Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180712


Dossier : IMM-5220-17

Référence : 2018 CF 726

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MYRTEZA BEBRI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Myrteza Bebri, est un citoyen de l’Albanie âgé de 50 ans. Il est arrivé au Canada en octobre 2014 et a demandé l’asile le 23 novembre 2014. Dans une décision datée du 18 avril 2017, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté sa demande par différents motifs, notamment sa crédibilité, l’absence d’un lien avec un motif prévu à la Convention, et l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Tirana, la capitale de l’Albanie. Le 8 mai 2017, le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR. La SAR a rejeté l’appel dans une décision datée du 28 septembre 2017 et, conformément à l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), a confirmé la décision de la SPR. Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il demande à la Cour d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer l’affaire afin qu’elle soit réexaminée par un autre commissaire de la SAR.

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur a quitté l’Albanie en 2014, à la suite d’un différend avec ses cousins à propos de terres boisées de plusieurs hectares autrefois la propriété de son grand-père. Le conflit s’est intensifié après que les cousins eurent commencé à utiliser la terre illégalement. Lorsque le demandeur et ses frères se sont confrontés à eux, les cousins ont menacé de les tuer. Puisque les cousins sont membres du Parti socialiste (PS) et que le demandeur et ses frères et sœurs appartiennent au Parti démocratique (PD), parti de l’opposition, le demandeur prétend qu’il ne peut pas raisonnablement s’attendre à recevoir l’aide de la police hautement politisée.

[3]  Selon le demandeur, le conflit avec ses cousins a commencé en 1992, lorsque le PD au pouvoir a institué une loi permettant aux citoyens de présenter une demande de restitution des terres qui avaient été nationalisées sous le gouvernement communiste albanais. Le demandeur et ses frères ont présenté une demande de restitution des terres de leur grand-père décédé. On leur a restitué trois hectares de forêt. Le demandeur prétend qu’il a tenté d’obtenir les titres de propriété de ces terres depuis 1992, mais qu’on lui a toujours dit d’attendre.

[4]  En 1997, le PS a repris le pouvoir en Albanie. À cette époque, le demandeur a fait une autre demande de restitution des terres. Le frère du demandeur, Asqeri, a quitté l’Albanie pour les États-Unis après avoir obtenu une carte verte à une loterie. Le demandeur est resté en Albanie et est devenu secrétaire du PD dans sa ville natale. Il allègue que le PS a commencé à le persécuter à cette époque et qu’en septembre 2002, il est allé aux États-Unis et a présenté une demande d’asile. Sa demande a été rejetée en 2004 et, après avoir épuisé tous les recours possibles, il a été expulsé vers l’Albanie en 2009, époque à laquelle le PD a repris le pouvoir.

[5]  À son retour en Albanie, le demandeur a découvert que ses cousins utilisaient la propriété comme si elle était la leur. Le demandeur a demandé l’aide des autorités, qui ont ordonné à ses cousins de se tenir loin de la propriété, et ont envoyé la police après le refus des cousins d’obtempérer. Plusieurs membres de la famille des cousins ont quitté l’Albanie au cours de cette période, mais sont revenus en octobre 2011. Les cousins ont commencé à construire une grange et ont embauché des bûcherons pour couper des arbres sur la propriété. Le demandeur et ses frères en sont finalement venus aux coups avec la famille des cousins, ce qui a conduit à l’intervention de la police. Par la suite, en novembre 2011, un membre de la famille des cousins a menacé de tuer le demandeur s’il alertait de nouveau les autorités. À la suite de cette menace, le demandeur a quitté l’Albanie muni d’un faux passeport, s’est rendu en Grèce où il a séjourné pendant quelques jours avant de traverser l’Italie et d’entrer en France, où les autorités l’ont détenu dans un camp. Le demandeur allègue qu’il ne croyait pas qu’il puisse demander l’asile en France parce qu’il y était illégalement. Il a par la suite été renvoyé en Albanie.

[6]  Le PS a repris le pouvoir en Albanie en juillet 2013. Les cousins ont repris leurs activités sur la propriété, ce qui a mené à d’autres affrontements physiques. Le demandeur soutient que puisque le PS était au pouvoir, il a dû recevoir un traitement médical à domicile et ne recevrait aucune aide de la police. Il allègue qu’il ne pourrait pas se cacher à Tirana en raison de la petite taille du pays, de son dialecte rural et du fait que l’un de ses cousins y vivait.

II.  La décision de la SAR

[7]  Dans sa décision datée du 28 septembre 2017, la SAR a examiné les allégations du demandeur voulant que la SPR ait ignoré le rôle de la politique dans son différend avec ses cousins. À l’appui, le demandeur a produit une lettre qu’il allègue émaner du PD de l’Albanie de la région de Korçë, et un certificat de membre du PD [collectivement, les documents du PD]. La SAR n’a accordé aucun poids à ces documents, constatant qu’il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’une lettre d’un parti politique national en porte l’en-tête et les coordonnées. La SAR a de plus conclu que rien ne démontrait que le demandeur était personnellement persécuté par le PS ou qu’il avait activement tenté d’obtenir la protection de la police après les altercations avec ses cousins. Étant donné qu’il n’y avait aucun document probant étayant l’allégation du demandeur selon laquelle la situation politique constituait le fondement de sa demande, la SAR a déterminé que les agissements allégués des cousins étaient de nature criminelle, qu’il ne s’agissait pas d’une vendetta, et qu’il n’y avait donc aucun lien avec un motif prévu à la Convention en application de l’article 96 de la LIPR.

[8]  La SAR a ensuite examiné l’argumentaire du demandeur et la preuve documentaire à l’effet que le code des vendettas en Albanie interdit de tuer une personne dans sa maison ou son appartement, et que par conséquent, le demandeur ne s’exposait pas au danger en retournant dans sa ville natale à la suite de son renvoi de France. La SAR n’a donné aucune valeur probante à cet élément de preuve, puisque la demande présentée par le demandeur était fondée sur des activités criminelles plutôt que sur une vendetta. Puisque le demandeur a choisi de retourner à sa ville natale plutôt que de demander l’asile en France, la SAR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité et a conclu que cette décision du demandeur minait son allégation de crainte subjective de persécution.

[9]  En examinant la documentation présentée à l’appui de la demande, la SAR a conclu qu’aucun document probant ne démontrait que le demandeur était propriétaire d’une partie de la propriété en Albanie, et a en outre estimé qu’il aurait dû faire l’effort d’obtenir les titres de propriété ou de donner une explication de son impossibilité de le faire. La SAR a tiré une conclusion défavorable de l’absence de documentation étayant son allégation voulant qu’il soit copropriétaire d’une parcelle de terrain en Albanie. La SAR a également conclu que si le demandeur renonçait à revendiquer ses droits sur la propriété, il n’y aurait aucune raison pour que ses cousins continuent de le pourchasser. En réponse à l’argument du demandeur voulant que la SPR ait omis de tenir compte que son incapacité d’obtenir ses titres de propriété lui causait des problèmes fonctionnels en raison de ses antécédents de dépression et de syndrome de stress post-traumatique (SSPT), la SAR a conclu que le document faisant état de ses problèmes fonctionnels ne revêtait aucune valeur probante, et que rien ne démontrait que le demandeur ou son avocat à l’audience de la SPR avait demandé qu’il soit tenu compte de son état.

[10]  Après avoir résumé les conclusions de la SPR à propos de la PRI proposée à Tirana, la SAR a examiné la prétention du demandeur voulant que ses cousins puissent agir en toute impunité en raison de leur influence politique, et que si le demandeur s’enregistrait à Tirana comme il était tenu de le faire, la police puisse transmettre cette information à ses cousins. Pour étayer cette affirmation, le demandeur a produit un document de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, indiquant que les victimes des vendettas ne peuvent pas se réinstaller en toute sécurité à l’intérieur de l’Albanie. La SAR n’a attribué aucune valeur probante à ce document puisque le demandeur n’était pas impliqué dans une vendetta, et que rien ne démontrait l’affiliation au PS des cousins du demandeur ni une influence ou un lien politiques. La SAR a fait observer que l’Albanie est une démocratie qui fonctionne bien, et même s’il y a eu des problèmes de corruption de la police, ils ont été traités de façon proactive. La SAR relève que le demandeur a travaillé dans la construction et n’avait fourni aucun élément de preuve suggérant qu’il serait incapable de trouver de l’emploi, du logement, ou des traitements pour ses problèmes de santé. Puisque le demandeur avait une PRI viable à Tirana, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger et a rejeté l’appel.

III.  Questions

[11]  Les observations du demandeur soulèvent un certain nombre de questions que j’ai résumées comme suit :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La SAR a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions et en omettant d’en faire part au demandeur?

  3. La décision de la SAR était-elle déraisonnable?

IV.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[12]  La norme de contrôle applicable à une décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, [2016] 4 RCF 157). La norme de la décision raisonnable charge la cour de la révision de rendre une décision administrative quant à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et elle doit déterminer « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [2008] 1 RCS 190). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable », et il n’entre pas « dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339 [Khosa].

[13]  La norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502; Khosa, au paragraphe 43. La Cour doit s’assurer que la démarche empruntée pour examiner la décision faisant l’objet du contrôle a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115, [2002] 1 RCS 3). Le cadre analytique n’est pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, mais plutôt une question d’équité et de justice fondamentale. Par conséquent, comme l’a récemment observé la Cour d’appel fédérale, [traduction] « même si la terminologie employée peut sembler étrange, “la norme de la décision correcte reflète mieux cet exercice de révision”, même si, à vrai dire, aucune norme de révision n’est appliquée » (Canadian Pacific Railway Company c Canada (Procureur général), 2018 FCA 69, au paragraphe 54, [2018] ACF no 382). Cela est particulièrement vrai dans les cas où le manquement allégué consiste en une omission involontaire plutôt qu’en un choix procédural délibéré. Autrement dit, une procédure qui est inéquitable n’est ni raisonnable ni correcte, tandis qu’une procédure équitable sera toujours à la fois raisonnable et correcte. De plus, une cour de révision accordera une attention respectueuse aux procédures d’un décideur et elle n’interviendra que lorsque ces procédures sortent des limites de la justice naturelle (Bataa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 401, au paragraphe 3, [2018] ACF no 403).

B.  La SAR a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions et en omettant d’en faire part au demandeur?

[14]  Le demandeur soutient que, lorsque la SAR rend de nouvelles conclusions fondées sur le dossier, conclusions que la SPR n’avaient pas rendues, la SAR doit en aviser les parties pour qu’elles aient l’occasion de présenter leurs observations. De l’avis du demandeur, la SAR a soulevé de nombreuses nouvelles questions dans ses motifs, et en ne lui accordant pas la possibilité de les aborder ou une audience, elle a commis un manquement à l’équité procédurale. Le demandeur affirme en particulier que la SAR a soulevé une nouvelle question relative à la crédibilité à propos de sa santé mentale, même après que la SPR eut accepté qu’il souffre de dépression, du syndrome de stress pots-traumatique et de migraines, et que la conclusion de la SAR quant à cette question lui donnait droit à une audience. De plus, le demandeur affirme que le rejet par la SAR des documents du PD était fondé sur la connaissance spécialisée de la SAR, ce qui donnait lieu à l’obligation d’aviser le demandeur que cette connaissance spécialisée avait été invoquée. Le demandeur souligne que son témoignage sous serment est présumé être vrai, et que le refus de la SAR de lui accorder une audience pour lui donner la possibilité d’aborder la question de la crédibilité de son témoignage, notamment en ce qui a trait au fait que ses cousins étaient membres du PS, constitue un déni de son droit à l’équité procédurale.

[15]  Le défendeur soutient que chacune des prétendues nouvelles questions soulevées par le demandeur a été soit abordée par la SPR soit incluse dans ses propres observations à la SAR. Selon le défendeur, de nouvelles questions dans le contexte de demandes d’asile comprennent des éléments des articles 96 et 97 de la LIPR comme une PRI ou une demande sur place, plutôt que des conclusions de fait ou d’appréciation de la preuve, et une question soulevée par le demandeur en appel ou par la SPR ne constitue pas une nouvelle question. Le défendeur fait valoir que la SAR peut évaluer la preuve de manière indépendante et tirer ses propres conclusions quant à la crédibilité, et peut évaluer de façon indépendante des éléments de la preuve documentaire au dossier de la SPR, même si la SPR ne les a pas explicitement mentionnés. En ce qui concerne la demande d’audience, le défendeur soutient qu’en application des Règles de la Section d’appel des réfugiés la tenue d’une audience devant la SAR est exceptionnelle, et que pour qu’une audience lui soit accordée, un demandeur doit formuler des observations détaillées et déposer de nouveaux éléments de preuve pour satisfaire aux exigences du paragraphe 110(6) de la LIPR. Le défendeur souligne également que le demandeur a explicitement déclaré qu’il ne produirait pas d’autres éléments de preuve et n’a présenté aucun argument étayant la nécessité d’une audience, à part de faire une simple déclaration voulant qu’il demande une audience.

[16]  À mon avis, l’argument du demandeur selon lequel la SAR a commis un manquement à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions et en omettant de lui en faire part ou de lui accorder une audience est sans fondement. Aucune des questions soulevées à cet égard par le demandeur ne constitue une nouvelle question commandant à la SAR de donner au demandeur une possibilité d’être entendu. Les questions soulevées par le demandeur comme étant de nouvelles questions ont été abordées par la SPR ou soulevées par ses propres observations à la SAR. La SAR peut évaluer de manière indépendante la preuve documentaire ou faire des conclusions quant à la crédibilité (voir : Bakare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 267, au paragraphe 19, [2017] ACF no 247; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 876, aux paragraphes 36 à 41 et 46 à 49, [2016] ACF no 840; Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246, aux paragraphes 11 à 15, [2018] ACF no 295; Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 243, aux paragraphes 35 à 38, [2018] ACF no 266).

[17]  Nous ne sommes pas face à un cas où la SAR a soulevé un nouveau problème ou une nouvelle question, a avancé des arguments et un raisonnement nouveaux, au-delà de la décision de la SPR en appel, sans donner au demandeur la possibilité d’y répondre (Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600, aux paragraphes 25 et 26, 267 ACWS (3d) 676). Le cas présent n’est pas non plus similaire à l’affaire Jianzhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 551, [2015] ACF no 527, aux paragraphes 7 et 12, dans laquelle la Cour a déterminé que la décision de la SAR était déraisonnable parce que la SAR avait soulevé et tranché la question d’une demande d’asile d’un demandeur « sur place », alors que l’affaire n’avait pas été tranchée par la SPR et qu’elle n’avait pas été soulevée par l’appelant en appel devant la SAR. Dans le même sens va la décision de la Cour dans Ojarikre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 896, aux paragraphes 20 à 23, 37 Imm LR (4th) 56, où la décision de la SAR a été annulée parce qu’elle avait soulevé la question d’une PRI et avait conclu à son existence, une question qui n’avait pas été soulevée par l’une ou l’autre partie devant la SAR, et la SPR n’avait rendu aucune décision sur la question.

[18]  Dans le cas qui nous occupe, aucune des questions soulevées par la SAR ne diverge de façon substantielle des conclusions de la SPR ou de l’argumentation du demandeur à la SAR. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale du fait de soulever des problèmes cernés dans la preuve documentaire du demandeur. En outre, étant donné que le demandeur n’a en l’espèce pas soumis de nouveaux éléments de preuve ou présenté d’observations à la SAR pour expliquer pourquoi la mesure exceptionnelle que constitue une audience devait lui être accordée; il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale du fait de ne pas lui accorder d’audience.

C.  La décision de la SAR était-elle déraisonnable?

[19]  Le demandeur allègue que la SAR a tiré plusieurs conclusions qui ne sont pas étayées par la preuve, soulignant que le témoignage d’un demandeur est présumé être vrai en l’absence de raison de douter de sa véracité. Selon le demandeur, la SAR n’a pas tenu compte de son témoignage ni des documents du PD qui attestent que les agents de police d’obédience PS aideraient ses cousins à le tuer. Le demandeur soutient que la SAR a indûment adopté une définition excessivement formaliste de la vendetta, et que les multiples altercations physiques avec ses cousins élèvent le différend au niveau d’une définition large de la vendetta (en application de laquelle il ne pouvait pas être agressé à son domicile).

[20]  Le demandeur affirme que le retour temporaire d’un réfugié dans un pays où la persécution est à craindre ne doit pas entraîner la perte du statut de réfugié. Le demandeur fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de ses observations selon lesquelles il n’a pas demandé l’asile en France parce qu’il ne croyait pas qu’il pouvait légalement le faire et qu’il a été renvoyé en Albanie contre sa volonté. Le demandeur fait valoir que la SAR a également omis de considérer ses explications à l’égard du fait qu’il ne détenait pas les titres de propriété corroborant ses prétentions, notamment qu’on lui a dit d’attendre à chaque fois qu’il a tenté de les obtenir, et que ses problèmes de santé mentale ont accru son incapacité à obtenir ces documents. Quant à la conclusion de la SAR selon laquelle il pouvait renoncer à ses revendications sur la propriété, le demandeur déclare que ses cousins le détestent et sont vindicatifs et que, en tout état de cause, il n’a pas la possibilité de renoncer à revendiquer la propriété qu’il possède conjointement avec ses frères.

[21]  En ce qui concerne la PRI, le demandeur soutient que la SAR a refusé de tenir compte de son témoignage sur les vendettas en commettant l’erreur de fait voulant que le conflit avec ses cousins ne soit pas une vendetta et que, en tout état de cause, la documentation indique qu’il n’y a aucune PRI en Albanie, quelles que soient les circonstances. Le demandeur ajoute que la SAR a fait fi du fait exprimé dans son témoignage qu’à cause de son fort accent, de son apparence et de la présence d’un de ses cousins à Tirana, la proposition de PRI n’était pas raisonnable. Le demandeur affirme que la conclusion de la SAR à l’effet que l’Albanie soit une démocratie qui fonctionne bien était déraisonnable puisqu’il a été fait abstraction de la preuve faisant état de corruption au sein de ses institutions.

[22]  Le défendeur soutient que les arguments du demandeur équivalent à demander à la Cour qu’elle examine la preuve de nouveau. En ce qui a trait à la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas de vendetta, le défendeur soutient que cette conclusion était raisonnable en l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborant le témoignage du demandeur. Le défendeur soutient que la SAR a examiné la jurisprudence pertinente à l’effet que les victimes de la criminalité, notamment des vendettas, ne peuvent généralement établir un lien avec un motif prévu à la Convention, et que la SAR a raisonnablement conclu, en l’absence d’éléments de preuve convaincants démontrant le contraire, que la vendetta alléguée par le demandeur constituait plutôt un litige foncier.

[23]  En ce qui a trait à l’allégation voulant que la SAR ait omis d’examiner les explications du demandeur sur le fait qu’il ne détienne aucun titre de propriété, le défendeur a fait observer que la SAR a explicitement fait référence à ces explications et a conclu que le témoignage du demandeur à propos de sa santé mentale n’était pas convaincant. Le défendeur a en outre fait remarquer que le demandeur a livré des témoignages contradictoires à la SPR, affirmant qu’un examen officiel des titres de propriété de l’immeuble avait été réalisé dans les années 1990, mais a également déclaré ne pas pouvoir produire les documents parce que sa demande était encore en cours de traitement. Le défendeur conteste l’argument du demandeur voulant que la SAR n’ait pas tenu compte de ses observations selon lesquelles il a été expulsé de la France contre son gré, soulignant que la SAR avait mentionné qu’il avait été arrêté en France et renvoyé en Albanie.

[24]  Le défendeur affirme que la SAR a examiné de façon raisonnable l’absence de documentation à l’appui de la prétention du demandeur voulant que ses cousins soient membres du PS ou aient des relations politiques, et a raisonnablement conclu que cet argument n’avait pas été établi. Le défendeur estime que la SAR a examiné les arguments du demandeur de façon appropriée à cet égard et a conclu qu’il n’avait pas établi que ses persécuteurs le poursuivraient à Tirana ou qu’ils avaient suffisamment d’influence sur le parti politique pour leur permettre d’agir en toute impunité.

[25]  Je suis d’accord avec le défendeur qui soutient que les arguments du demandeur reviennent à demander à la Cour de réexaminer les éléments de preuve dont disposait la SAR. Il n’y a pas de fondement à la demande de contrôle judiciaire du demandeur. La SAR a conclu que la demande présentée par le demandeur constituait un litige foncier plutôt qu’une vendetta, et cette conclusion est raisonnable en l’absence de documentation pour corroborer son témoignage. En outre, la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur avait une PRI à Tirana n’était pas déraisonnable. Finalement, le demandeur ne s’est pas délesté de son fardeau de persuader la SAR qu’il était victime d’une vendetta et qu’il ne pourrait pas se réclamer de la protection de l’État à Tirana. Sa demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

V.  Conclusion

[26]  En conclusion, je conclus que la SAR a examiné la décision de la SPR de façon raisonnable et a mené une analyse indépendante du dossier dont elle disposait. Les motifs soulevés par la SAR pour rejeter l’appel du demandeur sont transparents, intelligibles et justifiables, et sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[27]  Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier d’importance générale, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5220-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5220-17

 

INTITULÉ :

MYRTEZA BEBRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

Pour le demandeur

 

Bradley Bechard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.