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Date : 20180719


Dossier : IMM-4873-17

Référence : 2018 CF 758

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 juillet 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

DEIBY STEVEN PENAGOS BOTERO

AMY GABRIELA PENAGOS CORREDOR

ET DAYANA ALEXANDRA CORREDOR NOMESQUE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Deiby Steven Penagos Botero, sa conjointe de fait, Dayana Alexandra Corredor Nomesque, et leur fille mineure, Amy Gabriela Penagos Corredor, sont tous citoyens de la Colombie. Ils sont entrés au Canada en provenance des États-Unis le 2 février 2017 et ils ont demandé le statut de réfugié.

[2]  Le 25 avril 2017, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande en concluant que les éléments essentiels des allégations du demandeur manquaient de crédibilité. La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que leur crainte avait un lien avec un motif prévu à la Convention et a aussi conclu que le risque auquel les demandeurs étaient exposés était un risque auquel sont généralement exposés les autres et non pas un risque personnalisé à leur égard. La SPR a également conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État ou le fait qu’il était raisonnable de vivre dans une partie différente de la Colombie même s’ils étaient victimes de la criminalité courante.

[3]  Les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Cette demande a été rejetée le 19 juillet 2017 pour défaut de mettre le dossier de demande en état.

[4]  En août 2017, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH), invoquant leur établissement au Canada, les difficultés qu’ils connaîtront s’ils étaient forcés de retourner en Colombie et l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure.

[5]  Ayant reçu l’instruction de se présenter pour leur renvoi le 19 novembre 2017, les demandeurs ont demandé un report de leur renvoi du Canada en attendant une décision relative à leur demande de résidence permanente. Le 10 novembre 2017, un agent d’exécution de la loi au Canada (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté la demande des demandeurs. La Cour a ultérieurement accordé aux demandeurs un sursis de renvoi le 24 novembre 2017.

[6]  Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent. Ils soutiennent que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte des éléments de preuve portant sur la situation dans le pays, en s’appuyant plutôt sur la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

II.  Discussion

[7]  La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution de refuser d’accorder un report de renvoi est la norme de la décision raisonnable (Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au paragraphe 43 [Lewis]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286, au paragraphe 27; Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 25 [Baron]).

[8]  Pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit prendre en considération le bien-fondé, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, « ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[9]  De plus, il est un fait bien établi qu’un décideur est présumé avoir tenu compte de tous les éléments de preuve pour rendre sa décision (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] ACF n° 598 (CAF) (QL)) et l’insuffisance des motifs ne permet à elle seule d’annuler une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14, 16).

[10]  L’étendue du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution en application du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est très limitée étant donné que l’agent d’exécution doit exécuter la mesure de renvoi dès que possible (Lewis, aux paragraphes 51, 54; Baron, aux paragraphes 48 à 51). Il est généralement admis qu’un agent d’exécution jouit d’un certain pouvoir discrétionnaire pour retarder le renvoi lorsque la personne est incapable de voyager pour des raisons de maladie ou pour satisfaire à d’autres engagements, comme les obligations scolaires ou familiales (Baron, au paragraphe 49, citant avec approbation la décision de la Cour dans Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 936 (TD), au paragraphe 12 [Simoes]; Lewis, au paragraphe 55). Cependant, la seule existence d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’empêche pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide (Baron, au paragraphe 50; Simoes, au paragraphe 13; Lewis, au paragraphe 56).

[11]  Dans l’arrêt Baron, la Cour d’appel fédérale a aussi approuvé les limites du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution qui ont été circonscrites par le juge Pelletier dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2001] 3 CF 682 (1re instance). Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a indiqué que l’exercice de ce pouvoir doit être réservé aux affaires où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, pour ce qui est des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle du demandeur (Baron, au paragraphe 51; Hernandez Fernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1131, au paragraphe 45 [Fernandez]).

[12]  Les demandeurs soutiennent que l’agent en l’espèce devait tenir compte de la preuve sur la situation dans le pays pour s’assurer que les demandeurs ne se trouveraient pas dans une situation qui les exposerait à une menace pour leur vie, à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Ils soutiennent en outre que l’omission par l’agent de tenir compte de la preuve sur la situation dans le pays rend déraisonnable l’évaluation de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure. Ils s’appuient sur la décision de la Cour dans l’affaire Ramada c Canada (Solliciteur général) 2005 CF 1112 [Ramada] dans laquelle il est précisé que le pouvoir discrétionnaire d’un agent peut être remis en cause dans le cadre d’un contrôle judiciaire lorsque l’agent a négligé un facteur important ou a très mal interprété la situation d’une personne renvoyée (Ramada, au paragraphe 7).

[13]  Je conviens avec le défendeur que l’agent n’a négligé aucun facteur important et n’a pas mal interprété la situation des demandeurs.

[14]  La demande de report du renvoi des demandeurs consiste en une lettre de deux (2) pages. Les demandeurs renvoient l’agent à leurs observations et à la preuve documentaire fournie à l’appui de leur demande pour considérations d’ordre humanitaire. Dans leurs observations d’ordre humanitaire, les demandeurs soutiennent que même si la SPR a conclu que les revendications des demandeurs ne relevaient pas des articles 96 et 97 de la LIPR, elle a reconnu que le principal demandeur avait été ciblé par des criminels de droit commun pour extorsion et donc, ces faits devraient être évalués à la lumière des difficultés afin de déterminer si le retour en Colombie représenterait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

[15]  Dans la décision rejetant la demande de report du renvoi des demandeurs, l’agent indique non seulement que les observations des demandeurs sur la question des difficultés ont été examinées, mais l’agent se réfère spécifiquement à un article relatif au déplacement forcé en Colombie fourni par les demandeurs à l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il est donc raisonnable de conclure que l’agent a tenu compte de la preuve sur la situation dans le pays soumise par les demandeurs.

[16]  Il était aussi raisonnable pour l’agent de se référer à la décision de la SPR. Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Lewis, l’évaluation du risque est généralement menée par la SPR et les agents d’examen des risques avant renvoi (Lewis, au paragraphe 52). La preuve concernant la situation dans le pays sur laquelle s’appuient les demandeurs était disponible au moment de la décision de la SPR et les demandeurs n’ont établi aucune détérioration de la situation du pays ni le fait qu’ils s’y exposeraient à une menace pour leur vie, à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. (Fernandez, au paragraphe 50; Jonas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 273, au paragraphe 19). Il incombait aux demandeurs de présenter des éléments de preuve à l’appui de leur demande de report.

[17]  Les demandeurs n’ont pas non plus réussi à me convaincre que l’évaluation de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure par l’agent était déraisonnable compte tenu de la preuve limitée fournie par les demandeurs concernant le risque auquel ils sont exposés. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un agent d’exécution n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt d’un enfant avant d’exécuter la mesure de renvoi. L’agent doit seulement tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme (Baron, au paragraphe 50; Lewis, aux paragraphes 56 à 61; Fernandez, au paragraphe 51). En l’espèce, l’agent a examiné les éléments de preuve présentés par les demandeurs et a conclu que ce facteur ne justifiait pas une exemption pour motifs d’ordre humanitaire.

[18]  En conclusion, les demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre que la décision de l’agent n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Khosa, au paragraphe 59; Dunsmuir, au paragraphe 47).

[19]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]  J’ai examiné la question proposée par les demandeurs aux fins de certification. Étant donné que la présente décision repose sur les faits en cause et que la question proposée n’est pas déterminante dans l’issue de cette affaire, aucune question de portée générale ne doit être certifiée.

[21]  Enfin, les parties conviennent que le véritable défendeur dans cette instance est le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et par conséquent, l’intitulé de la cause doit être modifié en conséquence.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4873-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié pour remplacer « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » par « Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » pour désigner le défendeur.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4873-17

INTITULÉ :

DEIBY STEVEN PENAGOS BOTERO ET AL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 JUILLET 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Lisa Winter-Card

Pour les demandeurs

Nicole Rahaman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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