaire ne s’est pas fondée sur des éléments de preuve pour parvenir à la conclusion que la modification proposée était susceptible d’être radiée, aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles. L’analyse de la protonotaire qui l’a menée à cette conclusion était fondée sur le contenu de l’acte de procédure proposé et les principes juridiques applicables. La protonotaire a examiné les allégations de fait, et non les éléments de preuve s’y rapportant.

[40]  En résumé, concernant la première question en litige soulevée par les défenderesses, je conclus que la protonotaire n’a pas commis d’erreur en statuant que ces dernières n’avaient pas allégué suffisamment de faits substantiels dans la modification proposée.

B.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en concluant que le projet de modification était frivole et vexatoire?

[41]  Après avoir conclu que les modifications étaient susceptibles d’être radiées aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles, la protonotaire est parvenue à la même conclusion aux termes de l’alinéa 221(1)c) des Règles, en statuant que l’acte de procédure était frivole et vexatoire, puisqu’il comportait si peu de faits substantiels que SDI ne saurait comment y répondre et que la Cour serait incapable de diriger les procédures.

[42]  Les défenderesses font valoir que cela démontre que la protonotaire a appliqué le même critère à l’alinéa 221(1)c) des Règles qu’à l’alinéa 221(1)a) des Règles. Les défenderesses prétendent qu’il s’agit d’une erreur de droit, puisque les deux alinéas du paragraphe 221(1) des Règles doivent avoir un caractère distinct. Elles mentionnent également l’explication fournie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kremikovtzi Trade c. Phoenix Bulk Carriers Limited, 2007 CAF 381 [Phoenix], au paragraphe 32, selon laquelle le critère est tout aussi rigoureux que pour l’alinéa 221(1)a), sinon plus, lorsque le rejet est demandé au motif que la procédure est frivole ou vexatoire.

[43]  Je souligne que Progress a aussi fait remarquer que, si la Cour rend une décision qui lui est défavorable à l’occasion de son appel des conclusions de la protonotaire aux termes de l’alinéa 221(1)a), la modification proposée ne sera donc pas autorisée et la conclusion de la protonotaire à l’égard de la l’alinéa 221(1)c) sera théorique. Compte tenu de mes conclusions exprimées ci-dessous, Progress a raison de souligner que les arguments des défenderesses concernant l’analyse de l’alinéa 221(1)c) par la protonotaire sont théoriques. Toutefois, par souci de clarté, je confirme que je conclurais que la protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit dans cette analyse, laquelle se fonde correctement sur la décision Kisikawpimootewin c. Canada, 2004 CF 1426, au paragraphe 8, où la juge Snider a conclu ce qui suit :

[8]  Comme il est dit au paragraphe 10 de la décision Ceminchuk, précitée :

Une action scandaleuse, futile ou vexatoire n’a pas à être uniquement une action dans laquelle le demandeur est incapable de présenter à l’appui de ses prétentions des moyens raisonnables, fondés sur le droit ou la preuve, mais il peut aussi s’agir d’une action dans laquelle les actes de procédure font état de si peu de faits que le défendeur ne sait comment y répondre et qu’il sera impossible au tribunal de diriger correctement les procédures. C’est une action sans cause raisonnable, qui n’aura aucune issue pratique.

C.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en refusant aux demanderesses la possibilité de modifier de nouveau leur acte de procédure modifié proposé pour combler les lacunes?

[44]  Les défenderesses mentionnent le principe, décrit au paragraphe 32 de l’arrêt Phoenix selon lequel la cour devrait être réticente à radier un acte de procédure en application de l’alinéa 221(1)a), et elle devrait le faire seulement s’il est clair qu’aucun amendement ne peut le modifier de façon à ce qu’il résiste à une requête en radiation (voir aussi l’arrêt Simon c. Canada, 2011 CAF 6, aux paragraphes 8 et 15). Elles soulignent que la Cour d’appel fédérale a aussi expliqué, dans l’arrêt Heli Tech Services (Canada) Ltd. c. Weyerhaeuser Company Limited, 2011 CAF 193, au paragraphe 25, que lorsqu’une partie veut être autorisée à modifier un acte de procédure défectueux, il est approprié que le juge examine toutes les circonstances pertinentes, lesquelles peuvent inclure tout élément de preuve fourni par cette partie pour établir que l’acte de procédure peut être modifié de façon à corriger les lacunes.

[45]  Les défenderesses prétendent que la protonotaire a commis une erreur de droit en ne les autorisant pas à présenter une autre version modifiée de leur acte de procédure proposé (c’est-à-dire de présenter une version différente de la version concernée par leurs requêtes initiales), afin de remédier aux lacunes repérées par la protonotaire. Elles font valoir que la protonotaire a omis de tenir compte de la possibilité qu’une modification comprenne du contenu tiré du règlement sur la sécurité, ainsi que des éléments de preuve présentés dans les dossiers de requête concernant l’essai du prototype du dessableur dans un puits en présence d’un opérateur. À l’égard de l’essai dans un puits, les défenderesses soutiennent que les circonstances entourant la réalisation de cet essai pourraient constituer une divulgation publique antérieure de la nature de celle qui a été acceptée comme défense dans la décision Packers Plus.

[46]  À l’appui de leur thèse selon laquelle l’acte de procédure proposé pouvait faire l’objet d’autres modifications qui auraient permis de combler ses lacunes, les observations écrites des défenderesses dans le présent appel énoncent une telle modification supplémentaire comme suit :

[traduction]

 Le brevet 554 est invalide compte tenu de sa divulgation publique

L’invention a été divulguée et rendue accessible au public, par le fait de l’inventeur, plus d’un an avant la date de dépôt, entraînant ainsi l’invalidité du brevet 554, conformément à l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets.

Plus précisément, avant le 10 octobre 2001, SDI a publiquement divulgué des documents, des dessins et des spécifications à M. Bill Rollins de Petrofield Industries, parmi d’autres, qui décrivaient entièrement la réalisation du brevet 554, d’une telle manière que la divulgation révèle l’objet, qui, s’il est réalisé, contrefait nécessairement le brevet 554. La divulgation contenait ce qui suit :

a)  des précisions sur la pression et la température nominale du récipient;

b)  des précisions relatives au mécanisme et les dimensions de toutes les pièces nécessaires;

c)  des précisions sur les joints soudés;

d)  des précisions sur l’essai non destructif;

e)  les numéros de spécification du procédé de soudage;

f)  les calculs utilisés pour concevoir le récipient.

Cette divulgation, qui comprenait tous les aspects de la réalisation du brevet 554 et tous les éléments des revendications contenues dans ce dernier, était suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser ce qui avait été divulgué.

De la même manière, la réalisation du brevet 554 a été divulguée au moyen d’une exposition publique du prototype du brevet 554 sur le site d’un puits en Alberta, avant le 5 octobre 2001, en présence du public, y compris l’opérateur du puits.

Plus précisément, l’invention a été divulguée, à tout le moins, dans un rapport de données du fabricant daté du 5 octobre 2001 environ, et même plus tôt, dont les précisions sont connues de la demanderesse.

[47]  Je note que cette autre modification proposée est présentée à la Cour dans le présent appel, mais qu’elle n’a pas été présentée à la protonotaire. SDI affirme que l’autre modification proposée ne vient pas préciser suffisamment l’acte de procédure présenté à la protonotaire, concernant la divulgation publique au moyen du RDF, et que ledit acte de procédure allègue différentes divulgations publiques, c’est-à-dire la divulgation à M. Bill Rollins de Petrofield et celle faite par l’essai réalisé sur le site du puits.

[48]  L’examen par la protonotaire de la possibilité d’autoriser la modification supplémentaire des actes de procédure modifiés proposés est exposé dans un paragraphe de chacune des ordonnances. Ces paragraphes sont sensiblement les mêmes et, selon l’ordonnance statuant sur la requête présentée par Enercorp, ils se lisent comme suit :

[traduction]

Bien qu’à l’audition Dynacorp ait laissé entendre qu’elle devrait être autorisée à modifier de nouveau son acte de procédure modifié proposé pour remédier aux lacunes dans les faits substantiels, je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire pour permettre à Dynacorp de le faire. À l’audition, Dynacorp n’a pas été en mesure d’exposer d’autres faits substantiels qu’elle pourrait alléguer si elle était autorisée à modifier de nouveau son acte de procédure modifié proposé, lesquels faits combleraient les lacunes mentionnées ci-dessus.

[49]  Je reconnais que si la protonotaire avait omis de déterminer si l’acte de procédure proposé apportait d’autres modifications pour combler les lacunes, cela pourrait constituer une erreur de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Toutefois, le paragraphe ci-dessus, tiré des ordonnances, démontre que ce n’est pas ce qui s’est produit. La protonotaire a plutôt examiné la possibilité d’une autre modification, laquelle avait été demandée par les défenderesses à l’audition, mais elle a conclu qu’une modification suffisante sur le plan juridique n’était pas possible. La protonotaire a tiré cette conclusion parce que les défenderesses n’ont pas été en mesure, à l’audition, d’exposer d’autres faits substantiels qu’elles pourraient alléguer si elles en avaient l’occasion.

[50]  L’erreur manifeste et dominante est la norme de contrôle applicable à cette conclusion de la protonotaire. Compte tenu des motifs de la protonotaire, fondés sur l’incapacité des défenderesses à exposer d’autres modifications à apporter si elles en avaient l’occasion, je ne peux pas conclure que la protonotaire a commis une erreur en ne tenant pas compte du contenu du règlement sur la sécurité ou de l’effet de l’essai sur le site du puits.

[51]  J’ai aussi tenu compte du fait que les défenderesses contestent l’exactitude factuelle de cette partie des motifs de la protonotaire. Progress affirme, dans ses observations en appel, que l’on ne lui a jamais demandé d’exposer d’autres faits substantiels qu’elle pourrait alléguer. De la même manière, Enercorp prétend qu’il s’agit d’une mauvaise appréciation des faits de la part de la protonotaire d’affirmer qu’elle n’était pas en mesure de préciser son acte de procédure. SDI plaide le contraire. Son avocat a prétendu, lors de l’audition du présent appel, que la protonotaire a accordé aux défenderesses l’occasion d’exposer d’autres faits substantiels lors de l’audition des requêtes de ces dernières.

[52]  Il est difficile pour la Cour de statuer sur cette question litigieuse précise, puisque les défenderesses ne lui ont fourni aucun fondement pour évaluer leurs affirmations selon lesquelles la protonotaire a incorrectement affirmé qu’elles ne pouvaient pas exposer d’autres faits substantiels à alléguer. Elles ont affirmé, lors de l’audition du présent appel, que la Cour devrait examiner l’enregistrement de l’audition devant la protonotaire. L’avocat de SDI s’est opposé à cette proposition, en soutenant que les défenderesses ont eu l’occasion de préparer une transcription de l’audition et de l’inclure dans leur dossier de requête du présent appel. SDI affirme qu’elle subirait un préjudice, si la Cour examinait, après l’audition des appels, un enregistrement qui ne faisait pas partie du dossier des requêtes portées en appel.

[53]  Je suis d’accord avec la position de SDI sur cette question. Le dossier présenté à la Cour, lors de l’appel, est celui fourni par les parties dans leur dossier de requête respectif. L’alinéa 364(2)d) des Règles des Cours fédérales exige que le dossier de requête de la partie qui présente la requête contienne les extraits de toute transcription dont elle entend se servir. Pour plaider que la protonotaire a commis une erreur en interprétant mal ce qui s’est produit à l’audition qu’elle présidait, les défenderesses auraient dû inclure un enregistrement de cette audition dans leurs documents liés aux requêtes. Ainsi, SDI aurait pu répondre aux observations des défenderesses en se fondant sur cet enregistrement, et la Cour aurait été en mesure de trancher la question en litige à l’aide des observations respectives des parties concernant ce qui s’est produit. En l’absence d’un tel enregistrement, la Cour ne disposait d’aucun fondement pour conclure que la protonotaire avait commis une erreur en affirmant que les défenderesses n’étaient pas en mesure d’exposer, lors de l’audition, d’autres faits substantiels pouvant être allégués. À cet égard, il n’existe aucun fondement permettant de conclure à une erreur manifeste et dominante dans la décision rendue par la protonotaire de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder aux défenderesses une occasion de proposer une autre modification.

D.  La protonotaire a-t-elle commis une erreur en rejetant la requête visant l’interrogatoire préalable de M. Rollins?

[54]  La décision de la protonotaire de rejeter la demande d’interrogatoire préalable de M. Rollins repose principalement sur le fait que la modification pour alléguer la défense de divulgation antérieure n’a pas été accordée. Les questions qu’il convient de poser lors d’un interrogatoire préalable sont définies par les actes de procédure et, sans l’inclusion de cette défense, il n’existe pas de fondement à l’interrogatoire préalable concernant la divulgation publique antérieure. Comme j’ai confirmé la décision de la protonotaire de refuser la modification, il ne reste plus de fondement à l’interrogatoire préalable reposant sur la défense de divulgation antérieure.

[55]  Les ordonnances démontrent que la protonotaire a aussi examiné les prétentions des défenderesses selon lesquelles l’interrogatoire préalable de M. Rollins serait pertinent pour a) une allégation voulant que le brevet 554 soit nul parce qu’il contient des allégations faites volontairement dans le but d’induire en erreur ou b) la défense de l’inutilité. La protonotaire a conclu qu’il n’existait aucun fondement permettant d’inférer que M. Rollins détenait des renseignements pertinents pour l’une ou l’autre de ces défenses. Les défenderesses prétendent, dans le présent appel, que M. Rollins dispose de renseignements concernant la fabrication du prototype de SDI et de dessins connexes, et elles font valoir de nouveau que ces renseignements sont pertinents pour l’allégation d’inutilité. Toutefois, les défenderesses n’ont pas fourni d’autre explication sur la pertinence de ses renseignements quant à l’allégation d’inutilité. Cette partie de la décision de la protonotaire est susceptible de révision selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, et je conclus qu’il n’existe pas de raison d’intervenir dans la décision de la protonotaire de rejeter la requête visant l’interrogatoire de M. Rollins.

VII.  Dépens

[56]  Tous les avocats ont demandé à la Cour, lors de l’audition du présent appel, que les dépens suivent l’issue de la cause. Lorsqu’il a été demandé à l’avocat de SDI de s’exprimer sur le calcul des dépens, il a fait valoir que le montant de 4 000 $ était approprié. Les dépens sont payables par les défenderesses conjointement, si SDI obtient gain de cause. Les défenderesses ne se sont pas opposées au calcul des dépens, si SDI obtient gain de cause, mais elles ont fait valoir que si elles gagnent, elles devraient recevoir de SDI 4 000 $ chacune.

[57]  En conséquence, je suis d’accord avec le montant de 4 000 $ et j’alloue les dépens à SDI pour cette somme, laquelle est payable par les défenderesses. Je souligne que je ne traite pas des dépens relativement aux requêtes dont la protonotaire a été saisie. La fixation de ces dépens ne fait pas partie des ordonnances portées en appel, puisque la question des dépens relativement aux ordonnances a été prise en délibéré jusqu’à ce que la protonotaire rende des décisions sur d’autres requêtes, dans le cadre de son rôle de gestionnaire des instances.


ORDONNANCE dans le dossier T-598-15

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.  Les appels interjetés par les défenderesses sont rejetés;

2.  Des dépens, fixés à 4 000,00 $, sont adjugés à la demanderesse.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-598-15

 

INTITULÉ :

SPECIALIZED DESANDERS INC. c. ENERCORP SAND SOLUTIONS INC. ET PROGRESS ENERGY CANADA LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 juin 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 5 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Christopher Kvas

William Regan

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Eugene J.A. Gierczak

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

ENERCORP SAND SOLUTIONS INC.

Michael J. Donaldson

Robert Martz

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

ET PROGRESS ENERGY CANADA LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Piasetzki Nenniger Kvas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Miller Thomson LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

ENERCORP SAND SOLUTIONS INC.

Lawson Lundell s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

ET PROGRESS ENERGY CANADA LTD.

Burnet, Duckworth & Palmer LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

ET PROGRESS ENERGY CANADA LTD.

 

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