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Date : 20180719


Dossier : IMM-5636-17

Référence : 2018 CF 756

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

XIANGJU CHEN ET

DEZI PENG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande fait suite à une décision découlant d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) par laquelle les demandeurs, Xiangju Chen et Dezi Peng, ont été exclus de la protection accordée aux demandeurs d’asile au Canada en application de l’article 98 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) parce qu’ils n’avaient pas établi qu’ils ne pouvaient pas retourner en toute sécurité à leur ancien lieu de résidence légale au Vénézuéla.

[2]  Il avait été précédemment conclu que les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution religieuse en Chine. Dans leur demande d’ERAR ils ont soutenu qu’ils n’avaient plus la possibilité de retourner au Vénézuéla en tant que résidents permanents. Ils allèguent dans la présente demande que l’erreur de l’agent d’ERAR (agent) est de n’avoir pas valablement tenu compte des éléments de preuve voulant que M. Peng ait perdu son statut d’immigration au Vénézuéla et ne puisse pas y retourner.

[3]  Le fondement de la demande de redressement des demandeurs est énoncé dans leur mémoire des faits et du droit aux passages suivants : [traduction]

13.  La demande d’ERAR des demandeurs s’appuyait sur le contenu de la décision de la SAR. Étant donné que la carte de résident permanent du demandeur masculin a expiré le 30 avril 2017, puisqu’il avait été à l’extérieur du Vénézuéla depuis plus de deux ans, et étant donné que plus de trente jours se seraient écoulés depuis l’expiration de sa carte de résidence au moment où la demande d’ERAR a été examinée, il aurait été impossible que le demandeur présente une demande de visa de retour pour résident permanent. En raison de son inadmissibilité à un visa de retour au Vénézuéla, il a été soutenu que le demandeur masculin n’était plus exclu de la protection accordée aux réfugiés.

14.  Il a été allégué qu’il était pratiquement impossible pour le demandeur de demander un visa de résident de retour dans les 30 jours après l’expiration de sa carte de résident permanent puisque les autorités canadiennes de l’immigration avaient saisi le passeport requis pour présenter une telle demande.

15.  À la lumière des éléments de preuve susmentionnés, il est soutenu que l’agent d’ERAR devait décider si le demandeur avait toujours un statut essentiellement semblable aux ressortissants du Vénézuéla, notamment en ce qui a trait au droit au retour. S’il était conclu que le demandeur avait perdu son droit de retour, il incombait à l’agent d’ERAR d’examiner si le demandeur aurait pu prendre des mesures pour prévenir le changement de statut.

[4]  Puisque les questions soulevées par les demandeurs portent sur la preuve, elles sont assujetties à la norme de la décision raisonnable. Par ailleurs, les conclusions de fait pertinentes à l’exclusion en application de l’article 98 de la LIPR appellent à une « grande retenue » : voir Canada c Zeng 2010 CAF 118, au paragraphe 11, [2011] 4 RCF 3.

[5]  La principale erreur alléguée par les demandeurs concerne les « hypothèses » formulées par l’agent sur la question du droit légitime de M. Peng de retourner au Vénézuéla, étant donné l’expiration de son statut de résident et le fait qu’il n’aurait pas été en mesure d’obtenir en temps opportun le renouvellement de ce statut puisque le ministre détenait son passeport chinois.

[6]  Le dossier révèle que, au moment de leur audience à la Section d’appel des réfugiés (SAR), les demandeurs jouissaient d’un droit de retour au Vénézuéla et ne pouvaient donc pas invoquer ce motif pour demander l’asile au Canada. Toutefois, au moment de leur demande d’ERAR, M. Peng avait perdu son statut d’immigration au Vénézuéla en raison d’une absence prolongée du pays et parce qu’il avait omis de demander le renouvellement de ce statut. Les demandeurs s’élèvent contre le fait que l’agent n’a pas procédé à une nouvelle évaluation de la preuve pour déterminer si M. Peng pourrait acquérir de nouveau son statut d’immigration au Vénézuéla et s’il devait être tenu, en droit, de poursuivre cette option.

[7]  J’accepte la déclaration du ministre quant au critère d’application de l’article 98 de la LIPR tiré du passage suivant de l’arrêt Zeng, précitée, au paragraphe 28 :

[28]  Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si la réponse est affirmative, la SPR doit examiner et soupeser différents facteurs. Notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

Rien ne mentionne cependant le critère juridique de l’application de l’article 98 de la LIPR aux faits de l’espèce. La faiblesse fondamentale de l’argumentaire des demandeurs quant au caractère adéquat de la décision d’ERAR découle du fait qu’il suppose que le ministre avait l’obligation de prouver que les demandeurs avaient un droit automatique de retourner au Vénézuéla, ou que M. Peng aurait pu voir son statut restauré par une simple demande. Il ne fait aucun doute que les éléments de preuve relatifs à cette question étaient peu concluants. Mais le fardeau n’incombe pas au ministre – il pèse sur les demandeurs et ils n’ont pas réussi à s’en délester : voir Shahpari c Canada [1998] ACF no 429, au paragraphe 11, 44 Imm LR (2d) 139 (FC). Comme on peut le lire dans les motifs de l’agent, l’absence de preuve constitue le fondement du rejet de la demande d’ERAR : [traduction]

Malgré l’expiration récente de la carte de résident, je ne vois aucun élément de preuve démontrant que M. Peng n’aurait pas été en mesure de retourner et de rester au Vénézuéla en date du « 30 mai 2017 ». La lettre dans laquelle l’avocat des demandeurs expose ses prétentions pour expliquer cette date apporte peu de clarté, sauf pour ce qui est de la référence à « la législation pertinente du Vénézuéla (qui est énoncée dans la décision de la SAR ci-jointe et dans la copie traduite ci-jointe de la Loi sur les étrangers et les migrations »). Il semble que cette date se situe trente (30) jours après le 30 avril 2017, date alléguée de l’expiration de la carte de résident de M. Peng.

J’ai examiné les articles sélectionnés de la Loi sur les étrangers et les migrations du Vénézuéla (la Loi). Je ne remarque aucune mention touchant les conséquences du renouvellement d’une carte de résident dans le pays dans les 30 jours suivant l’expiration d’un visa ou d’une cédula. La seule référence aux 30 jours dans la Loi est exposée à l’article 14, et explique qu’un résident étranger a l’obligation et le devoir de s’inscrire lui-même auprès des autorités dans le pays « dans les trente jours suivant son entrée ». Cette dernière disposition s’applique aux personnes déjà au Vénézuéla et ne vise pas la principale question en litige touchant les documents de résidence expirés de M. Peng.

Je reconnais que la décision de la SAR met un accent marqué sur la validité des documents de résidence du demandeur au Vénézuéla dans le raisonnement du Tribunal en ce qui a trait à l’exclusion (paragraphe 50). L’expiration du document de résidence de M. Peng peut exiger que le demandeur présente une demande de retour au Vénézuéla. Au paragraphe 6(3) de la Loi, il est fait mention des exigences et procédures se rapportant « à l’admission, citant un rapport de la CISR (VEN101087.FE) qui décrit les étapes pour présenter une demande de “visa de résident” ». Comme indiqué plus tôt, les demandeurs ont produit très peu d’éléments de preuve démontrant qu’ils recherchaient un moyen de renouveler les documents de résidence de M. Peng. De même, peu d’éléments de preuve suggèrent que les autorités vénézuéliennes auraient refusé une demande de renouvellement des documents de résidence, compte tenu des liens familiaux du demandeur avec des gens détenant un statut valide, et de ses années de résidence au Vénézuéla. Étant donné les conclusions qui précèdent, j’accorde peu de poids à l’idée qu’au 30 mai 2017, M. Peng n’était plus en mesure de retourner et de résider au Vénézuéla.

J’ai également examiné la suggestion de l’avocat des demandeurs voulant que M. Peng serait « interdit de territoire et visé par une mesure d’expulsion du pays (Vénézuéla) ». Peu de nouveaux éléments de preuve au dossier indiquent que les articles pertinents (38 et 39) de la Loi s’appliquent à la situation actuelle du codemandeur. Je reconnais que le paragraphe 38(1) de la Loi pourrait avoir une incidence sur le codemandeur puisqu’il ne dispose actuellement pas d’un visa de résident valide ou d’une cédula. D’autre part, les demandeurs n’ont fait aucune tentative de renouvellement des documents de résidence de M. Peng, ce qui pourrait résoudre ce problème avant de retourner au pays. Rien n’indique non plus que le codemandeur aurait enfreint la loi de quelque façon ou serait visé par une interdiction de territoire ou une mesure d’expulsion. Sans de nouveaux éléments de preuve confirmant l’impossibilité pour le codemandeur de renouveler ses documents de résidence, j’estime que la suggestion voulant que M. Peng soit « interdit de territoire et visé par une mesure d’expulsion » est fondée sur une hypothèse. J’accorde donc peu de poids à cette décision.

Il appartient à M. Chen et à Mme Peng de démontrer qu’ils ne peuvent pas retourner au Vénézuéla, compte tenu de nouveaux développements depuis que la SAR a rendu sa décision. Les demandeurs n’ont pas réussi à établir par des éléments de preuve clairs et convaincants que M. Peng ne peut plus retourner au Vénézuéla ou redevenir résident de ce pays Par conséquent, j’estime les nouveaux éléments de preuve insuffisants pour réfuter leur exclusion de la protection comme décrit à l’article 98 de la LIPR.

[8]  Les demandeurs sollicitaient une mesure de redressement spéciale et devaient contester une conclusion antérieure de la SAR selon laquelle ils avaient le statut de résident permanent au Vénézuéla. Il leur incombait de produire les éléments de preuve nécessaires pour appuyer la demande. Ils n’avaient pas le luxe d’éviter la question en omettant de produire des éléments de preuve démontrant que M. Peng n’avait plus le droit de recouvrer son statut au Vénézuéla.

[9]  En outre, en l’absence d’éléments de preuve démontrant que M. Peng ne pouvait pas rentrer en possession de son passeport chinois, il n’est pas non plus loisible à ce dernier d’affirmer qu’il était dans une impasse légale. S’il avait demandé son passeport dans le but de renouveler son statut d’immigration au Vénézuéla, on le lui aurait probablement remis. C’est seulement si une telle demande avait été refusée que le demandeur aurait pu faire valoir que le Canada l’avait empêché à tort de concrétiser ses bonnes intentions.

[10]  Cette situation n’est pas étrangère à celle qu’a examinée le juge Henry Brown dans l’affaire Wasel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1409, [2015] ACF no 1515, où le demandeur a été blâmé pour ne pas avoir pris des mesures évidentes pour surmonter un obstacle au déplacement :

[20]  En l’espèce, le demandeur n’a pas établi les raisons pour lesquelles, après avoir renoncé à son passeport syrien et à son permis de résident permanent grec, il ne pouvait pas demander et obtenir de nouveaux documents. Rien n’indique qu’il a tenté d’obtenir l’un ou l’autre de ces documents ni ce qu’aurait été l’issue d’une telle tentative. Au lieu de présenter les demandes appropriées, d’avoir vu ces demandes refusées (comme il disait en être certain) et fournir ces éléments de preuve au tribunal approprié, il a demandé à la SAR d’émettre une hypothèse sur ce qui lui arriverait en cas de retour en Grèce et lui a présenté des photocopies du document concernant sa résidence et de son passeport.

[11]  S’il y a eu formulation d’hypothèses dans le cas qui nous occupe, ce n’était décidément pas le fait du ministre. Le problème s’est plutôt posé parce que les demandeurs ont choisi de ne pas présenter les éléments de preuve requis pour prouver que leur statut au Vénézuéla pourrait, selon toute probabilité, ne pas être restauré. La décision de l’agent ne reflète aucune erreur susceptible de révision dans le traitement de la preuve. En effet, la décision défavorable à l’égard de la demande d’ERAR constituait une issue tout à fait raisonnable étant donné l’échec des candidats à démontrer que la conclusion d’exclusion de la SAR au titre de l’article 98 ne s’appliquait plus à leur situation.

[12]  Je rejette aussi l’argument que l’agent a omis de tenir compte de tous les facteurs comme prescrit par l’arrêt Zeng, précité. Il incombait à M. Peng d’établir que son statut d’immigration au Vénézuéla avait été irrémédiablement perdu. Il n’a pas pu le faire et il n’y a par conséquent aucune raison d’examiner plus à fond la façon dont cette perte est survenue. Je n’accepte pas non plus l’argument voulant que l’agent fût tenu d’examiner de façon plus poussée la situation dans le pays prévalant au Vénézuéla afin de déterminer si les demandeurs seraient exposés à un risque de persécution. Dans la plupart des cas, la situation dans le pays hôte sera moins attrayante que la situation prévalant au Canada. Mais si la situation dans le pays ne représente pas un risque sérieux de persécution (comme il a été raisonnablement conclu dans le cas présent), elle n’est pas pertinente à l’obligation d’une personne de se prévaloir de la protection de ce pays. Le Canada n’est pas tenu d’accorder l’asile aux demandeurs qui ont une option de rechange sûre, même si les perspectives sont meilleures ici.

[13]  Par les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[14]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5636-17

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5636-17

INTITULÉ :

XIANGJU CHEN ET DEZI PENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Stacey Duong

Wennie Lee

 

Pour les demandeurs

Christopher Ezrin

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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