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Date : 20180706


Dossier : IMM-80-18

Référence : 2018 CF 705

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 juillet 2018

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

REINA DE LA PAZ MOREIRA CHAVEZ

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendue le 27 novembre 2017, par laquelle elle a conclu que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention (la décision). Le demandeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), lequel demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour une nouvelle détermination.

[2]  Comme il est expliqué de manière plus détaillée ci-dessous, la présente demande est rejetée, parce que j’ai conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur dans son analyse sur la protection offerte par l’État, ou dans son analyse sur la possibilité de refuge intérieur, en accordant à la défenderesse le statut de réfugiée au sens de la Convention en l’absence d’un risque particulier.

II.  Énoncé des faits

[3]  La défenderesse, Reina de la Paz Moreira Chavez, est une citoyenne du Salvador. En 1999, elle a été attaquée par un homme inconnu. On ne lui a rien volé, mais elle a été blessée et a dû être hospitalisée durant environ une semaine. En 2001, elle a quitté le Salvador et est entrée aux États-Unis. Comme elle l’explique dans l’exposé circonstancié qui accompagne son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), elle n’a pas présenté de demande d’asile aux États-Unis, parce qu’elle a été en mesure d’y obtenir un permis de travail. Ce permis a été annulé à peu près en 2007, après quoi la défenderesse est demeurée aux États-Unis en tant que travailleuse sans papiers. Elle espérait que la réforme de l’immigration lui permettrait d’obtenir un statut légal, mais en 2017, elle a estimé que c’était peu probable et, craignant d’être renvoyée au Salvador, elle a quitté les États-Unis et est entrée au Canada le 21 avril 2017.

[4]  La défenderesse a ensuite présenté une demande d’asile au Canada. Dans son formulaire FDA, elle décrit l’attaque et explique qu’elle ne s’est pas rétablie du traumatisme causé celle-ci. Elle affirme que pendant son séjour aux États-Unis, même sans statut, elle s’est sentie en sécurité et a été en mesure d’effacer les souvenirs de l’attaque. Toutefois, à mesure qu’augmentait le risque qu’elle soit renvoyée, elle est devenue plus anxieuse et effrayée et a senti qu’elle revivait son traumatisme. Elle a donc décidé de présenter une demande d’asile au Canada, où vit sa sœur avec sa famille.

III.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[5]  La SPR a résumé les allégations contenues dans le formulaire FDA de la défenderesse, y compris l’attaque de 1999. La SPR a aussi souligné qu’à l’audience, la défenderesse a témoigné des circonstances dans lesquelles son père a été extorqué et tué par des membres d’un gang criminel en 1980. La SPR a estimé que la défenderesse était un témoin crédible et a cru les affirmations appuyant sa demande. Toutefois, elle a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que ceux qui l’avaient attaquée en 1999 se souviendraient d’elle, la rechercheraient et la blesseraient de nouveau si elle devait retourner au Salvador. Elle a conclu que l’attaque était un geste de criminalité aléatoire.

[6]  Néanmoins, la SPR a effectué une analyse prospective et a conclu que la défenderesse, en tant que femme particulièrement vulnérable, serait exposée à un risque sérieux de persécution si elle devait retourner au Salvador. Cette conclusion reposait sur le profil que présentait la défenderesse en tant que femme célibataire, n’ayant pas fait d’études, qui retourne dans son pays après de nombreuses années, avec peu de soutien de sa famille, et souffrant d’un traumatisme sérieux et durable, qui limite sa capacité de résilience et de débrouillardise.

[7]  Pour appuyer sa description du profil de la défenderesse, la SPR a souligné qu’elle avait maintenant 55 ans et que selon son témoignage, elle n’avait pas de diplôme d’études secondaires, elle n’était pas mariée, et elle avait vécu avec sa mère et deux de ses sœurs avant de quitter le Salvador. La SPR a affirmé qu’il semblait que la défenderesse n’ait jamais vécu seule et que même si une de ses sœurs demeurait toujours au Salvador, elles ne s’étaient pas vues depuis quinze ans et on ne pouvait s’attendre à ce que la défenderesse soit capable de vivre avec cette sœur et sa famille.

[8]  La SPR a souligné qu’étant donné que la défenderesse avait été si longtemps à l’extérieur du pays, son retour attirerait immédiatement l’attention sur elle. La SPR a également pris en considération le rapport d’un psychologue et a découvert que l’attaque de 1999 et la mort de son père avaient eu sur elle un effet durable et dramatique, qui avait nui à sa capacité de faire face à la situation et de faire preuve de résilience, ce qui faisait d’elle une femme particulièrement vulnérable.

[9]  La SPR a ensuite conclu que les documents sur la situation au pays indiquaient que le Salvador est un des pays les plus dangereux au monde pour les femmes, citant certains documents du cartable national de documentation (CND) pour le Salvador pour appuyer cette conclusion. Elle a estimé qu’étant donné le profil de vulnérabilité de la défenderesse et la situation au pays, la défenderesse avait démontré qu’elle avait une crainte bien fondée d’être persécutée si elle devait retourner au Salvador.

[10]  En ce qui concerne la protection offerte par l’État, la SPR a une fois de plus cité les documents du CND, tirant la conclusion qu’il existait une preuve claire et convaincante que l’État ne pourrait ou ne voudrait lui assurer une protection, puisque les éléments de preuve documentaires indiquaient que les forces de sécurité sont corrompues et incapables d’offrir une protection aux citoyens contre les groupes criminels.

[11]  La SPR a ensuite examiné la possibilité d’un refuge intérieur (PRI) au Salvador, mais a conclu qu’il n’existait aucune PRI.

[12]  La SPR a par conséquent estimé que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention parce que si elle retournait au Salvador, elle ferait face à un risque sérieux de persécution fondé sur son sexe.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[13]  Le ministre soumet les questions suivantes à la Cour :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en accordant à la défenderesse le statut de réfugiée au sens de la Convention, en l’absence d’un risque particulier?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la défenderesse ne pouvait se réclamer de la protection de l’État?

  3. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la défenderesse ne disposait pas d’une PRI viable?

[14]  Les parties conviennent, et je suis d’accord, que ces questions doivent être examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable, de telle sorte que le rôle de la Cour est de déterminer si les décisions appartiennent aux issues possibles et acceptables à la lumière des faits et du droit.

V.  Analyse

A.  La SPR a-t-elle commis une erreur en accordant à la défenderesse le statut de réfugiée au sens de la Convention, en l’absence d’un risque particulier?

[15]  Le ministre souligne que la défenderesse n’a pas à l’origine présenté une demande d’asile fondée sur son sexe. L’exposé circonstancié déposé pour appuyer son formulaire FDA porte plutôt sur l’attaque qu’elle a subie en 1999. Toutefois, la transcription de l’audience devant la SPR indique que la possibilité d’une demande d’asile fondée sur le sexe de la défenderesse a été soulevée durant l’audience, et que le ministre n’a pas soutenu que c’était là une erreur de la part de la SPR que d’accueillir sa demande d’asile fondée sur un motif qui n’avait pas été soulevé au départ.

[16]  Le ministre a plutôt adopté la position selon laquelle la SPR a commis une erreur en accueillant la demande de la défenderesse en l’absence de tout risque personnel fondé sur sa situation en particulier. Le ministre affirme que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve montrant que la défenderesse était ou serait personnellement ciblée. La SPR s’est plutôt appuyée uniquement sur des documents sur la situation au pays en général pour soutenir sa conclusion selon laquelle elle était exposée à un risque au Salvador. Le ministre s’en remet à la décision Banguera Palacios c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 950 [Palacios], aux paragraphes 20 et 21, pour appuyer sa position selon laquelle un demandeur d’asile doit établir l’existence d’un risque personnalisé en fonction de ses circonstances personnelles, et que même le risque élevé qu’une personne soit ciblée à titre de victime d’un crime n’est pas nécessairement un risque particulier.

[17]  Je suis d’accord avec la position de la défenderesse selon laquelle la décision Palacios n’aide pas le ministre, puisque les passages de la décision que cite le ministre concernent l’analyse qu’a faite la Cour de la possibilité d’obtenir une protection aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Alors qu’il faut établir l’existence d’un risque personnalisé pour qu’une demande d’asile puisse être accueillie aux termes de l’article 97, cette exigence ne s’applique pas dans le cas d’une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, aux termes de l’article 96 de la LIPR.

[18]  Cela ressort clairement de l’arrêt Salibian v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1990] 3 FC 250 (CAF), dans lequel la Cour d’appel fédérale a maintenu, au paragraphe 16, que la Section du statut de réfugié (tel était alors son nom) avait commis une erreur en concluant que pour que le demandeur, dans cette affaire, puisse être admissible au statut de réfugié, il devait être personnellement la cible d’actes dirigés contre lui en particulier. La Cour a expliqué, aux paragraphes 17 et 19, qu’il n’était pas nécessaire, pour revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, de prouver que le demandeur était personnellement persécuté, qu’il avait été personnellement persécuté dans le passé, ou qu’il serait persécuté dans le futur. La Cour a de plus adopté, au paragraphe 18, la description suivante du droit applicable :

[traduction] En somme, tandis que le droit des réfugiés moderne s’attache à reconnaître la protection dont doivent bénéficier des revendicateurs pris individuellement, la meilleure preuve qu’une personne risque sérieusement d’être persécutée réside généralement dans le traitement accordé à des personnes placées dans une situation semblable dans le pays d’origine. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. Si des personnes comme le requérant sont susceptibles de faire l’objet d’un grave préjudice de la part des autorités de leur pays, et si ce risque est attribuable à leur état civil ou à leurs opinions politiques, alors elles sont à juste titre considérées comme des réfugiés au sens de la Convention.

[19]  Par conséquent, je ne relève aucune erreur de la part de la SPR dans sa conclusion selon laquelle la défenderesse était exposée à un risque d’être persécutée en raison de son sexe, malgré l’absence d’un risque personnalisé.

[20]  Le ministre affirme également que la SPR a commis des erreurs quand elle est arrivée à cette conclusion en fonction du dossier dont elle disposait. Le ministre soutient que le CND n’indique pas que seules les femmes courent un risque au Salvador; on y indiquerait plutôt en fait que les femmes sont moins susceptibles que les hommes d’être tuées dans ce pays. J’estime que cet argument est dénué de fondement. Le CND auquel fait référence la SPR dans sa décision indique qu’alors que les hommes sont beaucoup plus susceptibles d’être assassinés, les femmes sont beaucoup plus susceptibles de connaître la violence interfamiliale, sexuelle ou économique, et qu’en plus de la violence quotidienne à laquelle les femmes sont déjà exposées, le conflit permanent entre les gangs a mené à une augmentation de certains des actes de violence les plus odieux, y compris la violence sexuelle contre les femmes.

[21]  Le ministre conteste également certains aspects des conclusions de la SPR quant au profil de la défenderesse. La conclusion de la SPR concernant l’existence d’un risque n’était pas fondée uniquement sur le sexe de la défenderesse, ou même sur son profil en tant que femme célibataire, mais reposait également sur ses vulnérabilités particulières. Le ministre affirme qu’aucun élément de preuve n’appuyait la conclusion de la SPR selon laquelle la défenderesse ne serait pas en mesure de vivre avec sa sœur demeurée au Salvador, conclusion qui semble être à la base de la description faite par la SPR du profil de la défenderesse, selon laquelle cette dernière aurait peu de soutien de la part de sa famille. Toutefois, les éléments de preuve montraient que la défenderesse avait vécu à l’extérieur du Salvador, où vit sa sœur, pendant 15 ans. Le ministre a raison quand il affirme que la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve en particulier portant sur la relation de la défenderesse avec sa sœur. Toutefois, selon moi, la conclusion selon laquelle il était peu probable qu’elle habite avec sa sœur et la famille de sa sœur après une absence de 15 ans appartenait à l’éventail des issues acceptables. La présence de la sœur de la défenderesse au Salvador ne mine pas le caractère raisonnable de la description faite par la SPR du profil de la défenderesse, selon laquelle cette dernière retournerait au pays avec [traduction] « peu » de soutien de la part de sa famille.

[22]  Le ministre affirme dans la même veine que la SPR a conclu de manière déraisonnable que la défenderesse attirerait immédiatement l’attention, en retournant au Salvador après avoir été si longtemps à l’extérieur du pays, sans fournir d’explications pour une telle conclusion. Je lis que le raisonnement de la SPR était que le simple fait pour la défenderesse de retourner dans son pays après une décennie et demie d’absence serait remarqué dans sa communauté, et je ne considère pas que ce raisonnement était déraisonnable.

[23]  Le ministre a raison quand il souligne que la SPR a commis une erreur en indiquant que la défenderesse n’avait pas fait d’études. La SPR affirme qu’elle n’a pas de diplôme d’études secondaires. Il s’agit manifestement d’une erreur de fait, puisque les éléments de preuve dont disposait la SPR montraient que la défenderesse avait complété deux années d’études post-secondaires et avait reçu un diplôme dans le domaine des soins de la santé. Toutefois, je ne peux conclure que cette erreur de fait à elle seule mine le caractère raisonnable de la décision. Même si elle modifie le profil de la défenderesse, de telle sorte qu’on ne puisse la décrire comme n’ayant pas fait d’études, la description faite par la SPR, selon laquelle elle était une femme particulièrement vulnérable, reposait sur plusieurs aspects de son profil, y compris en particulier l’aspect psychologique. La SPR a décrit sa capacité de résilience et de débrouillardise comme étant limitée en raison du traumatisme qu’elle avait vécu au Salvador, conclusion qui s’appuyait sur une expertise psychologique soumise en preuve que le ministre n’a pas contestée.

[24]  En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle la défenderesse présentait une capacité de résilience et de débrouillardise limitée, le ministre souligne qu’elle a déménagé aux États-Unis, qu’elle a vécu et travaillé dans ce pays durant 15 ans, puis qu’elle est ensuite partie seule pour le Canada. Le ministre soutient que ces faits rendent la conclusion de la SPR déraisonnable. Toutefois, cet argument équivaut à demander à la Cour d’interférer avec l’évaluation faite par la SPR des éléments de preuve dont elle disposait, ce qui n’est pas le rôle que doit jouer la Cour lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative.

[25]  En conclusion, j’estime que les observations du ministre ne soulèvent aucun fondement justifiant que la Cour interfère avec la conclusion de la SPR, selon laquelle la défenderesse avait démontré une crainte bien fondée de persécution, compte tenu de son profil vulnérable et de la situation au Salvador. Je passe maintenant aux arguments présentés par le ministre concernant l’analyse faite par la SPR de la protection offerte par l’État et de la possibilité de refuge intérieur.

B.  La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la défenderesse ne pouvait se réclamer de la protection de l’État?

[26]  Le ministre souligne que la défenderesse n’a pas demandé la protection de la police avant de quitter le Salvador et soutient que la SPR a conclu de manière déraisonnable que la défenderesse avait réfuté la présomption de protection de l’État. Le ministre s’appuie sur la jurisprudence pour avancer que a) la présomption de la disponibilité de la protection de l’État est plus difficile à réfuter dans une démocratie qui fonctionne bien comme le Salvador, b) un demandeur d’asile doit démontrer qu’il n’a ménagé aucun effort objectivement raisonnable pour obtenir une protection locale avant de demander l’asile à l’étranger, et c) un demandeur ne peut pas simplement se fonder sur sa propre croyance que la protection de l’État ne sera pas offerte sans la mettre à l’essai (voir la décision Poczkodi c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956, aux paragraphes 39 et 40, et la décision Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 [Ruszo], aux paragraphes 32 et 33).

[27]  De son côté, la défenderesse cite l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], dans lequel la Cour suprême du Canada a souligné que l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État aurait pu raisonnablement être assurée. Au paragraphe 33 de la décision Ruszo, le juge en chef Crampton va plus ou moins dans le même sens quand il explique qu’il incombe au demandeur de démontrer qu’il a fait des efforts pour obtenir la protection de l’État, en l’absence d’une explication convaincante pour justifier tout manquement à cette obligation.

[28]  Si j’applique ces principes au raisonnement de la SPR en l’espèce, je ne peux trouver d’erreur susceptible de révision dans son analyse de la protection offerte par l’État. Même si la SPR s’est appuyée sur le CND pour tirer sa conclusion, et que le ministre a raison quand il affirme qu’il n’y a aucun élément de preuve montrant que la défenderesse a fait des efforts pour obtenir la protection de l’État, l’analyse qu’a faite la SPR en s’appuyant sur le CND est raisonnable. Elle a conclu d’après les éléments de preuve documentaires que les forces de sécurité au Salvador sont corrompues et incapables d’offrir une protection aux citoyens contre les groupes criminels. Elle a fait référence plus particulièrement aux éléments de preuve montrant que les lois contre le viol ne sont pas mises en application de manière efficace et que les agresseurs jouissent d’une impunité largement répandue. À mon avis, le raisonnement de la SPR relève en tous points des circonstances envisagées dans l’arrêt Ward.

[29]  En outre, je suis d’accord avec la logique de l’observation présentée par l’avocat de la défenderesse lors de l’audition de la présente demande, selon laquelle en l’espèce, les efforts faits par la défenderesse pour obtenir la protection de la police avant de quitter le Salvador auraient une valeur probante très limitée, étant donné que cela remonte à une quinzaine d’années. Ces efforts auraient par conséquent fourni peu d’indices quant à la disponibilité de la protection de l’État dans les circonstances actuelles, 15 ans plus tard.

C.  La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la défenderesse ne disposait pas d’une PRI viable?

[30]  L’argument du ministre concernant la PRI est, du moins en partie, semblable à celui avancé concernant la protection de l’État, soit qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il n’existait pas de PRI viable au Salvador en l’absence de tout effort par la défenderesse en vue de déménager dans une partie du pays pour trouver la sécurité. Une fois de plus, j’estime convaincante l’observation de la défenderesse selon laquelle de tels efforts faits il y a 15 ans ne nous éclaireraient pas beaucoup sur la viabilité d’une PRI dans les circonstances actuelles. Qui plus est, notre Cour a conclu qu’il n’incombait nullement à un demandeur de mettre personnellement à l’épreuve la viabilité d’une PRI avant de demander la protection de substitution au Canada (voir la décision Alvapillai, Ramasethu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 52 FTR 108, au paragraphe 3).

[31]  Le ministre fait référence au critère à deux volets applicable à l’évaluation de la viabilité d’une PRI, et aux principes entourant l’application de ce critère, et affirme que la SPR n’a pas fait référence à ce critère, et ne l’a pas appliqué non plus. Ce critère exige que pour conclure à une PRI viable, la SPR doit être convaincue : a) que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI; et b) que la situation dans la partie du pays où il existe une PRI est telle que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’y réfugier (voir l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF), au paragraphe 11).

[32]  À mon avis, le raisonnement de la SPR, même s’il est très bref, est entièrement intelligible et ne repose pas sur une mauvaise compréhension du critère énoncé, ou sur sa non-application, même si la SPR ne l’a pas expressément mentionné. La SPR estime qu’il n’existe pas de PRI viable pour la défenderesse ailleurs au Salvador, parce qu’elle a conclu qu’elle serait exposée à un risque sérieux d’être persécutée dans l’ensemble du pays. La possibilité d’un refuge intérieur viable a été éliminée aux termes du premier volet du critère applicable. De plus, il s’agit d’une conclusion raisonnable d’après les constatations de la SPR quant aux conditions auxquelles sont exposées les femmes au Salvador, qui ne sont pas le fait d’une région du pays en particulier.

[33]  Puisque j’ai conclu que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de révision, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-80-18

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-80-18

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. REINA DE LA PAZ MOREIRA CHAVEZ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 juin 2018

Jugement et motifs :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 6 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Hilla Aharon

Pour le demandeur

Robin D. Bajer

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Robin D. Bajer Law Office

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la défenderesse

 

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