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Date : 20180628


Dossier : IMM-5218-17

Référence : 2018 CF 671

Montréal (Québec), le 28 juin 2018

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LYUDMYLA SYZONENKO

YANA MELNYK

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée par mère et fille, Lyudmyla Syzonenko et Yana Melnyk, à l’encontre d’une décision de la Section de la Migration de l’Ambassade du Canada en Ukraine (l’Ambassade) datée du 28 novembre 2017 (la Décision) rejetant la demande de parrainage de la mère par sa fille dans la catégorie des parents et déclarant celle-ci interdite de territoire en vertu de l’article 40(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.  Faits

[2]  L’histoire a débuté quand Yana Melnyk a déposé une demande de parrainage au soutien des demandes de résidence permanente envers ses parents, Mme Syzonenko et Anatolii Melnyk, le 4 février 2011. M. Melnyk s’est vu refuser deux demandes de visa temporaire en 2011 et en 2014 et a été déclaré interdit de territoire pour raison de sécurité en vertu de l’article 34(1) de la LIPR. Pour sa part, Mme Syzonenko (ci-après la demanderesse) n’a eu aucun problème à obtenir un super visa pour le Canada.

[3]  Une demande de parrainage amendée a été déposée en avril 2015 par la demanderesse déclarant qu’elle était célibataire séparée – M. Melnyk avait été retiré du dossier. La demanderesse et M. Melnyk avaient divorcé le 22 mars 2000, mais s’étaient réconciliés et continuaient de vivre ensemble en tant que famille sans se remarier jusqu’à l’automne 2013. L’Ambassade avait à sa disposition une déclaration notariée à cet effet datée du 16 mai 2014.

[4]  Une première entrevue avec la demanderesse s’est tenue à l’Ambassade le 9 novembre 2015 (la première entrevue), suivie par une enquête sur le terrain par des agents du risque de l’Ambassade durant laquelle des témoignages et échanges avec certaines connaissances et membres de la famille de la demanderesse sont récoltés. Un rapport d’enquête de terrain a ensuite été rédigé.

[5]  Entre-temps, la demanderesse avait fait plusieurs suivis auprès de l’Ambassade pour vérifier le statut de sa demande, y compris une demande d’accès à l’information auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada et l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada en date du 3 mars 2017. La demanderesse a même déposé une demande d’émission d’un bref de mandamus devant cette cour en date du 20 avril 2017 soutenant que six ans s’étaient écoulées depuis la date du dépôt de sa demande de parrainage initiale.

[6]  Le 28 avril 2017, la demanderesse a reçu un avis de convocation à une seconde entrevue (la seconde entrevue) et s’est désistée de sa demande en mandamus en date du 1er mai 2017. En attendant, elle a déposé plusieurs demandes de divulgation auprès de l’Ambassade dans la perspective de l’entretien, mais en vain.

[7]  La seconde entrevue s’est déroulée le 20 juillet 2017 et a surtout tourné autour de l’information récoltée lors de l’enquête sur le terrain. La demanderesse a répondu à plusieurs questions à ce sujet. À l’issue de la seconde entrevue, la demanderesse a déposé un affidavit clarifiant certains aspects de son narratif.

III.  Décision

[8]  Le 28 novembre 2017, la demande de parrainage est rejetée et une interdiction de territoire est émise à l’encontre de la demanderesse sur la base de l’article 40(1)a) de la LIPR.

[9]  L’Ambassade a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la relation conjugale entre la demanderesse et son ex-époux persistait et qu’elle était donc interdite de territoire en vertu de l’article 40(1)a) de la LIPR pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important.

[10]  L’Ambassade s’est basée principalement sur le rapport d’enquête de terrain.

IV.  Questions en litige

[11]  La demanderesse a affirmé un bris d’équité procédurale par l’Ambassade dans sa gestion du dossier de parrainage, cependant ma décision sera essentiellement fondée sur la base de la deuxième question soulevée par la demanderesse, soit celle du caractère déraisonnable de la Décision de l’Ambassade. Pour cette raison, je ne traite pas la question du bris d’équité procédurale.

V.  Analyse

[12]  Je conclus que la conclusion de l’Ambassade à l’effet que, selon la prépondérance des probabilités, la relation conjugale entre la demanderesse et son ex-époux persistait, est déraisonnable.

[13]  La raison principale pour cette conclusion est que le rapport d’enquête de terrain sur lequel l’Ambassade s’appuie indique lui-même que l’enquête n’est pas concluante (« inconclusive ») sur la question de la persistance de la relation entre la demanderesse et M. Melnyk. À mon avis, la certitude dans le rapport ne s’élève pas au niveau de la prépondérance des probabilités.

[14]  Dans l’absence de toute preuve additionnelle, il est déraisonnable de conclure que ladite relation persiste. En l’espèce, la plupart de la preuve additionnelle provient de la demanderesse. Je ne suis pas convaincu qu’elle ait eu l’effet d’ajouter au doute sur le statut matrimonial de la demanderesse.

[15]  Je suis aussi perturbé par la déclaration dans la Décision selon laquelle M. Melnyk, lors de l’enquête sur le terrain, aurait refusé aux agents l’accès à sa maison pour vérifier si la demanderesse y résidait. Le rapport d’enquête de terrain n’indique aucun refus d’accès à la maison, ni même une demande d’entrée faite par les agents.

VI.  Conclusion

[16]  Il y a clairement plusieurs raisons de soupçonner que la demanderesse a fait des fausses représentations en ce qui concerne sa relation avec son ex-époux, mais les soupçons ne suffisent pas pour appuyer la décision de l’Ambassade.

[17]  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle détermination.


JUGEMENT dans IMM-5218-17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à la Section de la Migration de l’Ambassade du Canada en Ukraine pour être déterminée par un autre agent;

  3. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier;

  4. L’intitulé de la cause est modifié pour refléter correctement la partie défenderesse, soit le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5218-17

 

INTITULÉ :

LYUDMYLA SYZONENKO, YANA MELNYK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JUIN 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Guillaume Cliche-Rivard

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Thi My Dung Tran

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon, Nguyen, Tutunjian & Cliche-Rivard

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Procureur(e) Général(e) du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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