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Date : 20180704

Dossier : IMM-4926-17

Référence : 2018 CF 686

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2018

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

WAQAR HAIDER

SHABNAM TANAJJUM

HUZAIFA HAIDER

ESHAAL HAIDER

HAIDER ZAID

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Waqar Haider, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 2 octobre 2017 rendue par un agent des visas (agent) du Haut-Commissariat du Canada à Londres qui, en application du paragraphe 87(3) du Règlement sur l’Immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement ou RIPR), a rejeté sa demande de résidence permanente qu’il a présentée en tant que candidat d’une province.

[2]  Pour les motifs susmentionnés, j’ai conclu qu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale et que la décision était raisonnable. La présente demande est, par conséquent, rejetée.

Contexte

[3]  Le demandeur et sa femme et leurs deux enfants sont des citoyens du Pakistan. Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (PCIS). À la suite d’un examen initial de sa demande au Haut-Commissariat du Canada à Londres le 13 novembre 2015, une lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée au demandeur. Cela indiquait que, malgré la nomination du demandeur par la province de la Saskatchewan, l’agent n’était pas convaincu que les renseignements fournis avec la demande de résidence permanente du demandeur ont déterminé qu’il avait la capacité de réussir son établissement économique au Canada ou qu’il respectait, par ailleurs, la définition de candidat des provinces, en application de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[4]  Quant à sa compétence langagière en anglais, la lettre a fait valoir que les résultats obtenus par le demandeur au test du Système international de tests de la langue anglaise (International English Language Testing System ou IELTS) correspondaient à une moyenne totale de 4,5, ce qui était décrit par l’IELTS comme [traduction] « utilisateur limité : les compétences élémentaires se limitent à des situations connues. L’utilisateur a fréquemment des problèmes de compréhension et d’expression. Il ne peut utiliser un niveau de langue complexe. » De plus, la capacité à communiquer efficacement dans l’une des langues officielles du Canada est reconnue comme un facteur important pour réussir son établissement économique au Canada. Le site Web du gouvernement de la Saskatchewan a confirmé que l’anglais est parlé à la grandeur de la province et que les chances de succès d’un immigrant s’améliorent grandement s’il peut comprendre et parler l’anglais et, pour réussir dans la majorité des emplois, un niveau de compétence linguistique canadien minimal de 4 était recommandé. L’agent a mentionné que ce niveau équivaut dans l’IELTS à des notes de 4,5 en compréhension de l’oral, 3,5 en compréhension de l’écrit, 4,0 en expression écrite et 4,0 en expression orale et qu’il serait considéré comme le niveau le plus élémentaire de compétence langagière en anglais. Les résultats des tests du demandeur correspondaient ou étaient légèrement supérieurs au minimum recommandé et indiquaient que sa compétence langagière en anglais était élémentaire dans les quatre domaines des tests.

[5]  Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a précisé que le poste auquel le demandeur avait été nommé était celui d’arpenteur et que le poste qu’il avait indiqué souhaiter occuper au Canada était celui de technicien en génie civil. Il occupait actuellement le poste d’ingénieur civil adjoint. Le site Web Guichet-Emplois d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) a désigné la communication verbale, la lecture, l’utilisation de documents et la rédaction au nombre des compétences essentielles pour accomplir le travail d’arpenteur, de technicien en génie civil et d’ingénieur civil. EDSC décrivait le niveau de complexité pour accomplir ces tâches d’élémentaire à avancé. L’agent a conclu qu’il semblait raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne possède une compétence langagière en anglais de niveau élevé pour être capable d’accomplir la gamme complète des tâches dans ces domaines et les postes connexes, mais la capacité démontrée par le demandeur correspondait à un niveau élémentaire. De plus, pour travailler dans ces domaines, il peut être nécessaire d’être titulaire d’un agrément professionnel, mais il ne semblait pas que le demandeur possédait des compétences linguistiques suffisantes pour obtenir l’agrément ou pour suivre une quelconque formation supplémentaire pouvant être exigée pour l’obtenir.

[6]  L’agent a également déclaré dans la lettre que les antécédents professionnels du demandeur comprenaient les tâches d’un directeur/surveillant de la construction. Cependant, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur possédait les compétences linguistiques nécessaires pour être en mesure d’accomplir les tâches exigées d’un directeur/surveillant de la construction. Ce poste comporte des tâches dont le niveau de responsabilité est élevé afin de veiller à ce que les bonnes normes soient respectées et que les projets soient convenablement réalisés. De solides compétences en communication seraient essentielles pour comprendre les plans et les exigences des projets, et pour travailler de façon satisfaisante avec les autres parties concernées, comme les architectes, les conseillers, les clients, les sous-traitants et les fournisseurs. Il semble donc raisonnable de s’attendre à ce qu’un niveau plus élevé que les niveaux élémentaire ou moyen de compétence langagière en anglais soit nécessaire pour accomplir les tâches complexes propres au travail de directeur/surveillant de la construction.

[7]  L’agent a déclaré qu’il n’était pas convaincu que le demandeur serait en mesure d’accomplir les tâches du poste visé auquel il avait été nommé ou d’autres postes pour lesquels il avait indiqué posséder de l’expérience. En conséquence, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur serait en mesure de trouver un emploi au Canada ou, s’il trouvait un emploi, que le demandeur serait d’un niveau suffisant pour réussir son établissement économique. De plus, bien que sa nomination ait indiqué qu’il peut avoir à subvenir aux besoins des membres de sa famille au Canada, le soutien et la dépendance à l’égard d’autres personnes ne seraient pas considérés comme un établissement économique et ne suffiraient pas à contrebalancer les préoccupations de l’agent concernant le faible niveau de compétence langagière en anglais du demandeur.

[8]  Par l’intermédiaire de son avocat, le demandeur a fait des observations écrites en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale et aux documents en annexe, lesquels comprenaient une offre d’emploi à titre de peintre de la construction de 7 Seas Painting & Construction Ltd. et une lettre d’appui du directeur général et propriétaire de cette entreprise, une lettre d’appui du frère du demandeur, une lettre du demandeur indiquant qu’il avait des fonds d’un montant de 20 888,57 $ pour subvenir à ses besoins et aux besoins de sa famille et que sa femme espérait améliorer ses compétences et planifiait obtenir un permis de garderie, ce qui l’aiderait à subvenir aux besoins de la famille, un relevé bancaire, de même que des documents de l’employeur antérieur du demandeur et des documents d’études. La province de la Saskatchewan a également répondu à la lettre relative à l’équité procédurale et continué à soutenir la nomination du demandeur.

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Dans la lettre de refus, l’agent a déclaré qu’il avait procédé à l’évaluation de la demande de visa de résidence permanente du demandeur, en tant que membre de la catégorie des candidats des provinces, et avait déterminé que le demandeur ne respectait pas les exigences en matière d’immigration au Canada dans cette catégorie.

[10]  L’agent a cité le paragraphe 87(3) du Règlement et a déclaré qu’il n’était pas convaincu que le certificat émis par la province de la Saskatchewan constituait un indicateur suffisant de la réussite de son établissement économique parce qu’il ne possédait pas les compétences linguistiques pour ce faire. De plus, les observations du demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale n’ont pas dissipé les préoccupations que l’agent avait cernées concernant les chances de réussite de l’établissement économique au Canada du demandeur. L’agent a ajouté que le gouvernement de la Saskatchewan avait été consulté et qu’un second agent avait souscrit à cette évaluation.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[11]  Voici les questions soulevées par le demandeur dans ses observations écrites :

  1. L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de faire part de ses préoccupations concernant les seuils de faible revenu (SFR) au demandeur afin de lui donner l’occasion de répondre?

  2. L’évaluation que l’agent a faite de la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada était-elle raisonnable?

[12]  La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale, alors que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de l’agent en ce qui concerne la résidence permanente dans le cadre du Programme des candidats des provinces (PCP) (Rani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1414, au paragraphe 12 (Rani); Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 808, aux paragraphes 10 à 12 (Singh); Yasmin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 383, au paragraphe 13 [Yasmin]).

Question 1 : L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de faire part de ses préoccupations concernant les seuils de faible revenu (SFR) au demandeur afin de lui donner l’occasion de répondre?

[13]  Le demandeur fait référence à l’entrée par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), laquelle énonce que l’emploi offert au demandeur lui procurerait un salaire annuel de 33 280,00 $, ce qui ne semble pas être suffisant pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre personnes, étant donné que le SFR en 2016 pour cette famille serait de 45 206,00 $. Dans ses observations écrites, le demandeur a fait valoir que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de lui révéler ses préoccupations relatives au SFR, et se fondant sur ce seuil, pour déterminer que l’emploi qui lui est offert ne lui permettrait pas de réussir son établissement économique (Sadeghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 675, aux paragraphes 14 à 17 (Sadeghi); Rani, au paragraphe 18; Qadeer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 285 (Qadeer)), et en omettant de lui donner l’occasion de répondre à ces préoccupations. Une notification était nécessaire, car les préoccupations n’étaient pas directement liées aux exigences législatives de la LIPR ou du Règlement, en ce qui concerne les candidats de la province (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 [Hassani]). De plus, l’agent a importé et imposé le SFR comme exigence éventuelle en matière de revenu, sans y faire allusion en tant que préoccupation dans la lettre relative à l’équité procédurale, et a rejeté la demande en se fondant sur sa conclusion voulant que la réussite de l’établissement économique du demandeur nécessite un revenu au moins équivalent au SFR. Les demandeurs n’avaient aucun moyen de savoir que le SFR serait utilisé en tant qu’exigence salariale minimale pour toute offre d’emploi.

[14]  Le demandeur a également allégué que la substitution de son évaluation par l’agent en application de l’article 87 a fait disparaître les attentes légitimes du demandeur qu’on lui octroie la résidence permanente et, en conséquence, commande un degré plus élevé d’équité procédurale (Sadeghi). De plus, comme l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques, le SFR, l’équité procédurale exige également que l’agent révèle cet élément de preuve avant de rendre la décision.

[15]  Lorsque que le demandeur a comparu devant moi, il a reconnu ces décisions antérieures de la Cour dans Yasmin et Nisreen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 469, aux paragraphes 53 et 56 (Nisreen), qui portent sur les emplois susmentionnés, mais il fait observer que le SFR n’était pas pertinent, ou que l’agent, subsidiairement, s’est fondé de manière déraisonnable sur ce seuil en tant qu’indicateur du niveau de revenu requis.

[16]  Le défendeur allègue que le refus de l’agent n’était pas fondé sur le montant du SFR, mais bien sur la prise en compte par l’agent du fait que le demandeur avait démontré une compétence langagière en anglais de niveau élémentaire, de même que ses intentions énoncées concernant son emploi, comme le démontrent les motifs de l’agent. La référence au SFR n’était pas le facteur déterminant. C’était une référence en reconnaissance de la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale. Je suis d’accord avec le défendeur que le seuil a démontré que, même si le demandeur était en mesure d’accomplir les tâches moins spécialisées de l’emploi de peintre, ce n’était pas une voie viable pour la réussite de son établissement économique, car elle était insuffisante pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre (Yasmin, au paragraphe 20; Nisreen, aux paragraphes 53 et 56).

[17]  Comme le souligne le défendeur, j’ai traité essentiellement les mêmes arguments en matière d’équité procédurale fondés sur des faits très semblables dans Yasmin, comme l’a fait le juge Russell dans Nisreen.

[18]  Dans Yasmin, comme en l’espèce, le demandeur s’est fondé sur Sadeghi, suggérant qu’une décision rendue en application de l’article 87 du Règlement commande un degré élevé d’équité procédurale. Cependant, comme je l’ai souligné dans Yasmin, la jurisprudence la plus récente a exposé clairement que « l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre » (Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006, au paragraphe 23, citant Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, au paragraphe 23; Farooq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 164, au paragraphe 10, citant Malik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283; Rani, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 et 31.

[19]  Dans Nisreen, le juge Russell a établi une distinction avec Sadeghi quant à ses faits et a conclu que le fondement du demandeur à cet égard était injustifié. En ce qui concerne l’argument relatif à l’attente légitime, je suis d’accord avec le juge Russell sur ce qui suit :

[48]  Il n’y a rien dans le contexte ou dans le libellé spécifique de l’article 87 du RIPR qui suggère qu’un demandeur est soit « de prime abord admissible à la résidence permanente » ou qu’une substitution d’appréciation élimine une « attente légitime ». Le RIPR explique clairement qu’aucun droit ni attente n’est acquis par le demandeur jusqu’à ce que le processus de demande – qui comprend la possibilité de substitution d’appréciation si l’agent conclut que le certificat provincial « n’est pas un indicateur suffisant » et consulte le gouvernement provincial concerné – a suivi son cours et qu’une décision définitive a été rendue. Chaque demandeur qui présente une demande aux termes du régime est censé comprendre qu’un certificat provincial délivré en application de l’alinéa 87(2)a) ne peut pas être considéré comme un « indicateur suffisant » lorsque la demande est examinée conformément au paragraphe 87(3) du RIPR.

[20]  Comme c’était le cas dans Yasmin, en l’espèce, je ne suis pas non plus d’accord avec l’observation du demandeur selon laquelle l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale. Il est évident, d’après les notes du SMGC, la lettre relative à l’équité procédurale et la lettre de refus que la préoccupation principale de l’agent, et le facteur déterminant dans sa décision, consistait à déterminer si la compétence langagière en anglais du demandeur était suffisante pour lui permettre de réussir son établissement économique au Canada. Les notes du SMGC indiquent que ce point représente une préoccupation dans l’évaluation initiale de sa demande, faisant allusion aux résultats du SMGC qui ont démontré que la compétence langagière en anglais du demandeur ne semblait pas suffisante pour que le demandeur réussisse son établissement économique.

[21]  Une lettre relative à l’équité procédurale a donc été remise, laquelle indiquait clairement que la préoccupation de l’agent concernait la compétence langagière en anglais du demandeur, et lui donnait l’occasion de répondre. Les entrées suivantes dans le SMGC portent sur l’argumentation du demandeur en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Les notes sont détaillées, longues, et concernaient principalement la compétence langagière en anglais du demandeur et sa capacité à démontrer qu’il possédait la compétence langagière nécessaire pour qu’il soit en mesure de réussir son établissement économique dans une période raisonnable. Au cours de l’examen des observations du demandeur faites en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent déclare ce qui suit : [traduction] « Je remarque également que l’emploi offert au demandeur principal lui procurerait un salaire annuel de 33 280,00 $, ce qui ne semble pas être suffisant pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre personnes, étant donné que le SFR en 2016 pour cette famille est de 45 206,00 $. » L’agent poursuit sa déclaration, précisant qu’une offre d’emploi n’est pas une exigence de la catégorie des candidats des provinces et que le demandeur n’avait pas à en présenter une en guise de preuve quelconque. Et bien qu’une offre d’emploi puisse être un facteur à prendre en compte dans l’évaluation de la capacité d’un demandeur à réussir son établissement économique, en soi, cette offre ne démontre pas cette capacité. Les notes traitent ensuite de l’évaluation subséquente de l’agent.

[22]  La lettre de décision énonce que l’agent est arrivé à la conclusion que le demandeur ne serait pas en mesure de réussir son établissement économique au Canada, puisqu’il n’était pas convaincu que le demandeur possédait la compétence langagière nécessaire pour ce faire et que ces préoccupations n’étaient pas dissipées par la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale.

[23]  Comme l’allègue le demandeur, le SFR n’est pas un critère mandaté appartenant à la catégorie des candidats des provinces. Cependant, selon moi, l’agent n’y a pas fait allusion comme étant une exigence minimale ou un seuil de revenu que le demandeur devait atteindre et, comme il est précisé ci-dessus, la brève référence au SMGC ne suggère pas que ce fut le motif de sa décision (Singh, au paragraphe 21). Par ailleurs, contrairement à l’observation du demandeur, l’agent n’a pas importé ni imposé cela comme une exigence de seuil de revenu (voir également Nisreen, aux paragraphes 53 et 56). Il a plutôt été utilisé comme un point de référence dans le contexte de la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada. Je suis d’accord avec le défendeur que le seuil a démontré que, même si le demandeur était en mesure d’accomplir les tâches de l’emploi moins spécialisées de peintre, ce n’était pas une voie viable pour la réussite de son établissement économique, car il était insuffisant pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre. Autrement dit, le revenu soumis par le demandeur ne l’a pas aidé à s’acquitter de son obligation de réussir son établissement économique (Nisreen, au paragraphe 35, Rani, au paragraphe 16, citant Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 35).

[24]  L’agent ne s’est pas fondé sur le SMGC, comme « des éléments de preuve extrinsèques » ou autre (voir Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824, aux paragraphes 32 à 36; Majdalani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 294, au paragraphe 37, Singh, au paragraphe 21), pour rendre sa décision et, selon moi, l’utilisation du SMGC par l’agent révèle le caractère raisonnable de la décision, plutôt que l’équité procédurale.

[25]  Ainsi, l’avis du demandeur concernant l’allusion au SMGC de l’agent n’était pas requis. De plus, dans tous les cas, et comme j’ai déjà abordé ce point dans Yasmin concernant le fondement des demandeurs sur Hassani, cette décision soutient que, si une préoccupation ressort clairement directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’aura pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Cependant, lorsque la question n’en est pas une qui ressort dans ce contexte, cette obligation peut surgir quand la « crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur » constituent un fondement à la préoccupation de l’agent (Hassani, au paragraphe 24; voir également Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183, aux paragraphes 24 et 25; Qadeer, aux paragraphes 21 à 25). Autrement dit, l’obligation d’équité procédurale se déclenche lorsque l’agent remet en question la crédibilité, la véracité ou l’exactitude des documents soumis par le demandeur. Contrairement à Rani et Qadeer, ce n’est pas le cas en l’espèce.

[26]  Pour les motifs susmentionnés, je conclus que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale. Cela dit, dans les décisions futures, l’agent serait bien avisé d’énoncer clairement le but de toute allusion au SMGC.

Question en litige 2 : L’évaluation que l’agent a faite de la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada était-elle raisonnable?

[27]  Le demandeur allègue que la décision est déraisonnable, parce que l’agent a rejeté les éléments de preuve concernant sa capacité à réussir son établissement économique, les qualifiant de non pertinents, et en ne leur accordant par la suite aucune importance. Ces éléments de preuve comprennent ses épargnes personnelles, la capacité de sa femme à trouver un emploi éventuel, l’évaluation par la province de sa capacité à réussir son établissement économique et les évaluations de son employeur éventuel visant à déterminer si les compétences en langue anglaise du demandeur sont suffisantes pour accomplir les tâches de l’emploi qui lui est offert. L’agent s’est plutôt fondé sur sa propre évaluation déraisonnable des compétences linguistiques du demandeur, selon laquelle celles-ci sont insuffisantes. De plus, et comme je l’ai fait remarquer au moment de sa comparution de moi, le fondement de l’agent sur le SMGC qui l’a amené à conclure que le salaire éventuel du demandeur est insuffisant était déraisonnable. De plus, les motifs de l’agent ne sont pas suffisamment justifiés, transparents et intelligibles pour permettre à la Cour de comprendre le raisonnement sous-jacent à la décision et, par conséquent, la décision est également déraisonnable sur ce fondement.

[28]  Le demandeur allègue également que l’agent n’a fourni aucun fondement à sa conclusion selon laquelle le demandeur ne possède pas les compétences linguistiques nécessaires pour travailler en qualité peintre de la construction, un emploi dont le rôle n’était pas la surveillance, qui comporte un niveau moins élevé de responsabilité et de complexité, et qui exige des compétences linguistiques en anglais moins avancées que le poste de directeur de la construction, c’est-à-dire le poste que le demandeur avait initialement désigné. Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la lettre de son employeur éventuel, expliquant pourquoi la capacité linguistique du demandeur était suffisante pour l’emploi de peintre de la construction et n’a pas effectué une nouvelle évaluation de l’emploi offert.

[29]  Tout d’abord, je remarque que le paragraphe 12(2) de la LIPR désigne une catégorie de résidents permanents en ces termes : « [...] la catégorie “immigration économique” se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada ». L’article 87 du Règlement énonce qu’un étranger est un membre de la catégorie des candidats des provinces lorsqu’il est nommé dans un certificat de désignation délivré par le gouvernement provincial, conformément à l’accord concernant les candidats des provinces que la province en cause a conclu avec le ministre; il cherche à s’établir dans la province qui a délivré le certificat de désignation. Cependant, conformément au paragraphe 87(3), si le fait que l’étranger est nommé par le certificat n’est pas un indicateur suffisant de la capacité à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut, après consultation auprès du gouvernement qui a délivré le certificat (certificat de désignation et intention de résider dans la province concernée), substituer son appréciation de la capacité de l’étranger à réussir son établissement économique au Canada.

[30]  Il est clair, selon le Bulletin opérationnel 499 qui est consigné au dossier que l’agent avait en sa possession, que la capacité à réussir à son établissement économique s’applique à la personne qui présente une demande de résidence permanente dans la catégorie des candidats des provinces, et que chaque demandeur doit être évalué sur le fondement de sa propre capacité à réussir à son établissement économique. Le Bulletin avance que le demandeur de la catégorie de l’immigration économique qui compte exclusivement sur la garantie financière d’un proche parent résidant dans la province incite à se demander si le demandeur n’est pas en mesure de réussir son établissement économique sans une telle garantie. Il poursuit en précisant que dans les cas où l’agent des visas n’est pas convaincu que la délivrance d’une désignation soit un indicateur suffisant de la capacité du demandeur à réussir son établissement économique au Canada, il pourrait examiner certains facteurs dans le cadre de l’évaluation globale pour déterminer la capacité du demandeur à réussir son établissement économique. Ces facteurs comprennent notamment l’emploi actuellement occupé ou l’offre d’emploi, les compétences linguistiques, l’expérience de travail, l’éducation et la formation. La pondération attribuée à ces indices de la capacité à réussir son établissement économique peut varier au cas par cas.

[31]  Ayant examiné les notes du SMGC en entier, je ne suis pas d’accord avec le demandeur, qui affirme que l’agent a rejeté la preuve du demandeur parce qu’il la jugeait non pertinente quant à sa capacité à réussir son établissement économique. L’agent a déclaré qu’une offre d’emploi peut être un facteur à prendre en compte dans l’évaluation de la capacité d’un demandeur à réussir son établissement économique, mais elle n’a pas, en soi, démontré cette capacité. L’agent a explicitement reconnu la preuve relative aux ressources financières du demandeur et a déclaré que, bien que ce type de preuve puisse être pertinent pour déterminer si un demandeur peut ou non être interdit de territoire pour des raisons financières, elle n’a pas démontré qu’un demandeur avait la capacité à réussir son établissement économique. De même, le soutien offert par la famille du demandeur au Canada, de même que le potentiel de sa femme à être embauchée, étaient explicitement reconnus. L’agent a déclaré que, bien que ce soutien puisse démontrer quelques-unes des capacités des membres de la famille, il n’a pas démontré que le demandeur avait lui-même la capacité de réussir son établissement économique, une capacité qui s’applique à lui seul et non aux personnes à sa charge.

[32]  L’agent a ensuite expliqué la distinction entre un établissement et un établissement économique comme des termes non interchangeables. L’agent a déclaré qu’un immigrant, comme dans la catégorie du regroupement familial, avec le type de soutien précisé qui peut être offert par les membres de la famille du demandeur, peut réussir à s’établir au Canada sans réussir son établissement économique. Toutefois, comme il est clairement énoncé dans la lettre relative à l’équité procédurale, la catégorie des candidats des provinces est une catégorie de l’immigration économique. Par conséquent, l’aide à l’établissement offerte au demandeur n’indique pas qu’il a la capacité à réussir son établissement économique au Canada. L’agent a souligné que la province a continué à soutenir la nomination, mais a conclu que l’accessibilité de nombreux emplois et une économie vigoureuse en Saskatchewan n’étaient pas, en soi, des signes de la capacité individuelle du demandeur à réussir son établissement économique, ni du soutien potentiel de la famille ou des membres de la communauté, ni la réussite d’autres immigrants. L’agent a déclaré qu’il n’était pas convaincu que les représentations de la province et du demandeur aient dissipé les préoccupations exposées dans la lettre relative à l’équité procédurale.

[33]  Selon le Bulletin opérationnel 499, il semblerait que, lorsqu’un agent applique le paragraphe 87(3), les ressources financières et d’autres facteurs peuvent être pris en compte dans l’évaluation de la capacité d’un demandeur à réussir son établissement économique. En l’espèce, l’agent a bel et bien pris en compte les facteurs décrits précédemment, mais a finalement conclu qu’ils n’étaient pas un signe, en soi, de la capacité individuelle du demandeur à réussir son établissement économique et que la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas dissipé les préoccupations de l’agent exposées dans la lettre, lesquelles ont trait aux compétences en langue anglaise du demandeur (voir Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1072, au paragraphe 38). Bien que cela aurait pu être exprimé plus clairement, en effet, l’agent a soupesé la preuve par rapport à sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il possédait les compétences en langue anglaise nécessaires pour accomplir les tâches de l’emploi qui lui avait été offert pour réussir son établissement économique (Parveen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 473, au paragraphe 27 [Parveen]).

[34]  L’agent a également reconnu l’offre d’emploi et la lettre d’appui de l’employeur potentiel du demandeur, qui énonçait que le demandeur commencerait à un poste de premier échelon, comme peintre, de sorte qu’il pourrait se familiariser avec ses collègues et apprendre le fonctionnement de l’entreprise. L’employeur potentiel a déclaré qu’il croyait que les compétences en langue anglaise du demandeur étaient suffisantes pour qu’il puisse accomplir le travail exigé. Des réunions sur la sécurité sont tenues chaque semaine et les directeurs des projets y expliquent les risques sur le lieu de travail avant le début d’un projet. La lettre énonce que, au fur et à mesure que le demandeur prendrait de l’assurance, ses responsabilités augmenteraient. Il était prévu qu’il assumerait un rôle de surveillance. Après les premiers mois, l’employeur commencerait à affecter le demandeur à des tâches de direction et, à cette étape, il deviendrait un chef de projet et accomplirait des tâches plus avancées, y compris animer des séances d’information sur la sécurité.

[35]  Cela était inscrit par l’agent dans les notes du SMGC. L’agent a déclaré que, bien que le demandeur puisse avoir de l’expérience et avoir acquis des compétences au cours de l’emploi qu’on lui avait offert à un échelon inférieur, malgré les observations de son employeur éventuel et de son représentant, il n’apparaît pas clairement si la compétence langagière en anglais de niveau élémentaire qu’il a démontrée était suffisante pour accomplir les tâches de l’emploi qu’on lui a offert. L’agent a déclaré qu’il n’était pas convaincu que la compétence langagière en anglais de niveau élémentaire soit suffisante pour accomplir les tâches d’un surveillant ou directeur de la construction ou, et plus important encore à mon avis, que le demandeur avait démontré qu’il pourrait améliorer sa compétence langagière an anglais à un niveau qu’il semblerait raisonnable d’exiger pour un poste de surveillance ou de direction au Canada.

[36]  Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a soutenu que la lettre de l’employeur potentiel a déterminé qu’il avait les compétences nécessaires pour l’emploi de peintre, ce que ne conteste pas l’agent. De plus, le fait que l’emploi nécessitant des compétences d’un échelon inférieur n’en était pas un de surveillance ou de direction, et l’affirmation de l’employeur potentiel, soit [traduction] « Après avoir passé quelques mois à apprendre le fonctionnement de 7 Seas et au fur et à mesure qu’il se familiarise avec la langue anglaise, je commencerai à lui confier des tâches de direction. », ont démontré que l’offre d’emploi à un échelon inférieur ne dépend pas de l’amélioration de ses compétences linguistiques, et la capacité du demandeur à améliorer ses compétences n’était pas assujettie à une période déterminée. Le demandeur a également soutenu que le bon sens veut que les compétences linguistiques du demandeur s’améliorent au fil du temps.

[37]  Je souligne que c’était le demandeur qui, en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale qui soulevait les préoccupations de l’agent concernant les compétences en langue anglaise du demandeur, avait soumis l’offre pour un emploi d’un échelon inférieur. Compte tenu de l’intention de l’employeur potentiel qui a été exposée, et selon laquelle le demandeur occuperait un poste de surveillance après quelques mois qui comporterait des responsabilités d’un échelon supérieur, et de l’analyse susmentionnée de l’agent, je ne suis pas d’accord avec le demandeur qui affirme que l’agent n’a pas évalué sa compétence langagière en anglais dans le contexte de l’emploi offert. En outre, il incombait au demandeur de démontrer que ses compétences en langue anglaise étaient suffisantes pour occuper le poste nécessitant des compétences de niveau inférieur, et qui, selon les prévisions de l’employeur potentiel, deviendrait rapidement un poste de surveillance. Cependant, comme l’a fait remarquer l’agent, le demandeur n’a pas abordé ce point dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Il n’a soumis aucun élément de preuve sur la façon dont il procéderait pour améliorer ses compétences langagières et, à cet égard, je n’accepte pas l’observation du demandeur que le bon sens veut qu’elles s’améliorent forcément.

[38]  Comme je l’ai expliqué précédemment, la décision de l’agent était fondée sur ses préoccupations relatives à la détermination de la suffisance de la compétence langagière en anglais du demandeur pour lui permettre de réussir son établissement économique au Canada, non pas sur le SMGC. L’allusion au SMGC ne rend pas la décision inéquitable sur le plan procédural ni déraisonnable, à la fois parce que l’agent n’a pas fondé sa décision sur cet élément et, quoi qu’il en soit, parce qu’il était raisonnable pour l’agent de le prendre en compte dans ces circonstances.

[39]  Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec la décision de l’agent, les motifs de ce dernier sont suffisants pour me permettre de comprendre de quelle façon il est arrivé à sa conclusion, laquelle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4926-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y aura pas d’adjudication des dépens.

  3. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question ne se pose en l’espèce.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4926-17

 

INTITULÉ :

WAQAR HAIDER ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2018

 

COMPARUTIONS :

Luke McRae

 

Pour les demandeurs

 

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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